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 Normes comptables et création de valeur


Philippe DANJOU International Accounting Standards Board (IASB).
Cet article passe en revue les différentes approches de la création de valeur qui ont été développées par les praticiens de la finance, et les recommandations formulées par le régulateur du marché financier pour assurer la transparence et la rigueur méthodologique de telles communications au marché. Dans la mesure où ces indicateurs reposent sur des informations de nature comptable, l’article discute les mérites d’une harmonisation internationale des normes qui régissent la mesure et la présentation des transactions économiques. Il explique les limites actuelles de la comptabilité face à la complexité de l’appréciation de la valeur d’une entreprise, en particulier s’agissant des actifs incorporels.

En toute première analyse, le lien entre normes comptables et création de valeur, qu’il m’a été proposé de commenter dans cet article, ne m’est pas apparu évident. Toutes les entreprises commerciales, financières ou autres sont supposées créer de la valeur et l’on observe, lorsqu’elles font appel public à l’épargne, qu’elles souhaitent communiquer aux investisseurs et autres parties prenantes des informations chiffrées, aussi objectives que possible, permettant à ces derniers d’apprécier la quantité (et peut-être aussi la qualité ?) de valeur créée. On admet généralement que la création de valeur peut être mesurée à partir de divers indicateurs qualitatifs et quantitatifs : ceux-ci peuvent être directement issus des comptes de l’entreprise, mais ils sont plus souvent déterminés à partir d’une combinaison d’éléments comptables et extra-comptables.

Pour être compréhensibles et crédibles, les informations chiffrées sur la création de valeur devraient être communiquées en utilisant des conventions généralement acceptées, ce que je pourrais assimiler à un système commun de mesure. Dès lors que l’on souhaite pouvoir comparer la création de valeur par diverses entreprises, afin de rationaliser les choix d’investissement, ces conventions doivent non seulement être généralement acceptées, mais également harmonisées, faute de quoi le destinataire des informations devra être capable de comprendre une multitude de langages spécifiques parlés par les diverses entreprises susceptibles de recevoir les capitaux à investir ou à prêter. Donc, idéalement, elles devraient se référer à des normes nationales, mais aussi internationales, ce qui semble d’autant plus nécessaire que le marché des capitaux s’internationalise.

Évidemment, en physique, il est difficile d’imaginer que l’unité de mesure influe sur la grandeur que l’on cherche à mesurer : que l’on utilise le mètre-étalon, le yard ou le zhang dans le système shi, la distance à mesurer restera la même… Ainsi, en théorie, l’unité de mesure normée est neutre, elle ne peut pas créer (ni détruire) de la valeur par elle-même, les normes comptables n’ont pas d’influence et cet article devrait s’arrêter là !

Mais il existe à mon avis d’autres aspects de cette question qui à l’examen se révèle assez complexe :

  • dans quelle mesure la notion de création de valeur est-elle aujourd’hui normalisée ? Est-il souhaitable qu’elle le soit ?
  • à défaut de normaliser la mesure de la création de valeur, est-il utile de normaliser certains de ses ingrédients, ainsi que leur « mode d’emploi » ? Et parlant de mode d’emploi, quels domaines méritent d'être encadrés ?
  • le principe même de normalisation de l’information comptable peut-il être un élément de création de valeur pour les investisseurs ? Une mauvaise communication financière par l’entreprise peut-elle détruire de la valeur ? Et, revenant sur mon affirmation initiale relative à la neutralité de la mesure, y a-t-il des modes de mesure supérieurs aux autres ? L’ampleur du débat au cours des dix dernières années sur le recours à la juste valeur comme outil de mesure laisse à penser que pour de nombreux commentateurs, les objectifs d’information poursuivis et les outils de mesure applicables ne sont ni neutres, ni équivalents ;
  • sur un plan conceptuel, comment apprécier la pertinence des différents modes de mesure possibles au sein d’un référentiel comptable ? Le cadre conceptuel de l’information financière (IFRS Conceptual Framework) apporte-t-il des éléments de réponse ?

Je ne suis ni économiste, ni expert en finance d’entreprise et n’ai donc aucune compétence pour discuter les mérites respectifs des diverses méthodes proposées pour mesurer la création de valeur. Aussi, je m’attacherai plutôt à mettre en évidence les apports de l’information comptable comme outil à la disposition des experts et des praticiens.

Deux questions viennent assez rapidement à l’esprit :

  • comment la comptabilité peut-elle contribuer à la mesure de la création de valeur ? Au regard de cet objectif, quelles sont aujourd’hui les limites de l’information comptable ?
  • une information comptable de qualité supérieure peut-elle créer de la valeur pour l’actionnaire et les autres parties prenantes ?

Comment la comptabilité peut-elle contribuer à la mesure de la création de valeur ? et quelles en sont les limites ?

Au cours de mes dix années passées à la Commission des opérations de Bourse (COB), puis à l’Autorité des marchés financiers (AMF), j’ai eu l’occasion de participer au groupe de réflexion qui a abouti à la publication de la recommandation n° 2001-01 relative à la communication des émetteurs sur la création de valeur actionnariale1.

Il est utile de citer ici un extrait de l’introduction : « La publication de ces informations constitue un progrès. Elle répond aux attentes des investisseurs, des gestionnaires et des analystes. Les chiffres utilisés s’appuient sur des techniques et des indicateurs servant à orienter les stratégies et la gestion des entreprises cotées. Parallèlement, les mesures de la valeur actionnariale sont utilisées comme argument dans des offres publiques ou comme critère de classement des émetteurs dans certains organes de la presse patrimoniale. Cependant, la relative nouveauté des méthodes comme la diversité des approches utilisées et de la terminologie employée peuvent constituer des obstacles à leur bonne compréhension par l’actionnaire. Le lien entre ces données financières et les comptes certifiés n’est pas toujours aisé à établir même pour les professionnels, les analystes, les gestionnaires ou les intermédiaires. Les modalités des calculs ne sont pas toujours explicitées et les définitions sont parfois absentes ou imprécises. Le même émetteur peut présenter ses performances avec des indicateurs changeant d’un exercice à l’autre afin de faire apparaître à chaque fois les données les plus favorables. La COB n’entend pas normaliser des présentations qui s’appuient sur des techniques évolutives et dont l’utilisation relève du seul jugement des professionnels de la finance ou de la gestion des entreprises. Cependant, elle souhaite que l’information des épargnants ayant investi ou susceptibles d’investir dans des instruments financiers émis par les entreprises s’appuie sur de bonnes pratiques. À cette fin, elle émet la recommandation suivante élaborée à la suite d’une large consultation de la place. »

Cette recommandation commence par énumérer la grande diversité des indicateurs proposés par les promoteurs de ces approches de mesure de la performance :

  • dans la catégorie de ceux cherchant à évaluer la valeur patrimoniale créée : rentabilité totale pour l’actionnaire (TSR – total shareholder return), market value-added (MVA), ratio market-to-book ;
  • dans la catégorie des indicateurs de performance financière : economic value-added (EVA)2, cash flow return on investment (CFROI)3, les ratios de return on equity (ROE), return on assets (ROA), return on capital-employed (ROCE), return on investment (ROI), ou profit économique (PE).

Le lexique de finance Vernimmen 2012 définit ainsi la création de valeur actionnariale : « Concept proche de la création de valeur, dont il ne se distingue que par l’appropriation de la valeur créée au profit exclusif des actionnaires et non au profit de l’ensemble des pourvoyeurs de fonds de l’entreprise : actionnaires + créanciers. Certaines opérations peuvent en effet se traduire par un transfert de valeur entre les créanciers et les actionnaires : destruction de valeur au détriment des créanciers et au profit des actionnaires. »

S’agissant de la création de valeur, il propose la définition suivante : « Résultat de la capacité de l’entreprise à réaliser un ou des investissements dont le taux de rentabilité s’avère être supérieur au taux de rentabilité exigé (coût moyen pondéré du capital) compte tenu du risque de l’investissement. La création de valeur est l’objectif rationnel de tout dirigeant de société. »

On constate que les deux approches sont assez différentes l’une de l’autre. Synthétiquement, la première approche, qui est plutôt financière et présente selon certains le risque d’inciter à une vision court-termiste, cherche à mesurer directement l’enrichissement de l’investisseur ; elle ne traduit la performance de l’entreprise que de façon indirecte à travers ses effets sur la variation de la valeur du titre, laquelle peut être affectée par d’autres facteurs externes (liquidité, prime de risque générale des marchés d’actions). La seconde approche, plus managériale, mesure la performance financière « à la source » et laisse au marché, supposé efficient, le soin de la traduire dans le cours de Bourse.

La première catégorie d’indicateurs est assez largement déconnectée de la comptabilité. Par contre, les indicateurs de performance financière cités font tous appel à des données de nature comptable : cash flow, capitaux investis, capitaux employés, investissement, résultat… Cependant, les promoteurs de ces méthodes ne font qu’une confiance limitée aux données comptables brutes et cherchent à les corriger pour diverses raisons. Selon Wikipedia, pour le système EVA (qui définit la valeur économique créée comme étant égale au résultat de l’entreprise diminué du coût du capital employé), 160 ajustements potentiels existent et en pratique, une dizaine sont couramment effectués.

La comparaison interentreprises et la comparabilité dans le temps de ces indicateurs de performance financière ne sont possibles qu’aux conditions suivantes :

  • le référentiel comptable utilisé à la base des calculs doit être le même pour tous ;
  • les ajustements opérés pour en dériver le numérateur et le dénominateur des ratios doivent être de même nature dans toutes les entreprises ;
  • les deux éléments précédents doivent être stables dans le temps, tant du point de vue de la méthode de calcul que de la « matière comptable » à laquelle elle s’applique (ce qui est assez difficile lorsque les périmètres de consolidation sont affectés de façon significative par des opérations de fusion ou acquisition, d’où le recours à des données pro forma établies à périmètre constant), afin de permettre l’appréciation des évolutions sans procéder à des retraitements complexes et coûteux en temps ;
  • les retraitements effectués à partir des données comptables de base ne doivent pas être choisis dans le but de biaiser systématiquement l’information : là aussi, une « image fidèle » de la création de valeur doit être recherchée.

La COB a considéré que son mandat ne l’autorisait pas à normaliser les indicateurs employés (notamment parce qu’ils s’appuient sur des techniques évolutives et dont l’utilisation relève du seul jugement des professionnels de la finance ou de la gestion des entreprises). Mais elle a souhaité que l’information des épargnants ou créanciers ayant investi ou susceptibles d’investir dans les instruments financiers émis par les entreprises s’appuie sur de bonnes pratiques et elle a formulé les recommandations suivantes pour répondre aux risques évoqués ci-dessus :

  • il est important que les émetteurs, lorsqu’ils communiquent sur la valeur actionnariale, attirent l’attention des investisseurs sur la différence entre la mesure de la valeur boursière créée et le (ou les) indicateur(s) de performance économique retenu(s) comme critère(s) de gestion afin d’y contribuer. Quelle que soit la pertinence des analyses qui soulignent le lien entre les deux approches, cette liaison n’est pas automatique et n’apparaît pas systématiquement sur un horizon de court terme ;
  • les indicateurs utilisés doivent être les mêmes d’un exercice à l’autre et s’appuyer sur une méthodologie stable et explicite. Ils ne sauraient être modifiés ou choisis avec le seul souci de donner de l’exercice considéré l’image la plus favorable. Le nombre d’années retenu doit être explicite et constant dans le temps (c’est-à-dire glissant d’une année sur l’autre) ;
  • les données fournies, par exemple sous forme d’un tableau de passage chiffré, doivent permettre de reconstituer les indicateurs MVA ou market-to-book à partir des états financiers consolidés de l’exercice ;
  • l’émetteur doit s’assurer de la cohérence entre les retraitements effectués pour le calcul du solde retenu et les retraitements effectués pour le calcul des capitaux engagés ou investis ;
  • l’actif économique retenu doit pouvoir être reconstitué à partir des états financiers consolidés de l’exercice. Les indications fournies par l’émetteur doivent permettre cette reconstitution. En particulier, il convient d’indiquer le cas échéant : si les dépenses de recherche et développement (R&D) et de marketing ont été capitalisées et sur quelle durée elles sont amorties, l’impact de l’amortissement cumulé des écarts d’acquisition et les conventions retenues pour le calculer, la valeur actualisée des loyers futurs des contrats de location capitalisés, le besoin en fonds de roulement retenu (clôture, moyen ou normatif), le traitement des impôts différés, les ajustements de valeurs brutes imputables à l’inflation (CFROI®). Ces indications doivent comporter, d’une part, un énoncé des principes de retraitement retenus et, d’autre part, un tableau de passage chiffré des comptes consolidés à l’agrégat retenu ;
  • de même, les retraitements du résultat d’exploitation (dotation aux amortissements des écarts d’acquisition, quote-part des résultats des titres mis en équivalence, dotation aux amortissements des frais de R&D ou de marketing capitalisés, prise en compte d’un impôt théorique hors effet d’endettement...) doivent être présentés, si possible à partir d’un tableau de passage ; le calcul de l’EBITDA (earnings before interest tax depreciation and amortization) doit être décomposé ;
  • les ratios ainsi calculés (ROE, ROI, ROCE, ROA, CFROI®…) doivent faire l’objet d’une définition, d’une justification de leur choix, ainsi que d’une explication la plus pédagogique possible de leur portée.

La recommandation formule aussi des indications sur la transparence souhaitée en matière de détermination du coût moyen du capital ou du coût des capitaux engagés.

Dix ans après la publication de ce texte et sept ans après l’entrée en vigueur des normes IFRS (International Financial Reporting Standards), il est possible de formuler quelques observations :

  • les très nombreuses options comptables qui existaient dans le référentiel français (traitement des frais de R&D, engagements de retraite, contrats de location, durée d’amortissement des incorporels et des écarts d’acquisition, pour n’en citer que quelques-unes) ont été remplacées par un nombre beaucoup plus restreint selon le référentiel IFRS, réduisant ainsi l’étendue des retraitements nécessaires pour rendre les données de résultat d’exploitation et d’actif économique comparables ; cela est particulièrement avantageux dans le contexte d’une internationalisation croissante des marchés de capitaux. Les efforts de convergence réalisés au plan mondial entre les IFRS et les autres référentiels comptables (US GAAP, référentiel japonais, adoption par la Chine d’un référentiel très fortement inspiré des IFRS) facilitent également les comparaisons internationales ;
  • le résultat net comptable publié reste une mesure imparfaite de la performance de l’exercice et des retraitements sont nécessaires pour dégager un solde intermédiaire de gestion (par exemple, EBITDA) jugé représentatif de la performance managériale : élimination des éléments jugés non récurrents, retraitement des effets résultant de la comptabilisation des regroupements d’entreprises (purchase price allocation)… La traduction de la performance de l’entreprise dans les états comptables de synthèse reste le grand défi des prochaines années pour le normalisateur comptable. Pourquoi ? De nombreux éléments relatifs à la variation du patrimoine financier (situation financière) ne sont pas enregistrés au compte de résultat, mais directement dans les capitaux propres (depuis 2010, en IFRS, dans un état de synthèse annexe dit « Other Comprehensive Income – OCI », ou « Autre résultat d’ensemble »). On peut citer comme exemples les réévaluations des actifs immobilisés, les effets des couvertures de flux futurs de trésorerie, les variations actuarielles des engagements de retraite… Or les lecteurs des comptes ont trop tendance à se limiter à l’analyse des composantes du compte de résultat, alors que l’analyse des sommes inscrites en OCI peut apporter des éclairages utiles pour comprendre certaines transactions ou écritures affectant le bilan. De plus, la structure actuelle du compte de résultat n’est pas idéale : soit une présentation par nature de charges et produits est privilégiée, ce qui ne permet pas de bien comprendre la structure fonctionnelle de l’entreprise, soit celle-ci a recours à une présentation par fonctions (coût des ventes, frais de R&D, charges de marketing, frais d’administration…), mais alors il est difficile de comprendre comment l’évolution des coûts salariaux, des prix des matières premières ou de l’énergie consommée a affecté la variation du résultat d’exploitation. Idéalement, les deux présentations se complètent et devraient être fournies sous forme d’un tableau à double entrée. Mais souvent, les logiciels et les systèmes de reporting comptable ne sont pas assez développés pour fournir directement de telles informations ;
  • enfin, la comptabilité reste encore très timide en matière d’inscription à l’actif du bilan des actifs incorporels générés par l’entreprise, à la différence de ceux acquis par voie de croissance externe. « Il est incontestable que les actifs immatériels ont pris, et continueront de prendre, une importance croissante dans la valeur des entreprises. Il suffit de constater leur poids croissant dans les bilans, que ce soit sous forme d’écarts d’acquisition (goodwills) ou d’actifs immatériels identifiés (marques, brevets, fonds commerciaux, frais de R&D). Mais les éléments explicatifs de la valeur de l’entreprise ne figurent pas tous, et de loin, dans les bilans : la comptabilité ne reflète qu’une partie de la valeur que le marché attribue à l’entreprise. La différence représente les savoir-faire accumulés, les investissements en recherche, la valeur du capital humain, les relations-clients, la notoriété, et bien d’autres choses encore. En bref, tout ce qui a été accumulé au cours du temps et générera demain des cash flows. Une part importante de cette valeur immatérielle a été générée en interne et résulte de dépenses dont le rapport avec la valeur économique finalement créée est souvent difficile à mesurer. Certains programmes de dépenses (frais de R&D, campagnes de publicité, création de modèles et catalogues) sont suffisamment délimités pour que l’on puisse tenter d’en déterminer le coût de revient. Mais ce coût ne représente que très imparfaitement la valeur créée. Une masse encore plus considérable ne peut être clairement mise en relation avec la valeur créée : ainsi, le comportement socialement responsable d’une entreprise sera apprécié par le marché et reflété dans sa valorisation boursière, mais l’identification des actions qui contribuent à cette image ne peut être que très partielle et le chiffrage de leur coût ne sert pas, à mon avis, à grand-chose4. »

L’IASB (International Accounting Standards Board) n’ignore évidemment rien de cette réalité économique et sociale. Mais il reste modeste face au défi. Peut-être est-il trop modeste ? Son cadre d’action est fixé par le « Cadre conceptuel de l’information financière5 » et en particulier le chapitre 1 « Objectifs des états financiers » qui indique que « les décisions des investisseurs présents et potentiels concernant l’achat, la conservation ou la cession de titres de capital ou de créances dépendent de leurs attentes en matière de retour sur investissement, tels que les dividendes, la variation du prix de marché des titres, ou le paiement du capital et des intérêts. (…) Leurs attentes sont fondées sur leur estimation des flux futurs de trésorerie de l’entité, tant en termes de montant, de date de réalisation, que de degré de certitude. Par conséquent, ils ont besoin d’informations qui leur sont utiles pour apprécier les perspectives de flux futurs nets de trésorerie que générera l’entité ». Le cadre conceptuel précise également : « Les états financiers à caractère général n’ont pas pour objectif de montrer la valeur d’une entreprise, mais ils fournissent des informations pour aider les investisseurs, prêteurs et autres créditeurs, présents ou potentiels, à estimer la valeur de l’entreprise. »

Il est clair pour l’IASB que les comptes établis selon les IFRS n’ont pas pour objectif de renseigner sur la valeur de revente en bloc de l’entreprise, quand bien même l’essentiel des actifs et des passifs seraient évalués à la juste valeur. La seule ambition est d’aider l’investisseur à évaluer les flux futurs de trésorerie dégagés par l’exploitation, qu’il pourra comparer aux investissements futurs nécessaires (information généralement peu développée dans la communication financière) afin de déterminer le cash flow libre qui pourra servir à rémunérer le capital investi.

Le recours dans les normes IFRS à une mesure comptable d’actifs ou de passifs à la juste valeur est parfois confondu avec une volonté de refléter dans les capitaux propres comptables la valeur financière globale de l’entreprise6.

Il faut apporter ici quelques précisions sur l’utilisation de la juste valeur7. L’IASB a définitivement abandonné, depuis 2009, l’idée de comptabiliser l’intégralité des instruments financiers à la juste valeur8 (modèle dit « full fair value ») et la norme IFRS 9 publiée à la fin de 2009 entérine un modèle dit « mixte », c’est-à-dire associant mesure au coût historique et mesure à la juste valeur, qui définit le mode de comptabilisation en fonction des caractéristiques de l’instrument et de son mode de gestion par l’entreprise qui le détient.

La mesure à la juste valeur des actifs selon les IFRS est beaucoup moins fréquente que l’on ne l’affirme dans les milieux français. Elle est requise ou permise sur option lorsque l’actif est détenu dans une optique de placement ou d’investissement à caractère financier et que sa valeur se réalisera par la voie d’une cession : répondant à l’objectif de fournir une information utile pour apprécier les flux futurs de trésorerie, une inscription au bilan à la valeur courante (autre dénomination de la juste valeur) informe mieux que le coût historique sur le flux de trésorerie qui résultera de la cession future de l’actif concerné. En pratique, seuls sont évalués au bilan en valeur courante les immeubles de placement (méthode optionnelle dans l’IAS 40), certains stocks de produits biologiques ou agricoles (IAS 41) et les actifs financiers autres que ceux détenus jusqu’à l’échéance (ou, selon la récente norme IFRS 9, ceux qui ne sont pas gérés dans le but de percevoir dans le temps le capital prêté et les intérêts contractuels). Par ailleurs, les immobilisations corporelles ne peuvent être réévaluées s’il existe des informations fiables sur leur juste valeur. Les immobilisations incorporelles ne peuvent être réévaluées qu’à la condition supplémentaire qu’il existe un marché actif.

Le coût historique est la règle pour les passifs : seuls les instruments financiers dérivés et certains passifs financiers gérés dans une optique de négociation sont mesurés à la juste valeur ; il existe toutefois une « option juste valeur » pour les passifs financiers afin d’éviter une distorsion de méthode de mesure avec des actifs financiers adossés qui seraient eux-mêmes comptabilisés à la juste valeur. Les passifs à long terme doivent être actualisés pour tenir compte de la valeur temps de l’argent et le taux d’actualisation employé doit être un taux courant, mais cela n’est pas spécifique au référentiel IFRS.

Enfin, il existe un seul moment dans la vie comptable de l’entreprise où son bilan est évalué à la valeur de cession « en bloc » : c’est lorsqu’elle passe sous le contrôle d’une autre entreprise. Tous ses actifs et passifs identifiables sont évalués à la juste valeur à la date de la transaction, dès lors qu’ils remplissent les conditions fixées par le cadre conceptuel pour reconnaître un actif ou un passif, et ils sont repris pour ce montant dans les comptes de l’acquéreur ; la différence entre leur montant net et le prix payé pour les actions de cette entreprise détermine l’écart d’acquisition qui sera comptabilisé à l’actif du bilan de l’acquéreur.

Il faut accepter les limites de l’information fournie par la comptabilité au regard de la valeur de l’entreprise et le fait que la création de valeur reste un phénomène complexe à appréhender pour lequel une variété de méthodes reste possible. Il est à mon sens trop tôt pour en envisager la normalisation. Celle-ci ne pourra intervenir qu’après qu’ont été réglées les questions suivantes :

  • une meilleure prise en compte par la comptabilité ou par des indicateurs extra-comptables de la génération en interne d’actifs incorporels ;
  • une mesure normalisée des facteurs non financiers de performance, tels que l’impact environnemental des activités de l’entreprise, la valorisation du capital humain, l’appréciation de l’impact sur la valeur de l’image publique de l’entreprise. Des travaux sont en cours sur ce sujet sous l’égide de la Global Reporting Initiative (GRI) qui cherche à promouvoir la communication par les entreprises de leur performance économique durable, en particulier l’impact écologique (ecological footprint) et la responsabilité sociétale (corporate societal responsibility). On trouve dans les directives européennes et dans le droit financier de nombreux pays des obligations de communication similaires, mais à ce jour, les indicateurs quantitatifs restent embryonnaires et le lien avec la création de valeur actionnariale n’est pas évident à établir.

À défaut de mesure normalisée, il est possible, comme l’a fait la COB avec sa recommandation, d’instaurer un minimum de rigueur méthodologique et une bonne transparence de l’approche mise en œuvre.

Une information comptable de qualité supérieure peut-elle créer de la valeur pour l’actionnaire et les autres parties prenantes ?

Avec la crise financière et les conséquences qui en résultent sur la régulation prudentielle des établissements financiers, notamment le renforcement des capitaux propres exigé par les normes Bâle III, l’offre de crédit aux entreprises se réduit et les oblige à se tourner vers les marchés pour se financer. Ainsi, au cours du premier trimestre 2012, les émissions d’obligations par les entreprises européennes sont en hausse de 38 % sur l’année précédente et, pour la première fois, dépassent le montant des prêts bancaires9, alors qu’en 2007, ce montant représentait cinq fois le montant des émissions obligataires. Face à cette situation, et dans le contexte d’un marché très nerveux qui exigera des primes de risque très importantes si le prêteur a des doutes sur la capacité de remboursement, les entreprises ne peuvent se permettre de voir leur notation affectée par des interrogations sur leur véritable situation financière. L’exigence de transparence est plus que jamais présente.

Précisons-le, la qualité théorique du référentiel comptable utilisé ne peut à elle seule garantir que l’information fournie par l’entreprise sur sa situation financière et sa performance sera de bonne qualité. En effet, c’est l’ensemble de la « chaîne de production » qui doit être de qualité supérieure : gouvernement d’entreprise (en particulier, l’efficacité du comité d’audit), contrôle externe par les commissaires aux comptes (ce qui repose notamment sur la qualité des normes d’audit applicables, la qualité du référentiel technique et des ressources mis en œuvre par les professionnels, l’efficacité du contrôle de qualité sur leurs travaux) et en dernier ressort, efficacité des mécanismes de surveillance de l’information financière (enforcement) par les autorités compétentes.

L’ensemble de cette chaîne de production, si elle répond aux attentes de qualité, produit des informations qui réduisent l’incertitude pour les apporteurs de capitaux (risque de marché pour les investisseurs et risque de crédit pour les prêteurs). La réduction du risque se traduit logiquement par la baisse de la rémunération attendue (diminution du spread de crédit, diminution de la prime de risque pour les actions). La baisse du coût moyen du capital mis en œuvre doit mécaniquement, selon les théories de création de valeur passées en revue plus haut, augmenter la création de valeur actionnariale.

Les actionnaires et les prêteurs ne sont pas les seuls concernés par les effets bénéfiques de cette amélioration de l’information. Une information comptable de qualité est, dans la durée, un gage de stabilité de l’entreprise, donc un gage de sécurité pour ses salariés et ses partenaires commerciaux, ainsi que pour les déposants. En effet, en rassurant les investisseurs et les prêteurs potentiels, elle garantit la possibilité d’accéder aux financements nécessaires à son exploitation et à son développement. En assurant une meilleure appréhension de certains risques financiers, tels que ceux résultant de l’utilisation des instruments financiers dérivés, ou ceux liés aux engagements pris en matière de couverture sociale10, elle donne aux dirigeants et aux mandataires sociaux une vision plus claire des risques encourus et permet la mise en œuvre, en temps opportun, des actions correctrices qui pourraient être rendues nécessaires par les évolutions de l’économie. La durabilité de la performance économique sera ainsi favorisée.

Au plus fort de la crise de 2009, le manque de confiance dans la situation financière réelle de nombreuses banques a conduit certaines d’entre elles à la faillite et presque toutes ont vu leur cours de Bourse littéralement massacré, en grande partie à cause d’une défiance généralisée, y compris interbancaire. À la fin de 2011, la confiance n’était pas réellement rétablie : les sociétés du secteur financier au sein de l’indice STOXX 600 avaient une valeur boursière égale à environ 60 % de leurs capitaux propres, en dépit des 300 Md€ de recapitalisations effectuées.

Quels sont les facteurs de réduction du risque résultant de normes comptables de haute qualité ?

Le premier facteur est l’accroissement de la transparence de l’information comptable fournie

Les apporteurs de capitaux ont besoin d’une information neutre et complète.

Une information neutre est une information non biaisée par une distorsion systématique de l’image de la situation financière. Le cher vieux principe de prudence qui figure dans le Code de commerce présente l’inconvénient majeur de sous-estimer la performance actuelle de l’entreprise, accumulant pendant les bonnes années des réserves de résultat qui pourront être utilisées et rapportées au résultat lorsque les conditions économiques deviendront moins favorables. Cette affirmation peut paraître paradoxale et je dois m’expliquer : la prudence est utile lorsqu’il s’agit d’évaluer et de traduire en comptabilité une situation porteuse d’incertitudes, telle que le provisionnement d’un litige ou l’évaluation d’un actif dont le prix n’est pas facile à déterminer de façon objective. Mais il ne faut pas abuser de la prudence : non seulement la constitution systématique de réserves déduites du compte de résultat (ce qu’un ancien président de la SEC – Securities and Exchange Commission –, Arthur Levitt, décrivait comme le cookie jar accounting ou ce que l’on désigne par earnings management) masque la réalité du moment, mais aussi elle peut déformer l’information sur les évolutions ultérieures. De telles politiques comptables sont en général accompagnées d’un déficit d’information sur leurs effets. Ce faisant, elles ne permettent pas au lecteur des comptes d’évaluer les montants ainsi mis de côté, ni l’évolution dans le temps de cette tendance à la prudence : un exercice comptable peut voir la constitution de réserves plus importantes, le suivant verra un « dégagement » partiel de ces réserves et le lecteur des comptes aura l’impression fausse que la performance ne s’est pas détériorée. Et quand le stock de réserves comptables aura été épuisé, il sera trop tard pour se rendre compte que la situation réelle est bien pire que ce que l’on pensait. À titre anecdotique, le provisionnement forfaitaire par les banques espagnoles de leurs risques de crédit avant la crise de l’immobilier était encensé par certains hauts responsables : en réalité, il était insuffisant et l’impression de prudence qu’il donnait a masqué pendant les premières années de la crise la détérioration réelle de leurs portefeuilles de prêts, ces banques ayant commencé par puiser dans leur stock de réserves sans constituer en temps opportun les provisions nouvelles qui s’imposaient.

Aussi, la prudence ne doit pas se traduire par une déformation systématique des résultats publiés. Elle doit, par contre, s’exercer au moment de l’affectation des résultats, dans une politique de mise en réserve des résultats non distribués pour renforcer le capital dans les années favorables. Encore mieux, elle peut aussi s’appliquer lors de la distribution des bonus au personnel et aux dirigeants : toute l’information nécessaire pour différencier un résultat réalisé d’un résultat potentiel est fournie lorsque les IFRS sont correctement mis en œuvre et les dirigeants et les comités des rémunérations ont à leur disposition les outils nécessaires.

Je dois aussi à nouveau évoquer le provisionnement des engagements de retraite : il me paraît que ce risque financier est significatif et je ne comprends pas que les règles comptables françaises permettent encore de les faire figurer uniquement en engagements hors-bilan.

Je citerais enfin le cas des engagements financiers liés à l’utilisation d’instruments dérivés : ces opérations sont certes légitimes lorsqu’il s’agit de couvrir des risques de taux ou de change. Mais une comptabilisation au bilan de la valeur actuelle des dérivés doit être le point de départ de la mesure des engagements pris. La mise en œuvre de la comptabilité de couverture n’intervient qu’ensuite pour neutraliser les effets comptables des variations de valeur des dérivés lorsque ces opérations répondent bien à une logique de couverture et non à une logique spéculative. On peut débattre sans fin des contraintes que les règles comptables imposent pour qualifier une opération de couverture et les règles internationales sont d’ailleurs en cours de révision, mais il faut admettre qu’une certaine discipline comptable est nécessaire et que l’on ne peut laisser à la seule appréciation des dirigeants la qualification comptable de ces opérations.

Une information complète signifie que les comptes de résultat, les bilans publiés ainsi que les notes annexes doivent non seulement traduire l’intégralité des risques financiers susceptibles d’affecter les flux futurs de trésorerie, mais aussi expliquer les incertitudes entourant les évaluations comptables. En effet, la comptabilité n’est pas une science exacte et fait souvent appel à des estimations pour lesquelles il existera toujours un risque lié à la subjectivité de l’évaluateur.

Lorsque est mise en œuvre une évaluation à la juste valeur, il est nécessaire que le lecteur des comptes comprenne bien que cette évaluation n’est pas toujours effectuée en traduisant directement un prix observable sur un marché liquide et qu’elle fait alors appel à des estimations qui intègrent des hypothèses économiques susceptibles de changer, ou d'être contestées par l’utilisateur de l’information à l’aune de ses propres informations. La norme IFRS 13, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2013, accroît la transparence sur les méthodes d’évaluation mises en œuvre pour estimer la juste valeur, notamment en l’absence de données de marché, sur les modèles utilisés, les hypothèses économiques les plus importantes introduites dans ces modèles et la sensibilité des résultats à la variation de ces hypothèses.

Enfin, cette norme impose de fournir une information annexe complémentaire sur les impacts de la mesure en juste valeur, en classifiant les actifs et les passifs ainsi comptabilisés selon trois catégories :

  • « inputs de niveau 1 » : il s’agit des instruments dont la valorisation traduit directement des prix cotés pour un instrument identique, sur un marché qui est accessible à l’entreprise ;
  • « inputs de niveau 2 » : il s’agit des instruments évalués indirectement par référence à un prix de marché en utilisant des données observables pour d’autres instruments ;
  • « inputs de niveau 3 » : il s’agit des instruments évalués sans recours à des données observables pour l’actif ou le passif concerné (par exemple, des instruments financiers pour lesquels il n’y a pas de transactions sur un marché à la date d’établissement des comptes) ; ils sont alors estimés en utilisant des modèles financiers qui doivent répondre à l’objectif de refléter le mieux possible les hypothèses qu’utiliseraient les participants à un marché pour évaluer un instrument identique. Cet objectif est fixé afin de rendre l’évaluation la plus objective possible. Tout transfert entre une catégorie de valorisation et une autre et tout changement dans les techniques d’évaluation doivent être signalés dans l’annexe.

Il convient aussi de citer la norme IFRS 7, entrée en vigueur au 1er janvier 2009, qui demande de fournir en annexe une information plus claire sur le risque de liquidité de l’entreprise résultant de son utilisation d’instruments financiers et sur la façon dont elle gère ce risque. Ainsi, la position de transformation actif-passif d’une banque et sa politique de refinancement seront plus faciles à comprendre et le risque de défaut par impasse de trésorerie apparaîtra plus clairement.

Par ailleurs, le périmètre de consolidation des comptes doit être déterminé de façon rigoureuse, notamment s’agissant des entités ad hoc ou special purpose entities (SPE) qui ne sont pas contrôlées de façon traditionnelle à partir d’une majorité de droits de vote. L’IASB a publié en 2011 la norme IFRS 10, entrant en vigueur en 2013, qui définit mieux que par le passé le contrôle en recourant à la notion de contrôle économique pour déclencher la consolidation du bilan : une entité est présumée en contrôler une autre, même en l’absence de droits de vote, dès lors qu’elle bénéficie de la majorité des returns positifs ou négatifs de cette autre entité et qu’elle détient des pouvoirs qui affectent la variation de ces returns.

Accompagnant cette nouvelle norme, l’IASB a publié l’IFRS 12, relative aux informations à fournir sur les relations financières entre une entité et d’autres entités ; cette norme impose de mieux justifier les décisions prises en matière de consolidation ou de non-consolidation au regard de l’appréciation portée sur l’étendue du pouvoir de contrôle et l’exposition à la variabilité des returns.

Le second facteur est l’amélioration de la comparabilité des comptes entre les différentes entreprises et les différents marchés

Pour l’apporteur de capitaux, il s’agit de procéder aux allocations d’actifs de la façon la plus rationnelle possible. Cela implique qu’il puisse procéder sans coûts inutiles à une comparaison des situations financières. Dès 1995, l’OICV (Organisation internationale des commissions de valeurs) appelait de ses vœux l’harmonisation internationale des informations comptables sur la base des normes IFRS (IAS à l’époque). En 2000, elle a recommandé à ses membres de favoriser l’utilisation de ces normes pour les opérations transnationales d’appel public à l’épargne. Depuis, elle n’a de cesse de soutenir les efforts de l’IASB depuis sa création en 2001.

Le document de stratégie en matière comptable proposé par la Commission européenne dans le cadre du Plan d’action pour les services financiers, adopté au sommet de Lisbonne de mars 2000, s’est concrétisé par le règlement 1606/2002. Ce texte comporte le considérant suivant : « Pour contribuer à améliorer le fonctionnement du marché intérieur, les sociétés faisant appel public à l’épargne doivent être tenues d’appliquer un jeu unique de normes comptables internationales de haute qualité dans la préparation de leurs états financiers consolidés. Il importe, en outre, que les normes relatives à l’information financière publiée par les sociétés communautaires qui participent aux marchés financiers soient admises sur le plan international et constituent des normes véritablement mondiales. Cela implique une convergence renforcée des normes comptables actuellement appliquées sur le plan international, l’objectif étant, à terme, de créer un jeu unique de normes comptables mondiales. »

Dix ans après le début des travaux de l’IASB, il est clair que des progrès considérables ont été accomplis au regard de cet objectif :

  • plus de 45 % des plus grandes sociétés mondiales (liste des Global 500 du magazine Fortune) établissent leurs comptes selon les IFRS ;
  • après l’Union européenne, les États membres de l’Espace économique européen, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Afrique du Sud en 2005, toutes les juridictions des pays développés et des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) adoptent progressivement les IFRS : Chili en 2009, Brésil en 2010, Canada et Corée du Sud en 2011, Argentine, Mexique, Russie, Malaisie, Singapour, Nigeria en 2012, Taiwan et Arabie Saoudite prévus en 2013. À ce jour, plus de 100 pays11 imposent ou autorisent l’utilisation des normes IFRS pour la préparation des comptes consolidés et ce référentiel est en passe de se généraliser pour le secteur des établissements financiers ;
  • la Chine a adopté en 2007 un référentiel national très fortement inspiré des IFRS et s’est engagée en 2010 dans une démarche visant à l’adoption pleine des IFRS ;
  • en 2009, le ministère des finances japonais a décidé d’autoriser les sociétés cotées les plus internationales à établir leurs comptes en IFRS ; un programme de coopération avec l’IASB vise à réduire les divergences subsistant avec les normes japonaises et une décision relative à l’adoption totale des IFRS est attendue en 2012 ou en 2013 ;
  • aux États-Unis, depuis 2007, la SEC autorise les émetteurs étrangers souhaitant faire appel public à l’épargne sur le marché américain à publier des comptes en IFRS sans aucun tableau de passage vers les normes américaines. À ce jour, près de 200 foreign private issuers bénéficient de cette facilité. Il reste bien évidemment à franchir un grand pas, celui de l’extension du référentiel IFRS aux sociétés cotées domestiques. La SEC étudie cette question de façon approfondie depuis 200812 et promet une décision dans un avenir proche. Mais 2012 étant une année d’élection présidentielle aux États-Unis, avec toutes les conséquences habituelles sur la direction des principales agences gouvernementales, il est probable qu’il faudra encore attendre jusqu’en 2013.

Depuis le sommet de Washington en 200813, les leaders du G20 encouragent fortement la convergence des normes IFRS et américaines. Ce vœu a été réitéré à chaque sommet et encore récemment à Cannes en novembre 2011 : « Nous réaffirmons notre objectif de parvenir à un seul système de normes comptables de haute qualité et d’atteindre les objectifs du sommet de Londres d’avril 2009, notamment en ce qui concerne l’amélioration des normes d’évaluation des instruments financiers. Nous appelons l’IASB et le FASB à compléter leur projet de convergence et espérons qu’un rapport faisant état de progrès sera présenté à la réunion des ministres des Finances et des Gouverneurs des banques centrales en avril 2012. Nous souhaitons la finalisation des propositions de réforme du cadre de gouvernance de l’IASB. »

Des avancées significatives ont déjà eu lieu avec l’harmonisation des normes sur les sujets suivants :

  • la consolidation des comptes ;
  • le provisionnement des engagements de retraite ;
  • la comptabilisation des rapprochements d’entreprises ;
  • les modalités de mise en œuvre de la juste valeur.

Les travaux effectués en commun avec le FASB (Financial Accounting Standards Board) américain continuent, en particulier sur la comptabilisation des instruments financiers et la prise en compte des risques de crédit, et de nouvelles propositions communes devraient être publiées d’ici à la fin de 2012.

Il est donc permis d’affirmer que la marche vers une harmonisation mondiale des normes d’information financière a beaucoup avancé malgré les difficultés inhérentes à tout exercice d’harmonisation au plan mondial et en dépit des incidents de parcours résultant de la crise financière, que le mouvement est irréversible et que les investisseurs bénéficient largement de ces progrès.

Tentative de démonstration empirique des bénéfices du passage aux IFRS

La démonstration théorique présentée ci-dessus ne convaincra pas forcément les « IFRS-sceptiques » et il serait utile d’apporter quelques observations empiriques à l’appui de la théorie. Idéalement, il faudrait pouvoir comparer le coût moyen du capital des sociétés cotées avant et après le passage au référentiel IFRS. L’exercice d’économétrie est difficile pour trois raisons :

  • une telle modification de référentiel, lorsqu’elle a lieu, ne peut produire pleinement ses effets qu’après un certain nombre d’années, parce que la mise en œuvre parfaite du référentiel par les entreprises prend du temps et que sa compréhension complète par les utilisateurs de l’information demande un apprentissage assez long. À ce jour, seul un petit nombre d’analystes financiers affirment maîtriser complètement le nouveau référentiel comptable ;
  • le référentiel IFRS n’a pas été parfaitement stable au cours de la période : notamment, de nombreuses améliorations de l’information sur les risques sont d’application très récente ;
  • l’entrée en vigueur progressive du référentiel à partir de 2005 s’est effectuée dans un contexte qui a rapidement été perturbé par la crise des subprimes de 2007, suivie par toutes ses répercussions sur la situation économique générale et sur les marchés, en particulier sur la valorisation boursière des banques.

Il n’est donc pas envisageable de mesurer le coût du capital pendant la période de référence à environnement économique constant. Il est également difficile de procéder à une comparaison entre les entreprises recourant aux IFRS pour leur communication financière et les autres, d’une part, parce que leurs environnements économiques sont différents, par exemple la profondeur des marchés financiers, ce qui influe sur leur coût du capital, et, d’autre part, parce que sur des marchés répondant aux mêmes contraintes économiques (par exemple, le marché français), toutes les grandes entreprises appliquent les IFRS et seules celles cotées sur Alternext se réfèrent aux normes françaises. De ce fait, les deux échantillons seraient non comparables.

Il faut donc faire appel aux travaux de recherche universitaire. J’en citerai deux qui illustrent bien l’état de la recherche.

Philip Brown14 a publié en 2011 une étude sur le sujet et a remarqué que les nombreux travaux universitaires restaient parcellaires et ne permettaient pas de conclure de façon certaine, en raison de la multiplicité des facteurs qui affectent la mise en œuvre effective des IFRS : qualité du référentiel comptable utilisé précédemment, qualité variable de la mise en œuvre du référentiel IFRS, efficacité des mécanismes de supervision des comptes publiés, nature des autres obligations réglementaires relatives à l’information financière publiée en complément des IFRS… « Au cours de ces dernières années, de nombreuses tentatives ont été menées pour évaluer les bénéfices à retirer de la substitution des normes comptables internationales aux normes nationales. En particulier, des chercheurs ont mené des études rétrospectives sur leurs effets sur les marchés des capitaux dans les pays où les comptes financiers consolidés ont été bâtis pendant plusieurs années selon les normes IFRS 1. En Europe et en Australie, par exemple, l’établissement de comptes consolidés selon le référentiel IFRS 1 a été imposé aux sociétés cotées à partir de janvier 2005. Dans divers pays, tel l’Allemagne, les sociétés cotées ont eu la faculté de recourir au référentiel IFRS avant que cela ne leur soit imposé. Plus récemment, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud ont suivi le même chemin. Même si les conclusions de ces études ne sont pas univoques, il est presque sûr que l’adoption des normes IFRS conduit à des bénéfices économiques importants. Cependant, l’ampleur véritable des bénéfices à en attendre est sujette à de nombreux facteurs. Ces derniers comprennent la nature des normes utilisées avant le passage aux IFRS, la crédibilité accordée au respect effectif des normes IFRS, l’existence du soutien d’une autorité juridique ou réglementaire concernant ces normes et le degré de surveillance de la conformité et de la mise en application. » (Brown, 2011).

Pope et McLeay (2011) ont passé en revue tous les travaux universitaires publiés sur ce sujet et leurs conclusions sont très proches de celles de Brown : les résultats de la mise en œuvre des IFRS en Europe sont loin d'être uniformes et dépendent largement de facteurs liés, d’une part, aux motivations des responsables des entreprises au regard de la transparence de leurs comptes et, d’autre part, au caractère plus ou moins efficace des mécanismes d’enforcement. Ils notent que les relations entre un régime de reporting financier et la valorisation des entreprises sont complexes et que la recherche empirique se heurte à de grandes difficultés de création d’échantillons observables et représentatifs d’entreprises qui auraient parfaitement appliqué le référentiel ancien en vigueur et ensuite le référentiel IFRS. Enfin, ils observent que le passage aux IFRS a été contemporain d’autres améliorations significatives du régime réglementaire applicables aux sociétés cotées : directives sur la transparence financière et les abus de marché, qui ont sans doute eu des effets très importants sur la qualité des informations comptables et financières publiées et qu’il est difficile de mesurer les effets respectifs de toutes ces réformes. Ils relèvent néanmoins que selon une étude publiée par Beuselinck et al. (2010)15, la précision des prévisions de résultats par les analystes financiers a augmenté avec le passage aux IFRS. Leur conclusion est prudente : « Notre étude suggère que les entreprises et les utilisateurs bénéficient de l’adoption des normes IRFS. Mais ce n’est pas le cas pour toutes les entreprises et tous les utilisateurs. »

Il reste donc un champ très vaste à explorer par les économistes et les universitaires, et les données empiriques disponibles à ce jour sont très limitées. On doit alors se tourner vers des études qualitatives, des enquêtes d’opinion. Mais peu de ces études et enquêtes ont été réalisées au plan européen ou international.

Je signalerais toutefois l’enquête publiée16 par l’Institute of Chartered Accountants in England and Wales, à la demande de la Commission européenne en octobre 2007, selon laquelle 63 % des investisseurs déclaraient que les IFRS avaient accru la qualité des comptes consolidés publiés et 41 % que l’utilisation d’informations produites selon le référentiel IFRS avait modifié leurs recommandations d’investissement.

Au plan français, une série d’interviews conduites en commun par l’Association française de la gestion financière (AFG) et la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) ont été publiées dans un recueil d’opinions17 en décembre 2007. S’agissant de prises de positions individuelles, riches en remarques diverses, je ne suis pas en mesure d’en tirer un message synthétique précis. Ces interviews ont été conduites au début de la crise financière la plus grave que l’on ait connue depuis les années 1920, alors que le référentiel IFRS venait à peine de se mettre en place, et cet environnement se répercute dans les appréciations des uns et des autres. Il serait intéressant de reproduire cet exercice cinq ans plus tard afin d’évaluer si les perceptions ont évolué et d’en déterminer les raisons.


Notes

1 Bulletin de la COB, no 356, avril 2001.
2 Marque déposée par Stern Stewart.
3 Marque déposée par Holt Value Associates.
4 Voir : l’article de Philippe Danjou, Analyse financière, no 43, avril-mai-juin 2012.
5 The Conceptual Framework for Financial Reporting, IFRS Foundation, septembre 2010.
6 Par exemple, Augustin de Romanet, ancien directeur général de la Caisse des dépôts, déclarait dans une interview : « La juste valeur correspond à une valeur d’utilité. Elle est fournie par des marchés transparents ou des modèles internes de banques d’investissement pour certains actifs. La communauté humaine de l’entreprise pourrait ainsi se réduire à la valeur financière. Or la vocation de l’entreprise n’est pas de pouvoir être achetée à tout moment indépendamment des personnes qui la composent. C’est pourquoi prendre systématiquement en compte la juste valeur peut créer des difficultés considérables. », compte rendu du colloque « La juste valeur dans tous ses états », 27 avril 2010, publication des actes par l’Académie des sciences techniques comptables et financières, p. 82.
7 Un débat intéressant s’est instauré ces dernières années sur le thème des marchés, supposés court-termistes, et l’investissement qui doit reposer sur une approche à long terme. J’ai eu le privilège de participer aux travaux du groupe dirigé par Jérôme Glachant, Jean-Hervé Lorenzi, Alain Quinet et Philippe Trainar, au sein du Conseil d’analyse économique, qui a réalisé le rapport Investissements et investisseurs de long terme présenté au cabinet du Premier ministre, le 27 mai 2010. Dans le Complément J (« Les règles comptables internationales et leur impact sur l’attitude des agents économiques face à l’investissement de long terme »), je passais en revue les normes IFRS susceptibles, selon moi, d’avoir un impact sur le processus de décision des agents économiques concernés, les avantages des IFRS au regard de l’investissement à long terme et les problèmes éventuels posés par certaines normes ainsi que les solutions en cours d’élaboration par l’IASB. J’y discutais en particulier la question suivante : quand la mesure à la juste valeur est-elle appropriée ?
8 En fait, cette idée avait simplement été évoquée dans un discussion paper en 2008, sur un plan théorique, comme un moyen de simplifier à l’extrême la norme IAS 39 jugée par de nombreux commentateurs trop complexe en raison des multiples combinaisons résultant du modèle mixte coût historique/juste valeur et de la coexistence de plusieurs modèles de provisionnement des pertes latentes. Dès 2009, le G20 a insisté sur la nécessité de simplifier cette norme et d’aboutir à une solution harmonisée au plan international, c’est-à-dire avec les normes US GAAP.
9 Selon le journal Le Monde du 13 avril 2012, page 14.
10 Voir à ce propos : Danjou (2012).
11 Voir : le tableau récapitulatif publié sur la page Internet « IAS Plus » : www.iasplus.com/en/resources/use-of-ifrs.
12 La SEC a publié en 2007 un concept release et une « Roadmap for the potential use of financial statements prepared in accordance with IFRS by US issuers ». Disponible sur le site : www.sec.gov/rules/concept/2007/33-8831a.pdf.
13 Un résumé des conclusions de ce sommet est disponible sur le site : https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/news/releases/2008/11/20081115-4.html.
14 Australian School of Business, University of New South Wales and Business School, University of Western Australia (M250), 35 Stirling Highway, Crawley, WA, 6009, Australia.
15 « Leurs résultats suggèrent qu’après l’adoption des normes IFRS, l’information publique et l’information privée s’améliorent. L’analyse suggère également que les analystes qui suivent des sociétés dans plus d’un pays européen bénéficient de la meilleure amélioration d’information à la suite de l’adoption des IFRS. Cela tend à montrer que la comparabilité comptable internationale s’améliore avec l’adoption des IFRS. Dargenidou et McLeay (2010) font état d’une réduction significative de l’effet statistique due aux différences entre pays dans l’évaluation des anticipations de résultats, ce qui conforte l’idée selon laquelle la comparabilité comptable s’améliore à la suite de l’introduction obligatoire des IFRS. »
16 Disponible sur le site : www.icaew.com/ecifrsstudy.
17 Disponible sur le site : www.afg.asso.fr/upload/3/Fichier735.pdf.

Bibliographies

Beuselinck C., JOOS P., KHURANA I. K. et VAN der MEULEN S. (2010), « Mandatory adoption of IFRS and analysts’ forecasts information properties », Tilburg University, INTACCT Working Paper.
Brown P. (2011), « International Financial Reporting Standards: What Are the Benefits? », Accounting and Business Research, vol. 41, n° 3, pp. 269-285. Disponible sur le site : https://dx.doi.org/10.1080/00014788.2011.569054.
Danjou P. (2012), « Une révision fondamentale de la norme comptable IAS 19 pour les engagements post-emploi », Revue française de comptabilité, n° 452, mars, pp. 20-23.
Dargenidou C. et McLeay S. (2010), « The impact of introducing estimates of the future on international comparability in earnings expectations », European Accounting Review, vol. 19, no 3, pp. 511-534.
Pope P. F. et McLeay S. J. (2011), « The European IFRS Experiment: Objectives, Research Challenges and some Early Evidence », Accounting and Business Research, vol. 41, n° 3, pp. 233-266. Disponible sur le site : https://dx.doi.org/10.1080/00014788.2011.575002.