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 Prévention, traitement et résolution des crises bancaires


Thierry DISSAUX Président du directoire, Fonds de garantie des dépôts.
Jean-François LEPETIT Ancien président, Conseil des marchés à terme (CMT), Conseil des marchés financiers (CMF), Commission des opérations de Bourse (COB), Conseil national de la comptabilité (CNC) ; administrateur, BNP Paribas.

La présente réflexion préconise une approche délibérément sélective à l’égard des différents instruments examinés par la communauté internationale pour mieux prévenir, traiter et résoudre les crises bancaires systémiques. Avec le souci d’offrir au régulateur bancaire une capacité d’intervention très large sans que ceci ne vienne stériliser préventivement l’activité bancaire, Jean-François Lepetit et Thierry Dissaux recommandent l’utilisation à titre principal d’un « bail in statutaire » sur la seule dette senior des établissements.Au-delà, ils insistent sur la nécessité d’adopter une approche globale à l’égard de l’ensemble des mesures actuellement envisagées pour prévenir les risques systémiques ; mais tout autant sur le besoin de mettre en place en France dès à présent les moyens permettant d’observer et d’identifier en amont le développement des risques systémiques futurs sur les marchés et l’activité financière.

Surcharge systémique, capital contingent, bail in contractuel, bail in statutaire, pouvoirs de résolution, fonds de résolution, living wills (testaments bancaires) sont, outre les mesures prudentielles déjà définies par le Comité de Bâle, autant de pistes mises en avant par les différentes instances internationales concernées (G20, Fonds monétaire international – FMI –, Conseil de stabilité financière – CSF –, Comité de Bâle, Commission européenne) pour tâcher de diminuer le risque des crises bancaires et en faciliter le traitement, tout en limitant au maximum l’appel à la puissance publique et aux contribuables.

La variété de ces approches, leur cumul et leur traitement plus ou moins coordonné entre instances proches mais distinctes appelaient à une réflexion d’ensemble. En prévision des négociations internationales, le ministre en charge de l’économie nous a confié la mission d’élaborer sur le sujet, à l’usage des Pouvoirs publics, en liaison avec la place de Paris, une position française cohérente et argumentée telle :

  • qu’elle réponde aux objectifs de la France de faire en sorte qu’une crise financière comme celle de 2007-2009 ne se reproduise pas et qu’à défaut, elle soit gérée sans mettre en danger l’économie, les intérêts des épargnants et les finances publiques ;
  • que simultanément, la solidité et la capacité des établissements de crédit à financer l’économie dans les meilleures conditions ne soient pas inutilement altérées et que ces établissements puissent continuer à soutenir au mieux la croissance française.

Cet article, qui porte sur le traitement des crises systémiques, s’appuie sur les conclusions du rapport remis par Jean-François Lepetit au ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie le 14 avril 2010 (cf. annexe). Sur une matière particulièrement mouvante et sur laquelle la réflexion pourra évoluer au fil des discussions à venir, il s’agit ici de proposer une ligne de conduite et d’argumentation directement opérationnelle sur les principaux sujets en cours d’examen dans les instances internationales liés à la prévention et au traitement des crises bancaires systémiques.

Surcharge systémique

La surcharge systémique consiste en la mise en place d’une exigence prudentielle accrue pour les établissements présentant un risque systémique. Il s’agit d’une idée simple, mais défectueuse. Dès lors qu’un mécanisme comme le bail in est utilement mis en place pour contenir le hasard moral, l’instauration d’une surcharge systémique vient rompre l’égalité de concurrence entre établissements selon une catégorisation ex ante et contestable de ces derniers (leur « caractère systémique ») et en affectant davantage ceux qui se refinancent de manière conventionnelle que ceux qui exportent le risque systémique vers le secteur financier non régulé via la titrisation.

Toute décision de principe visant à s’engager dans la voie d’une surcharge systémique doit donc être au mieux écartée, au pire reportée à l’issue d’un examen global de l’ensemble des instruments de traitement envisagés. De même, la constitution d’une liste a priori des « établissements systémiques » ne correspond pas à la réalité qui relève plutôt de « situations » et « d’activités » systémiques que de la nature des établissements.

Mécanismes d’absorption des pertes (loss absorbency) : principe

Il s’agit de prévoir la possible réduction ou conversion en capital d’instruments de dette bancaire dans des situations de crise, ce qui doit répondre à trois objectifs :

  • contenir le hasard moral dont ont bénéficié jusqu’ici les créanciers des établissements systémiques ;
  • éviter l’appel au contribuable ;
  • se traduire ipso facto par un coût de refinancement supérieur, évalué par le marché, pour les établissements jugés les moins solides (libre alors à ces derniers, hors toute surcharge systémique, de rassurer les investisseurs en accroissant leurs fonds propres).

Sur le principe, la mise en place de tels instruments mérite donc d'être soutenue. En revanche, il faut en définir préalablement les modalités et l’assortir d’une condition impérative : cette possibilité ne doit, dans la très grande majorité des cas, aucunement excéder le champ de la dette junior (dette subordonnée, supersubordonnée…). Les créanciers senior, c’est-à-dire chirographaires (créanciers interbancaires, obligataires, déposants…), ne peuvent être intégrés dans ce dispositif, sauf à le rendre inopérant, pour ne pas dire dangereux. Si le but du traitement de crise est bien de sauver l’établissement (going concern), y attraire les créanciers senior conduirait, à l’inverse, à paralyser immédiatement le fonctionnement de la banque (run des déposants, paralysie de l’interbancaire…) et à provoquer sa chute à la première rumeur de crise, fondée ou non. Procéder différemment conduirait à regarder l’intégralité du passif bancaire concerné comme subordonné ou subordonnable, avec les risques de fragilisation accrue et de dégradation de la rentabilité qui s’ensuivraient pour le secteur. L’éligibilité même des titres de banque au refinancement de l’Eurosystème pourrait être mise en doute. Les premières réactions recueillies auprès des investisseurs soulignent le risque élevé d’étiolement de la dette de marché senior, essentielle au refinancement des banques, au profit des instruments sécurisés (covered bonds) ou de la sortie de bilan (titrisations).

À noter qu’en dehors du cas d’Anglo Irish Bank (sujet à traiter sans doute de manière séparée en termes d’ampleur des pertes, mais aussi de stratégie de développement et de contrôle par les autorités de régulation), il semble qu’aucune crise de banque régulée n’aurait nécessité depuis 2007 une conversion au-delà de la dette junior pour rétablir les ratios de « core tier 1 » aux niveaux requis.

La situation de la dette senior ne peut être regardée différemment que dans le cas d’une dissolution ordonnée (disparition de l’entité juridique ou économique préexistante) mise en œuvre dans le cadre d’un régime spécial de résolution.

Mécanismes d’absorption des pertes : modalités en going concern

Ces mécanismes d’absorption des pertes, parfois génériquement qualifiés de bail in, recouvrent des instruments très différents :

  • les titres de capital contingent, dont le déclencheur de réduction ou de conversion, automatique, est paramétré à l’émission (le seuil d’un ratio prudentiel, par exemple) ;
  • les titres de bail in contractuel, dont le déclenchement, tel qu’inscrit au contrat, est laissé à la main du régulateur ;
  • le bail in statutaire, correspondant à un pouvoir reconnu par la loi à l’autorité prudentielle, après réduction à zéro des droits des actionnaires existants, de réduire ou de convertir une partie du passif bancaire dès lors qu’elle estime que cela est nécessaire à la survie de l’établissement.

S’agissant du capital contingent et du bail in contractuel, il apparaît en principe souhaitable de ne considérer l’émission de ces instruments que comme une simple faculté à la disposition des banques. En revanche, il ne semble pas opportun d’accepter que ces instruments puissent être imposés sur le plan prudentiel pour augmenter la capacité d’absorption des pertes des institutions systémiques. Ils présentent en effet un paramétrage extrêmement complexe (notamment le bail in contractuel dans lequel le pouvoir de conversion repose sur des bases indéterminables a priori et pour lequel les clauses pourraient fortement varier d’un contrat et d’une juridiction à l’autre) et seront sans doute très difficiles à noter, tandis que la base d’investisseurs pour y souscrire a toutes les chances d'être fort étroite.

Surtout, on peut douter qu’ils apportent une véritable solution : leur masse serait sans doute trop limitée pour fournir une réserve prudentielle significative ; leur complexité pourrait se prêter aisément à contentieux, empêchant une application effective dans l’urgence ; enfin, même en cas de succès, leur conversion en capital se traduirait par l’entrée d’investisseurs nouveaux (hedge funds, distressed funds) dont l’objectif pourrait se heurter à celui de l’autorité prudentielle et à l’intérêt public.

Au total et dans l’état présent de l’analyse, de tels mécanismes de marché ne pourraient à eux seuls constituer une solution à une situation qui exige de toute façon l’intervention de l’autorité de résolution. En revanche, le bail in statutaire, limité comme indiqué à la dette junior, doit pouvoir constituer un instrument adéquat et pourrait en principe être privilégié dès lors que les deux conditions suivantes seraient remplies :

  • obligation fixée à l’échelle internationale, ou a minima européenne, de mise en place dans les lois nationales d’un dispositif de bail in statutaire et définition harmonisée de ses modalités de fonctionnement ;
  • pleine reconnaissance du bail in statutaire comme un instrument permettant de satisfaire la capacité supplémentaire d’absorption des pertes susceptible d'être exigée des institutions systémiques. Dans le cas où le bail in statutaire ne pourrait être reconnu comme un tel instrument, il pourrait être envisagé de recourir à du bail in contractuel adaptant ses modalités de telle manière qu’il s’apparente en pratique à du bail in statutaire (inscription d’une clause de bail in dans les contrats d’émission sur une base parfaitement standardisée au niveau international).

À noter que le bail in statutaire devrait nécessiter une adaptation propre aux établissements mutualistes pour lesquels il pourrait conduire à une désagrégation de la structure capitalistique. À cet égard, on peut souligner que se fait jour, à partir des émissions de capital contingent déjà réalisées, l’idée d’une préférence des investisseurs pour des titres de dette susceptibles d'être réduits et affichant un plafond de pertes plutôt que pour des titres convertibles en actions de plein exercice en cas de difficultés.

Mécanismes de résolution, fonds de résolution

Le traitement des crises bancaires, notamment systémiques, requiert sans conteste des outils complémentaires entre les mains de l’autorité de résolution : celle-ci doit pouvoir intervenir rapidement sur un établissement, mettre en œuvre une augmentation de capital, une cession d’actifs ou de fonds de commerce, une restructuration et jusqu’au démembrement de l’établissement (good bank, bad bank, bridge bank). Elle doit pouvoir aussi recourir, le cas échéant, à la force de frappe que constitue un fonds de résolution.

Pour des raisons de droit, d’efficience et d’égalité de concurrence, ces mécanismes doivent :

  • être mis en place au travers du droit européen (ou au-delà) ;
  • n'être contestables devant les tribunaux que sous forme indemnitaire (pas de remise en cause du fond) ;
  • respecter les bases du droit de propriété et la hiérarchie des créances ;
  • tout en permettant un traitement différencié entre créances de même rang (par exemple, dépôts ou passifs liés à un fonds de commerce, d’une part, obligations, d’autre part).

En conséquence, la résolution ne pourra être menée que pour autant qu’aucun créancier ne sera moins bien traité que dans le cas d’une liquidation pure, ou qu’il sera indemnisé en tant que de besoin. Dans ce seul cadre d’une dissolution ordonnée, et pour la partie d’un établissement traitée de cette manière, une réduction/conversion de dette allant au-delà des créances junior est par ailleurs, le cas échéant, envisageable.

Parce que des systèmes d’indemnisation, c’est-à-dire d’ajustement entre créanciers de même catégorie, devront être prévus, ou parce qu’il pourra s’agir de transférer les dépôts vers une entité saine ou encore de capitaliser une bridge bank, l’utilisation de financements préconstitués pourrait être nécessaire, et donc la mise en place de fonds spécifiques (de résolution).

Aujourd’hui, les fonds de garantie des dépôts sont déjà utilisés pour financer ex post, et pour certains ex ante, le coût de tout ou partie d’une crise bancaire. Pour des raisons d’efficience et de proximité, il sera nécessaire :

  • que les fonds de garantie des dépôts acquièrent les pouvoirs d’intervention préventive leur permettant de remplir la fonction des fonds spécifiques évoqués ci-dessus ;
  • d’exclure la constitution de fonds de résolution parallèlement aux fonds de garantie existants.

Au niveau communautaire, cela doit conduire à globaliser les discussions sur les mécanismes de résolution et sur la refonte de la directive relative à la garantie des dépôts. À noter que pour la France, les ajustements requis par rapport aux pouvoirs existants de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et du Fonds de garantie des dépôts seront limités. Mais ils seront déterminants, notamment le pouvoir reconnu à l’ACP de réduire les dettes d’un établissement.

Les living wills

Le sujet des living wills, susceptibles de décrire ex ante les possibilités de démembrement d’un établissement défaillant, apparaît très structurant pour les établissements bancaires et doit susciter pour le moment une grande prudence, dans la mesure où l’un des objectifs affichés de certains de leurs promoteurs est d’en faire un levier pour obtenir une modification de la structure des groupes transfrontières. Une telle modification ne plaide pas nécessairement en faveur du modèle français qui est pourtant l’un de ceux qui a le mieux résisté à la crise.

Les livings wills peuvent certes prétendre faciliter le démantèlement d’un groupe bancaire en cas de crise et sont sans doute relativement faciles à imaginer pour des établissements dont les différents métiers sont filialisés et donc relativement détachables. Mais on peut s’interroger sur la faisabilité effective de cet instrument face à des crises qu’il sera toujours difficile de prévoir. Il risque également de remettre en cause la centralisation de la trésorerie des établissements. Une fuite de ces documents en dehors du cercle des superviseurs pourrait être catastrophique pour l’établissement concerné. La gestion même de la communication d’un living will d’un superviseur home à un superviseur host n’est pas non plus sans soulever des questions. Enfin, rien n’empêche a priori un superviseur bancaire aujourd’hui d’avoir déjà ce type de dialogue avec les établissements qu’il contrôle.

En résumé, notre réflexion conduit à recommander pour la suite des débats européens et internationaux :

  • l’exclusion d’une surcharge systémique ;
  • un accord de principe sur la mise en place de mécanismes d’absorption des pertes en continuité d’exploitation (going concern), dès lors que les instruments de capital contingent et de bail in contractuel garderaient un caractère simplement facultatif, que le bail in statutaire serait pleinement reconnu comme un instrument permettant de réduire les risques liés aux institutions systémiques et que ce même bail in statutaire resterait limité au champ des créanciers subordonnés (junior). La réduction de dette senior serait ainsi exclue. Elle ne serait envisageable que dans le cadre de la dissolution ordonnée d’un établissement (gone concern), ne relevant pas de la continuité d’exploitation ;
  • l’instauration de pouvoirs nouveaux au profit de l’autorité prudentielle pour imposer une augmentation de capital ou démembrer un établissement ;
  • une extension correspondante des possibilités d’intervention des fonds de garantie des dépôts et le refus de la constitution de fonds de résolution parallèles ;
  • une attitude de prudence sur le sujet des living wills.

À ce stade des discussions, il convient enfin de mettre en avant trois constats essentiels.

Le cumul des différentes mesures envisagées par la communauté internationale pour mieux prévenir et gérer les crises bancaires constitue en soi un redoutable défi pour le secteur bancaire et un très fort sujet d’inquiétude. Aux mesures évoquées ici s’ajoutent en effet le renforcement des exigences prudentielles (Bâle III), l’augmentation de la taille des fonds de garantie des dépôts, une refonte en Europe des mécanismes de garantie des investisseurs (assortie d’une croissance très marquée de la taille des fonds de garantie correspondants) ainsi que les projets de taxe bancaire.

Les différentes mesures envisagées, notamment celles portant sur le relèvement des exigences de solvabilité, à titre systémique ou non, mais aussi toutes celles qui impactent le refinancement des banques pousseront à l’accroissement de la fragmentation des bilans bancaires (covered bonds, obligations foncières ou à l’habitat) et du hors bilan (titrisations). Elles conduiront donc à remettre en cause le mode de financement de l’économie en Europe continentale, au profit d’un mode de financement de type anglo-saxon, et à déplacer vers le secteur financier non régulé (shadow banking system) une partie du risque systémique que l’on cherche à combattre.

Ceci soulève d’autant plus la question du contrôle du risque systémique au sein du système non régulé. Le sujet des institutions bancaires et du risque systémique qu’elles portent relève en partie d’une réflexion plus générale encore sur la régulation. La plupart des mesures examinées défrichent insuffisamment le volet essentiel de la prévention. Or celle-ci ne passe pas seulement par la surveillance individuelle des établissements. Elle suppose aussi et plus encore une vision globale du marché et des risques qui s’y créent. Cela renvoie notamment à la mise en place de capacités d’observation, d’analyse et d’évaluation des activités de marché à caractère systémique afin de pouvoir identifier les évolutions des risques macrofinanciers ou de liquidité. Cela renvoie également à une réflexion quant à la place que doivent occuper dans les équilibres financiers les dépôts bancaires, d’un côté, et les OPCVM monétaires, de l’autre côté, et, par là, aux responsabilités respectives du régulateur de marché (Autorité des marchés financiers – AMF) et du régulateur prudentiel (ACP) ainsi qu’à la coordination de leur action.


Annexe

RÉSUMÉ DU RAPPORT SUR LE RISQUE SYSTÉMIQUE (AVRIL 2010) DE JEAN-FRANÇOIS LEPETIT

Le risque systémique est un risque de dégradation brutale de la stabilité financière, provoquée par une rupture dans le fonctionnement des services financiers et répercutée sur l’économie réelle. Le FMI, la Banque des règlements internationaux (BRI) et le CSF ont relevé en novembre 2009 que la taille, l’interdépendance et l’absence de substituabilité constituent trois critères pertinents pour identifier les institutions financières susceptibles d'être mises en difficulté par une crise systémique et de propager ces difficultés vers d’autres acteurs.

Le risque systémique est le résultat d’une accumulation de risques qui ne sont pas correctement approchés par les dispositifs existants de gestion des risques, de régulation et de contrôle au sein du secteur financier. S’agissant d’une accumulation de risques, il est par nature évolutif. Il est alors inadapté de réduire son analyse à une liste figée d’institutions financières systémiques. Ces risques n’étant pas appréhendés par le secteur financier, ils ne sont pas non plus correctement tarifés. Par conséquent, ils sont la source de rendements anormaux. La crise permet d’illustrer ce phénomène avec des exemples concrets.

Des failles dans la régulation peuvent conduire à la mauvaise prise en compte de certains risques. La régulation prudentielle encadre, par exemple, l’activité de transformation des banques (c’est-à-dire le financement d’actifs de long terme pour partie avec des financements de court terme) en imposant le respect de règles de sécurité (ce sont les règles prudentielles qui fixent notamment des exigences de fonds propres). La titrisation permet de réaliser la même activité, mais sans avoir à respecter ces règles prudentielles, d’où une sous-tarification des risques.

À l’inverse, certaines activités semblent adéquatement tarifées par les régulateurs. Ainsi, la régulation des activités de crédit aux entreprises et aux ménages et des activités d’assurance ne semble pas aujourd’hui inciter à l’accumulation excessive de risques.

Au-delà de ces failles réglementaires, certains risques ne peuvent pas être capturés par la régulation traditionnelle ou les politiques de gestion des risques. Ainsi, la modélisation des risques qui sous-tend la régulation microprudentielle et les politiques de gestion des risques ne peut pas correctement prendre en compte les événements extrêmement rares dont la matérialisation du risque systémique fait partie. Par exemple, un modèle de value at risk (VaR), utilisé pour mesurer les risques de marché, ne permet pas de refléter de manière adéquate les risques de pertes extrêmes ou de liquidité.

Cette problématique est particulièrement prégnante pour les activités de marché notamment de gré à gré (over-the-counter – OTC), mais aussi pour certaines activités de gestion d’actifs (stratégies d’investissement dans des produits complexes par les hedge funds ou la gestion d’actifs).

Agir pour prévenir le risque systémique

La priorité est de supprimer les failles de régulation qui permettent le développement du risque systémique. Les chantiers de régulation engagés par le G20 poursuivent cet objectif ; ils doivent être menés à leur terme. L’obligation de rétention par l’originateur d’une titrisation d’une fraction des risques titrisés à son bilan doit être généralisée ainsi que l’obligation de consolidation comptable et prudentielle des véhicules de titrisation. L’obligation de recourir à des chambres de compensation pour les produits dérivés doit permettre d’harmoniser les conditions de prise en compte des risques de contrepartie sur ces marchés. L’augmentation des exigences de fonds propres au titre des activités de marché doit permettre une meilleure tarification des risques attachés à ces activités. La communauté internationale doit également se donner les moyens de surveiller l’accumulation des risques : la transparence des marchés OTC et l’introduction d’un reporting des hedge funds à destination des autorités de supervision sont à cet égard essentielles.

Au-delà des failles à combler dans la régulation, la communauté internationale doit se doter d’une supervision capable de surveiller l’accumulation des risques qui ne sont pas appréhendés par la supervision microprudentielle. Au niveau international, le CSF doit être clairement mandaté à cet effet. Le contenu de la supervision systémique doit être précisé : celle-ci ne doit pas se limiter à un suivi macroéconomique, mais doit permettre une surveillance de l’ensemble des marchés et des acteurs pour identifier les zones d’accumulation de risques. Le suivi des conditions de concurrence est une dimension essentielle de la supervision systémique parce que les positions dominantes d’institutions financières peuvent entraîner des prises de risques excessives.

Pour prévenir le risque systémique, les superviseurs microprudentiels doivent également disposer d’outils leur permettant d’agir de façon ponctuelle et temporaire. Envisagées à titre permanent, certaines mesures de prévention du risque systémique – surcharges prudentielles ou restrictions d’activités – pèseraient excessivement sur l’activité du secteur financier. Il est préférable de prévoir des capacités de réaction ponctuelle des superviseurs, par exemple dans le cadre du pilier 2 des règles du Comité de Bâle, comme la pénalisation de certaines activités si elles conduisent à l’accumulation de risques. Cette pénalisation peut intervenir par la tarification (surcharges prudentielles) ou par la limitation des volumes (restrictions d’activités ou de taille).

Créer une taxe pour réduire le risque systémique

Le risque systémique n’est pas appréhendé par les dispositifs existants de gestion des risques, de régulation et de contrôle au sein du secteur financier. Certaines activités dégagent en conséquence des rendements et des profits anormaux qui ont pour contrepartie un coût pour la société le jour où le risque systémique se réalise. Autrement dit, elles présentent des externalités négatives pour nos économies. Il est proposé de les taxer afin de réduire ces externalités.

Assiette : la taxe doit cibler les activités qui sont source de risque systémique

Pour réduire les externalités, la taxe doit viser les activités qui en présentent. Plusieurs assiettes ne conviennent pas parce qu’elles ciblent de façon indiscriminée les activités avec et sans externalités :

  • prendre pour assiette le passif de marché des institutions financières. L’endettement de ces dernières ne cible pas les comportements à risques. Ainsi, la dette d’une banque peut aussi bien servir à financerdu crédit aux entreprises qu’une position sur les marchés. Cette assiette pénaliserait également le modèle d’intermédiation bancaire par rapport aux économies qui ont fortement recours aux financements de marché ;
  • prendre pour assiette les actifs pondérés par les risques. Celle-ci refléterait alors exactement la pondération des risques mesurée par la régulation microprudentielle (Bâle II). Or la régulation systémique vise précisément à couvrir le risque systémique qui n’est déjà pas appréhendé par la régulation microprudentielle. Sa mise en œuvre sur un champ large apparaît difficile puisque les pondérations établies par le Comité de Bâle ne concernent que les banques. Limiter l’assiette aux actifs pondérés par les risques sur les seules activités de marché permettrait de la rendre plus cohérente avec l’objectif et de ne viser que les activités présentant des externalités.

L’assiette la plus pertinente semble être constituée des instruments dont la valorisation repose sur des modèles et dont la liquidité est incertaine, c’est-à-dire les instruments correspondant aux catégories comptables 2 et 3 du portefeuille de négociation. Ces instruments se distinguent de ceux de niveau 1 qui sont cotés et dont le prix est directement observable sur un marché actif. Le recours à cette assiette semble permettre une bonne approximation du risque systémique. Cette approche est complémentaire de la régulation microprudentielle parce que les instruments à la liquidité incertaine et dont la valorisation dépend intensivement de modèles concentrent les risques de mauvaise tarification prudentielle. Cette assiette présente également le mérite d'être universelle et d’offrir un certain nombre de garanties (audits et normes internationales en la matière, notamment).

Pour être efficace dans son rôle de réduction du risque systémique, la taxe devrait couvrir l’ensemble des institutions financières, qu’elles soient régulées ou non.

Afin de préserver l’égalité des conditions de jeu, l’objectif, le champ, l’assiette et le taux de la taxe devraient être définis et approuvés au niveau international. Sa mise en œuvre ne doit pas créer de distorsions de concurrence entre les différents systèmes bancaires et financiers. Elle devra se faire au niveau consolidé de chaque entité redevable en tenant compte des responsabilités de supervision.

La taxe doit permettre de réduire les externalités sans entraver le financement de l’économie. Compte tenu de l’ampleur des chantiers de régulation financière en cours, la mise en œuvre d’une taxation du secteur financier devrait faire l’objet d’une étude d’impact globale mesurant les effets cumulatifs de la taxe, d’une part, et des nécessaires réformes prudentielles, d’autre part.

Une taxe sans contrepartie

La taxe a pour unique objectif de participer à réduire les externalités. C’est donc une taxe sans contrepartie dont le produit doit en conséquence être affecté au budget des États. En particulier, il ne s’agit pas d’un mécanisme d’assurance. L’abondement d’un fonds de résolution signalerait, au contraire, le droit des contributeurs à bénéficier d’une intervention en cas de difficultés.

Disposer d’outils efficaces pour résoudre les difficultés d’une institution financière

Les États doivent disposer d’outils efficaces pour résoudre les difficultés d’une institution financière et enrayer la propagation du risque systémique. En particulier, les autorités de supervision doivent disposer de pouvoirs renforcés d’administration provisoire pour prendre les mesures nécessaires à la réorganisation d’un groupe en difficulté en dehors des procédures collectives et du droit commun des actionnaires. Ces pouvoirs doivent faire l’objet d’un travail d’harmonisation au niveau international et européen. Si la constitution de fonds de résolution de grande ampleur doit être écartée, les capacités d’intervention préventive des fonds de garantie des dépôts existants doivent être renforcées.

En outre, l’Europe doit promouvoir la mise en place d’un cadre juridique européen facilitant les transferts d’actifs intragroupe et l’harmonisation des régimes juridiques de faillite des institutions financières.