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 Introduction


Jean BOISSINOT * Conseiller des gouverneurs, Banque de France ; chargé de cours, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; fellow, Institut Louis Bachelier. Contact : Jean.BOISSINOT@banque-france.fr.
Patrice GEOFFRON Professeur de sciences économiques, Université Paris-Dauphine - Directeur, Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières (CGEMP)

La conférence internationale de Copenhague en 2009 a fixé l'objectif de long terme dans la lutte contre le dérèglement climatique : limiter l'accroissement de la température à 2 °C à la fin de ce siècle. L'atteinte d'un tel objectif est un défi « macroéconomique » car, depuis le début de l'ère industrielle, le PIB mondial a été multiplié par 100, avec à la clé plus de 30 milliards de tonnes d'émissions de CO2 par an liées aux activités énergétiques.

Inverser rapidement cette courbe suppose donc d'inventer un nouveau « modèle économique » mondial, pour faire en sorte que la croissance de la Chine ou de l'Inde ne repose plus aussi intensivement sur le recours au charbon, comme dans la Grande-Bretagne du xixe siècle. Le défi est donc de parvenir à créer des richesses pour les 9 à 10 milliards d'humains qui peupleront la planète en 2050, sans que ce processus n'alimente le cercle vicieux des événements climatiques extrêmes, sécheresses, déforestations et autres migrations forcées et chaotiques. Mais une telle transformation nécessitera des investissements considérables dans les années à venir rendant indispensable une contribution des secteurs publics et privés. Et force est de constater que les flux de capitaux sont encore majoritairement orientés vers des investissements à fort contenu carboné et que les volumes consacrés aux transitions énergétiques restent insuffisants.

À quelques mois de la conférence de Paris 2015 qui se tiendra en décembre 2015, ce numéro spécial de la Revue d'économie financière (REF) présente un aperçu général des enjeux financiers de la lutte contre les dérèglements climatiques. Selon sa tradition, la REF a tenu à créer un « pont » entre les analyses issues de la sphère académique, les rapports produits par des experts, des financiers, etc. Ces dernières années, la recherche sur l'économie et la finance climatique a significativement progressé, mais ces progrès n'ont pas nécessairement trouvé une traduction opérationnelle pour les praticiens du secteur financier.

Passant en revue à la fois les contributions les plus marquantes de ces dernières années et les articles de cette REF, cette introduction rappelle ce que recouvre le concept polysémique de financement de la lutte contre le dérèglement climatique, propose un état des lieux du financement de la transition énergétique et de la manière dont ces évolutions s'imposent comme un sujet d'intérêt pour le secteur financier.

Financer la lutte contre le dérèglement climatique : de quoi parle-t-on ?

Le financement de la lutte contre le dérèglement climatique recouvre trois objets distincts (atténuation, adaptation, prise en charge des pertes et des préjudices) et rassemble des problématiques très différentes (financements privés, interventions publiques, financements nord-sud, etc.).

Les trois dimensions du financement de la lutte contre le dérèglement climatique

Le financement de l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) recouvre largement les besoins de capitaux liés à la transition énergétique : renouvelables, efficacité énergétique des bâtiments, remplacement de centrales à charbon par des centrales à gaz, etc.

Mais à mesure que la certitude de devoir faire face à des conséquences du dérèglement (élévation du niveau des mers, événements climatiques extrêmes, sécheresses plus prégnantes, etc.), il importe de rendre les économies résilientes en finançant leur adaptation. Pour autant, il convient de distinguer ce besoin de financement du développement : il ne s'agit pas de financer une infrastructure de transport, mais des aménagements pour éviter de futures inondations.

Enfin, les pays les plus fragiles peuvent légitimement réclamer le financement des pertes irréversibles qu'ils subiraient à raison des conséquences du dérèglement climatique, phénomène pour lequel leur responsabilité historique est très limitée.

Des problématiques et des circuits distincts selon l'échelle, globale ou domestique, des financements

Au-delà de ces trois dimensions, il est aussi utile de bien distinguer la problématique du financement (par les pays développés) au niveau global de celle, plus générale, du financement de la transition énergétique et de l'adaptation au niveau domestique.

Depuis la Convention climat de 1994 qui évoquait pour la première fois le financement de la lutte globale (reposant au moins implicitement sur des financements publics en provenance des pays développés ou des bailleurs multilatéraux), le cadre de référence a été densifié avec la reconnaissance de l'atténuation ainsi que de l'adaptation (mise en place d'un comité dédié en 2010) et, plus récemment, des pertes et des préjudices (lors de la conférence de Varsovie de 2013). Ce sujet, qui s'inscrit dans une problématique de financement nord-sud et procède principalement d'une logique publique et (géo)politique, est le plus proche de la négociation qui se tiendra à Paris à la fin de 2015 et, comme l'illustrent de Perthuis et Jouvet (2015), il recouvre des enjeux redistributifs complexes.

Parallèlement, l'essentiel du financement de la transition énergétique relève davantage d'une logique domestique. Alors que le volet « financement » des négociations internationales reste encore largement à développer, celui de la transition est déjà, comme le montrent Cochran et al. (2015) ou García Paret et Lorenzo (2015), une réalité certes imparfaite, mais déjà significative qui représente aujourd'hui plusieurs centaines de milliards de dollars par an à l'échelle mondiale et plus de 20 Md€ par an en France. Ce financement mobilise à la fois des capitaux privés et des interventions publiques. Encore appelé à se développer, il correspond à l'activité quotidienne de l'ensemble du secteur financier (Knight, 2015).

Financement de la lutte contre le dérèglement climatique essentiellement national et privé

Les enjeux financiers de la limitation du réchauffement climatique à 2 °C

L'évaluation des volumes financiers de l'objectif de 2 °C est complexe et requiert un cadrage macroéconomique des enjeux. Ouvrard (2015) rappelle ainsi l'ensemble des coûts et des bénéfices potentiels d'une transformation volontariste de nos économies et souligne que les investissements en jeu relèvent plutôt d'une logique de « substitution » que d'une logique d'« addition ».

Ainsi, la lutte contre le dérèglement constitue certes un « tour de force macroéconomique » (croître en émettant moins), mais n'implique pas de mobiliser un surcroît considérable de capitaux. Le dernier rapport de la Commission mondiale de l'économie et du climat (Calderon et Stern, 2014) estime que la lutte passera par une réallocation des capitaux, mais qu'il suffirait d'augmenter de 5 % le volume d'investissements dans les infrastructures, la gestion des terres et l'énergie prévu d'ici à 2030.

On notera également une évolution entre le premier et le second rapport pilotés par Sir Nicholas Stern, le premier évaluant le « coût de l'inaction » (Stern, 2006), le second les conditions et les solutions pour lutter contre le dérèglement climatique selon différentes thématiques (énergie, villes, innovations, économie, etc. ; Calderon et Stern, 2014). Dans le second rapport, l'inaction n'est plus considérée comme une option et il s'agit de démontrer que des solutions sont accessibles. Cette approche permet également de dépasser la controverse entre Stern (2006), partisan d'une action immédiate bien moins coûteuse, et Nordhaus (2006) qui insiste sur les coûts pour les générations présentes induits par une action trop volontariste (alors que les bénéfices profiteront à des générations futures supposées plus riches et surtout mieux dotées en technologies pour faire face aux dérèglements). Le cœur de cette controverse relève du taux d'actualisation retenu dans les analyses coûts/bénéfices, Nordhaus (2006) accusant Stern (2006) d'utiliser un taux arbitrairement bas (donnant plus de poids au futur) pour justifier des politiques volontaristes de réduction d'émission.

Du financement direct de la transition énergétique...

Même si les montants en jeu paraissent mobilisables de manière réaliste, le véritable enjeu est celui d'une allocation du capital cohérente avec la transition et d'une coordination efficace entre les financements privés et les interventions publiques.

D'un point de vue global, il est à noter que près des trois quarts des financements dédiés au climat restent dans leur pays d'origine et que cette proportion monte à 90 % pour les flux privés (Buchner et al., 2011). En outre, si 44 % à 51 % des financements passant par les fonds climat multilatéraux sont fournis sous forme de subventions, tel n'est évidemment pas le cas pour les financeurs privés qui cherchent un retour sur investissement (ou a minima une restitution du capital investi). La part publique a vocation à n'être que subsidiaire pour financer la partie qui n'est pas rentable dans les conditions du marché, ou la partie correspondant à la prise en compte des externalités positives (santé des populations pour un programme de gestion de l'eau, par exemple).

Pourtant, investir dans la transition est aujourd'hui généralement perçu comme insuffisamment rentable par la plupart des investisseurs. En effet, plus l'horizon d'un investissement est lointain, ou plus le contexte est perçu comme mouvant, plus l'évaluation des risques associés est complexe et la probabilité de tenir les objectifs de retour sur investissement faible. Dans le cas de projets liés au climat, ces risques peuvent être perçus comme élevés pour plusieurs raisons : les choix technologiques sous-jacents peuvent ne pas être les bons, les environnements juridique et réglementaire peuvent évoluer, les marchés correspondants peuvent ne pas se développer au rythme prévu, etc. De manière emblématique, un certain nombre de projets climatiques cumulent ces caractéristiques (revenus incertains en raison d'un horizon temporel long, du retour d'expérience limité sur l'utilisation des technologies, de l'évolution des prix des matières premières et de l'énergie) et présentent de ce fait une attractivité limitée.

Mais ces projets peuvent gagner en attractivité en prenant en compte le bilan pour la collectivité et d'éventuelles externalités positives (bénéfices induits par la moindre utilisation de ressources naturelles, le maintien d'une stabilité climatique, etc.). Certaines de ces ressources sont d'ailleurs échangeables sur les marchés, ce qui rend les bénéfices tirés de leur moindre utilisation valorisables (eau, ressources énergétiques, électricité, etc.). Mais un certain nombre d'autres ressources (comme les émissions de GES) n'ont pas de valeur marchande en l'absence de signaux envoyés par les pouvoirs publics (normalisation, instauration de taxes ou de marchés d'échanges, etc.).

A contrario, les projets qui génèrent de fortes émissions ne pâtissent pas d'une prime de risque complémentaire alors même que la soutenabilité de ces stranded assets (réserves de carbone inexploitables du fait de la mise en place d'objectifs contraignants de limitation des émissions de GES ; voir CTI, 2013 et Caldecott et al., 2014a, 2014b et 2014c) dépend de l'évolution des politiques publiques. Dans le cas où les gouvernements opteraient pour une limitation stricte des émissions, certaines entreprises seront contraintes de limiter leurs activités (par exemple dans le domaine pétrolier).

Cette asymétrie d'appréciation des risques par les investisseurs conduit à une allocation inefficace à moyen ou long terme. Conscients de cette difficulté, Buhr (2015) propose un cadre pour enrichir l'analyse du risque à de nouvelles dimensions, tandis que Mauroux (2015) cherche à révéler l'information sur ces risques déjà matérialisée dans les prix de certains actifs. Parallèlement, Serkine (2015) souligne l'existence de risques négligés liés à la « maladaptation » des investissements.

En outre, des investissements défavorables à la réduction des émissions peuvent bénéficier de subventions qui faussent les prix relatifs. Les subventions aux énergies fossiles, qui représentent dans le monde un volume de 550 Md$ en 2013 (AIE, 2014), sont ainsi un frein puissant à la transition énergétique.

Pour inciter les acteurs privés à se positionner sur des investissements verts, on envisage souvent une approche directe : (1) améliorer l'encadrement réglementaire et juridique, le climat des affaires, (2) fournir des orientations claires sur l'engagement à moyen et long terme des pouvoirs publics pour la réduction des émissions de GES, ou encore (3) le développement de nouveaux outils.

Cette question de l'adéquation des outils de financement de la transition énergétique est souvent soulevée, s'agissant de projets de long terme avec un risque opérationnel et d'exploitation parfois élevé. Les outils de financement les plus cités actuellement sont les green bonds ou climate bonds, obligations connaissant un développement rapide (Knight, 2015). Mais ces obligations ne sont qu'un outil parmi d'autres, certains relevant de financements banalisés, mais perçus par les investisseurs comme « verts » en raison du caractère des actifs sous-jacents.

Pour les entreprises ou les institutions qui disposent déjà naturellement de ce capital « vert » (et d'un système de traçabilité), les green bonds ou climate bonds prolongent les levées de fonds classiques et sont de facto réalisés dans des conditions de financement proches. Aussi, il est impossible de déterminer si la croissance rapide des émissions obligataires vertes représente véritablement une augmentation totale du « financement climat » ou si elle procède d'un fléchage de financements de certains objets répondant à des caractéristiques précises. Mais, comme le souligne Knight (2015), l'intérêt des green bonds (ou d'autres outils dédiés) réside aussi dans l'émergence d'une nouvelle norme exprimée par les investisseurs, traduisant une augmentation de leurs exigences en matière de respect de l'environnement et de traçabilité des fonds. À terme, cette évolution pèsera sur les conditions de financement relatives d'entreprises incapables d'apporter ces assurances. Cela nécessite une standardisation des règles d'éligibilité et de suivi de l'emploi des financements, capacité dont les acteurs privés sont les principaux dépositaires, comme l'a montré leur mobilisation lors du sommet du secrétaire général des Nations unies en septembre 2014.

... à la prise en compte large des enjeux climatiques par le secteur financier

Mais, au-delà de ces contributions, financiers et décideurs publics peuvent faire avancer les réflexions actuelles au-delà de l'accroissement des investissements verts, et poser la question plus structurelle du risque à long terme provoqué par le dérèglement climatique.

Il s'agit d'encourager le secteur financier à s'approprier le sujet du dérèglement climatique et à évaluer sa sensibilité et sa résilience aux risques induits à moyen terme, ce qui pourrait le conduire à s'éloigner de certains secteurs. Une forme de sensibilisation a déjà émergé via les mesures de transparence de RSE (responsabilité, sociale et environnementale), qui permettent ou imposent aux entreprises de rendre publiques des mesures internes en faveur de l'environnement, ou des dispositifs de notation extra-financière (voir Crifo et Rebérioux, 2015). Si certains acteurs sont déjà sensibles au sujet et ont mis en œuvre des mesures correctrices, ce n'est pas le cas de la majorité. En outre, les orientations à mettre en œuvre dépendent étroitement de la nature du financeur : banques, assurances ou fonds de pension n'auront pas les mêmes risques à évaluer sur leur activité.

Quelques exemples développés dans cette REF illustrent les premières démarches mises en œuvre.

Certains gestionnaires d'actifs développent actuellement des stratégies d'investissement bas carbone (Anderson et al., 2015), en créant des portefeuilles dont les performances sont proches d'un indice de référence et permettent aux investisseurs d'acquérir une option sur l'avenir. Cette stratégie présuppose que le prix du carbone n'est pas suffisamment intégré dans la valorisation par les financeurs ; ainsi, tant qu'il n'y a pas de politique carbone mondiale forte, cet indice vert a des performances comparables à l'indice classique, mais il devrait significativement surperformer si le signal politique se renforce.

La mesure de la sensibilité aux évolutions du climat et au risque carbone des portefeuilles d'investissements est également un enjeu très important de la transition. C'est une étape préalable à une meilleure compréhension et gestion de l'exposition aux risques climatiques et carbone de ces actifs. Actuellement, alors que les investisseurs communiquent sur de nombreuses catégories de risques de leurs portefeuilles (sensibilité au taux d'intérêt, au taux de change, etc), l'appréciation du risque climatique ou carbone dans les portefeuilles d'investissements est peu répandue. La publicité autour de ces risques devrait conduire naturellement à leurs réductions, via un comportement de sélection par les investisseurs. Pour rendre visible ce risque, on pourrait prendre en compte la soutenabilité de l'activité, dans le cas où les gouvernements décident des mesures drastiques de réduction des émissions (pétrochimie, fournisseurs de l'industrie pétrolière, etc.), ou l'impact du dérèglement climatique sur les activités sous-jacentes au portefeuille (activité touristique, par exemple).

Cette démarche renvoie à la fois à l'approche analytique développée par Buhr (2015) comme aux propositions de Gerardi et al. (2015) de quantification des émissions incluses dans les portefeuilles d'actifs. Dans tous les cas, elle vise une réallocation du capital intégrant les différents aspects du dérèglement climatique.

Enfin, les régulateurs eux-mêmes commencent à travailler sur ces sujets. Jusqu'alors, aucun impact lié aux réglementations en cours d'implémentation n'a pu être constaté (FSB, 2013 et 2014). En revanche, certains militent pour étudier la manière de mieux prendre en compte ces risques, voire de promouvoir l'investissement dans les actifs favorables à l'environnement (voir Unep FI, 2015). Soulignant les limites liées à la rigueur d'un cadre de réglementation qui s'accommode mal de risques difficiles à évaluer, l'accent est mis sur l'amélioration de l'information financière (par exemple, l'exposition aux risques fossiles).

Ainsi, en 2014, le Brésil a imposé à ses banques une publication des expositions individuelles au risque carbone dans le cadre de Bâle III. La Bank of England (BoE) a également engagé des travaux sur l'impact pour la stabilité des risques associés au dérèglement climatique et de la contribution à l'adaptation du secteur. Depuis la publication du UK Climate Change Act de 2008, le Department of Environment, Food and Rural Affairs (DEFRA) peut interroger une entité publique sur sa stratégie en matière d'adaptation au dérèglement climatique. En outre, en réponse à des appels lancés par divers organismes (Climate Change Capital, Aviva, etc.), la BoE a annoncé en 2012 le lancement d'une évaluation des risques pour la stabilité financière des expositions à des actifs industriels produisant des GES.

D'autres États mobilisent aussi le vecteur du financement pour conduire leur politique environnementale. Ainsi, la Commission de régulation bancaire chinoise promeut l'investissement bas carbone par le biais des lignes directrices sur les crédits verts. Plus qu'un « verdissement » de la réglementation, il semble que la Chine utilise l'étape de financement pour vérifier la légalité des programmes au regard de la réglementation environnementale.

 

 

Pour couvrir l'ensemble des sujets que nous venons d'évoquer, ce numéro est organisé en trois temps.

La première partie est destinée à identifier et analyser les risques climatiques et les besoins de financement qui leur sont associés, tant de dimensions micro que macroéconomiques. Développant d'abord la perspective globale, Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet mettent en perspective les différents cycles de négociations internationales et les difficultés rencontrées pour donner un prix au carbone. Fournissant une illustration des enjeux financiers d'un accord mondial sur le climat, ils présentent un mécanisme original de « bonus-malus » permettant d'assurer la mobilisation des 100 Md$ par an correspondant aux engagements financiers adoptés lors de la conférence de Copenhague en 2009. Revenant à une échelle plus locale, Ian Cochran, Benoît Leguet et Romain Morel reprennent, tout d'abord, les résultats d'un travail d'identification et de consolidation réalisé par CDC Climat et permettant de mettre en évidence le volume et l'orientation des investissements bas carbone déjà mis en œuvre en France, en amont de la future loi sur la transition énergétique. Jean-François Ouvrard discute ensuite le cadre d'analyse macroéconomique de la transition énergétique, mettant en balance ses bénéfices potentiels et ses coûts, et explicite les conditions sous lesquelles est susceptible d'apparaître un « double dividende » (réduction des émissions et gain macroéconomique sur le PIB ou l'emploi). Pierre Serkine expose les risques de « maladaptation », c'est-à-dire l'investissement dans des projets de long terme sans prendre en compte leur potentielle vulnérabilité aux effets du dérèglement climatique. Enfin, Amélie Mauroux propose une analyse, via la méthode de prix hédoniques, de la prise en compte des catastrophes naturelles dans la valorisation de l'immobilier.

La deuxième partie aborde les outils et les mécanismes financiers en réponse aux risques climatiques et les conditions propices à leur déploiement. Carlos García Paret et Santiago Lorenzo passent ainsi en revue les différents canaux de financements orientés vers les questions climatiques, démontrant les limites de l'engagement public et estimant les besoins de capitaux privés et les outils associés. Développant une perspective assurancielle, Céline Grislain-Letrémy et Bertrand Villeneuve présentent les outils permettant de prendre en compte l'exposition différenciée de zones urbaines aux risques de catastrophe. S'inscrivant dans une logique plus bancaire, Bob Buhr propose une extension du cadre de l'analyse crédit permettant d'intégrer de façon plus extensive les risques climatiques et ceux portant sur le capital naturel, afin d'apprécier leur impact sur la solvabilité des émetteurs ou des emprunteurs. Zoe Knight propose plus globalement une définition de la « finance 2 °C » (allocation du capital compatible avec une hausse de température limitée à 2 °C à la fin du siècle). Elle s'interroge sur les facteurs pouvant contribuer au déploiement de cette finance et analyse le développement des green bonds comme une illustration de ce phénomène. Mats Andersson, Patrick Bolton et Frédéric Samama proposent une méthode de couverture permettant aux investisseurs de réduire leur exposition au risque carbone tout en minimisant le risque de sous-performance en cas de non-matérialisation ou de matérialisation différée de ce risque. Cette stratégie de couverture est susceptible de contribuer assez massivement à une réallocation dynamique du capital en faveur de la transition énergétique. Enfin, Anne Gérardi, Alain Granjean et Emmanuel Martinez synthétisent un guide pratique destiné à aider les institutions financières à mieux appréhender les enjeux du réchauffement climatique pour le secteur financier et les besoins de quantification des émissions de GES qui résultent de leur activité.

La troisième partie tient lieu d'addendum, ouvrant sur des questions de finance responsable dans le monde après-crise, au-delà de la seule question climatique. Patricia Crifo et Antoine Rebérioux analysent les relations entre gouvernance et responsabilité sociétale des entreprises (RSE) comme « nouvelle frontière » de la finance durable. Ils montrent comment les évolutions dans la gouvernance ces trois dernières décennies ont conduit à une montée en puissance des enjeux RSE et finance durable. Esther Jeffers replace les besoins d'une finance durable, c'est-à-dire « non prédatrice », soutenant l'économie réelle et les projets de long terme, dans le prolongement de la crise économique et de ses enseignements. Enfin, Jean Boissinot, reprenant la discussion introduite à l'occasion de contributions académiques récentes, rappelle la nature de la contribution que l'économie et la société sont en droit d'attendre des activités financières et s'interroge sur la perception négative qui entoure la finance. Il constate que l'enjeu porte essentiellement sur la « culture » et l'« éthique » des acteurs financiers et s'interroge sur la possibilité d'une évolution de ces comportements.

Cette REF est une contribution à un débat qui, quelle que soit l'issue de la COP 21 de Paris 2015, a vocation à se prolonger sur la décennie et au-delà. L'émergence d'une finance durable est l'une des conditions de réalisation de sociétés sobres en carbone, enjeu certes global, mais singulièrement européen. Pour l'Europe, engagée dès la fin des années 2000 dans une transition énergétique, la concentration d'une expertise en matière de finance climat est une nécessité pour traduire son volontarisme politique en leadership économique.


Notes

Cette introduction s’inspire très largement d’une contribution de Doryane Huber que nous remercions très chaleureusement. Les idées et les opinions présentées dans cet article sont celles des auteurs. Elles ne reflètent pas nécessairement la position des institutions auxquelles ils sont affiliés et ne sauraient engager ces institutions.

Bibliographies

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