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 Production de liquidité par les marchés boursiers, valorisation des actifs et coût de financement


Fabrice RIVA Université Paris-Dauphine, DRM.
Les entreprises présentant des titres liquides créent-elles davantage de valeur ? En apparence, la liquidité semble appelée à ne jouer qu’un rôle secondaire dans la valorisation des firmes. Cependant, différentes théories économiques, corroborées par de nombreuses études empiriques montrent que les investisseurs exigent une prime de risque significative en contrepartie des coûts et des risques encourus pour la détention d’actifs illiquides. De plus, l’illiquidité est un facteur d’accroissement des coûts d’émission directs et indirects des entreprises.

Instruments de financement, d’évaluation et de partage des risques, les marchés financiers – au premier rang desquels les marchés organisés – ont également pour fonction de promouvoir la liquidité des actifs qui y sont cotés. La liquidité d’un actif financier fait référence à la facilité avec laquelle celui-ci peut être échangé et, de fait, la littérature (Black, 1971 ; Kyle, 1985) considère que le marché d’un titre est réputé liquide s’il est possible de réaliser à tout moment (dimension « immédiateté ») des transactions portant sur un nombre important de titres sans préjudice au niveau du prix d’échange (dimension « profondeur ») et si toute déviation de prix occasionnée par un choc de volume non informatif est rapidement corrigée (dimension « résilience »).

La liquidité est une propriété recherchée par les investisseurs dans la mesure où un actif liquide peut être rapidement acheté/vendu et à moindre coût. Le flight-to-liquidity observé lors de la dernière crise financière illustre du reste le goût des investisseurs pour ce type d’actifs. Pour autant, doit-on s’attendre à une meilleure valorisation des sociétés possédant des titres liquides ? Ou, formulé différemment, la liquidité peut-elle être une source de création de valeur ?

En apparence, la liquidité semble appelée à ne jouer qu’un rôle secondaire dans la valorisation d’une entreprise par le marché dans la mesure où le levier essentiel de création de valeur réside dans le choix de projets pertinents. Cependant, des investisseurs rationnels ayant une préférence pour la liquidité devraient a priori exiger une compensation, sous la forme d’une prime, en contrepartie de la détention d’actifs peu liquides. À travers l’effet possible de la liquidité sur le taux de rentabilité exigé par les actionnaires et, par voie de conséquence, sur le coût du capital, le niveau de liquidité d’un actif peut donc agir sur le niveau de la valeur créée par une entreprise.

Existe-t-il une prime de liquidité ? Comment la justifier économiquement ? Quelle est son importance ? Telles sont les questions dont nous traiterons dans une première partie. Dans une deuxième partie, nous passerons en revue différentes études empiriques qui explorent le lien entre liquidité et coûts d’émission des actions. La troisième et dernière partie présentera en conclusion quelques réflexions sur la nécessité pour les entreprises d’offrir à leurs actionnaires des titres liquides et sur les moyens d’y parvenir.

Prime de liquidité : justification économique et importance

L’existence d’une prime de liquidité ne va pas de soi. La littérature issue du courant de la microstructure des marchés avance cependant deux types de justifications à l’existence d’une telle prime : la détention de positions sous-optimales au regard des préférences d’un investisseur et le risque d’antisélection. À côté de ces recherches permettant de rationaliser l’existence d’une prime, un courant plus récent montre qu’une source supplémentaire de risque pour les investisseurs découle du caractère variable de la liquidité dans le temps. Quel que soit le point de vue envisagé (l’illiquidité comme un coût ou la variation de liquidité comme un risque), les répercussions sur le taux de rentabilité exigé par les actionnaires ont une importance économique significative.

Le coût de l’illiquidité

La théorie de la neutralité

Constantinides (1986) analyse, à partir d’un modèle multipériodique en horizon infini, l’équilibre qui s’établit sur le marché dans une économie à deux actifs risqués où les investisseurs supportent, pour l’un de ces actifs, des coûts de transaction proportionnels aux montants échangés. Le modèle conclut à l’existence d’une prime de liquidité correspondant au supplément de rentabilité que doit dégager l’actif sujet à des coûts pour rendre les investisseurs indifférents entre le fait de détenir l’un ou l’autre des deux actifs disponibles. Toutefois, la prime en question est faible et ne possède qu’un effet de second ordre sur le taux de rentabilité exigé des actifs. L’explication de ce résultat tient au fait que dans un cadre où le comportement d’échange des investisseurs est endogène, la réaction optimale de ces derniers face à une augmentation des coûts consiste à réduire la fréquence de leurs transactions jusqu’au point où la désutilité liée à la détention d’une position sous-optimale est juste compensée par les coûts à supporter pour modifier la composition de leur portefeuille. La conclusion principale de ce type d’approche est que la liquidité d’un marché ne saurait être une fin en soi dans la mesure où elle n’est que la résultante d’un comportement optimal face à des coûts. Certes, diminuer ces coûts aurait pour effet d’accroître la fréquence des échanges, mais sans amélioration réelle du bien-être des investisseurs. Faut-il alors, comme l’avance la directive MiFID (Markets in Financial Instruments Directive), œuvrer à une meilleure liquidité des marchés si les conséquences pour le taux de rentabilité exigé par les actionnaires et donc pour la création de valeur par les entreprises cotées s’avèrent en fin de compte négligeables ?

Le paradigme de la position

Le caractère neutre de la liquidité auquel conclut le modèle de Constantinides (1986) suppose cependant que soient vérifiées deux hypothèses extrêmement restrictives. Nous nous intéresserons tout d’abord à la façon dont le modèle appréhende les possibilités d’échange des investisseurs avant d’analyser la manière dont celui-ci aborde la question des motifs sous-jacents aux transactions.

À y regarder de plus près, l’approche de Constantinides (1986) traite de la question de la prime de liquidité dans le contexte d’un marché quasi parfaitement liquide ! Il n’est dès lors pas étonnant que la prime de liquidité mise en évidence s’avère faible. Premièrement, les investisseurs considérés ne sont pas contraints quant au moment où ils peuvent échanger. Si des transactions n’ont pas lieu de façon continue, c’est uniquement par souci d’économiser sur les coûts de transaction, mais le modèle suppose l’existence implicite, à tout instant, d’une contrepartie permettant de garantir une immédiateté totale1. Deuxièmement, le marché analysé est un marché concurrentiel uniquement constitué d’investisseurs preneurs de prix. Certes, une demande importante entraînera des modifications de prix afin de permettre l’ajustement entre l’offre et la demande de titres, mais la question de la taille des transactions et de la capacité d’absorption de ces dernières par les contreparties n’est pas réellement abordée. De ce point de vue, le marché considéré est un marché qui dispose de la profondeur maximale envisageable.

Dans les faits, les investisseurs ne contrôlent pas totalement le moment où ils souhaitent échanger et il existe toujours un décalage temporel entre l’expression d’une offre/demande de titres et la manifestation d’une contrepartie ayant un besoin symétrique (Grossman et Miller, 1987). Ce décalage est comblé grâce à la présence d’intermédiaires spéculateurs qui, de façon spontanée et endogène (donneurs d’ordres à cours limité dans le cas des marchés dirigés par les ordres) ou statutaire (teneurs de marché dans le cas des marchés dirigés par les prix), vont temporairement absorber le déséquilibre occasionné par un ordre initial dans l’attente qu’une contrepartie naturelle se manifeste. Bien entendu, l’offre d’immédiateté proposée par ces intermédiaires n’est pas gratuite. Dans le cas d’un teneur de marché en particulier2, l’obligation de contrepartie conduit ce dernier à détenir un portefeuille sous-optimal au regard de ses préférences (Stoll, 1978). La désutilité qui en résulte induit la « facturation » d’un coût de transaction implicite prenant la forme d’une fourchette de prix (bid-ask spread) – à savoir un prix d’achat (vente) de l’actif pour l’investisseur terminal supérieur (inférieur) à sa valeur fondamentale – telle que l’intermédiaire teneur de marché est indifférent entre le fait de réaliser ou non la transaction. Du fait de l’aversion pour le risque de ce dernier, la taille de cette fourchette de prix est une fonction croissante de la volatilité de l’actif. Toutes choses égales par ailleurs, elle est également une fonction croissante (et convexe) de la taille de la transaction dont il doit se porter contrepartie dans un contexte où toute transaction non souhaitée a d’autant plus de chances de l’éloigner de son portefeuille optimal qu’elle porte sur une quantité importante de titres. Enfin, elle est une fonction croissante du temps durant lequel la position non désirée devra être portée du fait de l’accroissement de la volatilité d’un actif avec sa durée de détention (Ho et Stoll, 1981).

Dans un tel contexte, une prime de liquidité significative peut apparaître, et ce, pour différentes raisons. D’une part, l’immédiateté ne va plus de soi. Elle n’est accessible que moyennant le décaissement de la fourchette de prix imposée par les offreurs de liquidité et a donc un coût. D’autre part, à la volatilité fondamentale d’un actif liée à l’incertitude sur sa valeur future vient se greffer une volatilité supplémentaire causée par les ajustements pratiqués, selon le sens et la taille des transactions à absorber, par les teneurs de marché (phénomène de bid-ask bounce). Enfin, contrairement aux conclusions du modèle de Constantinides (1986), la fréquence des transactions n’est plus neutre : en accroissant l’intervalle de temps durant lequel les offreurs de liquidité doivent porter une position sous-optimale, un manque de transactions a globalement pour effet d’accroître les coûts implicites répercutés par ces derniers. Pour cette dernière raison, et afin d’éviter une spirale d’illiquidité pouvant déboucher sur un blocage des marchés, les mesures visant à stimuler l’activité d’échange peuvent devenir une priorité.

Le paradigme de l’asymétrie d’information

Autre hypothèse forte du modèle de Constantinides (1986), les transactions que réalisent les investisseurs considérés sont supposées gouvernées par le seul objectif de partage des risques. Or il existe une seconde motivation essentielle à l’échange sur les marchés : l’exploitation d’informations privées (Bagehot, 1971).

L’existence d’asymétries d’information entre les acteurs de marché induit un risque d’antisélection pour les offreurs de liquidité : les fourchettes de prix qu’ils cotent ont en effet d’autant plus de chance de se concrétiser par une transaction défavorable que les prix qu’ils proposent constituent une opportunité intéressante pour des investisseurs mieux informés. Face à l’incertitude concernant les motifs d’échange des investisseurs contre lesquels leurs ordres seront appariés, la réponse rationnelle des offreurs de liquidité consiste à coter des prix intégrant une prime de risque leur permettant, en moyenne, de couvrir la perte attendue lors de transactions déclenchées par des investisseurs mieux informés. Ce comportement entraîne, là encore, l’apparition d’une fourchette de prix (Glosten et Milgrom, 1985 ; Kyle, 1985). De plus, l’objectif de maximisation des profits impliquant, de la part des investisseurs informés, l’utilisation d’ordres de taille croissante avec les bénéfices attendus de leur avantage informationnel, la taille de la prime exigée à l’équilibre par les offreurs de liquidité est positivement corrélée avec les volumes d’échange anticipés (Easley et O’Hara, 1987 ; Glosten, 1994).

Coût de la liquidité et création de valeur

Que l’on aborde la question sous l’angle du paradigme de la position ou sous celui du paradigme de l’asymétrie d’information, la satisfaction du besoin d’immédiateté exprimé par les demandeurs de liquidité implique le décaissement d’un coût implicite sous la forme d’une fourchette de prix croissante avec les quantités qu’ils souhaitent échanger. En quoi cette situation peut-elle avoir des effets sur la création de valeur par les entreprises ? Les investisseurs terminaux (ceux qui ont effectivement l’intention de détenir les titres d’une société en portefeuille) raisonnent en taux de rentabilité net. Or les coûts qu’ils supportent pour échanger des titres sur le marché secondaire impactent négativement la performance de leur placement. Par répercussion, une entreprise dont les titres sont caractérisés par une faible liquidité doit offrir à ses actionnaires un taux de rentabilité supérieur sur ses projets, afin de les dédommager pour les coûts implicites qu’elle leur fait supporter. Toutes choses égales par ailleurs, la création de valeur par une entreprise présentant des titres peu liquides sera donc moindre.

Du coût de la liquidité au risque de liquidité

Nous avons raisonné jusqu’à présent en considérant que les primes exigées par les offreurs de liquidité (ou de façon symétrique, les coûts supportés par les demandeurs de liquidité) étaient fixes. Il est cependant peu probable que cela soit le cas. Si l’on se place, par exemple, dans le cadre explicatif du paradigme de la position, la prime exigée par un offreur de liquidité dépend directement de son aversion pour le risque. Or l’aversion pour le risque des agents économiques est une donnée qui connaît des variations temporelles : faible en période de boom économique, elle s’accroît en période de récession. De même, les solutions de contrepartie proposées par les offreurs de liquidité dépendent de leur capacité à mobiliser les ressources financières appropriées. Cette capacité peut varier dans le temps en fonction de la liquidité disponible à l’échelle macroéconomique, des contraintes réglementaires pesant sur le montant des capitaux pouvant être engagés, sur les niveaux de collatéral exigés… (Brunnermeier et Pedersen, 2009). On peut dès lors s’attendre à ce que la liquidité globale du marché soit également caractérisée par des cycles.

Ce point est empiriquement établi par Chordia, Roll et Subrahmanyam (2001) qui mettent en évidence l’existence de variations positivement corrélées des tailles des fourchettes de prix pour l’ensemble des actions cotées sur le NYSE (New York Stock Exchange). Le caractère systématique de ces variations suggère l’existence d’un facteur de liquidité commun à l’ensemble du marché. En outre, si la liquidité est un facteur commun et que les coûts qui lui sont liés affectent la richesse des investisseurs, les titres dont le taux de rentabilité espéré présente une sensibilité plus forte aux variations globales de liquidité doivent offrir une prime de risque (Pastor et Stambaugh, 2001). Cette constatation conduit Acharya et Pedersen (2005) à proposer un modèle plurifactoriel dans lequel le niveau de rentabilité exigé d’un actif est fonction de sa liquidité espérée, de la covariance de ses taux de rentabilité avec le taux de rentabilité et la liquidité du marché, mais également de la covariance de sa liquidité avec celle du marché. Intuitivement, un actif peu rentable en période de faible liquidité globale, et d’autant plus illiquide que le marché est illiquide et peu rentable, sera cédé à des conditions extrêmement défavorables durant les périodes de crise. Un tel actif se négociera en moyenne avec une décote en raison des primes qu’exigeront les investisseurs pour sa détention.

Quantification de la prime de liquidité

Si l’existence d’une prime de liquidité semble théoriquement établie, cette prime revêt-elle une importance économique suffisante pour considérer qu’elle affecte de manière significative le taux de rentabilité exigé par les actionnaires ? Nous présenterons tout d’abord les conclusions d’études empiriques qui considèrent la liquidité comme un coût, avant de détailler les résultats obtenus par celles où la liquidité, du fait de ses variations temporelles, est envisagée comme un facteur de risque.

Un problème préalable à toute étude sur le lien entre liquidité et taux de rentabilité exigé des actifs réside dans la façon d’appréhender la notion même de liquidité qui, comme souligné en introduction, est un concept multiforme. Dans la pratique, trois indicateurs sont principalement retenus : la taille des fourchettes de prix (dimension immédiateté), l’importance de l’impact de marché (dimension profondeur) et la vitesse de retour à l’équilibre des cours, à la suite du décalage de prix causé par un échange (dimension résilience). Des aspects tels que le volume d’échange, la fréquence des transactions ou le taux de rotation des actions peuvent également être pris en considération, mais uniquement à titre secondaire3.

Amihud et Mendelson (1986) examinent le lien entre le niveau des fourchettes de prix affichées4 et le taux de rentabilité espéré, à partir de l’approche proposée par Fama et McBeth (1977). Dans une première étape, 49 portefeuilles sont formés sur la base de leur appartenance à l’une des sept classes de β × 7 classes de fourchettes moyennes identifiées. Dans une seconde étape, les taux de rentabilité en excès du taux sans risque des 49 portefeuilles sont régressés en coupe transversale contre les valeurs de β et de fourchettes prédites de façon à inférer les primes de risque associées à chacun de ces deux facteurs. Les résultats d’Amihud et Mendelson (1986) montrent qu’une augmentation de 1 % de la taille des fourchettes de prix se traduit par une augmentation de 0,211 % de la rentabilité mensuelle (soit environ 2,5 % en base annuelle) après ajustement pour le risque de marché. Des études plus récentes étudient ce même lien en utilisant en lieu et place des fourchettes affichées les fourchettes effectives5. Asparouhova, Bessembinder et Kalcheva (2010)6 concluent qu’une augmentation de deux écarts types de la fourchette effective implique une augmentation de la prime mensuelle de 0,426 % (soit environ 5,11 % en base annuelle). De façon intéressante, la valeur de la prime observée est plus faible sur le NYSE que sur le Nasdaq, suggérant ainsi que les choix organisationnels opérés par les marchés peuvent avoir des implications sur leur liquidité.

S’agissant du risque de liquidité, Pastor et Stambaugh (2001) s’intéressent à la rémunération que doit offrir un actif en fonction de sa sensibilité aux fluctuations globales de liquidité que connaît le marché7. Les auteurs appréhendent la liquidité à partir de l’intensité des retournements de prix que supporte un actif sur deux séances de Bourse consécutives. L’idée sous-jacente est que la variation de cours observée un jour donné a d’autant plus de chance d'être suivie d’une variation de sens contraire lors de la séance suivante que le mouvement initial tient à une surréaction des prix causée par un manque de liquidité. Partant de l’identification de l’intensité des retournements au niveau des actifs individuels, il est possible de construire, par agrégation, un indicateur de liquidité globale du marché et de calculer la sensibilité des prix d’actifs aux variations temporelles non anticipées (innovations) de cet indicateur. La conclusion de Pastor et Stambaugh (2001) est que, après contrôle pour les facteurs identifiés par Fama et French (1993), les taux de rentabilité espérés des actifs sont systématiquement et positivement corrélés à la sensibilité qui est la leur au risque de liquidité du marché ; l’écart de rémunération attendu entre des portefeuilles se situant aux deux extrêmes en termes d’exposition à ce facteur est important et atteint, en base annuelle, 7,5 % en excès du taux sans risque.

Liquidité et coût de financement des entreprises

Les tests d’évaluation d’actifs concluent à l’existence d’une prime de liquidité significative. La création de valeur par les entreprises peut dès lors se trouver affectée du fait de l’accroissement du taux de rentabilité exigé par les actionnaires sur les projets qui leur seront proposés. Cependant, il s’agit là d’un effet général. Une façon plus directe d’analyser l’impact de la liquidité sur la création de valeur consiste à étudier son incidence sur les coûts directs et indirects d’émission de titres par les entreprises à travers la décote consentie et les frais payés aux intermédiaires financiers. Nous analyserons tour à tour le cas des introductions en Bourse et celui des augmentations de capital.

Liquidité et coût des introductions en Bourse

La sous-évaluation des entreprises au moment de leur introduction en Bourse est un phénomène largement documenté. L’une des justifications avancées pour expliquer cette sous-évaluation réside dans les risques qu’encourent les souscripteurs et que seule une décote significative permet de rémunérer. Les risques traditionnellement mentionnés concernent l’aléa sur la valeur future de l’entreprise introduite et l’asymétrie d’information entre dirigeants et futurs actionnaires. À ces risques, Ellul et Pagano (2006) suggèrent d’ajouter un facteur supplémentaire portant sur le niveau et la variabilité de la liquidité future du marché du titre de l’entreprise introduite.

La liquidité, telle qu’envisagée par ces auteurs, est la conséquence des asymétries d’information entre acteurs (cf. section « Le paradigme de l’asymétrie d’information » supra), au moment de l’introduction et dans les jours qui suivent sur le marché secondaire. La fixation du prix d’introduction va certes permettre la révélation d’informations, mais uniquement de manière partielle. L’asymétrie d’information résiduelle se trouve alors reportée sur le marché secondaire du titre (phénomène de spillover), avec pour conséquence un renchérissement du coût de l’immédiateté sous l’effet de l’augmentation de la composante antisélection des fourchettes de prix. Le prix fixé devant permettre de rémunérer les investisseurs non seulement pour le risque d’antisélection au moment de l’introduction, mais également pour les coûts de transaction postérieurs, la sous-évaluation d’équilibre doit donc être d’autant plus importante que les asymétries d’information sont fortes et que la liquidité anticipée sur le marché secondaire est faible.

À partir d’une étude menée sur 337 introductions réalisées sur le London Stock Exchange entre 1998 et 2000, Ellul et Pagano (2006) concluent à l’existence d’un lien positif entre le niveau de sous-évaluation (différence entre le cours coté au terme de la première séance de Bourse et le prix d’introduction) et la liquidité postintroduction. Conformément à leur conjecture, le risque d’antisélection est le facteur à l’origine de cette relation. Les auteurs montrent ainsi qu’une augmentation d’un écart type du PIN (probability of informed trading) – un estimateur du risque qu’encourt un investisseur d’échanger avec une contrepartie mieux informée, proposé par Easley et al. (1996) – se traduit par une augmentation de 16 % du niveau de sous-évaluation.

Liquidité et coût des augmentations de capital

Aux côtés des introductions en Bourse, les augmentations de capital en numéraire constituent la deuxième source majeure de financement des entreprises. Le coût d’une augmentation de capital est important et atteint entre 3 % et 5 % des montants levés. Plusieurs études récentes mettent en évidence un lien entre le niveau des coûts payés et la liquidité des titres émis.

Sur le marché nord-américain, Butler, Grullon et Weston (2005) montrent que les entreprises appartenant au quintile d’émetteurs les plus liquides supportent, toutes choses égales par ailleurs, des frais d’émission inférieurs de 101 points de base à ceux payés aux banques intermédiaires par les entreprises les moins liquides. Pour les premières, l’économie réalisée représente 21 % du montant moyen des frais d’émission. L’explication avancée par les auteurs pour expliquer ce résultat relève de la même logique que celle proposée par Ellul et Pagano (2006) dans le cadre des introductions en Bourse. Lors d’une augmentation de capital réalisée sous la forme d’une offre publique, en cas de participation insuffisante des investisseurs à l’émission, la garantie de bonne fin conduit la banque intermédiaire à détenir un stock de titres non souscrits qu’il lui faut écouler sur le marché secondaire. Il est dès lors rationnel pour la banque de répercuter au niveau des frais d’émission les coûts et les risques auxquels elle se trouvera exposée au moment du débouclage éventuel de sa position sur un marché illiquide.

Sur le marché français, Ginglinger, Koenig-Matsoukis et Riva (2012) montrent de même que les coûts d’émission sont fonction de la liquidité du marché des titres des entreprises émettrices. Qui plus est, la liquidité observée préalablement à l’émission influe sur la modalité d’augmentation de capital sélectionnée par les firmes. En particulier, les firmes les moins liquides se voient contraintes d’opter pour une augmentation de capital avec des droits de souscription non garantis afin d’éviter les coûts élevés que répercuterait la banque chargée du placement en contrepartie des risques pris. Le problème de ce type d’émission est que l’amélioration de liquidité qui s’ensuit demeure limitée. Le schéma général qui se dégage alors est celui d’un équilibre auto-entretenu dans lequel seules certaines firmes, grâce à leur liquidité préémission, ont la possibilité d’accéder à des modalités d’augmentation de capital de nature à accroître leur liquidité future (offres publiques et émissions avec droit garanties).

Les actifs liquides, de par les coûts et les risques moindres qu’ils font supporter à leurs détenteurs, se négocient à des niveaux de prix plus élevés. En ce sens, une entreprise présentant une liquidité forte sur le marché de ses titres créera davantage de valeur pour ses actionnaires.

La question qui se pose alors est celle des leviers d’action disponibles pour améliorer la liquidité des actifs. Les pistes à explorer se situent à plusieurs niveaux. Un premier axe réside dans les modalités d’organisation des marchés. L’adjonction d’intermédiaires, tenus réglementairement d’offrir des solutions de contrepartie au-delà de celles qui émergent naturellement, peut constituer un facteur d’amélioration du fonctionnement du marché. De façon plus générale, les mesures permettant de limiter les coûts explicites supportés par les offreurs de liquidité et de renforcer la concurrence entre ces derniers peuvent contribuer à améliorer les conditions de prix auxquelles la liquidité est offerte : les politiques qui promeuvent la mise en concurrence des plates-formes de négociation (RegNMS aux États-Unis, MiFID en Europe) participent de cette logique. Un deuxième axe relève des entreprises elles-mêmes. Un déterminant essentiel du coût de l’immédiateté est le risque d’antisélection supporté par les offreurs de liquidité. Au-delà de la réduction mécanique de la fréquence des transactions qu’ils induisent, des dispositifs tels que les blocs d’actionnaires ou les chaînes de contrôle pyramidales8, en favorisant les situations d’asymétrie informationnelles entre actionnaires, sont des facteurs d’accroissement de ce risque. Enfin, un troisième axe porte plus globalement sur la réglementation qui doit favoriser une meilleure révélation de l’information et une protection accrue des actionnaires minoritaires.


Notes

1 L’épisode du flash-crash survenu le 6 mai 2010 sur le marché américain des actions montre, s’il en était besoin, à quel point l’existence permanente de contreparties est loin d'être garantie.
2 Par souci de simplicité, nous restreignons le cadre d’analyse au cas d’un marché dirigé par les prix. Cependant, les mécanismes de formation des prix que nous décrivons valent également pour un marché dirigé par les ordres tel que le marché actions de NYSE Euronext. La modélisation est alors toutefois plus complexe dans la mesure où les investisseurs peuvent tour à tour offrir ou demander de la liquidité. Il n’en demeure pas moins que les problèmes de gestion d’un stock de titres tels qu’ils se posent à un market maker et leurs implications en termes de formation des prix sont également présents, les investisseurs perdant temporairement le contrôle de la composition de leur portefeuille sous l’effet de chocs de liquidité (cas du gérant d’un fonds qui doit liquider rapidement des lignes de titres pour faire face à des retraits de la part de souscripteurs ou pour procéder à une recomposition rapide de son portefeuille) ou à la suite de l’exécution partielle de demandes formulées à l’aide d’ordres à cours limité.
3 Le volume d’échange peut refléter indirectement la liquidité d’un actif, mais se focaliser sur cette unique dimension est susceptible de conduire à des conclusions erronées. Ainsi, lors de l’épisode du flash-crash, les volumes d’échange ont connu un pic historique, alors même que le marché était caractérisé par une évaporation quasi totale de la liquidité (cf. rapport de CFTC/SEC, disponible sur le site : www.sec.gov/news/studies/2010/marketevents-report.pdf ).
4 La fourchette affichée correspond à l’écart observé à un instant donné entre le bid et l’ask cotés par un market maker, ou entre la meilleure limite à l’achat et la meilleure limite à la vente sur un marché dirigé par les ordres.
5 La fourchette effective correspond à l’écart entre le prix de transaction et le prix milieu de la fourchette. Cette mesure intègre, outre la dimension immédiateté, la dimension profondeur de la liquidité dans la mesure où le prix de transaction dépend des quantités qui sont négociées lors d’un échange.
6 Voir également : Hasbrouck (2009).
7 Voir également : Acharya et Pedersen (2005).
8 Voir dans ce numéro : l’article qu’Édith Ginglinger consacre à ces aspects.

Bibliographies

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