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 L'Europe de l'assurance et ses challenges


Denis KESSLER Académie des sciences morales et politiques ; président-directeur général, groupe Scor. Contact : dkessler@scor.com.

La construction de L'Europe de l'assurance a modifié radicalement le paysage de l'assurance européenne en permettant la pénétration des marchés nationaux par des concurrents européens et en favorisant une diversification internationale, surtout européenne, des portefeuilles de placement. Elle a également renforcé la sécurité des entreprises d'assurances au moyen d'exigences prudentielles adaptées. Pour achever ce marché unique de l'assurance européen, des progrès restent toutefois à faire notamment sur le plan réglementaire et de la supervision.

La construction de l'Europe de l'assurance a modifié radicalement le paysage de l'assurance européenne. D'une part, les marchés nationaux ont vu la pénétration de leur marché par des concurrents européens s'accroître significativement. Et, de fait, comme le montre le graphique infra, la concurrence des acteurs européens non français sur un marché comme le marché français n'est pas loin de se confondre avec la concurrence étrangère en général. La progression la plus spectaculaire de la pénétration des concurrents européens en France est intervenue entre 1997 et 1998, lorsque France Assurance a été acquise par Generali et les Assurances générales de France (AGF) par Allianz. Ensuite leur part de marché en France s'est plus ou moins stabilisée autour de 17 %, leur progression devenant parallèle à celle du marché. De même, les assureurs français ont accru leur présence en Europe où ils réalisent un chiffre d'affaires en progression constante, désormais équivalent à un peu plus de 20 % de leur chiffre d'affaires français. D'autre part, les assureurs, qu'ils soient français, européens ou d'autres pays, ont eu tendance à diversifier de plus en plus leurs actifs en dehors du marché français, en acquérant des titres européens. Ainsi 33 % des actions détenues par les assureurs du marché français dans leurs portefeuilles de placements ont-elles été émises par des non-résidents, essentiellement européens. Le graphique fait bien ressortir la contribution de l'européanisation des entreprises d'assurance françaises à leur internationalisation sur la période.

Graphique
L'européanisation de l'assurance française
(en % du chiffre d'affaires ou CA de l'assurance en France)

Source : Fédération française d'assurance.

Dans les pages qui vont suivre, nous étudierons d'abord le rôle moteur joué par l'Europe de l'assurance dans le dynamisme des marchés d'assurance au cours du quart de siècle écoulé, puis nous examinerons pourquoi, à l'avenir, les assurés ont besoin plutôt de plus que de moins d'Europe de l'assurance. Répondre à ce besoin de façon efficace et appropriée est le grand challenge de l'Europe de l'assurance pour les années à venir.

L'Europe a joué un rôle moteur dans le dynamisme des marchés d'assurance

Ce rôle moteur, l'Europe de l'assurance l'a joué en permettant aux assureurs européens de s'internationaliser aisément, par opposition à l'internationalisation en dehors de l'Europe qui est beaucoup plus difficile et coûteuse, et d'en tirer d'importants gains en termes de gestion plus efficace et plus cohérente des risques.

L'Europe a permis l'internationalisation des assureurs européens

L'apport de l'Europe au fonctionnement plus optimal des marchés d'assurance peut se résumer aux six contributions suivantes : la liberté d'établissement, la libre prestation de services (LPS), la liberté des mouvements de capitaux, la création de l'euro, l'harmonisation comptable et prudentielle et la négociation d'accords commerciaux internationaux avantageux. Examinons chacune de ces contributions séparément.

La liberté d'établissement

Les premières directives assurance de 1973 et 1979 instaurent la liberté d'établissement en assurance-vie et non-vie. Elles autorisent une entreprise d'assurance agréée par un État membre de l'Espace économique européen à offrir ses services sur le territoire d'un autre État membre à partir d'un établissement permanent, une succursale ou une agence. Toutefois la liberté d'établissement ne sera complète qu'avec les troisièmes directives de 1992 qui instaurent un passeport unique en vertu duquel les entreprises d'assurance agréées dans un État membre peuvent opérer librement dans tous les États membres sous forme de succursales ou de LPS, sans avoir à obtenir d'autorisation de ces États. L'avancée que représente le passeport unique a toutefois nécessité un approfondissement de l'harmonisation des règles prudentielles nationales concernant le calcul des provisions, la couverture de ces provisions par des actifs de qualité, l'exigence de marge de solvabilité et les prises de participations en assurance. Elle n'était en effet acceptable que si la qualité de l'engagement des assureurs étrangers était elle-même garantie. Des dispositions similaires ont été étendues à la réassurance en 2005. Toutefois, même si la liberté d'établissement a connu un certain succès, puisqu'on compte six cent soixante-deux succursales et cinq cent soixante-neuf agences en 2014 en Europe, elle ne concerne que des volumes modestes et sa part dans le chiffre d'affaires de l'assurance reste faible. Ainsi, si l'on prend l'exemple de la France, en 2014, seulement 7,1 % du chiffre d'affaires des entreprises d'assurance françaises en Europe était réalisé au travers de succursales ou d'agences, soit une part proche de la moyenne pour leur chiffre d'affaires dans le monde (6,7 %). Si l'on exclut les réassureurs, cette part est encore plus faible. Quant aux assureurs européens opérant en France, seulement 6 % de leur chiffre d'affaires était réalisé au travers de succursales ou d'agences.

La libre prestation de services

En fait, la liberté d'établissement reste extrêmement lourde et coûteuse à mettre en œuvre. Elle s'est surtout développée autour d'opérations de niche ou de réassurance. C'est pourquoi l'Europe a considéré que la liberté d'établissement ne permettait pas de réduire suffisamment les barrières à un véritable marché unique de l'assurance. Aussi les deuxièmes directives, en 1988-1990, ont-elles changé de méthode et se sont-elles tournées vers la LPS qui autorise tous les assureurs agréés dans un pays européen à couvrir directement les risques situés dans un autre pays européen sans avoir à s'établir dans ce pays. La LPS ne bénéficie toutefois qu'à l'assurance des grands risques non-vie (les risques d'entreprise) et à la souscription de contrats d'assurance-vie pour autant que cette souscription ne résulte pas d'un démarchage de l'entreprise d'assurance. Malgré le grand nombre d'entreprises opérant en LPS, sept mille six cent dix-sept au total en 2014 en Europe, ce canal de vente des produits d'assurance ne représente aujourd'hui que 3,5 % des primes d'assurance-vie et 2,1 % des primes d'assurance non-vie en Europe. Neuf cent dix-sept sociétés sont actuellement habilitées à opérer en LPS en France, mais elles n'y font qu'un chiffre d'affaires marginal, tandis que l'assurance française ne réalise elle-même que 0,2 % de son chiffre d'affaires en LPS.

La liberté des mouvements de capitaux

En fait, la liberté d'établissement et la LPS, sauf cas exceptionnel, ne présentent guère d'avantage fonctionnel par rapport à une liberté beaucoup plus fondamentale qui est celle d'entreprendre, c'est-à-dire de créer une entreprise d'assurance dans un autre pays. Les contraintes pesant sur la liberté d'établissement ne sont pas loin d'être aussi lourdes que celles imposées par la création d'une société dans le pays d'accueil en termes de gestion financière, de gestion d'actifs, de gestion de l'adéquation des contrats au droit civil et fiscal local, de gestion des recours devant les tribunaux nationaux et de gestion des autorités de contrôle prudentiel. Abandonnant son approche consumériste, l'Europe s'est alors tournée vers les conditions de l'offre et, plus particulièrement, vers les conditions d'exercice de la liberté d'entreprendre. Elle est arrivée à la conclusion que cette liberté était extrêmement difficile à exercer en raison des multiples contrôles des mouvements de capitaux existant en Europe. Dans un premier temps, une directive a supprimé en 1988 toutes les restrictions qui subsistaient à la circulation des capitaux entre les résidents des États membres à compter du 1er juillet 1990, avec des périodes de grâce jusqu'en 1994 pour certains États. Dans un deuxième temps, le traité de Maastricht a fait de la libre circulation des capitaux une liberté protégée. Enfin, complément indispensable à la liberté d'acquérir des sociétés ou de créer des filiales dans les autres pays européens, les directives groupes et conglomérats financiers de 2002 ont éliminé le double gearing, c'est-à-dire le double comptage des capitaux propres dans l'appréciation de la solvabilité des entreprises d'assurance. Ces directives ont permis de garantir que la solvabilité d'une entité nationale d'un groupe ou d'un conglomérat repose sur des fonds propres tangibles et non sur des artefacts comptables. Aujourd'hui, 93 % du chiffre d'affaires réalisé en Europe par des entreprises d'assurance françaises et 94 % du chiffre d'affaires réalisé en France par des entreprises d'assurance européennes le sont au travers de filiales.

La mise en place de l'euro

La liberté des mouvements de capitaux est indissociable de la mise en place de l'euro. Celle-ci élimine en effet totalement le risque principal qui limitait les prises de participations transfrontalières et les créations de filiales dans les autres pays européens : le risque de change. Elle autorise en outre à concevoir la gestion d'actifs à l'échelle de l'Europe, puisqu'elle permet de diversifier les placements entre les différents marchés de la zone euro sans porter atteinte au principe de congruence. Cette double étape de la liberté des mouvements de capitaux et du passage à l'euro reste aujourd'hui fondamentale pour l'Europe de l'assurance, car c'est elle qui a ouvert la voie à la constitution de véritables groupes d'assurance européens qui ont, seuls, été en mesure de modifier le paysage concurrentiel des différents marchés nationaux, comme on l'a vu en France. En 2014, l'assurance française a réalisé 68 % de son chiffre d'affaires sur le marché domestique, 15 % au sein de la zone euro et 17 % en dehors de la zone euro, tandis que 12 % des encaissements domestiques étaient réalisés par des assureurs de la zone euro et 7 % par des assureurs en dehors de la zone euro (FFA, 2016). Côté placements, en 2015, l'assurance française était à 62 % investis en titres français, à 26 % en titres de la zone euro et à 12 % en titres étrangers hors zone euro (Bachellerie et al., 2016). La liberté des mouvements de capitaux et l'euro ont donc joué un rôle majeur dans la diversification des placements des assureurs quand leur rôle apparaît plus modeste pour la localisation de la souscription qui doit transiter par la création de sociétés locales. Il convient toutefois de noter que la part de la zone euro dans les placements de l'assurance française est en recul par rapport à la période qui a précédé la crise des dettes souveraines en Europe et au cours de laquelle elle a atteint 33 %. De fait, la crise s'est traduite un peu partout dans le monde par une montée des incertitudes internationales et un repli des investisseurs institutionnels sur leur marché domestique.

L'harmonisation des standards comptables et prudentiels

On constate toutefois, sur la période récente, une réticence à s'installer en Europe, y compris au sein de la zone euro, et une préférence pour des localisations hors zone euro et hors Europe, en Asie notamment. Cette tendance a conduit l'Europe à s'interroger au début des années 2000 sur les obstacles résiduels à l'européanisation de l'assurance. Ceux-ci peuvent être imputés à la relative saturation des marchés européens qui n'offrent pas les perspectives de croissance attractives des marchés émergents. Mais il est aussi apparu que l'hétérogénéité des standards prudentiels mis en œuvre dans les différents pays de l'Union européenne, sur la base de transpositions extrêmement différentes des directives sur l'assurance, constituait un obstacle majeur à la réalisation du marché unique de l'assurance. L'Europe a alors décidé de lancer un plan d'action des services financiers qui a débouché sur la refonte des exigences prudentielles en assurance, dans le cadre de Solvabilité II, ainsi que sur la mise en chantier d'une nouvelle norme comptable en « valeur de marché » pour les passifs d'assurance, qui devrait être publiée en mai 2017 et entrer en vigueur en 2021. L'ambition était d'aboutir à une harmonisation comptable et prudentielle suffisamment poussée pour mettre réellement en concurrence l'ensemble des acteurs européens de l'assurance en rendant leur passage d'un marché européen à l'autre aussi indolore et peu coûteux que possible, tout en assurant un niveau de qualité des standards prudentiels élevé et homogène. Les nouveaux standards prudentiels, dits « Solvabilité II », sont entrés en vigueur au début de 2016. Il est trop tôt pour juger de leurs conséquences pour le marché européen de l'assurance. Des premières impressions que l'on peut tirer de leur mise en œuvre, il ressort que les difficultés de coordination entre les autorités de contrôle, voire leur concurrence dans l'interprétation des règles en vue d'attirer le maximum de capital sur leur territoire national, demeurent un obstacle concret à la réalisation du marché unique de l'assurance.

La négociation d'accords internationaux avantageux

L'Europe a activement et systématiquement milité pour l'inclusion des services financiers, et en leur sein, de l'assurance et de la réassurance, dans les accords commerciaux internationaux. Grâce à son poids économique, elle a ainsi été en mesure de négocier des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux qui se sont révélés favorables à l'industrie européenne de l'assurance et de la réassurance, en termes d'accès aux marchés tiers, de droit d'établissement et de limitation du contenu protectionniste des régulations étrangères vis-à-vis des entreprises d'assurance européennes. Sans le poids propre de l'Europe, l'assurance européenne n'aurait probablement pas été incluse aussi souvent dans ces accords et n'aurait pas pu bénéficier de dispositions aussi favorables que celles que la Commission européenne a été capable de négocier. C'est l'Europe qui a obtenu un accès favorable à des marchés aussi stratégiques en termes de taille ou de croissance que la Chine ou la Corée du Sud, et dernièrement les États-Unis avec lesquels elle vient d'aboutir à un accord important qui reconnaît l'équivalence entre les régimes de solvabilité européen et américain et qui supprime l'exigence de collatéraux en réassurance. Cela explique pour une bonne part la croissance plus rapide du chiffre d'affaires extra-européen des assureurs français et plus largement européens par rapport à leur chiffre d'affaires strictement européen (cf. graphique supra).

L'Europe a favorisé une gestion
plus efficace et cohérente de l'assurance

La construction prudentielle européenne, en dépit de ses limites incontestables, a néanmoins contribué à optimiser la gestion des entreprises d'assurance, que des régulations nationales vieillies et capturées par des groupes de pression enserraient dans des réseaux de contraintes le plus souvent inefficaces, contre-productifs et coûteux pour les assurés. Notamment, dans le cadre de la réforme prudentielle Solvabilité II, les entreprises d'assurance ont été incitées à améliorer leur gestion sur les trois plans de la gestion des risques, de la diversification des risques et de la constitution des groupes.

La promotion d'une approche risk-based

D'une génération de directives à l'autre, la régulation européenne a pris une vue de plus en plus englobante des risques auxquels les entreprises d'assurance sont confrontées. Aujourd'hui, dans le cadre de Solvabilité II et pour la première fois en Europe, les entreprises d'assurance sont invitées à prendre systématiquement la mesure de l'impact potentiel des différents risques auxquels elles sont susceptibles d'être confrontées. Tant les risques d'actifs que les risques de passifs doivent être pris en compte : les risques de souscription, de marché, de crédit et opérationnel, ainsi que la totalité des transferts de risque (en réassurance, en titrisation, etc.) et leur qualité. Pour mesurer leur exposition et en tirer leurs exigences en capital à 1/200 ans, les entreprises d'assurance peuvent recourir soit à un modèle interne, quand elles disposent des compétences pour construire et calibrer un tel modèle, soit à une formule standard qui inclut naturellement une marge de prudence supplémentaire par rapport au modèle interne pour tenir compte du fait que l'estimation n'est pas intrinsèque au risque de l'entreprise concernée. Avec un modèle interne, les exigences en capital ne sont plus calculées en fonction des hasards d'une formule trop grossière, tempérés par l'arbitraire d'un contrôleur, mais en fonction d'une mesure objective et connue de chaque risque auquel l'entreprise est effectivement exposée. En même temps, les entreprises d'assurance sont invitées à définir leur appétit pour le risque et à le faire adopter par le conseil d'administration, ce qui est une bonne manière de partager et de valider le profil de risque de l'entreprise, lequel ne peut donc plus être ignoré ni par le management, ni par les actionnaires. Elles doivent aussi rédiger chaque année un rapport sur leur propre évaluation de leurs risques et de leur solvabilité, rapport qui est ensuite partagé par le conseil d'administration avec le superviseur… Et ce progrès significatif dans la gestion des risques s'impose à toutes les entreprises d'assurance européennes.

La reconnaissance de la diversification

Jusqu'à Solvabilité II, la règle qui prévalait en assurance voulait que l'on ne prenne pas en compte les effets de diversification ou de mutualisation des risques, et que l'on conserve ces effets comme une marge de prudence. Cette règle était pour le moins étonnante dans la mesure où la raison d'être économique de l'assurance réside justement dans cet effet de diversification. De fait, elle conduisait paradoxalement à accorder un traitement prudentiel d'autant plus favorable que l'entreprise d'assurance était peu diversifiée…, exactement le contraire de ce qu'il fallait faire. À l'opposé, Solvabilité II reconnaît, à côté des coûts potentiels de l'interdépendance des risques, les bénéfices de la diversification des risques entre eux. Elle reconnaît surtout que la raison d'être de l'assurance consiste en la mutualisation de risques diversifiables. Tant les modèles internes que, dans une moindre mesure, la nouvelle formule standard prennent désormais en compte les effets de diversification et réduisent proportionnellement les exigences en capital de l'entreprise. Les assureurs sont donc incités, d'une part, à diversifier leurs risques tant au passif qu'à l'actif qu'entre le passif et l'actif et, d'autre part, à offrir à leurs clients des produits qui diversifient et rendent donc plus résilient leur bilan. Il s'agit là d'un changement substantiel de philosophie. La régulation et ses incitations sont désormais alignées sur la raison d'être de l'assurance et de la réassurance, ce qui ne peut que déboucher sur une offre d'assurance à la fois mieux adaptée aux besoins, plus crédible et de meilleure qualité, pour le plus grand bénéfice des assurés et de l'économie européenne.

La reconnaissance des groupes

L'Europe s'est efforcée de reconnaître pleinement la réalité économique des groupes, que la régulation s'était jusqu'ici efforcée d'ignorer. Les raisons du déni antérieur ne sont pas claires. Elles mélangent des considérations :

  • de nationalisme, voire de protectionnisme, sachant que beaucoup de têtes de groupe sont étrangères et donc qu'il est plus difficile de les mettre en cause en cas de difficulté ;

  • de prudence, sachant que les groupes apportent de la diversification que l'on préférerait mettre en réserve plutôt que de la reconnaître ;

  • de pragmatisme, sachant que la prise en compte de la réalité du groupe suppose un minimum de coordination entre les autorités de contrôle, minimum que celles-ci n'avaient aucune incitation à mettre en place.

La réforme Solvabilité II a pris le problème à bras-le-corps en reconnaissant, d'une part, que les groupes accroissent les risques de contagion et que ces risques doivent être clairement identifiés (par exemple, un investissement de la filiale dans la maison mère) et, d'autre part, qu'ils procurent des éléments géographiques et sectoriels de diversification qui doivent aussi être pris en compte. Il en résulte à la fois une meilleure identification et une meilleure mesure des risques et des bénéfices liés au groupe. Enfin, pour la première fois dans l'histoire du contrôle de l'assurance, Solvabilité II impose aux autorités de contrôle européennes de se coordonner pour acquérir une vision holistique des groupes. Ainsi, lorsqu'une autorité de contrôle doit approuver le modèle interne d'un groupe, elle doit désormais veiller à se coordonner avec toutes les autres autorités de contrôle européennes de celui-ci avant de prendre sa décision d'agrément, et cette dernière doit, dans la mesure du possible, refléter le consensus des autorités. Ce changement de culture permet aux entreprises d'assurance d'optimiser leur stratégie de croissance endogène en même temps que leur gestion des risques, pour le plus grand bénéfice des assurés.

Pour l'avenir, les assurés ont intérêt
à plus d'
Europe et à une Europe optimisée

L'Europe de l'assurance a donc joué un rôle fondamental dans la dynamique de l'assurance européenne et dans sa capacité à mieux couvrir les risques, dans des conditions de sécurité accrue et de coûts minimisés pour les assurés. Mais des progrès importants peuvent encore être réalisés pour achever et optimiser le marché unique de l'assurance. L'assurance européenne a donc besoin de plus d'Europe, alors que moins d'Europe pénaliserait à la fois les entreprises d'assurance et les assurés.

Le marché unique de l'assurance doit être achevé et optimisé

Quatre mesures prioritaires sont nécessaires pour achever la construction du marché unique de l'assurance et deux mesures sont souhaitables pour l'optimiser. L'ensemble de ces six mesures constituent les défis les plus pressants auxquels l'Europe de l'assurance est aujourd'hui confrontée et qu'elle va devoir gérer en priorité dans les années qui viennent.

La création d'un superviseur unique de l'assurance en Europe

Les difficultés rencontrées par les entreprises d'assurance pour opérer sur plusieurs marchés européens à la fois ne viennent plus de la régulation, qui a été harmonisée, mais de la mise en œuvre de cette dernière, qui reste marquée par de fortes spécificités nationales. Certaines de ces spécificités sont justifiées par des adaptations aux conditions légales locales. Elles concernent moins les règles prudentielles générales que les conditions de protection des assurés et ne posent en général pas de problème. D'autres spécificités ne sont justifiées par aucune adaptation aux conditions locales, mais servent à répondre à des exigences prudentielles spécifiques des superviseurs locaux qui soit souhaitent conserver certaines pratiques antérieures, soit s'inquiètent de voir la matière prudentielle d'une entreprise d'assurance leur échapper plus qu'ils ne le voudraient. Il s'ensuit des négociations de « marchands de tapis » entre superviseurs qui, derrière la discussion d'arguments souvent très techniques, se résument à la concurrence entre les autorités de contrôle pour la localisation du capital dans leur sphère de compétence nationale. Il est vrai que la faillite de Lehman Brothers a sensibilisé les superviseurs à l'importance de la localisation du capital pour la couverture des risques souscrits localement. Cependant autant cette question est pertinente quand il s'agit des relations de l'Europe avec des pays n'appartenant pas à l'Union européenne, autant elle ne devrait plus être un sujet dans les relations entre les États membres de l'Union européenne. Mais la force des habitudes étant ce qu'elle est, un superviseur a encore aujourd'hui le sentiment qu'il est plus pratique que le capital soit localisé au sein de sa juridiction plutôt que dans un autre pays européen. Le régulateur national, lorsqu'il a à décider de la transposition des textes européens, est assez naturellement enclin à tenir compte de cette « précaution ». Il faut également ajouter que régulateurs et superviseurs nationaux sont aussi soucieux de se préserver la possibilité de protéger leurs champions nationaux en cas de difficultés, pour préserver l'emploi ou toute autre priorité. C'est ainsi que, par touches successives, les conditions de mise en œuvre d'une régulation harmonisée s'éloignent les unes des autres, au point de ne plus être reconnaissables lorsqu'on franchit les frontières. Au total, lorsqu'on se place sur une durée suffisamment longue, ce jeu est au mieux à somme nulle, puisque ce qui est gagné par rapport aux opérateurs qui sont nationaux est perdu par rapport aux opérateurs qui ne sont pas nationaux, voire à somme négative, puisque les barrières qui sont maintenues limitent les possibilités d'entrée des concurrents européens et donc le degré de concurrence et d'efficacité qui prévaut sur les marchés européens d'assurance. Le seul moyen d'éviter cette dérive consiste à confier la supervision des entreprises d'assurance à une autorité de contrôle non plus nationale mais européenne, à tout le moins pour tous les groupes d'assurance paneuropéens. Il est toutefois fondamental que cette supervision européenne unique reste assurantielle, c'est-à-dire qu'elle préserve la prise en compte des spécificités du secteur de l'assurance et ne se confonde pas avec la supervision bancaire.

L'élimination des conditions de résidence des dirigeants

La refragmentation des standards européens harmonisés peut prendre aussi la forme d'une obligation de résidence des dirigeants, sachant qu'un dirigeant a d'autant plus de chance d'être attentif aux exigences spécifiques des superviseurs nationaux qu'il réside sur le marché national concerné et qu'il va circuler d'emploi en emploi sur ce marché. Les autorités de contrôle témoignent donc assez systématiquement d'une plus grande ouverture d'esprit vis-à-vis des dirigeants résidents, qui manifestent ainsi leur intention de s'adapter aux spécificités nationales, que vis-à-vis des dirigeants non résidents qu'ils vont rapidement suspecter de servir les intérêts de la maison mère au détriment de ceux de sa filiale nationale. Il en résulte une forte pression, plus ou moins explicite, à localiser les dirigeants et leur fonction au niveau national, même si ces fonctions peuvent être exercées à coût moindre et à efficacité supérieure à partir d'une entité délocalisée ou de la société mère. Le problème se pose tout particulièrement pour les fonctions de membre du conseil d'administration, de direction financière, de direction des risques ou de gestion d'actifs, qui sont des fonctions clés pour les groupes et leurs filiales, et qui peuvent être aisément délocalisées et mutualisées au sein des groupes. Cette obligation de résidence, qui n'est certes explicite que dans un petit nombre de pays, mais qui correspond à une pratique beaucoup plus générale, constitue une véritable barrière à l'européanisation des groupes, tout particulièrement les plus petits d'entre eux, dans la mesure où elle accroît significativement leurs coûts de gestion et réduit leur efficacité. Dans son rapport au Conseil et au Parlement européens sur l'accélération de l'union des marchés de capitaux, la Commission européenne propose de mettre un terme à cette obligation quand elle existe (Commission européenne, 2017).

L'amélioration du calcul des exigences en capital de Solvabilité II

La révision prévue de Solvabilité II devrait conduire à réexaminer le calibrage de la formule standard pour les risques de marché, de non-vie, de mortalité, et sur les paramètres spécifiques d'ici à 2018, puis plus globalement d'ici à 2020. Cette opportunité doit être utilisée pour corriger quatre imperfections principales du régime prudentiel actuel :

  • même si beaucoup de progrès ont été réalisés, la réalité des groupes reste encore insuffisamment bien prise en compte par Solvabilité II ; notamment, le principe du lead supervisor, c'est-à-dire du superviseur unique qui a le pouvoir de trancher les conflits entre superviseurs nationaux concurrents, n'a pas été retenu et, aujourd'hui, la supervision oblige à des négociations difficiles entre superviseurs qui, sauf bienveillance, se soldent par une addition des contraintes des superviseurs nationaux ; l'expérience de l'agrément des modèles internes montre qu'il faut affirmer le principe du lead supervisor ;

  • en fixant l'horizon de la mesure des risques à un an et non à la durée effective des engagements souscrits, Solvabilité II privilégie une approche de court terme qui ne permet pas de prendre correctement en compte les risques de déviations cumulatives de long terme, notamment les risques sériels à développement long ou les capacités de diversifications intertemporelles qui jouent cependant un rôle extrêmement important en (ré)assurance ; ce point doit être impérativement corrigé ;

  • la calibration du chargement en capital des actions est manifestement excessive car elle ne tient pas compte du fait que les actions sont détenues par les assureurs en face de passifs longs, qu'elles ont donc vocation à être détenues pour des longues périodes et que, contrairement à ce qui a été retenu dans la formule standard, la volatilité qui doit servir de référence pour calibrer le chargement en capital est la volatilité de long terme et non celle de court terme ;

  • les titres souverains de l'espace économique européen bénéficient d'une exonération de chargement en capital au titre de leur risque de crédit ; il faut corriger cela et imposer une charge en capital sur les titres souverains qui soit calculée en fonction du risque de crédit de ces titres, à l'instar de ce qui a été retenu pour les entreprises. Pour la bonne allocation des actifs des entreprises d'assurance, il est important que les incitations données par la régulation ne soient pas trompeuses ;

  • les exigences en capital issues de Solvabilité II présentent un caractère procyclique dangereux qu'il faut corriger ; normalement, la dégradation du ratio de solvabilité avec la conjoncture macroéconomique devrait pouvoir être absorbée par le capital mis de côté par les assureurs ; il n'y a aucune raison de penser que le capital ne puisse absorber que les chocs intrinsèques et pas les chocs macroéconomiques, comme le postule la règle de Solvabilité II qui veut que la marge de solvabilité soit respectée en tout temps, quelle que soit la situation conjoncturelle. En pratique, les exigences en capital devraient être modulées en fonction de la conjoncture, élevées en sommet de conjoncture lorsqu'il est aisé de trouver du capital, modérées en creux de cycle lorsque les marchés de capitaux se replient (Kessler, 2013).

L'adoption d'un standard comptable cohérent

Les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) actuelles ne correspondent pas à un bon standard comptable pour l'assurance. D'une part, elles ne sont pas cohérentes dans la mesure où elles appliquent des règles différentes et incohérentes à l'actif et au passif : pour simplifier, l'actif est comptabilisé en valeur de marché quand le passif est comptabilisé en standard local, en général en valeur comptable. En conséquence, elles donnent des indications sur la santé financière de l'entreprise, en l'occurrence sur son actif net et sur sa variation, qui sont très souvent en contradiction avec les indications données par la comptabilité économique de Solvabilité II censée apprécier la solidité financière. D'autre part, elles ne permettent pas de comparer les comptes d'entreprises d'assurance relevant de différents marchés nationaux, dans la mesure où ces différents marchés appliquent des normes comptables locales différentes à des passifs d'assurance similaires. En conséquence, le standard actuel ne permet pas de mettre correctement en concurrence les entreprises d'assurance européennes vis-à-vis des investisseurs et des clients soucieux d'apprécier la solidité financière de ces entreprises. La Commission européenne a un bon argument pour se contenter de la situation actuelle : l'International Accounting Standards Board (IASB), le normalisateur comptable indépendant, a repoussé d'année en année la parution d'un standard IFRS adapté pour les passifs d'assurance. Mais la situation n'est objectivement plus tenable et il devient urgent de mettre fin à cet état de fait insatisfaisant pour tout le monde : pour les assureurs, qui doivent déployer des trésors d'expertise et de pédagogie pour expliquer la rationalité économique sous-jacente de leurs comptes IFRS, et pour les investisseurs et les assurés, qui ont beaucoup de mal à extraire une information pertinente de ces comptes pour apprécier la solidité financière de l'entreprise dans laquelle ils veulent investir ou auprès de laquelle ils veulent souscrire un contrat d'assurance. Certains feront valoir que, grâce à Solvabilité II, nous disposons d'une approche économique cohérente des comptes des entreprises d'assurance et que cela devrait suffire. Mais cette approche économique reste une approche ad hoc qui n'a été ni validée, ni invalidée par le régulateur comptable. L'IASB s'est engagé à publier le nouveau standard en mai 2017 pour une mise en œuvre en 2021. Ce calendrier doit être impérativement tenu.

La construction d'un système prudentiel global

Le principe de mutualisation et de diversification qui est la raison d'être de l'assurance fait que celle-ci présente une inclination naturelle à l'internationalisation et à la globalisation. Toutefois on ne peut créer un grand espace financier fiable, cohérent et concurrentiel que si l'on est capable de créer un level playing field financier au sein de cet espace. L'existence de groupes d'assurance et de réassurance globaux devrait donc avoir pour contrepartie un système prudentiel mondial, à des fins de cohérence et de comparabilité entre ces différents acteurs. L'International Association of Insurance Supervisors (IAIS), à la demande du Financial Stability Board (FSB), a commencé à cette fin le développement d'un standard d'exigences en capital pour les plus grands groupes internationaux, l'insurance capital standard (ICS). Il a par ailleurs développé des exigences en capital spécifiques, à savoir le basic capital requirement (BCR) et le higher loss absorbency (HLA), pour les assureurs globaux qui ont été désignés comme systématiquement importants par le FSB. À ce stade, neuf assureurs ont été désignés systémiques, ou G-SII (global systematically important insurers) : Aegon, Allianz, American International Group, Aviva, Axa, MetLife, Ping An Insurance (Group) Company of China, Prudential Financial et Prudential.

Le principe d'une supervision globale, avec des standards d'exigences en capital partagés par l'ensemble des grands acteurs mondiaux est en soi pertinent. Toutefois la manière dont l'établissement de ces standards est effectué soulève plusieurs problèmes qui doivent être corrigés. Tout d'abord, il est utile de rappeler que l'assurance n'est intrinsèquement pas systémique ! La transposition de ce concept du monde bancaire au monde assurantiel est à mon sens non pertinente et même dangereuse, car elle méconnaît le rôle fondamental que joue l'assurance dans la résilience et la stabilité des économies. La construction de l'ICS à ce stade soulève elle aussi des questions importantes et légitimes. D'une part, l'ICS est développé comme un standard minimum, ce qui signifie que l'on pourrait aboutir à une accumulation de couches prudentielles, locales et internationales. Cela est bien évidemment contraire au principe même de comparabilité et de cohérence que l'on cherche à accomplir. D'autre part, le développement de l'ICS reste à ce stade rigide et ne tient pas compte des spécificités de certains produits ou de certaines activités : à titre d'exemple, l'utilisation du modèle interne pour le calcul de l'ICS n'a pas encore été considérée, alors qu'il s'agit d'un outil fondamental pour quantifier précisément les risques et leur diversification, en particulier pour les réassureurs. La conception d'un standard prudentiel global n'a de sens que si elle capitalise sur les acquis en la matière de Solvabilité II, qui constitue à ce jour le standard prudentiel le plus complet et le plus cohérent. De ce point de vue, l'Europe a donc un rôle fondamental à jouer.

L'assouplissement des conditions d'accès aux données personnelles

La législation européenne, contrairement à la législation américaine par exemple, rend très difficile, si ce n'est impossible, l'accès aux données individuelles, indépendamment de toutes garanties quant à l'usage et à la protection de ces données. Ce problème d'accès n'est pas d'une grande importance tant qu'il s'agit d'informations auxquelles l'assuré n'a lui-même pas accès ou qu'il ignore. Il devient en revanche très sérieux dès lors qu'il s'agit d'informations auxquelles l'assuré a accès, qu'il connaît et qui portent sur des éléments déterminants de son profil de risque. Dans ce cas de figure, l'assureur est en asymétrie d'information par rapport à l'assuré, qui est mieux informé que lui sur son profil de risque. Cela favorise un phénomène d'antisélection : l'assureur n'est plus capable de trouver un prix qui lui permette d'attirer à la fois les « bons » et les « mauvais » risques pour les mutualiser, car les « bons » risques sont dissuadés de souscrire le même contrat que les « mauvais » risques. La hausse des tarifs non seulement ne permet pas d'éliminer cette antisélection, mais aussi elle la renforce. Ce problème d'accès aux données individuelles est d'autant plus aigu que cette législation s'applique à l'ensemble de l'Union européenne. Si l'on ne veut pas voir disparaître des pans entiers de l'assurance, il faut que l'assureur puisse avoir accès aux informations connues de l'assuré sur son profil de risque de façon à ne mutualiser que les risques qui ne sont pas connus, et donc pas encore réalisés, et à différencier correctement les tarifs pour les autres risques qui sont connus. La vraie question n'est pas d'interdire cet accès aux données personnelles, mais de s'assurer qu'il n'en sera pas fait un mésusage, en l'occurrence un usage qui va au-delà de la tarification du contrat d'assurance concerné, et que ces données seront protégées contre des intrusions éventuelles. Notre expérience aux États-Unis nous montre que cela est possible pour le plus grand bénéfice des assurés.

La remise en cause de l'euro
et du marché unique pénaliserait les assurés

Si les assureurs et les assurés peuvent légitimement attendre des bénéfices importants de l'approfondissement du marché unique de l'assurance, ils doivent à l'inverse s'attendre à des coûts extrêmement élevés d'une remise en cause du marché unique et de l'assurance. Celle-ci peut prendre la forme d'une remise en cause de la liberté des mouvements de capitaux, voire d'une sortie de l'euro. Elle peut aller plus loin et concerner les règles prudentielles laborieusement élaborées au cours des vingt dernières années, mais cette évolution, qui interviendrait fatalement, devrait prendre néanmoins plus de temps. La remise en cause du marché unique et de l'euro serait coûteuse pour les assurés à la fois parce que des risques qui avaient disparu réapparaîtraient, que la diversification des risques serait plus limitée et que la concurrence entre les assureurs serait réduite.

La baisse des gains de diversification

La remise en cause de la liberté des mouvements de capitaux rendrait beaucoup plus difficile la réalisation de nouveaux gains de diversification en Europe, tant à l'actif qu'au passif. Ce faisant, elle mettrait les localisations européennes sur un pied d'égalité avec les localisations asiatiques ou moyen-orientales, sachant que les localisations européennes pâtissent d'ores et déjà de perspectives de croissance beaucoup moins attrayantes. De fait, la remise en cause de la liberté des mouvements de capitaux agirait comme une incitation à la déseuropéanisation au profit de l'internationalisation et comme une incitation à une prise de risque accrue, sachant que les économies asiatiques et moyen-orientales présentent beaucoup moins de garanties, et de moins bonne qualité, que les économies européennes. Au final, la diversification des entreprises d'assurance européennes en pâtirait.

La hausse des primes de risque

La sortie de l'euro, quant à elle, ferait disparaître les grands bénéfices que les assureurs et les assurés ont tirés de l'euro. Grâce à l'euro, les assureurs ont pu diversifier leurs portefeuilles de passifs et d'actifs, en prenant des risques dans d'autres économies de la zone euro sans prendre de risque de change. L'euro a très fortement réduit les coûts de la diversification au sein de la zone euro pour les assureurs. Et la crise des dettes souveraines a montré tout l'intérêt pour les assureurs de pouvoir placer une partie de leurs actifs en dehors du pays dans lequel ils ont souscrit les risques que ces actifs couvrent. La remise en cause de l'euro réactiverait un risque de change qui n'existe plus aujourd'hui et accroîtrait les risques associés à la diversification des entreprises d'assurance au sein de la zone euro. Combinée avec la remise en cause de la liberté des mouvements de capitaux, qu'elle présuppose, elle accroîtrait significativement les primes de risque sur les affaires en Europe, y compris pour les affaires réalisées dans les pays européens proches économiquement, socialement et politiquement de la France…, une stratégie économique et politique pour le moins curieuse et certainement opposée aux intérêts des assureurs français !

La baisse de la concurrence et la hausse des tarifs

Naturellement les partisans de cette stratégie feraient valoir que ce qui leur importe n'est pas tant l'intérêt des assureurs français que celui des assurés français. Mais, en l'occurrence, les intérêts des assureurs et des assurés convergent. En effet, les entreprises d'assurance françaises qui ont constitué des groupes paneuropéens verraient non seulement la qualité de la diversification de leurs passifs et de leurs actifs se dégrader et leurs primes de risque s'accroître, mais aussi elles verraient la concurrence de leurs homologues européens diminuer, puisque les acquisitions transfrontalières et la gestion des filiales seraient rendues beaucoup plus difficiles, surtout au sein de la zone euro. Normalement, toutes choses égales par ailleurs, il ne pourrait en résulter qu'une hausse des tarifs des contrats d'assurance en France, combinée à une baisse de qualité de ces contrats. L'assuré et l'épargnant français seraient les grands perdants de cette stratégie. Leur seul réconfort serait qu'ils ne seraient pas les seuls perdants et que tout le monde en Europe serait aussi perdant …, maigre consolation !

Conclusion

Le marché unique de l'assurance et l'euro ont changé assez fondamentalement les conditions d'exercice du métier d'assureur. Ils ont renforcé la sécurité des entreprises d'assurance par le biais d'une meilleure reconnaissance des spécificités du métier d'assureur et par le biais d'exigences prudentielles en capital mieux adaptées à leur profil de risque. Ils ont ouvert des opportunités de diversification nouvelles et bénéfiques. Ils ont réduit les coûts d'exploitation de ces opportunités, notamment en termes de risque de change. Enfin ils ont accru la concurrence sur les marchés d'assurance nationaux, pour le plus grand bénéfice des assurés. Toutefois des progrès importants restent à faire pour achever le marché unique de l'assurance en Europe, notamment la création d'une supervision assurantielle au niveau européen – à la condition qu'elle soit différenciée de la supervision bancaire –, l'assouplissement des conditions d'accès aux données individuelles, l'adoption d'un standard comptable cohérent ou encore la correction de la formule standard de Solvabilité II. Ce qui veut dire que l'assurance n'a pas besoin de moins d'Europe, mais de plus d'Europe !


Bibliographies

Bachellerie A., Charavel C. et Pfister C. (2016), « La destination finale des placements financiers des ménages avant et pendant la crise », Banque de France, Bulletin, n° 205, mai-juin, www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Bulletin-de%20la-Banque-de-France/BDF205_4_Plactsfi-menages.pdf.
Commission Européenne (2017), Accelerating the Capital Markets Union: Addressing National Barriers to Capital Flows, rapport, https://ec.europa.eu/info/files/170227-report-capital-barriers_en.
FFA (Fédération française de l'assurance) (2016), Statistiques internationales de l'assurance française en 2014.
Kessler D. (2013), « La gestion optimale du capital en assurance », Banque & Stratégie, Revue Banque, n° 310, www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Bulletin-de%20la-Banque-de-France/BDF205_4_Plactsfi-menages.pdf.