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 Les défis posés par le crowdfunding


Nicolas LESUR Fondateur et directeur général, Unilend ; président, Financement Participatif France. Contact : nicolas.lesur@unilend.fr
La croissance spectaculaire du crowdfunding et surtout son potentiel de développement posent des questions fondamentales d’ordres technique, économique et prudentiel, en particulier en matière de prêts : pour les régulateurs qui peinent à intégrer ce nouveau référentiel, pour les établissements de crédit traditionnels qui se sentent menacés mais dont les plus agiles tirent déjà parti de cette nouvelle forme de désintermédiation et pour les plateformes elles-mêmes dont l’objectif est de construire un marché suffisamment profond et liquide. Le crowdlending propose en effet une approche nouvelle de l’allocation emplois-ressources fondée sur l’utilisation des données et de la technologie qui conduit légitimement les acteurs de la finance traditionnelle à s’interroger sur son évolution. En effet, en fluidifiant le financement direct des entreprises de manière très transparente, il apporte des réponses appropriées à bien des enjeux de l’industrie financière et du financement de l’économie.

En 2014, le crowdfunding a permis de collecter 152 M€ auprès des internautes français en faveur de projets, sous forme de dons, d’investissements en capital ou de prêts (Compinnov, 2014). Ce phénomène n’en est qu’à ses balbutiements si l’on compare ces chiffres aux 4 000 Md€ d’épargne financière des ménages français ou aux 800 Md€ d’encours de crédits bancaires aux entreprises non financières françaises1. Mais sa diffusion s’annonce très rapide. Ce montant représente une croissance de 100 % par rapport à l’année précédente, elle-même en croissance de 100 % par rapport à 2012. En dépit de la jeunesse du phénomène, 7 % des Français déclarent déjà avoir contribué à un financement participatif (Adwise, 2014 ; Institut Think, 2014). Surtout, 21 % d’entre eux indiquent avoir l’intention d’y participer en 2015. Ce mouvement ne se cantonne pas à la France puisque ce sont 3 Md€ qui ont été collectés en Europe en 2014. Là encore, la croissance est impressionnante puisque la finance alternative, ainsi que la nomment nos voisins britanniques, progresse de 150 % par an (Gray et al., 2015).

Le développement de cette nouvelle forme de finance n’est pas uniquement la conséquence de la crise financière de 2008 et du renforcement des exigences prudentielles appliquées aux établissements de crédit traditionnels. Il puise avant tout son dynamisme dans les possibilités offertes par l’usage d’Internet, notamment sa capacité de mettre directement en rapport une offre et une demande. Il s’agit de la même dynamique que l’essor du partage de logements (Airbnb) ou de voitures (Blablacar) et, plus généralement, des places de marché sur Internet comme Amazon. Nous voudrions ici nous intéresser plus spécifiquement au crowdfunding réalisé sous forme de prêt rémunéré, autrement appelé crowdlending, peer-to-peer lending au Royaume-Uni ou encore marketplace lending aux États-Unis. Il s’agit en effet du secteur le plus dynamique par sa croissance et le plus important en volume dans le monde avec plus de 10 Md$ de crédits depuis sa création, il y a dix ans, par le britannique Zopa. C’est surtout celui qui, par nature, pose le plus de défis aux acteurs traditionnels du système financier, les uns y voyant un nouveau modèle prometteur, les autres attendant patiemment sa chute qu’ils jugent inéluctable. Comme pour tout phénomène nouveau, nous assistons ici à un nouvel épisode de la querelle des anciens et des modernes.

Deux acteurs permettent ainsi de se faire une idée assez fine des développements de ce secteur. L’américain Lending Club, récemment introduit en Bourse et fondé par un Français, permet le financement de particuliers, notamment de leurs encours de cartes de crédit. Depuis sa création en 2007, il a ainsi organisé près de 8 Md$ de financements. Le britannique Funding Circle, créé en 2010, permet le financement de petites entreprises. Depuis sa création, près de 40 000 prêteurs ont financé plus de 8 000 entreprises pour plus de 600 M£. Dans ces deux cas, la moitié des financements réalisés l’ont été en 2014, témoignant d’un rythme de croissance très soutenu. L’antériorité de ces deux acteurs permet de prendre du recul sur la validité du système en termes statistiques. Ainsi, tous les prêteurs de Lending Club ayant prêté à plus de 148 projets différents ont obtenu un rendement net positif. De même, tous les prêteurs de Funding Circle ayant prêté à au moins 100 entreprises et dont aucun prêt ne dépasse 1 % du portefeuille affichent un rendement net positif.

Une plate-forme de crowdlending efficace permet ainsi d’offrir un couple rendement/risque attractif pour les épargnants, de financer rapidement de très nombreuses demandes de prêt d’entreprises ou de particuliers : elle peut ainsi répondre aux besoins des consommateurs, le tout sans présenter pour la collectivité de risque systémique puisqu’elle ne mobilise pas de bilan, mais fonctionne, au fond, comme une place de marché de la dette privée.

Pour autant, son potentiel de développement pose des questions fondamentales d’ordre technique, économique et prudentiel, pour les régulateurs, les établissements de crédit et les plates-formes elles-mêmes.

Un défi pour les plates-formes ?

Depuis les crises financières de 2008 et 2011, les pouvoirs publics et les régulateurs français et européens encouragent le développement de modes de financement qui ne se fondent pas sur l’utilisation du bilan d’un établissement de crédit. L’objectif général est de parvenir à un équilibre entre les financements bancaires et les financements directs, notamment afin de fluidifier les accès au financement pour les PME. La place financière parisienne a ainsi facilité le développement des placements privés avec la création des EuroPP et des émissions obligataires avec l’assouplissement de leurs règles d’émission dans le cadre des initial bond offerings (IBO). Dans le même registre ont été créés les fonds de prêts à l’économie (FPE) dont le but est double : ils permettent l’activité de prêt par les assureurs qui gèrent des liquidités considérables en quête de rendement et ils offrent une certaine mutualisation des risques à travers des portefeuilles de créances diversifiés, notamment d’EuroPP, de placements privés et de petites émissions obligataires. Encore embryonnaires, ces outils visent à rééquilibrer les sources de financement des entreprises en créant un espace intermédiaire entre le financement strictement bancaire (qui représente 92 % des financements des entreprises en France) et le financement par les marchés, ce troisième espace pouvant être nommé « financement direct ». Toutefois, ces nouveaux outils permettent essentiellement d’emprunter des sommes souvent supérieures à 10 M€ en raison des coûts d’émission associés. S’ils s’avèrent précieux pour les ETI et quelques très grosses PME, ils sont donc totalement inaccessibles aux plus de 2 millions d’entreprises françaises qui maillent les territoires. Pour elles, le besoin de financement par la dette se situe dans une fourchette comprise entre quelques dizaines et quelques centaines de milliers d’euros par opération. Il fallait donc un dispositif pour que les TPE/PME puissent, elles aussi, accéder à la désintermédiation : c’est ce qu’entend construire le crowdlending.

Les technologies numériques mises en œuvre par le crowdlending permettent en effet de réduire les coûts de transaction de manière drastique, à la fois pour le dépôt et le traitement de dossiers de financement de faibles montants du côté des emprunteurs (quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros) et pour le placement de faibles sommes d’argent du côté des prêteurs (jusqu’à seulement quelques dizaines d’euros). Le crowdlending permet ainsi de flécher directement les ressources d’une grande variété d’investisseurs vers les besoins de financement de petite taille propres aux TPE/PME, un défi que seule une organisation tournée vers l’optimisation des processus grâce à la technologie peut relever de manière pérenne.

L’un des atouts du crowdlending réside donc dans son modèle de place de marché qui permet de faire coïncider une offre et une demande presque instantanément. En à peine quelques jours, une entreprise peut ainsi emprunter plusieurs dizaines de milliers d’euros auprès de centaines de prêteurs. L’enjeu est dès lors de faire croître les deux parties de manière harmonieuse, sans que l’une excède trop significativement ou trop durablement l’autre. Un excès de prêteurs par rapport aux emprunteurs conduirait à réduire la possibilité pour les prêteurs de diversifier leur risque. Un excès d’emprunteurs par rapport aux prêteurs conduirait à l’inverse certains emprunteurs à ne pas trouver le financement souhaité. Ajoutons à cette difficulté que la notion de risque est déterminante. Il s’agit en effet de gérer les demandes de financement des emprunteurs en veillant à conserver une rigueur d’analyse des risques appropriée aux attentes des prêteurs. Autrement dit, il peut parfois être raisonnable de ne pas croître trop vite pour préserver la qualité des projets proposés aux prêteurs.

Car l’objectif à terme est bien de construire un marché qui présente la profondeur et la liquidité suffisante pour satisfaire les deux parties : diversité de l’offre à tout moment afin de pouvoir constituer rapidement un portefeuille diversifié pour les prêteurs et abondance de prêteurs pour permettre un financement le plus rapide possible pour les emprunteurs. De ce fait, certaines plates-formes ouvrent progressivement l’accès à toutes les catégories de prêteurs pour assurer cette diversité. Il s’agit, par exemple, de permettre à des sociétés de gestion de portefeuille de créer des fonds d’investissement capables de prêter. Cela permet de satisfaire la demande de nouveaux investisseurs tels que, par exemple, des institutionnels comme les assureurs, mais aussi des particuliers qui souhaitent mutualiser leur risque ou désirent recourir à l’expertise d’un professionnel pour choisir leurs prêts.

Cette diversification des prêteurs est un enjeu de long terme du crowdlending pour, in fine, assurer l’équilibre et la pérennité des flux de financements au bénéfice des emprunteurs. Les crises financières des dernières décennies ont en effet démontré le comportement mimétique de chaque catégorie d’investisseurs. Par exemple, en cas de baisse marquée sur les marchés d’actions, les fonds de fonds ont eu tendance à réduire brutalement leur exposition quand les investisseurs institutionnels ou les particuliers adoptaient des comportements plus stables. Il est dès lors fondamental pour une place de marché de pouvoir assurer une diversification des typologies d’investisseurs afin d’assurer sa stabilité en cas de choc exogène. L’un des défis des plates-formes est dès lors d’assurer la coexistence de ces investisseurs aux différentes capacités d’intervention en leur assignant une fraction déterminée des prêts en toute transparence. Seuls les modèles de place de marché pourront alors durablement assurer cette coexistence transparente, notamment grâce à des systèmes de fixation des taux d’intérêt reposant sur des modèles voisins du carnet d’ordres. Chaque prêteur peut ainsi intervenir à mesure de ses capacités et conformément à ses attentes en matière de rendement ou d’horizon d’investissement.

Un défi économique ?

Le crowdlending permet aussi de défragmenter les processus d’octroi de crédits traditionnels. Il est ainsi un paradoxe récurrent de la vie économique nationale : pourquoi les chefs d’entreprise persistent-ils depuis des années à se plaindre de leurs difficultés d’accès au financement alors que la Banque de France indique à chacune de ses enquêtes que les encours des établissements de crédit en faveur des PME progressent et que les taux d’intérêt pratiqués en France figurent parmi les plus bas d’Europe ?

En France, 34 % des dirigeants de PME déclarent rencontrer des difficultés de trésorerie ou de financement. 33 % d’entre eux affirment restreindre volontairement leurs demandes de financement auprès de leur(s) banque(s) en raison de difficultés d’accès au financement. Enfin, 69 % d’entre eux jugent que les conditions de financement se sont durcies (Ifop, 2015). Voici des chiffres très marqués qui contrastent singulièrement avec ceux issus des études statistiques de la Banque de France : non seulement les encours de crédits accordés aux PME ont augmenté de 1,7 % en 2014, mais aussi le taux d’intérêt des crédits de 100 000 euros à moyen terme accordés aux PME a baissé pour s’établir en moyenne à 2,52 % en octobre 2014.

Comment expliquer ce paradoxe ? En réalité, c’est que les deux parties ne parlent pas de la même chose. L’essentiel des crédits à moyen terme octroyés par les établissements de crédit est constitué de crédits d’investissement, faisant l’objet d’une prise de sûreté réelle, qui seule leur permet de refinancer ce concours auprès de la Banque centrale européenne (BCE). En d’autres termes, ces opérations financent des machines ou de l’immobilier. Or, en 2015, ces deux objets sont très loin de constituer les seuls besoins des TPE/PME. Ces dernières cherchent dans bien des cas à financer des travaux, du petit matériel, des embauches, des avances sur commandes, tous types de prêts sur lesquels aucune sûreté ne peut être prise par un établissement de crédit, ce qui conduit dans bien des cas à un refus souvent embarrassé. C’est ce qui explique que ces chefs d’entreprise restreignent « volontairement » leurs demandes de financement : ils connaissent d’avance le refus qui leur sera opposé. Pour faire face à ces besoins, ils sont dans le meilleur des cas orientés vers la facilité de caisse, le crédit de campagne ou l’affacturage dont les taux d’intérêt sont voisins ou supérieurs à 10 % et qui comportent de nombreux frais annexes, notamment d’assurance ou de dépôt de garantie.

De surcroît, pour revenir au paradoxe soulevé plus haut, la disponibilité de crédits à faible taux d’intérêt ne garantit pas, tant s’en faut, l’accès à un nombre suffisant de bénéficiaires. Dit autrement : dans un contexte de faibles taux d’intérêt, les établissements de crédit se concentrent sur la fraction la plus étroite des meilleures signatures qui seules bénéficient ainsi de l’abondance de liquidités, mais excluent les risques moyens car les taux d’intérêt ne rémunèrent pas le coût réel du risque mesuré par le taux de défaut. Rappelons à ce titre une évidence qui mérite pourtant d'être relevée : les enquêtes sur l’accès au crédit des PME concernent… les PME, soit les 138 000 entreprises françaises réalisant plus de 2 M€ de chiffre d’affaires et employant plus de dix salariés. Mais elles ne tiennent absolument pas compte des 2 millions de TPE qui sont largement ignorées des statistiques. Quelle est la situation de ces entreprises qui ont le malheur de figurer sous les écrans des radars ?

Dans le modèle économique des établissements de crédit, le crédit aux TPE/PME est extrêmement coûteux à opérer en raison des processus de traitement commercial essentiellement manuels et des détails d’analyse requis face à des volumes unitaires étroits. Les banques tendent ainsi à octroyer des crédits (et donc à mobiliser des fonds propres de plus en plus coûteux) aux opérations dont les volumes unitaires permettent de générer des revenus suffisants (les PME) ou bien aux clients les plus capables d’assurer d’autres sources de revenus : flux et moyens de paiement, assurances, gestion du patrimoine du dirigeant, etc. Le crédit est dès lors moins un produit central d’offre qu’un outil d’acquisition, au même titre que l’octroi d’un crédit immobilier est le premier moyen d’acquérir un nouveau client particulier. Cette situation a une double conséquence : premièrement, elle exclut de nombreuses petites demandes de financement des circuits de financement décrits par les enquêtes statistiques ; deuxièmement, la fixation du prix du crédit est dès lors liée à une multitude de facteurs parmi lesquels la rémunération du risque n’est pas nécessairement le plus important : le produit net bancaire (PNB) additionnel attendu doit compenser en partie le coût de traitement et celui des fonds propres et du risque.

C’est au fond l’organisation même du système, depuis ses règles prudentielles jusqu’à ses processus de traitement, qui conduit à allouer l’essentiel des ressources disponibles vers un très faible nombre d’entreprises et détourne les autres vers des modes de financement beaucoup plus onéreux et complexes. Cette situation ne peut satisfaire personne : ni les chefs d’entreprise dont la frustration s’accroît, ni les établissements de crédit dont les marges de manœuvre sont très étroites, ni les pouvoirs publics qui doivent veiller au bon équilibre entre ces deux parties.

Enfin, une donnée est mal prise en compte par les observateurs : en matière d’accès au financement, tout n’est pas uniquement affaire de niveau des taux d’intérêt. Ce raisonnement vaut sans doute pour les très grandes entreprises dont les directions financières travaillent chaque jour exclusivement à obtenir de meilleures conditions de financement. Il est en grande partie inopérant pour les TPE et les PME qui n’ont, pour la plupart d’entre elles, aucune fonction financière spécialisée. Chez elles, au contraire, tout repose sur le chef d’entreprise qui doit consacrer une partie de son temps et de son énergie à trouver un financement pour son activité. Mais en mobilisant ainsi ses ressources personnelles, il le fait nécessairement au détriment d’autres tâches quotidiennes à assumer pour son entreprise : gestion de ses salariés, de ses clients, de ses fournisseurs, etc. La vitesse d’accès au financement devient alors une clé de son choix, beaucoup plus que son coût apparent. En cela, le crowdlending apporte une réponse très concrète puisqu’il permet d’obtenir un financement décaissé en deux semaines en moyenne, contre souvent plusieurs mois auprès d’un établissement de crédit. Conformément au vieil adage selon lequel « le temps c’est de l’argent », cette rapidité représente une valeur très appréciable pour un chef d’entreprise de petite taille.

Est-ce à dire que le crowdlending constitue une menace pour les établissements de crédit ? Rien n’est moins sûr. Ce serait aussi erroné que d’imaginer, il y a trente ans, que l’émergence des marchés obligataires allait priver les banques de la relation commerciale avec leurs grandes entreprises clientes. L’histoire a montré qu’il n’en a non seulement rien été, mais qu’au contraire, la force de la relation commerciale s’en est trouvée renforcée, notamment par de nouveaux conseils. De la même manière, le défi posé par le crowdlending aux banques consiste à comprendre comment l’utiliser à leur bénéfice. Observons la situation en train d’émerger au Royaume-Uni : deux banques de détail nationales, Santander et Royal Bank of Scotland, mènent une politique active de conseil auprès de leurs clients en les accompagnant pour émettre sur les plates-formes de crowdlending. En servant ainsi leurs clients, elles préservent leur PNB associé et réduisent leurs besoins de fonds propres. Cette attitude participe bien du vaste mouvement de désintermédiation organisé en Europe et en France depuis plusieurs années et au sein duquel le crowdlending a vocation à s’insérer.

Un défi réglementaire ?

L’émergence du crowdlending s’accompagne également d’interrogations légitimes sur la manière de le réguler. Les référentiels en vigueur s’agissant des établissements de crédit sont en effet inopérants et pour une bonne raison : le crowdlending est avant tout une réinvention des processus d’accès au financement, ou de distribution du crédit selon le point de vue que l’on choisira d’adopter. Il organise en effet l’allocation des emplois et des ressources, c’est-à-dire la rencontre de l’offre et de la demande d’argent, à rebours de plusieurs postulats fondamentaux du système financier bilanciel dans lequel :

  • l’épargne est collectée sous forme de dépôts non rémunérés, mais bénéficiant d’une garantie, intermédiés, puis transformés en crédits ;
  • l’octroi de crédits est quasi exclusivement lié à une prise de sûreté réelle, cette sûreté seule permettant un refinancement par la banque centrale ;
  • le prix des crédits est établi en fonction de critères non exclusivement fondés sur la rémunération du risque pris ;
  • la distribution est fondée sur un réseau d’agences physiques et des processus manuels.

Dans le système développé par le crowdlending, les postulats sont radicalement différents :

  • l’épargne est directement affectée à un octroi de financement, sans transformation, ni effet de levier ;
  • l’octroi de financement n’est pas conditionné à une prise de garantie ;
  • le taux d’intérêt dépend uniquement de l’appréciation du niveau de risque de l’emprunteur ;
  • la distribution est exclusivement réalisée sur Internet.

Le crowdlending ne s’appuie ainsi pas sur la mobilisation d’un bilan bancaire pour garantir des dépôts, d’un côté, et pour distribuer des financements, d’un autre côté. Au contraire, il s’extrait des processus de transformation et d’effet de levier en faisant coïncider exactement emplois et ressources. Pour ces raisons, il ne présente pas le risque systémique des établissements de crédit qui justifie à lui seul les exigences de fonds propres qui leur sont appliquées. Rappelons ici une évidence : le financement participatif ne fait pas de concurrence déloyale aux établissements de crédit tout simplement parce qu’il n’opère pas la même activité de la même manière. Le crowdlending s’affranchit-il pour autant de toute régulation ? Bien sûr que non.

Tout récemment, l’Autorité bancaire européenne (ABE) a publié une opinion sur le crowdlending qui confirme en grande partie les premières pratiques en vigueur dans les États européens et offre un cadre articulé permettant d’envisager la régulation du secteur en Europe (ABE, 2015). Elle y rappelle justement en préambule que les plates-formes de crowdlending sont exclues du système de garantie des dépôts tels que défini par la directive européenne2. Elle considère ensuite que la convergence des pratiques réglementaires en Europe est souhaitable et estime enfin qu’elle doit en priorité s’appuyer sur les textes existants. En d’autres termes, le vaste corpus réglementaire et législatif en vigueur en Europe suffit amplement pour donner des règles efficaces au secteur. Elle juge ainsi que le cadre le plus approprié est celui issu de la directive sur les services de paiement, ce texte permettant de superviser les aspects liés aux flux financiers générés par les activités des intervenants sur les plates-formes. Selon l’ABE, cette directive couvre l’essentiel des risques supportés par les intervenants, prêteurs et emprunteurs, notamment en imposant une saine séparation entre les opérations des plates-formes et l’argent des clients. Concernant les autres risques identifiés, elle appelle à une clarification à propos des processus de sélection et d’évaluation du risque des émetteurs ainsi qu’à la mise en place de dispositifs de continuité d’activité en cas de faillite d’une plate-forme, le tout visant bien sûr une bonne protection des épargnants. Au terme de cette analyse, l’ABE affirme que le crowdlending ne peut être régulé de la même manière que le système bancaire et que les outils à la disposition des régulateurs existent pour lui donner un cadre approprié à l’échelle européenne. Sans surprise, il s’agit du cadre prudentiel déjà adopté au Royaume-Uni et en France, ces deux pays ayant affiné leur encadrement du secteur dès 20143.

Pour conclure ces considérations sur la supervision, ajoutons une observation : le crowdlending est fondé sur la transparence des données et des flux. Aucun autre système en vigueur ne permet de connaître instantanément, avec ce niveau de précision et cette richesse de données, les montants affectés au financement de chaque acteur de l’économie. Les plates-formes sont en effet des places de marché au sens numérique du terme sur lesquelles les intervenants utilisent notamment la donnée pour prendre leurs décisions. L’essence même du crowdlending en fait donc un outil intrinsèque de connaissance des flux de crédit, particulièrement précieux pour un régulateur historiquement attaché à surveiller la distribution des crédits de manière fine.

Le crowdlending propose donc une approche nouvelle de l’allocation emplois-ressources fondée sur l’utilisation des données et de la technologie qui conduit légitimement les acteurs de la finance traditionnelle à s’interroger sur son évolution. En fluidifiant le financement direct des entreprises de manière très transparente, il apporte en réalité des réponses appropriées à bien des enjeux de l’industrie financière et du financement de l’économie. La Commission européenne elle-même ne s’y est pas trompée puisqu’elle entend l’inclure dans son vaste projet d’union des marchés de capitaux dont l’objectif central est de fluidifier l’accès au financement des PME à l’échelle européenne.


Notes

1 Source : Banque de France.
2 Au sens de la directive 2014/49/EU, article 2, alinéa 1, point 3, un dépôt est « un solde créditeur résultant de fonds laissés en compte ou de situations transitoires provenant d’opérations bancaires normales, que l’établissement de crédit doit restituer conformément aux conditions légales et contractuelles applicables, y compris un dépôt à terme et un dépôt d’épargne (...) ».
3 En France, ordonnance du 30 mai 2014 complétée par le décret du 16 septembre 2014 ; au Royaume-Uni, voir FCA (2014).

Bibliographies

ABE (Autorité bancaire européenne) (2015), Opinion of the European Banking Authority on Lending-Based Crowdfunding, 26 février.
Adwise (2014), Observatoire du crowdfunding chez les Français, étude réalisée auprès de 2 000 personnes représentatives de la population française sur des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle et de région d’habitation, 14-20 octobre.
Compinnov (2014), Baromètre du crowdfunding 2014, réalisé pour Financement participatif France.
FCA (Financial Conduct Authority) (2014), Policy Statement PS14/4, 1er avril.
Gray M., Rau R., Zhang B. et Wardrop R. (2015), Moving Mainstream – The European Alternative Finance Benchmarking Report, University of Cambridge, février.
Ifop (2015), Baromètre sur le financement et l’accès au crédit des PME – vague 23, sondage réalisé pour KPMG et CGPME, janvier.
Institut Think (2014), Les Français, leurs entrepreneurs et le crowdfunding, sondage mené auprès d’un échantillon de 1 016 personnes représentatives de la population française du 9 au 15 décembre 2014 pour Lendopolis et le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables à l’occasion du 22e Salon des entrepreneurs de Paris.