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 Vivre (très) vieux avec les moyens requis : quels produits viagers ?


André MASSON Directeur de recherches, CNRS ; directeur d'études, EHESS, PSE-Chaire Tdte. Contact : amasson@pse.ens.fr.

L'allongement de l'espérance de vie, notamment aux âges élevés, depuis le milieu des années 1970 fait que le risque de longévité s'accroît à nouveau, avec l'incertitude affectant les pensions futures et les coûts croissants associés à la santé âgée et à la dépendance. Cette évolution inédite milite pour le développement des produits viagers acquis au cours de la retraite (rente, viager, prêt viager), aujourd'hui peu diffusés. Les solutions proposées passent par des formes rénovées de ces produits – rente ou crédit adossé contractés sur une durée déterminée, « viager mutualisé » ou viage, prêt-viager ciblé sur la dépendance –, dont le développement serait encore stimulé par une réforme originale des droits de succession. L'intervention de l'État pour réguler ces marchés s'avère indispensable, elle passe notamment par une codification des tables de mortalité et une protection spécifique des catégories modestes.

L'allongement inédit de l'espérance de vie, largement sous-estimé, a dans nos pays des conséquences majeures – sur l'épargne de cycle de vie et la composition du patrimoine, le financement de l'État-providence, les relations familiales entre générations, etc. – qui sont encore renforcées par le contexte actuel, marqué par une « patrimonialisation » accrue de nos sociétés et une croissance atone. En particulier, le risque de longévité, après avoir diminué après la guerre avec l'essor de la protection sociale, augmente à nouveau en raison notamment de l'incertitude affectant les pensions futures et des coûts croissants associés à la santé âgée et à la dépendance (première partie). Cette évolution milite pour le développement des produits viagers qui permettent de mieux couvrir les besoins de consommation des vieux jours sur une durée potentiellement plus longue, ainsi que les coûts accrus du maintien à domicile, de la santé et de la dépendance éventuelle. Les produits viagers différés, qui doivent être acquis tôt sur le cycle de vie (type Perp – plan d'épargne retraite populaire – ou Perco – plan d'épargne pour la retraite collectif –, en France), sont mal adaptés à la rationalité pratique des épargnants et à leurs capacités d'épargne à ces âges (deuxième partie). Les produits viagers immédiats, acquis à la retraite, qu'il s'agisse de la rente et, pour les propriétaires immobiliers, de la vente en viager ou du prêt-viager hypothécaire, sont peu prisés et ne conviennent guère mieux sous leur forme actuelle (troisième partie).

Quatre remèdes sont proposés. Le premier est une réforme des droits de succession qui suppose une taxation plus lourde et progressive des seuls héritages familiaux (quatrième partie), en vue de réduire le poids du patrimoine dans nos sociétés et de créer des conditions plus favorables à la diffusion des produits viagers immédiats. Les autres remèdes proposent des formes rénovées de ces produits : rente ou crédit adossé, contractés sur une durée déterminée (cinquième partie), viager mutualisé ou viage (sixième partie), prêt-viager ciblé sur la dépendance (septième partie). La conclusion insiste sur la nécessité de combiner ces différentes solutions en respectant un certain calendrier sur le cycle de vie.

Les effets de l'allongement de l'espérance de vie dans le contexte actuel

Le recul de la mortalité qui, aux âges élevés, n'intervient de manière continue qu'à partir du milieu des années 1970 dans les pays développés se combine sur la période à deux autres phénomènes de fond. Le premier est le ralentissement de la croissance pendant les « Trente Piteuses » (1978-2007 ?) et surtout depuis la crise de 2008 qui s'accompagne le plus souvent d'un chômage massif, de difficultés accrues d'insertion des jeunes, mais aussi de maintien en emploi des travailleurs âgés, d'une stagnation du pouvoir d'achat et d'un gonflement des dettes publique et sociale. Le second concerne la patrimonialisation croissante de nos sociétés depuis 1980, dont on peut distinguer trois composantes :

  • un poids de plus en plus important du patrimoine par rapport au revenu, à un niveau inconnu depuis la Belle Époque, et une reprise de la concentration du patrimoine, surtout au sein des 1 % ou 0,1 % les plus riches, après une baisse continue des inégalités de 1914 à 1980 (Piketty, 2013) ;
  • un retour de l'héritage, dont le poids dans la constitution des patrimoines s'accroît à nouveau au détriment de l'accumulation par soi-même – du talent, de l'effort ou du mérite1 ;
  • un patrimoine de plus en plus concentré entre les mains des seniors et des plus âgés, dont l'épargne s'apparente pour beaucoup à une réserve de valeurs peu risquées, investies en priorité dans les quasi-liquidités (livret A), les produits d'épargne longue (contrats d'épargne assurance) et l'immobilier. En France notamment, ce déséquilibre patrimonial croissant entre les âges s'observe pour le patrimoine immobilier – en raison des plus-values des années 2000 dont ont bénéficié les seniors propriétaires et du retard à l'accession à la propriété des jeunes ménages –, mais aussi pour le patrimoine financier. La situation française apparaît en outre tout à fait représentative de celle des pays de la zone euro (Arrondel et Masson, 2016).

Ces phénomènes à peu près concomitants entretiennent des liens complexes. Ainsi, la situation patrimoniale actuelle, outre qu'elle s'avère inéquitable au double plan inter et intragénérationnel, constitue-t-elle clairement un frein à la croissance, la masse inerte des actifs patrimoniaux possédés par les aînés empêchant de relancer la consommation et d'investir dans les innovations et les placements longs et risqués requis par le progrès technique. Mais on s'intéresse ici aux effets du recul de la mortalité qui dépendent du contexte actuel, créé par une croissance atone et une patrimonialisation croissante de nos sociétés.

Le risque (financier) de longévité s'accroît à nouveau

Le recul de la mortalité augmente le risque de longévité, c'est-à-dire le fait de se retrouver vieux et démuni, par différents canaux. Tout d'abord, il augmente les besoins à couvrir sur des vieux jours devenus plus nombreux, ainsi que le risque de dépendance qui augmente aux âges élevés – les coûts de dépendance, particulièrement importants et aléatoires, suivent les salaires (pas les prix). En outre, il met en péril la soutenabilité financière de l'État-providence, soumettant les pensions futures à un risque spécifique nouveau. Enfin, la couverture assurée par la famille est moins efficace : les enfants ne prennent plus leurs parents âgés à la maison, peuvent (ou veulent) rarement les aider financièrement et l'éloignement familial rend les aides en temps plus difficiles.

L'impact sur les relations entre générations au sein de la famille

La réception de l'héritage est de plus en plus tardive : en France, du fait des droits accrus accordés au conjoint survivant, on hérite en pleine propriété du patrimoine des parents à près de soixante ans en moyenne aujourd'hui, quand l'âge moyen de réception était encore de quarante ans dans les années 1950 ou 1960. Par conséquent, le déséquilibre patrimonial entre les âges évoqué plus haut a tendance à s'auto-reproduire.

Déjà évoquée, une certaine « crispation patrimoniale » des seniors (français) conduit ces derniers à « sur-épargner » pour leurs vieux jours en dépit d'une protection sociale plutôt généreuse – un comportement que renforcerait l'augmentation du risque de longévité et de ses effets. Le motif de transmission demeure souvent présent, mais il ne vient qu'en second, après la précaution de long terme et les besoins de consommation des vieux jours. Et il tend de plus en plus à prendre la forme d'un altruisme tempéré : cette motivation, qui peut motiver l'acquisition d'une assurance dépendance, enjoint les parents d'éviter de se retrouver à la charge des enfants ou de recourir à leur aide (financière). Cette évolution, due à l'augmentation du risque de longévité et à l'éloignement (géographique) des membres de la famille, est cependant variable selon le milieu social et difficile à mesurer précisément. On ne sait pas quand elle peut dégénérer en un égoïsme des parents transformés alors, selon la sociologie anglo-saxonne, en SkiersSpend your kids inheritance »).

En revanche, l'idée en vogue que l'allongement de la vie va multiplier le nombre des générations existantes n'est pas vérifiée : le recul de l'âge au premier enfant fait que la diffusion des familles à cinq générations demeure largement un mythe.

Une retraite divisée en plusieurs périodes où les besoins diffèrent ?

Le recul de la mortalité induit un allongement de la durée de la retraite qui peut être divisée sommairement en plusieurs périodes : (1) une retraite active en bonne santé, celle du « senior robuste », où l'on veut « profiter davantage de la vie » (voyages, loisirs) et où les projets de vie, immobiliers ou autres, peuvent jouer un rôle important ; (2) une période de « senior fragilisé », où les coûts du maintien à domicile deviennent significatifs et où les dépenses de santé peuvent augmenter ; éventuellement, (3) une période de dépendance « avérée », où la perte d'autonomie devient un problème crucial.

Les frontières entre ces sous-périodes sont bien sûr floues et arbitraires ; en outre, la dépendance avérée (GIR 1 ou GIR 2) – a priori irréversible – demeure un risque dont l'occurrence reste à soixante-cinq ans inférieure à 20 % (mais plus élevée dans les couches populaires). Mais ce découpage approximatif doit être gardé à l'esprit lorsqu'on considère les motivations diverses et le calendrier d'acquisition des différents produits viagers.

Le rôle accru de la propriété du logement

Désir largement partagé, la propriété du logement revêt de nouveaux attraits. Elle semble constituer une couverture idéale contre l'allongement de la durée de vie et les inquiétudes suscitées par l'avenir de l'État-providence (on a au moins l'assurance d'un toit). En outre, ce patrimoine immobilier peut, à la retraite, être liquéfié (vente en viager) ou mobilisé (prêt viager) si nécessaire.

L'inadéquation des produits viagers différés

La rente viagère différée (type Perp) est une épargne pour la retraite fiscalement avantagée dont l'offre présente certains défauts : la rente nominale perçue pendant la retraite n'est pas indexée sur les prix et son montant dépend de la table de mortalité des rentiers-vie, peu favorable aux épargnants et périodiquement révisée en fonction des gains d'espérance de vie. Cette table pénalise d'autant plus les hommes qu'elle n'est pas différenciée selon le genre. Mais la diffusion limitée de ces produits est d'abord imputable à la faiblesse de la demande, et cela sur deux plans.

La première raison vient de la rationalité pratique des épargnants (Masson, 2015b). Une rente différée pour la retraite doit être contractée tôt pour être rentable : les retours attendront vingt à trente ans et l'opération engage le client sur cinquante ou soixante ans – ce que l'on appelle l'« effet tunnel ». Elle convient mal à la rationalité des jeunes épargnants : leur impatience à court terme – temporellement incohérente (Laibson, 1997) – ne se satisfait pas d'un investissement à rapport lointain, leur préférence pour la flexibilité (Kreps, 1990) s'accorde mal avec l'irréversibilité de l'effet tunnel et leurs projets de vie actuels, immobiliers, familiaux et professionnels, qui mobilisent leurs ressources, ne vont leur laisser qu'une latitude limitée pour sécuriser à l'avance les besoins de leurs vieux jours (Masson, 2010b)2.

La seconde raison vient des perspectives d'accumulation des jeunes générations, actuellement limitées, et du désir accru de devenir propriétaire. Pour une majorité de jeunes, les difficultés d'insertion professionnelle retardent d'autant le début de l'accumulation. Kotlikoff et Summers (1988) soulignaient déjà que la consommation moyenne des ménages suivait de près leur revenu avant quarante-cinq ans, ne permettant souvent qu'une épargne de précaution de moyen terme (décrite depuis par les modèles de buffer-stock). C'est encore plus vrai aujourd'hui avec la stagnation du pouvoir d'achat et, en France, la hausse des impôts et des cotisations sociales. En outre, l'épargne de cycle de vie (hump saving) est de plus en plus mobilisée par l'acquisition du logement, de la constitution de l'apport personnel à la fin des remboursements d'emprunt. Or les logements sont chers dans nombre de pays et l'endettement lourd (les taux d'intérêt bas étant compensés, et au-delà, par l'absence d'inflation). Bref, pour nombre de ménages, l'épargne pour la retraite – ou l'accumulation hors la précaution à moyen terme et le logement – commence de plus en plus tard, souvent aux âges mûrs (si jamais elle commence), alors qu'elle serait plus utile que naguère3.

Une voie plus prometteuse pour pallier les effets du risque de longévité réside alors dans les produits viagers immédiats (rente, viager, prêt viager) acquis durant la retraite.

Les obstacles actuels à la diffusion des produits viagers immédiats

Souvent logée dans des contrats d'assurance-vie, la rente viagère immédiate revient à convertir un patrimoine financier en revenus réguliers qui complètent les ressources des vieux jours. Si elle ne souffre pas des mêmes inconvénients que le Perp, le risque d'investissement à fonds perdus en cas de mort précoce est toutefois plus manifeste4 et l'amputation de l'héritage destiné aux enfants, à laquelle la rente s'apparente, est plus visible. La désaffection dont pâtit la rente immédiate apparaît aussi imputable à une offre de produits mal ciblés, peu rentables et difficiles d'accès, témoignant de l'intérêt limité que leur accordent les assureurs. Le produit est en outre pénalisé par une taxation et une législation peu favorables. Mais surtout, la rente viagère immédiate pâtit d'une faible rentabilité due d'abord à l'allongement de l'espérance de vie et à la table de mortalité défavorable utilisée par l'assureur pour palier la sélection adverse. Typiquement, un capital de 10 000 euros génère pour un jeune retraité une rente annuelle, après les frais, de quelque 400 euros…

La vente en viager (occupé) permet de disposer d'un capital (« bouquet ») et éventuellement de rentes (indexées sur l'inflation) tout en restant chez soi jusqu'à son décès ou le départ en institution : le vendeur perd la nue-propriété, mais garde l'usufruit. Plus le vendeur vit longtemps, plus il gagne. À sa mort, le bien revient en pleine propriété à l'acheteur. Le viager traditionnel sur les marchés de gré à gré où l'acheteur est un particulier a vu sa diffusion diminuer depuis 1990 jusqu'aux années récentes avec cinq mille à huit mille ventes par an. Il pâtit d'une mauvaise réputation : c'est un pari sur la date de décès du vendeur entre les deux parties qui se retrouvent dans des relations personnelles et psychologiques délicates – quand bien même ces relations sont médiatisées par le notaire (ou les agences immobilières). Le marché apparaît surtout très déséquilibré avec un acheteur pour dix vendeurs et un délai de vente de plus de dix-huit mois. Le rapport de force est donc clairement du côté de l'acheteur, avec quelque vingt mille vendeurs de viager en attente.

La faiblesse de l'offre d'achat est aujourd'hui le principal défi au développement du marché du viager. Ce déséquilibre aigu a en effet des conséquences majeures : le vendeur propose (un logement, un partage bouquet-rente), mais l'acheteur dispose à sa guise dans la manne des biens proposés. Ce dernier s'intéresse de près à la qualité du bien qu'il pourrait acquérir (type de logements, emplacements, plus-values potentielles, etc.) et doit tenir compte de ses moyens financiers dans le partage bouquet-rente : les viagers sans rente, que préfèrent souvent les vendeurs, seront délaissés. Du côté des vendeurs, les obstacles sont en partie les mêmes que ceux de la rente : risque de pertes sèches en cas de mort précoce, enfants dépossédés de l'héritage, rendement limité de l'opération du fait de la table de mortalité utilisée, celle des rentiers-vie (cf. sixième partie) ; s'y ajoute la perte de propriété du bien.

Ces défauts du viager et la désaffection qu'il a subi jusqu'aux dernières années en France ont conduit à l'instauration en 2006 d'un prêt viager sur le mode du reverse mortgage anglo-saxon. Ce dernier permet d'emprunter à la retraite sur son logement – dont on reste propriétaire – en recevant un capital gagé sur la valeur du bien, utilisé donc comme collatéral. Au décès, la succession est amputée de la dette accumulée à un taux d'intérêt élevé. C'est un prêt : plus on vit longtemps, plus la dette cumulée augmente et plus l'héritage des enfants est réduit. Le prêt viager remédie à nombre de défauts du viager, mais souffre de deux handicaps majeurs. Du côté de la demande, il constitue souvent un placement honteux, parfois même caché aux enfants du fait de son caractère « antifamilial » : ces derniers ne toucheront de l'héritage attendu qu'un solde aléatoire, amputé par une dette qui augmente rapidement avec la durée de vie des parents. Surtout, le produit n'a connu qu'un faible succès depuis (le stock actuel n'est que de six mille à sept mille prêts viagers essentiellement au Crédit foncier) en raison notamment d'un taux d'intérêt élevé de 8 %, qui s'explique lui-même par la nécessité pour la banque de se couvrir contre le risque que la dette accumulée dépasse la valeur du logement lors de la succession. La banque se couvre également contre ce risque en limitant la part que représente le montant de l'emprunt en fonction de la valeur du bien immobilier, part qui augmente selon l'âge5.

En résumé, les produits viagers immédiats constituent des produits de niche, mal connus et mal régulés : en particulier, l'offre relative au viager ou prêt viager se limite souvent aux beaux appartements, bien situés, à fortes plus-values potentielles. Surtout, plus l'espérance de vie augmente et plus ces produits, qui offrent sans doute la meilleure couverture contre cette évolution, voient leur rendement diminuer…

Solution 1 : surtaxer les héritages familiaux

Le dispositif Taxfinh (Tax family inheritances) combine une taxation plus lourde et progressive des seuls héritages familiaux (hors transferts inter vivos et legs caritatifs) à une multiplication des moyens offerts pour échapper à cette surtaxe successorale, par :

  • la donation à la famille, aux œuvres, ou de l'entreprise familiale, avec une liberté de tester accrue dans les deux derniers cas (qui passe par une diminution de la « réserve » accordée aux enfants) ;
  • la consommation du patrimoine (pour ses vieux jours ou pour ses enfants) notamment par une amélioration de l'offre sur les produits viagers, gagés sur le logement ;
  • l'investissement dans des actifs plus longs et risqués, bénéficiant de droits de succession allégés.

Le programme proposé est meilleur que des droits de succession standards, car moins désincitatif, notamment au plan de l'expatriation fiscale (par les moyens offerts d'échapper à la surtaxe qui vont dans le bon sens, par rapport à la situation patrimoniale actuelle), et plus équitable (seuls les riches non altruistes au plan familial et/ou social et qui ne préparent pas leur succession seraient fortement touchés). Bien présenté, il devrait donc être moins impopulaire que les droits de succession actuels (Masson, 2015a).

Ce programme entend d'abord remédier à la patrimonialisation de nos sociétés et favoriser ce faisant la croissance (cf. première partie). Mais il aurait aussi l'avantage d'augmenter la vente en viager et la demande de prêt viager dans les classes aisées, qui détiennent les biens immobiliers les plus attractifs pour les acheteurs ou les prêteurs.

Solution 2 : limiter la durée d'assurance pour la rente

On peut suggérer différents moyens pour améliorer le rendement de la rente viagère immédiate : l'indexer sur le coût de la vie ; alléger sa fiscalité ; faire davantage jouer la concurrence entre des produits qui demeurent pour l'instant trop opaques et complexes et opèrent sur des marchés trop étroits, etc.

On peut aussi tenter de remédier à l'hétérogénéité des espérances de vie individuelles, qui conduit les plus fragiles à payer pour les plus solides, les classes modestes pour les classes aisées, ceux qui ont eu un travail dur pour les autres, ce qui génère des doubles peines. Une réponse possible consiste à utiliser des tables de mortalité plus avantageuses pour les classes modestes. Une solution plus originale, pratiquée au Royaume-Uni, donnerait à l'épargnant la possibilité de produire un bulletin de santé attestant certaines fragilités (travail pénible, santé délicate, etc.) : dans ce cas, la rente pourrait être sensiblement réévaluée.

Le manque d'attractivité de la rente immédiate tient cependant, en premier lieu, à l'espérance de vie longue prêtée (par l'assureur) au rentier-vie. Le remède consiste ici à abandonner le caractère viager de la rente et ne la verser que sur une durée fixée à l'avance (dix ans, par exemple) : un tel produit convient bien pour la première partie de la retraite, celle du « senior robuste » qui a des projets de vie coûteux et/ou entend profiter de la vie (cf. première partie).

Dans cet ordre d'idée, les professionnels militent pour le développement du crédit adossé à un bien immobilier, qui permet au jeune retraité d'emprunter sur son logement sur dix ans ; au-delà, il a prévu de réduire son train de vie. Le montant de l'emprunt (la moitié de la valeur du bien) peut être placé en partie en assurance-vie – avec un passage progressif de supports en unité de compte à des supports en euros –, en partie en rente sur dix ans. Au bout des dix ans, il vend son bien et s'installe dans un logement (moitié) moins cher : il dispose alors d'une épargne assurance-vie (pour la précaution ou la transmission) et a bénéficié dans l'intervalle d'un complément de revenu appréciable (net des remboursements des intérêts d'emprunt). L'opération peut paraître complexe et réservée aux ménages déjà aisés, mais elle est bien adaptée au découpage de la retraite en plusieurs périodes et bénéficie de la faveur des assureurs ou des banquiers.

Solution 3 : le viager mutualisé ou viage

Le viager traditionnel, entre particuliers, n'a guère d'avenir. Le viager mutualisé, que je remplacerais avantageusement par l'appellation « viage », est mieux adapté parce que l'acheteur est un institutionnel ou un professionnel qui dispose d'un portefeuille de logements suffisamment large pour opérer une double mutualisation efficace, sur le risque de survie et la valeur du logement au décès de l'assuré6. En outre, la relation directe entre vendeur et acheteur est évitée. Mais le viage souffre encore de trois handicaps pour le vendeur potentiel : le risque de pertes en cas de mort prématurée (d'autant plus important que la part des rentes est importante), l'aliénation de la propriété du bien, dont il ne conserve que l'usufruit, le risque, dans les familles, de voir la vente en viager du logement être interprétée par les enfants comme une spoliation de l'héritage attendu. Comment atténuer ces trois inconvénients ? Une solution possible serait le viage partiel (sans rente), ou VIP, qui ne porterait que sur une part fixée du logement – un tiers, par exemple : la perte en cas de mort précoce serait plus limitée ; l'aliénation du bien ne serait que partielle ; surtout, au plan familial, dans le cas où il y a deux enfants, chacun hérite d'un tiers, la banque devenant comme le « troisième cohéritier »7. En outre, on pourrait avantager fiscalement la transmission directe du bouquet aux enfants.

Reste un problème clé concernant le rendement du viage. Soit le rapport k entre la valeur du logement occupé (c'est-à-dire le montant du bouquet plein, sans rente) et sa valeur de vente actuelle, la valeur occupée étant la différence entre la valeur de vente et la valeur d'usage du bien jusqu'au décès : 1 – k mesure ainsi la décote DUH (droit d'usage et d'habitation). Ce taux k diminue avec le taux d'intérêt, augmente avec la croissance attendue du prix du logement, mais surtout diminue avec l'espérance de vie prêtée au vendeur. C'est là que le bât blesse, car le professionnel utilise les tables de mortalité des rentiers-vie qu'il peut en outre différencier selon le genre : de là, des taux k relativement bas, notamment pour les femmes et les couples, qui déçoivent les vendeurs potentiels. Or le fait de choisir un bouquet plein sans rente est plutôt le signe, toutes choses égales par ailleurs, d'une espérance de vie inférieure à la moyenne sur l'ensemble de la population, alors que la table des rentiers-vie conduit à des valeurs de l'espérance de vie bien supérieures à cette moyenne (Masson, 2015b).

L'intervention de la puissance publique s'avérerait ici nécessaire pour améliorer l'information des vendeurs potentiels et introduire plus de transparence sur le niveau et les déterminants des taux k offerts. Il pourrait créer un label à dimension sociale pour les viages. Ce label accorderait des avantages fiscaux et autres (frais de notaire) aux institutionnels agréés : le portefeuille de biens de ces derniers devrait comporter une proportion minimale de logements modestes et/ou détenus par des catégories aux ressources limitées, pour lesquelles serait accordé soit un taux d'intérêt plus faible, soit une table de mortalité plus avantageuse (limitée aux catégories modestes). L'institutionnel pourrait se rattraper sur d'autres logements à plus fort potentiel et sur d'autres catégories plus aisées de la population grâce aux incitations fournies par le programme Taxfinh (cf. quatrième partie). L'État pourrait également intervenir directement en créant, par exemple sous l'égide de la Caisse des dépôts, un fonds pour l'achat de viages sur des logements sociaux.

Solution 4 : un prêt viager pour le financement de la dépendance

Le prêt viager souffre pour l'emprunteur de deux maux (cf. troisième partie) : son caractère « antifamilial » et un taux d'intérêt trop élevé, de 8 %. Comme l'impôt successoral porte sur l'actif net, la mise en œuvre du dispositif taxfinh amènerait de nouveaux emprunteurs, plus aisés : leurs biens immobiliers présenteraient moins de risque pour la banque qui pourrait réduire quelque peu ses taux. Mais elle ne le ferait que dans une marge limitée, son principal problème concernant la durée d'attente trop longue avant le recouvrement de la créance. Le prêt viager ne peut se développer que dans les cas, idéalement, où, d'une part, les enfants participent au choix d'une opération qui leur paraît acceptable, loin d'être une spoliation de l'héritage, et où, d'autre part, la durée de vie de l'emprunteur est limitée, ce qui diminue le risque que la dette cumulée dépasse le prix de vente du bien et lui permet en retour d'offrir des taux moins élevés.

Le prêt viager-dépendance serait une solution possible, qui ne serait accordé qu'à une personne en dépendance avérée et certifiée (GIR 1 ou GIR 2) pour financer les coûts élevés de cette dernière, soit que l'emprunteur désire rester chez lui, soit qu'il parte en institution : dans le premier cas, l'espérance de vie, beaucoup plus courte et mieux contrôlée, permettrait à la banque d'abaisser ses taux à 4 % (communication privée) ; dans le second, le prêt viager pourrait servir de prêt relai avant la vente du logement par la famille, selon un délai fixé à l'avance autorisant des taux d'intérêt encore plus bas. Si l'emprunteur est un conjoint survivant, il n'a cependant en général qu'une propriété partielle du bien qu'il partage avec ses enfants. Mais justement, la personne dépendante n'étant plus vraiment en état de décider seule, la décision (difficile) d'emprunter serait en général collective au sein de la famille – ce qui est d'autant plus justifié que la propriété du bien est elle-même souvent collective8.

Au vu du certificat de santé produit, attestant la dépendance du parent âgé – présumée irréversible –, le prêt devrait pouvoir être accordé très rapidement par la banque, ce qui suppose que le produit soit suffisamment standardisé. Ce « PVH-dépendance » serait en outre réversible, permettant à la famille d'anticiper le remboursement de la dette accumulée au moment de la disparition du parent âgé (ou de son départ en EPHAD ou établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) si elle veut garder le bien immobilier9.

Conclusion

Les formes rénovées de produits viagers immédiats que nous avons proposées requièrent des interventions fortes de l'État pour structurer et réguler les marchés : la codification des tables de mortalité dans le cas de la rente viagère ou du viager constitue ainsi, sans surprise, un enjeu crucial, l'allongement de l'espérance de vie impliquant de toute façon que ces placements ne soient pas acquis trop tôt au cours de la retraite ; la complexité des produits ne doit pas non plus empêcher que les choix de l'épargnant restent fondés sur des critères simples et compréhensibles ; et le succès de ces nouveaux produits reste en partie suspendu à la mise en œuvre d'une réforme originale des droits de succession. L'intervention de l'État s'impose par ailleurs au niveau de la protection sociale. La dépendance frappe ainsi davantage les catégories modestes, moins souvent propriétaires ou détentrices de logement de moindre valeur, et donc peu concernées par les produits proposés.


Notes

1 En France tout du moins, mais sans doute pas aux États-Unis (Masson, 2015a).
2 L'énigme de la faible diffusion de la rente viagère (différée ou immédiate) a fait l'objet, sous le nom d'annuitization puzzles, de toute une littérature (anglo-saxonne) qui déplore notamment la rationalité trop limitée des épargnants : voir l'enquête de Benartzi et al. (2011) ou Masson (2010a).
3 Le Perco permet la sortie en capital, mais les encours sont encore inférieurs à ceux du Perp.
4 Magnifier le risque de pertes en cas de mort précoce est souvent tout à fait rationnel (Masson, 2010b).
5 Il est vrai que pour une femme (ou un couple) de soixante-cinq ans, dont l'espérance de vie est d'une trentaine d'années ou plus, la dette cumulée au bout de trente ans vaut en gros (1,08)30 fois, soit déjà dix fois le montant du prêt…
6 Le viage commence à se développer ; fonds Certivia de la Caisse des dépôts, Virage-Viager d'Éric Guillaume.
7 Sur les problèmes, de copropriété ou autres, que soulève le VIP, voir Masson (2015b).
8 S'il existe un conjoint survivant à l'emprunteur dépendant, le prêt ne peut porter que sur une résidence secondaire ou un bien à usage locatif, à moins que ce conjoint (qui participe à la décision en tant que copropriétaire) ait les moyens de quitter le logement commun au décès de l'emprunteur.
9 Les simulations de Bonnet et al. (2016) sur les données de l'enquête internationale SHARE montrent que le prêt viager peut bien aider les individus qui sont asset rich and cash poor à financer leur dépendance éventuelle, mais n'apporte rien à une part significative de la population qui est asset and cash poor.

Bibliographies

Arrondel L. et Masson A. (2016), Épargne et assurance-vie. Quels produits, quelle fiscalité ?, Opinions & Débats, n° 14, Institut Louis Bachelier, Paris.
Benartzi A., Previtero A. et Thaler R. (2011), « Annuitization Puzzles », Journal of Economic Perspectives, vol. 25, n° 4, pp. 143-164.
Bonnet C., Juin S. et Laferrère A. (2016), « Financing Long-Term Care Through Housing in Europe », Ined, mimeo.
Kotlikoff L. J. et Summers L. H. (1988), « The Contribution of Intergenerational Transfers to Total Wealth: a Reply », in Kessler D. et Masson A. (éd.), Modelling the Accumulation and Distribution of Wealth, Oxford University press, pp. 53-67.
Kreps D. M. (1990), A Course in Microeconomic Theory, Harvester Wheatsheaf.
Laibson D. (1997), « Golden Eggs and Hyperbolic Discounting », Quarterly Journal of Economics, n° 112, pp. 443-477.
Masson A. (2010a), « La vie pour l'épargnant ne se réduit pas à un exercice de calcul : 1. Les impasses des approches du cycle de vie standard et psycho-économiques », Revue française d'économie, vol. 25, n° 1, pp. 117-173.
Masson A. (2010b), « La vie pour l'épargnant ne se réduit pas à un exercice de calcul : 2. Les apports d'une approche existentielle du cycle de vie », Revue française d'économie, vol. 25, n° 2, pp. 3-57.
Masson A. (2015a), « Comment justifier une augmentation impopulaire des droits de succession », Revue de l'OFCE, n° 139, pp. 267-326.
Masson A. (2015b), « L'épargnant propriétaire face à ses vieux jours : améliorer l'offre de produits viagers gagés sur le logement », Revue française d'économie, vol. 30, n° 2, pp. 129-177.
Piketty T. (2013), Le capital au xxie siècle, Seuil.