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 Le financement des investissements de long terme : quel rôle pour les pouvoirs publics ?


Jean BOISSINOT * Conseiller des gouverneurs, Banque de France ; chargé de cours, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; fellow, Institut Louis Bachelier. Contact : Jean.BOISSINOT@banque-france.fr.
Claire WAYSAND Directrice générale adjointe, Direction générale du Trésor ; chef économiste, ministère de l’Économie et des Finances.
Le rôle des pouvoirs publics dans la réalisation d’infrastructures a longtemps été très large. Parallèlement, la liquidité abondante des années de pré-crise avait conduit à banaliser les investissements de long terme (entrepris par des promoteurs publics comme privés). La crise financière a fait ressortir les spécificités de ces investissements tandis que les modalités de l’implication de la puissance publique dans leur réalisation et leur financement sont remises en question par l’analyse normative et par un resserrement de la contrainte budgétaire et la recherche d’une plus grande efficacité. La nécessaire réflexion sur cette implication fait ressortir quatre dimensions : les pouvoirs publics ont la responsabilité d’assurer qu’une évaluation socio-économique robuste des projets est conduite ; ils peuvent être amenés à mobiliser des financements publics et à subventionner ces projets (lorsque l’évaluation socio-économique justifie leur réalisation mais que la rentabilité privée pour le promoteur reste insuffisante) ; ils ont un rôle à jouer dans la bonne coordination des parties prenantes et doivent adapter leur financement à cet fin ; enfin, ils peuvent accompagner l’émergence d’une nouvelle classe d’actifs permettant de mobiliser d’autres investisseurs tout en veillant à la maîtrise effective des risques associés.

Durant les années précrise, à un moment où le volume des investissements de long terme était globalement stable1, ces investissements n’ont pas reçu de la part de la communauté des praticiens et des universitaires une attention particulière. Une recherche sur les principales bases de données bibliographiques de références renvoie ainsi un nombre assez limité de résultats pertinents2. De fait, dans un contexte où le risque de liquidité (sous ses différentes formes)3 semblait avoir disparu, la dimension temporelle des décisions d’investissement et l’identité des acteurs qui les portaient devenaient accessoires.

À la faveur de la crise financière qui dure depuis l’été 2007, le temps est cependant redevenu une dimension essentielle des activités financières et les problématiques liées à l’investissement de long terme connaissent un certain regain d’intérêt4.

Sur la période récente, l’accent a ainsi été davantage mis sur le rôle et les spécificités des investisseurs de long terme5, définis comme l’ensemble des investisseurs assurés d’une certaine permanence de leurs ressources, qu’ils soient dépourvus d’engagements de passif (par exemple, les fonds souverains ou, dans une moindre mesure, certaines institutions financières publiques6) ou qu’ils disposent d’un passif long (notamment, les compagnies d’assurances et les fonds de pension).

Dans ce contexte, l’investissement de long terme recouvre l’ensemble des investissements qui peuvent être entrepris par ces acteurs7 dont les préférences et/ou les contraintes peuvent différer de celles des autres investisseurs. En partie du fait des spécificités de leur passif, ils peuvent dès lors exploiter certaines incomplétudes ou imperfections de marché, notamment en supportant des risques que ne pourraient assumer d’autres acteurs8. Certains ont souligné la contribution de ces acteurs en termes de bien-être collectif ou de stabilité financière9.

Suivant une longue tradition10, d’autres ont étudié l’influence de la présence à long terme d’investisseurs (notamment les investisseurs institutionnels) et de leur implication dans la gouvernance sur les performances des entreprises11.

Dans ce cas, ce sont plutôt les spécificités de la gestion de l’actif de ces investisseurs qui importent : alors que, de manière standard, les investisseurs tendent parfois à privilégier une réaction passive aux choix stratégiques du management des entreprises cotées (exit over voice)12 qui peut biaiser la gestion des entreprises (amenées à surpondérer l’impact à court terme de leurs décisions sur les résultats)13, cette approche vise à remettre en valeur l’importance de l’implication active d’actionnaires significatifs avec une perspective de long terme dans la gouvernance des entreprises14 et à mettre en lumière d’un point de vue empirique l’impact positif de cette implication en termes de performance des entreprises15, voire à en évaluer la significativité macroéconomique16.

Ces deux approches17 insistent donc sur la spécificité des investisseurs de long terme et leurs contributions microéconomiques et macroéconomiques pour en tirer un certain nombre de conclusions en termes de régulation des institutions financières concernées (CAE, 2010) ou de la gouvernance des entreprises (Zingales, 2009 ; BIS, 2012).

Cet article s’inscrit dans une perspective proche, mais distincte, et s’attache à une autre dimension de l’investissement de long terme dans laquelle les pouvoirs publics ont probablement un rôle plus complexe et plus direct à jouer : la réalisation et le financement de projets rentables, mais dont le profil des pay off implique un horizon long de retour sur investissement (investissement de long terme par la suite). Ces projets peuvent être variés : recherche, innovation ou encore projets d’infrastructures.

Les spécificités de ces projets sont résumées dans la première partie, tandis que la deuxième met l’accent sur le besoin d’évaluations. La troisième partie s’intéresse aux divergences qui peuvent apparaître entre l’évaluation socioéconomique qui fonde le choix public et l’analyse de la rentabilité qui sous-tend les décisions d’investissement privées, ainsi qu’aux interventions publiques qui peuvent les rapprocher. La quatrième partie souligne l’importance de la structuration efficace du projet (incitations, allocations des coûts et des risques...) pour permettre sa mise en œuvre et la maximisation de sa valeur. La cinquième partie discute la manière dont le financement participe de cette structuration. Enfin, la sixième partie s’intéresse à l’émergence de ces investissements de long terme comme une classe d’actifs à part entière.

Les infrastructures comme cas type de l’investissement de long terme

Les projets d’infrastructures constituent probablement l’un des exemples les plus typiques des problématiques qui sont au cœur de cet article18 : il s’agit d’investissements significatifs entrepris avec une perspective de long terme, dans la réalisation et au financement desquels les pouvoirs publics sont souvent associés, avec toutefois des degrés d’implication très variables.

La notion d’infrastructure renvoie typiquement à des ouvrages essentiels au fonctionnement d’une économie, au confort des populations ou, plus largement, au développement du capital humain. La terminologie d’infrastructure en finance renvoie à cinq sous-secteurs distincts : les infrastructures de télécommunication, les utilities (services collectifs comme la distribution d’électricité, de gaz et d’eau), les infrastructures de production et de transport d’énergie, les infrastructures de transport, ainsi que les infrastructures sociales (éducation, santé).

On peut distinguer, d’un point de vue plus économique, deux traits caractéristiques :

  • la notion renvoie à l’immobilisation d’un capital important, parfois (mais pas nécessairement) avec des caractéristiques d’un monopole naturel (par exemple, ouvrage clé d’un réseau de transport, infrastructure de production d’énergie et réseau de distribution, réseau de communication) ;
  • les infrastructures présentent souvent des externalités positives, parfois non tarifables, justifiant dans un certain nombre de cas l’attribution de subventions publiques à leur réalisation.

Même si la notion de bien public peut sembler proche, le caractère rival et/ou exclusif de l’usage de l’infrastructure est cependant ici assez secondaire19. In fine, la décision d’investissement considérée ici suppose que les problèmes de tarification relevant de la théorie des biens publics ont par ailleurs été résolus (cf. infra).

Au regard de ces caractéristiques, on peut donc identifier deux raisons pour lesquelles les pouvoirs publics peuvent être amenés à intervenir dans de tels projets :

  • la rentabilité socioéconomique conclut à la pertinence de l’investissement, mais le projet ne pourra pas être spontanément entrepris par un promoteur privé compte tenu d’une rentabilité financière insuffisante et/ou d’un risque trop élevé ;
  • la réalisation du projet nécessite une coordination entre les différents intervenants que les pouvoirs publics peuvent faciliter.

Les sections suivantes passent en revue ces différents aspects, après quelques mots sur la nécessité d’une évaluation socioéconomique.

Un besoin d’évaluations socioéconomiques robustes

Des estimations des besoins d’investissements en infrastructures sont régulièrement avancées. Par exemple, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) (2006) estime à plus de 900 Md$ par an à l’horizon de 2025 le besoin d’investissements en infrastructures dans les domaines de l’électricité (transmission et distribution), de l’eau et du transport (rail et route) pour l’ensemble des pays de l’OCDE, tandis que la Commission européenne (2010a et 2010b) évalue les besoins d’ici à 2020 au sein de l’Union européenne à 550 Md€ pour la réalisation des projets du réseau transeuropéen de transport et à 1 000 Md€ pour le secteur de l’énergie dont plus de 200 Md€ pour les seuls réseaux de transport d’énergie et 320 Md€ pour le déploiement du haut débit.

Ces évaluations fournissent un ordre de grandeur, mais elles ne sont le plus souvent pas étayées par une évaluation socioéconomique préalable globale, a fortiori, projet par projet. Si l’évaluation socioéconomique est un exercice difficile (Guesnerie, 2006), elle est cependant indispensable. C’est encore plus vrai dans un contexte budgétaire contraint, avec une dette déjà élevée, et lorsqu’il s’agit d’engager des montants conséquents, facteurs qui renforcent l’impératif d’efficacité de la dépense publique. Cette évaluation socioéconomique doit être rigoureuse, incontestable et complète et prendre notamment en compte la dimension intertemporelle, les risques20, les conséquences des modalités de financement et de tarification effectivement retenues, et les externalités (notamment de congestion et environnementales), même si certains aspects sont parfois difficiles à quantifier (étalement urbain, biodiversité, hausse de la productivité, emploi...).

A contrario, un projet réalisé en dépit d’une évaluation socioéconomique défavorable ou même tangente fera porter des risques pour la collectivité et si le risque se matérialise, les pouvoirs publics pourraient être amenés à supporter (une partie de) la perte, quelle qu’ait été leur implication initiale21. Dans ce contexte, une évaluation socioéconomique des projets d’infrastructures est utile même si le projet est mis en œuvre sur une base strictement ou partiellement privée. Les pouvoirs publics ont en outre, en cas de monopole naturel, un rôle à jouer dans la détermination de la rente et sa régulation.

En France, l’évaluation socioéconomique est obligatoire pour les grands projets d’infrastructures de transport (loi d’orientation sur les transports intérieurs – LOTI – de 1982). Plusieurs rapports récents ont renforcé la portée de l’analyse socioéconomique en détaillant sa méthode et les valeurs tutélaires liées à l’environnement (rapport Boiteux II22, Commissariat général au plan – CGP –, 2001 ; rapport Quinet, Conseil d’analyse stratégique – CAS –, 2009), en développant la définition du taux d’actualisation public (rapport Lebègue, CGP, 2005) et en construisant une méthode pour prendre en compte le risque dans le calcul économique (rapport Gollier, CAS, 2011). La méthode d’évaluation des projets d’infrastructures de transport a été consolidée dans une instruction-cadre du ministère des Transports. Le choix de l’acteur en charge de l’évaluation des projets d’investissement doit permettre de concilier rigueur et indépendance. On peut regretter qu’au-delà des transports, il existe à ce stade peu d’évaluations socioéconomiques réalisées dans d’autres secteurs de l’économie, faute notamment de méthodologies faisant consensus.

Un rôle pour l’autorité publique, y compris pour des décisions d’investissement privées

Si l’évaluation socioéconomique constitue un préalable indispensable à la réalisation d’un projet d’investissement, une évaluation positive n’est pas suffisante pour assurer que le projet sera entrepris par des promoteurs privés. Un écart entre l’évaluation socioéconomique qui sous-tend le choix public et l’évaluation économique et financière qui conditionne les décisions d’investissement privées peut résulter en particulier de l’existence d’écarts trop importants entre le cash flow appropriable et le surplus effectif ou d’un écart entre les paramètres financiers et économiques privés et les valeurs tutélaires de l’évaluation socioéconomique, voire, plus largement, d’une incertitude trop forte pour le promoteur et l’investisseur.

Suivant les cas, les pouvoirs publics peuvent compenser l’écart qui existe (subventions) ou prendre en charge eux-mêmes le projet.

Problèmes de tarification

Le surplus collectif retiré d’une infrastructure peut ne pas être appropriable dans des proportions suffisantes pour que le retour sur investissement que le promoteur et/ou l’opérateur sont susceptibles de percevoir permette de financer l’investissement. De facto, les acteurs privés ne peuvent financer que ce qui est «  remboursé  » par les usagers.

Cette différence entre le cash flow appropriable et le surplus des usagers, mais aussi, indirectement, le surplus de l’ensemble de la collectivité (en raison d’externalités liées à l’usage ou à l’existence de l’infrastructure23), peut être minimisée par la mise en place d’une fiscalité ou de marchés de permis visant à monétariser les externalités. Néanmoins, dans certains cas, notamment en l’absence de prise en compte par les financeurs des externalités, une subvention publique pourrait être nécessaire pour permettre la réalisation de l’investissement.

Cette subvention peut prendre des formes assez différentes (dotation budgétaire initiale ou subvention versée au fil de l’eau) et retenir un degré de contingence variable (loyers fixes ou modulés en fonction de la disponibilité de l’équipement, du trafic24…), voire implicite25. D’une manière générale, on ne peut qu’encourager l’identification claire des subventions accordées et la recherche de leur efficacité économique et budgétaire.

Écart aux valeurs tutélaires

Un écart entre les paramètres de l’évaluation économique et financière (privée) et les valeurs tutélaires retenues dans le cadre de l’évaluation socioéconomique (publique) peut aussi être à l’origine d’écarts dans l’appréciation de la pertinence de l’investissement. L’existence de tels écarts peut appeler un examen de la pertinence des paramètres et des valeurs retenus. Mais même en supposant que les valeurs tutélaires ont été choisies avec soin, il peut subsister des différences liées à :

  • la prise en compte dans l’évaluation socioéconomique de certaines externalités (notamment environnementales) qui par ailleurs n’auraient pas correctement été internalisées ;
  • une différence de taux d’actualisation résultant d’un écart entre le coût de financement public (y compris le coût d’opportunité des fonds publics) et le coût de financement privé ou, dans une approche plus structurelle, d’un écart entre le taux d’actualisation résultant de l’analyse (positive ou normative) des préférences intertemporelles sociales et le taux d’actualisation financier26, voire une éventuelle différence dans la capacité à mutualiser ou à supporter certains risques27.

Dans cette situation aussi, une intervention publique peut apparaître justifiée. Elle correspondera généralement à une subvention, mais elle peut aussi prendre la forme de dispositifs visant à réduire les risques ou à ajuster les signaux qui permettront de mobiliser davantage les capitaux privés.

Les politiques cherchant à favoriser les investissements nécessaires à la transition vers une économie moins émettrice en carbone fournissent un exemple de ce type de modification du signal prix.

Certains dispositifs de modification du signal prix consistent en une subvention (ou réduction d’impôt) permettant au promoteur de valoriser l’économie de carbone associée à la réalisation de son investissement28. C’est le cas, par exemple, du crédit d’impôt développement durable qui permet de déduire de son impôt sur le revenu une partie du coût de rénovation thermique des bâtiments. Ces dispositifs présentent souvent un coût budgétaire important.

Une autre approche, moins onéreuse du point de vue des finances publiques29, peut reposer sur une meilleure tarification de l’externalité négative au niveau de l’ensemble des émetteurs de carbone, afin de leur permettre d’en internaliser les effets. Cette internalisation peut se faire de deux manières : par le biais d’une taxe ou la mise en place d’un marché de permis. Ces deux approches sont équivalentes en information parfaite. En cas d’incertitude, la taxe permet d’assurer que le coût ne sera pas excessif pour le pollueur, mais les résultats pour l’environnement sont plus incertains (Weitzman, 1974).

Si la mobilisation de subventions publiques peut permettre la réalisation d’investissements dont l’utilité socioéconomique est indiscutable, le bon dimensionnement, le design adéquat de ces subventions et la maîtrise de leurs interactions constituent un enjeu important, a fortori dans un contexte budgétaire difficile. Enfin, les pouvoirs publics doivent garder à l’esprit que la remise en cause de certaines subventions, qui s’avèrent ex post trop coûteuses au regard de leur objectif, mais qui ont été déterminantes ex ante dans les décisions d’investissement, a un coût collectif qui n’est pas seulement budgétaire (en raison du coût d’opportunité associé à l’investissement privé suscité par la subvention publique). Il est possible qu’une approche plus prudente et plus parcimonieuse permette in fine des gains importants (moindres dépenses budgétaires et/ou moindre perte sur le capital installé et, plus généralement, meilleure allocation du capital).

Incertitude

Le problème de l’éventuelle incohérence temporelle de l’intervention publique renvoie à une autre difficulté à laquelle font face les acteursdans l’appréciation d’une décision d’investissement : au-delà du risque, l’incertitude entourant le projet peut être particulièrement importante, d’autant plus que l’horizon de rentabilité est éloigné. Cette incertitude (normalement prise en compte dans l’évaluation socioéconomique) peut constituer en elle-même un obstacle à la décision d’investissement.

Dans cette logique, Shleifer et Vishny (1990) distinguent les projets de long terme et les actifs de long terme (la première catégorie renvoie à un projet dont la duration est longue, la seconde à un actif dont l’incertitude autour de sa valeur finale est lente à disparaître) et expliquent comment, en raison de l’imperfection des marchés financiers, l’incertitude peut conduire à des choix sous-optimaux privilégiant des actifs et des investissements de court terme.

Ce constat fournit un autre prisme de compréhension aux interventions des pouvoirs publics : en complément de subventions qui visent à rapprocher la rentabilité privée de son utilité publique lorsque la rentabilité privée apparaît insuffisante malgré une utilité publique démontrée, les pouvoirs publics peuvent intervenir pour réduire autant que possible l’incertitude qui entoure un projet. Néanmoins, il ne s’agit pas de faire supporter par la sphère publique des risques qui pourraient (voire devraient) être portés par des acteurs privés.

L’intervention publique peut chercher à réduire le risque de demande : la matérialisation de ce risque peut en effet conduire à éloigner l’horizon de rentabilité sans remettre en cause l’utilité effective du projet. Dans le domaine des infrastructures de transport, certains dispositifs de garantie, comme la LGTT (Loan Guarantee Instrument for Trans-European Transport Network Projects) proposée par la Banque européenne d’investissement (BEI), relèvent de cette logique de maîtrise du risque de trafic.

La réduction de l’incertitude passe aussi par le souci d’assurer une stabilité de l’environnement réglementaire, fiscale… de l’investissement. De ce point de vue, la qualité et la robustesse du cadre contractuel des projets sont des atouts importants.

Plus généralement, la maîtrise du risque politique constitue parfois un réel enjeu. La qualité de l’environnement, de la planification et de l’évaluation préalable des projets y contribue de manière significative ex ante, tandis que certaines dispositions permettant un engagement effectif ex post (commitment mechanism) peuvent aussi jouer un rôle. Ainsi, l’implication d’institutions financières multilatérales dans certains grands projets est généralement reconnue et appréciée au titre de l’expertise apportée, mais cette présence permet aussi de fortement limiter le risque politique (le statut de créditeur privilégié de l’institution et le caractère pari passu de ses financements sont un moyen pour l’ensemble des créditeurs de s’assurer que les pouvoirs publics ne pourront pas mettre en péril le projet).

L’autorité publique doit veiller à donner les bonnes incitations à la bonne exécution de l’investissement

Lorsque les conditions sont réunies pour entreprendre un projet d’investissement pertinent, sur une base strictement privée, en permettant une convergence des intérêts privés et de l’évaluation socioéconomique, grâce à une subvention directe ou indirecte ou dans le cadre d’un investissement public, la réalisation effective de la « valeur » du projet reste conditionnée à sa bonne exécution (construction et exploitation). Dès lors que le promoteur du projet (principal) ne dispose pas des compétences nécessaires à la réalisation de l’investissement (en particulier, la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d'œuvre et la gestion), la définition d’un cadre contractuel permettant de mobiliser l’ensemble de ces compétences de manière optimale constitue un enjeu crucial30.

Du point de vue de l’autorité publique qui cherche à permettre la réalisation de l’investissement, la structuration du projet passe par trois décisions de délégation sur la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d'œuvre et l’exploitation. Ces choix dans l’organisation des marchés et des relations contractuelles ont fait l’objet d’une littérature assez dense et connue31. On se bornera ici à souligner trois points.

Premièrement, bien que distinctes, ces trois décisions ne sont en fait pas indépendantes. Ainsi, le choix de la délégation jointe à un acteur privé de la maîtrise d’ouvrage et de l’exploitation dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) peut, s’il est bien fait, permettre une optimisation des coûts de construction et des investissements nécessaires à l’entretien de l’infrastructure en phase d’exploitation32. Si la littérature n’est pas fortement prescriptive dans le choix de la structure du projet, elle permet néanmoins clairement de déterminer les dimensions structurantes de ce choix : possibilité d’économies (spécialisation, économie de gamme), considérations informationnelles (vérifiabilité des coûts, partage du risque), aléa moral, coût d’agence…

Deuxièmement, s’agissant plus spécifiquement de la réalisation d’investissements de long terme, il est utile de noter l’importance du maintien d’une incitation à une bonne gestion au cours de la phase d’opération, voire sur la valeur terminale. En effet, la valeur de l’investissement n’est pas seulement réalisée dans la phase de construction ; l’entretien adéquat et progressif de l’infrastructure au cours de son exploitation permet d’optimiser la rentabilité et la valeur effective de l’investissement33.

Troisièmement, la structuration du projet (et les choix de délégation correspondants) s’apprécie en termes de connaissances et de compétences mobilisées, d’incitations fournies par un cadre contractuel, mais aussi en termes d’allocation des risques entre les différentes parties prenantes.

La structure du financement peut y contribuer

À la structuration du projet répond souvent la structure de son financement qui en est une partie intégrante. Le financement direct34 correspond plutôt à une organisation intégrée de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d'œuvre, puis de l’exploitation. Dès lors que l’organisation se fait plus complexe, des modalités de financement plus spécifiques, qu’il s’agisse de financements déconsolidés par rapport au promoteur (project finance) et/ou intégrés avec la maîtrise d’ouvrage et l’exploitation (PPP)35, seront utiles pour définir les incitations36 et le partage des risques37 entre les différentes parties prenantes.

Dès lors que les projets sont financés de manière autonome (par exemple, dans le cadre d’un financement de projets), la question de la maturité de leur financement devient importante. Le promoteur et les financeurs souhaitent en effet tirer parti des flux de revenus (cash flows) associés à l’investissement et faire coïncider leur profil avec celui du service de la dette projet. Le développement du financement de projets dans les années 1980 est ainsi associé à la création aux États-Unis d’un cadre légal (Public Utilities Regulatory Policies Act – PURPA)38 donnant corps à des contrats d’approvisionnement impliquant le paiement par la puissance publique (ou par des opérateurs quasi publics) de flux de revenus réguliers sur le long terme.

Du point de vue des créanciers, la structuration financière peut aussi répondre à d’autres motivations, en particulier leur permettre un suivi (monitoring) des promoteurs. Au-delà du rôle de la structure de capital du projet et des clauses contractuelles prévues dans le cadre des financements en dettes qui permettent un suivi de la maîtrise d’ouvrage et de l’exploitation, la non-coïncidence entre l’horizon de rentabilité de l’investissement et la maturité des financements peut aussi de ce point de vue jouer un rôle utile et complémentaire pour ce suivi. En effet, l’existence d’un tel écart (maturity mismatch) fournit un point de rendez-vous obligatoire entre les promoteurs du projet et leurs créanciers et, en obligeant une renégociation du financement, permet de minimiser l’aléa moral des promoteurs. La différence entre les échéances de remboursement et celle des flux de revenus peut d’ailleurs être recherchée par les promoteurs comme un signal de qualité du projet ou un mécanisme d’engagement ex ante.

Au total, il n’y a donc pas de réponse définitive a priori, mais un arbitrage entre le risque financier et les bénéfices en termes de suivi. S’ilest probablement opportun de limiter le risque de liquidité, le maintien d’un maturity mismatch au moins partiel peut être bénéfique.

En pratique, c’est d’ailleurs ce que l’on observe en matière de financement de projets et de PPP (Gatti, 2008) : le financement est structuré en deux phases (construction/opération) avec (1) un financement court, faisant l’objet de nombreuses clauses, de la première phase plus risquée pour laquelle le suivi du promoteur/maître d’ouvrage/constructeur est important et (2) un financement plus directement adossé aux flux de revenus dans la phase d’opération au cours de laquelle le cash flow est plus régulier et où le principal enjeu est désormais la maintenance de l’infrastructure et la maximisation de la valeur terminale de l’investissement.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour permettre à certains cash flows d'être effectivement adossés aux financements tout en reconnaissant le rôle utile que peut jouer la structuration des financements dans la répartition des risques et la mobilisation efficace des différentes parties prenantes. Sans pour autant qu’elle porte l’ensemble des risques macroéconomiques, la puissance publique peut donc être appelée à endosser certains risques (cf. les dispositifs de garantie ou le portage du risque politique discutés précédemment) tout en veillant à préserver les incitations et le suivi permis par une structure « déséquilibrée ».

Les infrastructures comme classe d’actifs à part entière

Les banques ont joué et jouent encore un rôle central dans le financement des infrastructures en Europe. Néanmoins, l’investissement dans ce type de projets de long terme implique un degré de transformation très important. La crise financière, ses enseignements et les évolutions de l’environnement réglementaire ont ainsi conduit à un réexamen des modalités de l’implication des banques. En particulier, le refinancement de ces crédits dans le cadre d’une structure de titrisation a fait l’objet d’initiatives (comme l’initiative d’un fonds commun de titrisation de dettes PPP permettant le refinancement de ces actifs et la mobilisation indirecte d’autres investisseurs). Dans la mesure où ces solutions de financement peuvent participer efficacement à la réalisation d’investissements opportuns d’un point de vue socioéconomique et où ils peuvent aider à une certaine coordination, les pouvoirs publics peuvent accompagner le développement de ce type de solution.

Compte tenu des volumes évoqués plus haut (et même s’ils doivent être considérés avec prudence), l’enjeu dépasse la question du refinancement : il s’agit aussi de mobiliser plus directement des investisseurs susceptibles d'être intéressés par ce type d’actifs. En effet, si les investissements de long terme ne correspondent donc pas systématiquement à des financements longs, leurs caractéristiques (maturité longue, indexation naturelle sur l’inflation et/ou les revenus...) intéressent certains investisseurs de long terme (assureurs, fonds de pension, gestionnaires d’épargne-retraite...). De plus, avec à présent une vingtaine d’années de recul sur les premières réalisations, on constate qu’en pratique, la dette projet et la dette PPP ne sont pas particulièrement risquées (Moody’s, 2012), même si elles présentent un profil de risque atypique par rapport à d’autres produits de dette (comme évoqué plus haut, la probabilité d’un défaut est plus élevée au début qu’au cours de la phase de construction ; voir Sorge, 2004).

Faire émerger une base d’investisseurs large capables d’apporter (certaines parties) des financements et permettre que l’investissement en fonds propres dans des infrastructures et, plus particulièrement encore, la dette projet deviennent des classes d’actifs constituent de réels enjeux. Le développement de la dette PPP au Royaume-Uni dans les années 1990 a constitué l’un des moteurs du développement de ces montages et s’est fait en réponse à la demande d’investisseurs de type assureurs et fonds de pension.

Cette évolution nécessite à la fois :

  • un traitement prudentiel de ces actifs ajustés à leurs caractéristiques (compte tenu de leur caractère encore marginal, ils sont aujourd’hui traités dans une catégorie générique recouvrant aussi, par exemple, des investissements dans des fonds alternatifs) ;
  • l’apparition progressive d’une réelle liquidité de marché, ce qui suppose l’existence d’une base d’investisseurs suffisamment importante39 et d’une classe d’actifs homogène et large.

L’apparition d’une classe d’actifs de taille critique peut reposer sur une approche par projet type muni bonds, avec dans ce cas la nécessité d’une standardisation des structures et des modalités de financement au niveau de chaque projet40, ou sous la forme de titrisation (dans ce cas, c’est plutôt la taille des émissions qui assure la liquidité des titres, la standardisation des structures et la diversification opérée au sein des portefeuilles titrisés jouent aussi un rôle).

L’initiative project bonds portée par la BEI et la Commission européenne (2011a) répond en partie à cette logique et, dans un contexte où les modalités de financement sont appelées à évoluer, cherche à adapter les instruments de la BEI et du budget de l’Union européenne à d’autres modes de financement des infrastructures pour permettre la mobilisation d’autres investisseurs. Au-delà de la volonté des institutions européennes d’adapter leurs interventions à un nouveau contexte réglementaire, on peut souhaiter que cette initiative, si elle permet de faire émerger des structures satisfaisantes, contribue à structurer une nouvelle classe d’actifs à l’échelle européenne.

Par ailleurs, l’apparition de ces nouveaux actifs ne doit pas se faire au détriment d’une réelle maîtrise des risques. La tendance à la désintermédiation induite par l’évolution du contexte réglementaire fait courir le risque d’une migration des risques non vers les acteurs les mieux à même de les porter, mais vers ceux pour qui les contraintes réglementaires sont les moins exigeantes. De plus, le développement d’une classe d’actifs structurellement dépendante de certains acteurs (comme les MBS – mortgage-backed securities – américains pouvaient l'être des entités soutenues par le gouvernement fédéral américain – government-sponsored entities –, comme Fannie Mae et Freddie Mac) tend à augmenter le risque systémique.

Ainsi, les pouvoirs publics doivent permettre et accompagner le développement de ces nouveaux actifs, notamment en soutenant les initiatives pertinentes, en ajustant le cadre prudentiel tout en veillant à maintenir une régulation et une supervision adéquate.

Le rôle des pouvoirs publics dans la réalisation d’infrastructures a longtemps été très large (prise en charge complète de la maîtrise d’ouvrage et du financement). Les modalités de l’implication de la puissance publique dans la réalisation et le financement de ces investissements de long terme ont néanmoins été remises en question par l’analyse normative et, d’un point de vue plus pragmatique et opérationnel, par un resserrement de la contrainte budgétaire et la recherche (inégalement satisfaite) d’une plus grande efficacité.

En tout état de cause, une évaluation socioéconomique complète est un préalable indispensable pour entreprendre ce type d’investissements. À défaut d’une évaluation clairement positive, il est socialement préférable de ne pas réaliser le projet, quel que soit le degré d’intervention de la puissance publique envisagé.

Une évaluation socioéconomique satisfaisante n’implique pas toujours une rentabilité financière suffisante. Les pouvoirs publics peuvent alors être amenés à subventionner le projet. Un examen attentif des origines possibles de cet écart (incomplétude des marchés, externalités positives non tarifables ou encore incertitude trop forte) permet de tirer quelques enseignements sur la forme que peut prendre cette subvention pour être vraiment efficace (subventions contingentes, garanties partielles), voire d’envisager d’autres modalités d’intervention comme, par exemple, l’intervention d’un créancier privilégié pour contenir le risque politique.

La réalisation et l’exploitation la plus efficace possible de l’infrastructure sont des déterminants importants de la rentabilité de l’investissement. La structuration du projet par le promoteur (public ou non) doit donc permettre la coordination de l’ensemble des parties prenantes et une structure d’incitations efficace, notamment en termes de partage des risques. La structuration des financements est l’une des dimensions du schéma d’implication : à ce titre, il n’est pas forcément opportun de chercher systématiquement à faire coïncider les financements et les flux de revenus. L’intervention des pouvoirs publics (et en particulier les financements publics) doit ainsi prendre en compte le rôle utile que peut jouer la nécessité d’un refinancement au cours du projet dans le suivi et la bonne réalisation de ce projet.

Enfin, la puissance publique peut jouer un rôle dans la diversification des modes de financement. Si les banques ont traditionnellement été très impliquées dans le financement des infrastructures, y compris à long terme, elles pourraient avoir désormais plus de mal à porter ces actifs à leur bilan jusqu’à maturité, ce qui conduirait à chercher d’autres investisseurs pour porter ces actifs (désintermédiation). De fait, ces investissements de long terme présentent un profil de risque et de cash flow qui peut intéresser certains investisseurs (fonds de pension, assureurs au passif long en particulier). Les pouvoirs publics peuvent accompagner le développement d’une nouvelle classe d’actifs en s’assurant que leurs instruments d’intervention sont adaptés à des financements non bancaires et que le traitement prudentiel de ces actifs prend correctement en compte leurs caractéristiques (risques, liquidité, volatilité...). Ils devront s’assurer de la maîtrise de ces nouveaux risques par le biais d’une régulation cohérente et d’une supervision rigoureuse.


Notes

Les auteurs tiennent à remercier Emmanuel Massé et Nicolas Riedinger pour leurs commentaires précieux et stimulants, ainsi que les interlocuteurs avec qui ils ont pu échanger sur ces sujets.Les opinions présentées dans cet article sont celles des auteurs, elles ne reflètent pas nécessairement la position de la Direction générale du Trésor, ni celle du ministère de l’Économie et des Finances.
1 EIB (2010) suggère, par exemple, que les investissements en infrastructures ont représenté de 3 % à 4 % du PIB dans les pays de l’UE15 entre 2000 et 2009 (et de 6 % à 7 % du PIB dans les pays ayant adhéré à l’Union européenne depuis 2004).
2 IDEAS/RePEc, JStore ou via Google Scholar.Par exemple, IDEAS dénombre 23 articles (respectivement 144 articles) publiés mentionnant le terme « long-term investment » dans leur titre (respectivement, dans leur résumé). À titre de comparaison, une recherche sur un thème comme celui de l’enseignement supérieur ou de l’innovation dont on peut considérer qu’il s’agit de concepts relativement circonscrits qui renvoient à des notions analogues d’investissement (en capital humain ou immatériel), de patience et d’effet sur le potentiel de croissance suggère une production académique dix fois plus importante. On dénombre ainsi 955 articles (1 857 articles) mentionnant « higher education » dans leur titre. La même recherche sur JStore (limitée aux revues d’économie et de finance) confirme cette observation : 29 articles, contre 500 articles, mentionnent « long-term investment » (repectivement « higher education ») dans leur résumé. Par ailleurs, une proportion non négligeable des articles mentionnant le terme de « long-term investment » dans leur résumé traitent en fait de sujets assez distincts du thème de ce numéro.
3 On peut notamment distinguer, du point de vue de l’investisseur, à la manière de Brunnermeier et Pedersen (2008), les notions de market liquidity (capacité à revendre un actif) et de funding liquidity (capacité à se refinancer ou à refinancer un actif). Enfin, du point de vue du porteur de projets ou de l’entrepreneur, on peut signaler le risque associé au refinancement du projet.
4 Environ 40 % des articles référencés sur IDEAS mentionnant le terme « long-term investment » dans leur résumé ont été publiés depuis 2008. Certains de ces travaux ont été élaborés dans le cadre d’initiatives institutionnelles. On peut notamment citer les réflexions conduites par le groupe de travail du Conseil d’analyse économique sur l’investissement et les investisseurs de long terme ou le groupe de travail de l’OCDE (Fostering Long-Term Investment and Economic Growth), les travaux menés sous l’égide du Club des investisseurs de long terme ou les rapports du World Economic Forum (WEF, 2010, 2011 et 2012) et, plus récemment, les travaux menés dans le cadre de la Kay Review (BIS, 2012) commissionnée par le gouvernement britannique.
5 Voir notamment CAE (2010).
6 En France, on peut citer la Caisse des dépôts ou le Fonds de réserve des retraites. La Banque européenne d’investissement (pour l’Union européenne) ou la KfW (en Allemagne) constituent d’autres exemples.
7 Dans une certaine mesure, ces investisseurs de long terme sont, parmi l’ensemble des institutions et intermédiaires financiers, les mieux à même d’entreprendre ces investissements en raison des spécificités de leur passif qui leur permettent de limiter le risque de transformation.
8 Voir CAE (2010) et CEDD (2010) qui relèvent que l’incomplétude des marchés (en particulier, l’absence des générations futures) et certaines imperfections (contraintes de liquidité, limite à l’arbitrage...) créent un contexte dans lequel ces investisseurs de long terme bénéficient d’un avantage comparatif.
9 Sur la question du bien-être collectif, voir Gollier et Janci (2010). Sur les sujets de stabilité financière, voir Jaillet (2010) et Valla (2010) qui présentent un certain nombre d’arguments dans ce sens et Cella et al. (2012) pour une évaluation empirique de ces questions.
10 Voir les réflexions initiées par Hirschman (1970) sur le rôle respectif de l’implication active (voice) ou de la réaction silencieuse (exit) ou encore les apports de la théorie des incitations aux réflexions sur la gouvernance d’entreprise (Laffont et Martimort, 2002).
11 Voir, par exemple, la Kay Review (BIS, 2012).
12 Dans ce contexte, les marchés financiers jouent un rôle de diffusion de l’information et d’agrégation des jugements, mais les investisseurs n’exercent pas activement leurs prérogatives d’actionnaires ou de créanciers. Cette approche se traduit en particulier par un intérêt plus marqué pour des considérations sur l’organisation des marchés et une préférence pour la liquidité (et la capacité des investisseurs à faire évoluer leur exposition) par rapport à des enjeux de gouvernance d’entreprise (liquidity over engagement). Grossman et Stiglitz (1980) ont toutefois illustré le paradoxe de cette approche « passive » de l’investissement qui ne peut pas assurer l’existence d’un marché efficient lorsque l’information et le monitoring sont coûteux.
13 L’une des conséquences le plus souvent évoquée d’une gestion à court terme est le sous-investissement. Il faut cependant nuancer ce propos : compte tenu des asymétries d’information entre les investisseurs et le management, des objectifs de court terme peuvent aussi conduire à un surinvestissement (lorsque l’investissement est observé par les actionnaires, mais que sa rentabilité n’est pas connue ; voir Bebchuk et Stole, 1993).
14 Voir la notion de stewardship mise en avant par la Kay Review (BIS, 2012) par opposition à une hyperactivité caractérisée par une rotation très rapide des portefeuilles et une révision fréquente de l’allocation, et à une trop grande passivité représentée, par exemple, par la gestion indicielle.
15 Voir, par exemple, Aghion et al. (2009) sur l’impact positif de la présence significative d’investisseurs institutionnels sur la prise de risque par les dirigeants et la politique d’innovation des entreprises cotées. Alternativement, Lerner et al. (2011) mettent en lumière l’évolution de la politique d’innovation d’entreprises ayant fait l’objet d’un rachat de type LBO (leverage buy-out).
16 Voir Aghion et al. (2009) qui examinent l’impact de l’incertitude et de l’existence de contraintes de crédit sur les choix d’investissement et, in fine, sur la trajectoire de croissance et la volatilité macroéconomique.
17 Voir Della Croce et al. (2011) pour une présentation synthétique des enjeux.
18 Les projets de nature industrielle présentent une dimension sectorielle très spécifique. Par ailleurs, les risques des projets, plus que leur horizon de rentabilité, peuvent jouer un rôle prépondérant dans leur réalisation. Enfin, ces projets renvoient aussi largement aux questions de gouvernance des entreprises de la seconde approche évoquée en introduction. Par ailleurs, il existe quelques données et une littérature exploratoire sur les projets d’infrastructures (voir notamment OCDE, 2006 et 2007 ; EIB, 2010 ; Moody’s, 2012), notamment leur financement et leur performance au cours du temps, tandis qu’il est possible d’identifier un certain nombre de politiques publiques dédiées à leur réalisation.
19 De fait, l’accès à une infrastructure peut le plus souvent être contrôlé et tarifé (péage) et la plupart des infrastructures ne sont pas immunes à des phénomènes de saturation.
20 Voir CAS (2011).
21 Surtout si, à la réalisation du risque, l’analyse coût/bénéfice d’une poursuite de l’investissement conclut clairement à l’avantage d’une poursuite de l’investissement (alors même que l’analyse ex ante ne concluait pas à la pertinence de l’investissement).
22 Ce rapport est en cours d’actualisation dans le cadre d’une commission du CAS présidée par Alain Quinet. Ses premiers résultats sont attendus pour la fin de 2012.
23 Par exemple, les externalités de production ou les effets de réseau.
24 Certaines subventions peuvent viser à fournir une incitation (subvention croissante en fonction du trafic : tarif de rachat), d’autres tendent à couvrir un risque (subvention décroissante en fonction du trafic : prise en garantie du risque de trafic).
25 Ainsi, la déductibilité fiscale des coupons des municipal bonds (muni bonds) aux États-Unis constitue de fait une importante subvention.
26 Cet écart peut renvoyer à l’incomplétude des marchés d’un point de vue intertemporel : l’incapacité des générations futures à contracter sur les marchés conduit à une allocation intertemporelle inefficace des ressources et des risques.
27 En effet, une évaluation socioéconomique complète prend en compte le risque (cf. supra), mais la valorisation socioéconomique du risque peut s’écarter de la valorisation privée lorsque la capacité de mutualisation des parties privées est plus limitée que celle de la puissance publique (Gollier et Janci, 2010).
28 Pour un aperçu des politiques mises en œuvre en France et une discussion critique, voir notamment CEDD (2010).
29 Mais dont l’effet total est normalement identique, le moindre coût budgétaire étant associé à un surcoût supporté plus spécifiquement pas les émetteurs de carbone.
30 Les considérations développées ici ne sont pas spécifiques à l’implication du secteur public. On retient cependant le cas d’un promoteur public à titre d’illustration.
31 Voir notamment Laffont et Tirole (1993) et Laffont et Martimort (2002).
32 Voir, par exemple, Iossa et Martimort (2008 et 2009).
33 Plus généralement, l’importance de ces investissements postérieurs à la construction de l’infrastructure renvoie à la problématique des investissements brown field encore mal compris, mais probablement cruciaux dans le cas des économies matures.
34 La réalisation d’infrastructures peut être directement financée par un opérateur privé (balance sheet financing) ou par les pouvoirs publics (public financing), ce financement public est indépendant de la notion de subvention directe discutée plus tôt.
35 Si les financements directs (privés et public) ont été assez communs jusque dans les années 1980, on a observé depuis le milieu des années 1990 le développement d’un marché de la dette projet et des financements PPP qui joue aujourd’hui un rôle central dans le financement d’investissements de long terme.
36 La structuration du financement joue un rôle important dans la définition des incitations de la maîtrise d’ouvrage. Cette structuration passe par la répartition des risques entre le promoteur du projet et/ou le maître d’ouvrage qui apportent le plus souvent des financements en capital (equity), tandis que les autres financeurs interviendront plutôt en dette.
37 Le partage des risques a d’abord été la principale motivation de ces schémas de financement. Historiquement, le financement de projet (project finance) s’est développé pour limiter le risque pris par le promoteur en cas d’échec. Le financement du canal de Panama a été réalisé de cette manière et, plus récemment, le financement de projets a été utilisé pour des investissements dans des économies émergentes et permettre au promoteur du projet d’isoler le risque pays ou le risque politique.
38 Le PURPA de 1978 visait à promouvoir une plus grande utilisation des énergies renouvelables domestiques en obligeant les producteurs d’électricité à acheter la production de nouveaux producteurs exploitant une énergie renouvelable.
39 Ce sont ces autres investisseurs (et non le projet en lui-même) qui permettent aux investisseurs qui en ont besoin de réaliser leur investissement (avant la réalisation effective du projet).
40 La standardisation peut aussi reposer sur l’intervention d’un assureur type monoline pour homogénéiser le risque de crédit du point de vue de l’investisseur. Cette approche présente toutefois des risques importants (apparition d’acteurs systémiques) qui se sont matérialisés durant la crise.

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