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 Too big to fail ?! Leçons de la crise financière


Sebastian C. MOENNINGHOFF Assistant exécutif d’Axel Wieandt (du 1er septembre 2009 au 25 mars 2010) ; assistant de recherche, Chaire de finance, WHU N Otto Beisheim School of Management.
Axel WIEANDT Managing Director, Deutsche Bank AG ; ancien CEO, Hypo Real Estate Holding AG (du 13 octobre 2008 au 25 mars 2010) ; professeur honoraire, Chaire de finance, WHU N Otto Beisheim School of Management.
Cet article examine l’apparition et l’évolution de la doctrine too big to fail (TBTF) (« trop grand pour faire faillite ») à la lumière de plusieurs études de cas et identifie l’aléa moral comme cause d’externalités. Il analyse le rôle joué par la doctrine TBTF dans la récente crise financière et se penche sur son apparition et sa participation à ladite crise. Si l’on tire les conséquences de la crise, le concept élargi d’importance systémique se nourrit d’autres caractéristiques que la taille des banques. Au vu des avantages que présentent les grandes banques globales diversifiées, ces « institutions financières d’importance systémique » (IFIS), comme les appelle le Conseil de stabilité financière, devraient faire l’objet de réglementations plutôt que se voir réduites ou démantelées. L’article propose une analyse des mesures réglementaires proposées par le CSF, notamment les surcharges en capital, le renforcement du contrôle, l’amélioration de l’infrastructure financière clé et les régimes de résolution, ce dernier mécanisme étant le plus efficient pour limiter les TBTF. Bien conçus, ces régimes de résolution pourraient convertir les TBTF en TBDF (too big for disorderly failure), des établissements trop grands pour une faillite chaotique. Enfin l’article souligne que pour parvenir à un nouvel équilibre du système financier, il faut tenir compte des conséquences involontaires telles que la concentration, la distorsion de la concurrence et l’arbitrage réglementaire.

L’émergence de la doctrine too big to fail

Évolution

Apparition d’une doctrine too big to fail

Dans son témoignage du 19 septembre 1984 devant la Chambre des représentants, Todd Conover – alors Comptroller of the Currency du Trésor américain – a défendu le soutien fédéral apporté en mai 1984 à Continental Illinois National Bank and Trust Company (dite Continental), déclarant que les organismes de régulation ne permettraient pas la faillite des onze principales banques américaines (Committee on Banking, Finance and Urban Affairs, 1984). Pour la première fois, un officiel reconnaissait l’existence d’une doctrine too big to fail (TBTF) aux États-Unis. Le lendemain, le Wall Street Journal publiait une liste de banques qu’il considérait TBTF (Carrington, 1984). Depuis, l’expression TBTF est employée pour qualifier les établissements financiers dont la faillite pourrait causer de graves dommages au système financier de nature à ébranler l’économie réelle et qui, dès lors, devraient bénéficier d’une aide de l’État pour empêcher leur faillite.

Exemples de TBTF : Continental, First Republic et Long Term Capital Management

En dépit des critiques répétées suscitées par le soutien gouvernemental aux grands établissements financiers, la doctrine TBTF a de nombreuses fois été mise en œuvre aux États-Unis avant la dernière crise financière. Nous détaillons trois exemples ci-après.

Le premier exemple, le sauvetage de Continental en 1984, inscrit la doctrine TBTF comme mécanisme officiel de résolution. À la suite de prêts douteux accordés à l’industrie pétrolière et gazière et aux pays les moins avancés (PMA), la part de prêts non productifs de Continental avait atteint 2,3 Md$, soit environ 7,6% du total des prêts, à la fin du premier trimestre 1984. Les provisions pour pertes sur prêts nécessaires ont eu des répercussions négatives sur les résultats de Continental, ce qui surprit le marché. Cette situation a poussé les investisseurs étrangers à retirer précipitamment 6 Md$ de dépôts en mai 1984. La FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) a estimé que la faillite de Continental, alors septième banque des États-Unis avec 40 Md$ d’actifs et premier bailleur de fonds commercial et industriel, pouvait avoir des répercussions considérables sur le système financier. D’après Todd Conover, les dépôts institutionnels non assurés évalués à 30 Md$ de Continental pouvaient entraîner « facilement […] la faillite d’une centaine d’autres banques » (Committee on Banking, Finance and Urban Affairs, 1984). En outre, compte tenu de la part importante d’investisseurs étrangers, une faillite aurait affecté leur confiance dans les institutions financières américaines et durci les conditions de refinancement des autres banques. Ces événements ont poussé la FDIC à garantir explicitement, le 17 mai 1984, dans le cadre d’une opération de sauvetage provisoire, tous les dépôts et les créances de Continental. Le coût de cette mesure, y compris le mécanisme d’assistance permanent mis en place en septembre 1984, s’éleva à 1,1 Md$ financé par les réserves de la FDIC (FDIC, 1997)1.

Le deuxième exemple concerne le renflouement de First Republic en 1988, opération qui illustre la consolidation de la doctrine TBTF quatre ans seulement après le sauvetage de Continental. La banque avait enregistré une perte nette de 657 M$ en 1987 et de 2,3 Md$ au premier semestre 1988, en grande partie à cause de la détérioration du marché immobilier au Texas et de l’augmentation des provisions sur des crédits aux PMA. Le 30 juin 1988, elle affichait des fonds propres négatifs à hauteur de 1,1 Md$. Au même titre que Continental, cette situation a entraîné l’évaporation des sources de financement étranger, détérioré la confiance des déposants et causé des retraits de dépôts d’un montant de 1,8 Md$ au cours du premier trimestre 1988. Étant donné que First Republic était le onzième groupe bancaire des États-Unis, doté de 33,4 Md$ d’actifs, et le premier établissement bancaire du Texas et du sud-ouest du pays à l’époque, la FDIC a de nouveau décidé d’étendre sa couverture à tous les déposants et créanciers de la banque, soutenant que 6 Md$ de fonds des filiales bancaires étaient en péril et que sa faillite risquait d’ébranler les marchés financiers au Texas et dans le sud-ouest du pays. Le sauvetage de First Republic, dont le coût est estimé à 3,9 Md$ pour la FDIC, a été le sauvetage bancaire le plus cher jamais orchestré par cette dernière avant la crise financière récente (FDIC, 1997)2.

Le troisième exemple concerne la participation de la Federal Reserve Bank of New York (FRBNY) au sauvetage de LTCM (Long Term Capital Management) en 1988, exemple qui illustre l’application de la doctrine TBTF à des institutions financières non bancaires. LTCM, un hedge fund utilisant diverses stratégies de négociation, dont les convergence trades et le dynamic hedging, a vu son capital chuter de moitié, passant de 4,7 Md$ au début de 1998 à 2,3 Md$ au mois d’août 1998 après un retournement du marché des titres adossés à des créances hypothécaires aux États-Unis et la restructuration de la dette obligataire russe au milieu de l’année 1998. La recherche de nouveaux investisseurs par LTCM au début du mois de septembre 1998 s’est avérée infructueuse. En outre, la demande croissante de garanties de la part des contreparties de LTCM avait épuisé les liquidités du fonds et accru la probabilité d’un défaut de paiement à la fin de ce même mois. Le 31 août 2008, LTCM disposait de 125 Md$ d’actifs et avait une position brute sur produits dérivés couvrant un notionnel de 12 500 Md$. À ce moment-là, aux États-Unis, seules huit banques avaient des positions sur produits dérivés couvrant un notionnel supérieur à 1 000 Md$. La FRBNY a alors soutenu que la liquidation de LTCM aurait eu des répercussions négatives non négligeables sur ses contreparties et sur les marchés financiers en général et a dès lors exercé une pression morale pour orchestrer son sauvetage par un consortium de quatorze de ses principaux créanciers et contreparties (PWG, 1999)3.

Des exemples d’opérations de sauvetage de banques dans d’autres pays prouvent que la doctrine TBTF a traversé les frontières. Pendant les quatre crises financières centrées sur les banques des deux dernières décennies, les gouvernements de Norvège, Finlande, Suède et du Japon ont injecté des sommes d’argent faramineuses des contribuables dans les banques en difficulté. En Norvège, le gouvernement est venu à l’aide de trois des quatre premiers établissements bancaires norvégiens – Den Norske Bank, Christiania Bank og Kreditkasse et Fokus Bank – en leur injectant des capitaux par le biais d’un fonds gouvernemental d’assurance en 1990 et 1991. En Finlande, la Finish Skopbank et la Savings Bank ont été sauvées de la crise par le gouvernement entre 1991 et 1993. En Suède, le gouvernement a établi une garantie conjointe pour les banques suédoises au début des années 1990 et a acquis la Nordbanken et la Gota Bank. Au Japon, le gouvernement et la banque centrale ont renfloué plusieurs établissements bancaires, tels que les jusen (coopératives immobilières), de 1994 à 2000 (BRI, 2004 ; Reinhart et Rogoff, 2009).

En revanche, après son effondrement dû à la conjonction de fraudes, de risques de marché et de contrôles internes insuffisants, la banque d’investissement britannique Barings n’a pas reçu le soutien du secteur public sollicité par ses dirigeants parce que les négociations de la Banque d’Angleterre avec des acquéreurs potentiels n’avaient pas abouti. La faillite de Barings, causée par des risques idiosyncratiques, est néanmoins l’exemple de la faillite d’une banque de petite taille et dépourvue de liens solides avec d’autres banques, comme en atteste son bilan d’environ 5,9 Md£ et le montant des financements en provenance d’autres banques qui s’élevait approximativement à 1,4 Md£. Cette faillite a conduit l’industrie financière à renforcer sa gestion des risques financiers et ses contrôles internes (BRI, 2004).

Arguments en faveur de la doctrine too big to fail

Compte tenu de la distorsion potentielle de la concurrence et des sommes d’argent des contribuables engagées dans de nombreuses opérations de sauvetage, les organismes de régulation devaient justifier leur pratique de renflouement et rechercher activement d’autres méthodes pour gérer les faillites des banques4. La FDIC a tout d’abord justifié ses opérations de sauvetage en invoquant le risque de réactions en chaîne : paniques bancaires, détérioration de la confiance du public dans l’ensemble du système financier et perturbations graves dans les règlements et les paiements au niveau national et international. L’un des objectifs de la FDIC était de renforcer la confiance du public dans le système financier des États-Unis dans un climat de concurrence internationale entre les différents systèmes et centres financiers. La FDIC a aussi mis en garde que les coûts élevés et la complexité liés à la liquidation d’une grande banque ainsi que la quantité importante des dépôts non assurés pendant la procédure risquaient d’ébranler la stabilité du système financier (FDIC, 1997).

Tentatives infructueuses d’abandon de la doctrine too big to fail

À la suite du sauvetage coûteux de Continental, les organismes de régulation ont été fortement incités à mettre au point d’autres approches de gestion des faillites d’établissements bancaires. Tout d’abord, bien avant le sauvetage de Continental, la FDIC avait introduit en 1983 une nouvelle mesure qui consistait à garantir les créances en tenant compte de la valeur de liquidation de la banque. Cependant, le régulateur n’employait ce mécanisme que pour des petites banques et lorsque Continental a dû faire l’objet d’un sauvetage, « la prudence l’emporta sur l’expérimentation » (Gup, 2004). Dans un deuxième temps, certains membres du Congrès ont proposé une loi interdisant aux organismes de régulation de protéger les créanciers non assurés. Toutefois, en raison des craintes de perte de flexibilité en matière de régulation, cette interdiction n’est pas entrée en vigueur. En troisième lieu, le Federal Deposit Insurance Corporation Improvement Act (FDICIA) de 1991 a limité le soutien discrétionnaire du gouvernement en renforçant la politique du moindre coût, en n’autorisant des exceptions que dans le cas de risque systémique et en exigeant un processus de prise de décisions complexes et une gouvernance appropriée. Ces actions politiques ont incité les institutions à éviter le recours à la doctrine TBTF, sans parvenir à l’éliminer (FDIC, 1997).

Aléa moral : la discipline du marché ébranlée

Du point de vue économique, les garanties TBTF des gouvernements sont une arme à double tranchant. Ex post, elles limitent les risques des défaillances institutionnelles pour le reste du système. Néanmoins, ex ante, elles réduisent aussi implicitement la discipline du marché imposée par l’éventualité de paniques et de faillites d’institutions financières, augmentant ainsi les risques de faillites institutionnelles. Cela s’explique par le risque d’aléa moral par lequel des signaux de prix et de quantités erronés envoyés par les créanciers influencent les dirigeants des banques quant au rendement optimal risque/rentabilité de leurs activités. Pensant qu’une banque bénéficie d’une garantie gouvernementale, les créanciers sont moins incités à suivre et à évaluer les risques bancaires. Par conséquent, les banques perçues comme TBTF par les investisseurs recevront des financements plus avantageux que ceux qu’elles pourraient obtenir sans une garantie implicite de l’État, ce qui permettra une prise de risques accrue et une croissance accélérée, entraînant éventuellement une distorsion de la concurrence au sein de l’industrie et une mauvaise allocation des ressources dans l’économie (Hughes et Mester, 1992 ; O’Hara et Shaw, 1990 ; Stern et Feldman, 2004).

Toutefois, les incitations déformées qui en résultent diffèrent suivant les différents stakeholders d’une banque, c’est-à-dire les dirigeants, les actionnaires et les créanciers. Les dirigeants cherchent à maximiser la valeur actuelle nette de leur rémunération, souvent liée à la maximisation de la valeur actionnariale, mais savent que leur réputation et leur carrière sont en jeu. La possibilité de perdre leur emploi en cas de faillite de la banque, comme cela a été le cas lors de la faillite de Continental et de First Republic, les incite à limiter les risques et à éviter un renflouement. De même, les actionnaires perdent habituellement une grande partie ou la totalité de leurs investissements si leur banque est renflouée et ont donc tout intérêt à maintenir la banque à flot sans avoir recours à un sauvetage du gouvernement. En revanche, les créanciers non garantis de Continental et de First Republic ont vu leurs dépôts entièrement protégés par le gouvernement, bénéficiant ainsi d’une situation de hold-up. Premièrement, les créanciers bancaires eux-mêmes sont souvent des institutions financières qui posent des risques supplémentaires de réactions en chaîne s’ils ne sont pas remboursés. Deuxièmement, un processus lent et coûteux d’insolvabilité d’une banque complexe pourrait avoir des répercussions négatives sur d’autres parties du système financier non directement impliquées. À ce sujet, Stern et Feldman (2004) définissent la notion TBTF comme « un terme qui décrit le soutien discrétionnaire du gouvernement aux créanciers non garantis d’une banque qui n’ont pas forcément le droit de bénéficier de ce soutien » et mettent l’accent sur le rôle de ces créanciers dans le problème d’aléa moral causé par la notion TBTF (Hughes et Mester, 1992 ; O’Hara et Shaw, 1990 ; Stern et Feldman, 2004).

Pour résumer, dans le contexte d’une doctrine TBTF, les problèmes de coordination économique revêtent deux aspects. Ils causent ex post des coûts directs de renflouement de créanciers non garantis et, par conséquent, contribuent ex ante à la crise financière suivante en incitant à l’aléa moral, ce qui conduit à une distorsion de concurrence et une mauvaise allocation des ressources.

Too big to fail et la crise financière récente : contribution et apparition

Contribution de la doctrine too big to fail à la crise financière récente

Preuves à l’appui

Cette section examine la contribution potentielle de la doctrine TBTF à la crise récente. Elle évalue si cette doctrine était en vigueur et si la structure de l’industrie bancaire avant la crise a pu également aggraver cette dernière.

Premièrement, l’évaluation du système financier et des conditions de refinancement des banques indique que la doctrine TBTF existait déjà avant la crise. Les grandes banques à activités internationales diversifiées ont bénéficié d’une réduction considérable de leurs coûts de refinancement dans un environnement de marché marqué par des spreads très faibles pour les obligations émises par les banques avant la crise. Cela s’explique par le fait que leurs notations étaient nettement plus élevées que celles des plus petits établissements financiers, ce qui reflétait que la probabilité du soutien de l’État était un facteur de notation important (Rime, 2005 ; Standard & Poor’s, 2011)5. En outre, certains indicateurs montrent que les banques se sont développées et sont devenues plus complexes avant la crise financière récente. En premier lieu, la taille du secteur financier, mesurée par le volume d’emprunts, a augmenté considérablement au cours de la décennie qui a précédé la crise, affichant une croissance plus rapide que celle du PIB de la plupart des économies développées (McKinsey, 2010).

Deuxièmement, le niveau d’endettement des institutions financières, mesuré comme étant le rapport des actifs sur les capitaux propres, a augmenté de manière significative aux États-Unis (+32%) et au Royaume-Uni (+27%) entre 2002 et 2007, mais il est resté à peu près inchangé dans d’autres économies développées pendant la même période. Les broker dealers américains ont notamment porté leur niveau d’endettement à 47% pendant cette période, soit une augmentation bien plus forte que pour le reste du système financier américain. Cette évolution a eu lieu après l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation sur le capital net pour ces broker dealers, élaborée par la Securities and Exchange Commission (SEC) en 2004. Certains critiques estiment que cette nouvelle réglementation a en partie contribué à l’augmentation de l’endettement (McKinsey, 2010 ; US Government Accountability Office, 2009).

Troisièmement, le degré de mondialisation des institutions financières a considérablement augmenté au cours de la décennie qui a précédé la crise. La part d’actifs des banques étrangères ainsi que les créances intérieures liées aux crédits bancaires domestiques ont considérablement augmenté dans de nombreux pays en développement. Il en résulte que les prêts bancaires d’institutions étrangères ont atteint 1 500 Md$ dans les marchés asiatiques émergents, 900 Md$ en Europe de l’Est et 800 Md$ en Amérique latine au troisième trimestre 2009. Si l’on s’en tient au nombre d’institutions financières, la part de banques étrangères est passée de 23% à 38% au cours de la décennie qui a précédé la dernière crise (BRI, 2010a).

Contre-preuves

Il existe aussi des signes de l’absence de la doctrine TBTF au cours des années qui ont précédé la crise. Premièrement, au cours des années qui ont suivi la faillite de Continental et de First Republic, des progrès considérables ont été accomplis en matière de gestion des risques. En 1988, l’accord de Bâle issu du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a établi des ratios de solvabilité pondérés en fonction du risque de crédit. Cet accord a été appliqué par plus de 100 pays dont ceux du G10. Le deuxième accord de Bâle (Bâle II) a mieux défini la notion d’exigence de fonds propres, notamment en tenant compte de différents types de risques tels que les risques de crédit, les risques de marché et les risques opérationnels. Cet accord a été ratifié par les pays de l’Union européenne membres du Comité de Bâle ainsi que par le Japon et la Suisse avant la crise récente. Deuxièmement, certaines grandes banques à activités internationales diversifiées, dont Barclays et la Deutsche Bank, ont surmonté la crise des marchés financiers sans assistance directe des gouvernements.

Enfin, bien que cette crise ait touché ces grandes banques, elle s’est principalement déclarée sur le segment subprime des crédits immobiliers américains, absents du bilan des banques (Acharya et Richardson, 2009).

Bien qu’elles présentaient des risques systémiques, les grandes banques à activités internationales diversifiées n’ont pas été à l’origine de la crise

En résumé, des données factuelles suggèrent que la doctrine TBTF était présente avant la crise, ce qui pourrait expliquer la faible discipline de marché et la mauvaise allocation de ressources. Parallèlement, le poids et la complexité croissante des banques conjugués à la doctrine TBTF auraient pu aggraver la crise. Cependant, les progrès considérables réalisés en matière de gestion des risques dans le monde et les exemples de banques ayant réussi à surmonter la crise sans aide gouvernementale illustrent que les grandes banques à activités internationales diversifiées ne sont pas en elles-mêmes la cause fondamentale de la crise, bien que le cours des événements de celle-ci ait été fortement influencé par les risques systémiques desdits établissements. En effet, dans un environnement caractérisé par l’insuffisance des normes de crédit et une réglementation procyclique et laxiste, ce sont les banques dont le business model était trop limité, dont les financements étaient peu diversifiés et tendus et dont le capital était trop faible par rapport aux risques encourus, ou encore les banques acquises au mauvais moment qui ont rencontré le plus de difficultés.

Apparition du modèle too big to fail dans la crise financière récente

La doctrine TBTF a été appliquée tout au long de la crise. De nombreuses opérations de sauvetage fortement médiatisées ayant nécessité des sommes considérables – issues des caisses de l’État – ont placé le problème TBTF au cœur du débat dans le monde entier. Avant même la faillite de Lehman Brothers, IKB et Sachsen LB ont fait l’objet d’un sauvetage en Allemagne au deuxième semestre 2007 et Northern Rock a été nationalisée au Royaume-Uni au début de 2008. Aux États-Unis, en 2008, JP Morgan a accepté d’acheter la banque d’investissement Bear Stearns, alors en proie à des difficultés, à l’aide d’un financement sans conditions de 30 Md$ accordé par la Federal Reserve. En juillet 2008, le prêteur hypothécaire nord-américain IndyMac a été renfloué par la FDIC. Fannie Mae et Freddie Mac l’ont suivi de près, le gouvernement des États-Unis ayant décidé de placer ces deux sociétés sous son contrôle. Ces opérations ont permis aux gouvernements et aux organismes de contrôle d’éviter une crise de confiance majeure. En dépit de ces opérations de sauvetage, ce sont paradoxalement la faillite de Lehman Brothers et l’effondrement quasi complet des marchés financiers qui ont installé le modèle TBTF.

La faillite de Lehman Brothers

Après des événements dramatiques et l’échec d’une opération de sauvetage, Lehman Brothers a été déclaré en cessation de paiement le 15 septembre 2008. Sans l’ombre d’un doute, cet événement a fait l’effet d’une douche glacée pour le système financier mondial et ébranlé encore plus un marché interbancaire déjà tendu au point de frôler le blocage total. Cependant, les mécanismes qui auraient permis la fermeture progressive de cette banque en minimisant l’impact de sa faillite sur le système financier n’étaient pas en place. À première vue, cette faillite était le contre-exemple parfait de la doctrine TBTF. Néanmoins, les événements qui ont suivi son effondrement ont révélé qu’il existe réellement des institutions financières qui sont trop grandes pour faire faillite, illustrant l’existence d’une doctrine TBTF au niveau mondial. L’onde de choc causée par cette faillite a ébranlé le système financier. Lehman Brothers a posé des risques de contrepartie non négligeables et a mis en évidence le manque de transparence sur les actifs bancaires régnant sur les marchés. En outre, les acteurs du marché monétaire ont compris que si Lehman Brothers n’était pas un établissement TBTF, d’autres grandes banques d’investissement ne l’étaient pas non plus. La détérioration de la confiance entre les banques, les préoccupations croissantes sur les liquidités et les difficultés potentielles des banques emprunteuses ont souligné qu’il était impossible d’évaluer les risques liés aux prêts sur le marché interbancaire. Compte tenu de l’absence de liquidités, les prix des actifs ont continué à chuter (Acharya et Richardson, 2009).

Le cas de Hypo Real Estate

Huitième banque allemande en termes d’actifs, le bailleur de fonds immobilier Hypo Real Estate (HRE) a subi les conséquences directes de ces événements : une crise de liquidité au sein de sa filiale irlandaise Depfa Bank (Depfa), un bailleur de fonds spécialisé en finances publiques et acquis par HRE à l’automne 2007. Le refinancement de ses activités dépendait largement du marché interbancaire et d’autres options de refinancement garanties et non garanties. Des volumes importants de prêts à long terme étaient refinancés par des fonds à court terme. L’actif du bilan était très affecté par des pertes élevées sur la base des fair values et il n’y avait pas de fonds disponibles pour refinancer les émissions de valeurs mobilières venant à échéance du côté du passif. La situation s’est aggravée lors de la demande d’appels de marge sur dérivés, la multiplication des exigences de la part des agences de notation en matière de garanties pour maintenir la notation des obligations et des dénonciations de lignes de financement. La crise financière a eu un effet secondaire : une crise de solvabilité. La dégradation du marché de l’immobilier commercial a eu un impact négatif sur l’évaluation des actifs immobiliers, ce qui a entraîné l’augmentation des provisions pour pertes sur prêts dans le bilan de HRE, provoquant la chute libre des capitaux propres comptabilisés en IFRS (International Financial Reporting Standards). Une crise de liquidité et une crise de solvabilité ont menacé la survie de HRE. Étant donné l’importance systémique du groupe HRE, l’intervention du gouvernement s’est avérée indispensable.

En premier lieu, au vu de son bilan d’environ 400 Md€, HRE était comparable en taille à Lehman Brothers. Une liquidation désordonnée d’un groupe international avec un tel bilan aurait eu des effets dévastateurs sur plusieurs marchés, dont les marchés des titres d’emprunt des gouvernements de la zone euro sur lesquels aurait plané le risque souverain encouru par le bilan de Depfa. Il est fort probable que l’euro aurait été mis sous pression bien avant que les problèmes d’endettement des gouvernements grec et irlandais n’apparaissent.

En deuxième lieu, HRE est un acteur de premier plan dans le marché Pfandbrief allemand (covered bonds ou lettres de gage). À la fin du mois de septembre 2008, plus d’un tiers des dettes de HRE étaient Pfandbriefe et HRE – via ses trois filiales bancaires – détenait 12% des Pfandbriefe du secteur public allemand et des marchés immobiliers. Le marché Pfandbrief allemand – dont le volume considérable était de 805 Md€ en décembre 2008 – était alors le marché d’obligations sécurisées le plus ancien, le plus important et le plus strictement réglementé au monde et n’avait jamais été en défaut de paiement. Si HRE faisait défaut en tant qu’émetteur de valeurs, le sentiment général du marché aurait été négatif et les prix auraient chuté entraînant des perturbations sur l’ensemble des Pfandbriefe.

En troisième lieu, HRE émettait non seulement des Pfandbriefe, mais aussi des titres non garantis. Parmi les détenteurs à court terme de dettes non garanties de Depfa ou de détenteurs de dettes garanties par Depfa se trouvaient plusieurs fonds et institutions déjà en difficulté depuis la faillite de Lehman Brothers. Si le groupe s’effondrait, les détenteurs de titres non garantis se seraient retrouvés subordonnés aux détenteurs de Pfandbriefe. En outre, une grande quantité de ces titres non garantis étaient assurés par le fonds allemand privé d’assurance des dépôts. Le système bancaire allemand n’aurait pas pu supporter la faillite de HRE.

Enfin, en raison du poids de son bilan, HRE est une contrepartie non négligeable dans le marché des produits dérivés et le marché de la mise en pension (repos), où les risques sont contenus et les titres financés. Dans ce marché, le défaut de paiement aurait signifié qu’un grand nombre d’opérations de mise en pension et d’opérations sur dérivés auraient dû être levées et remplacées par de nouveaux contrats avec d’autres parties, mais ce processus est coûteux.

HRE a été stabilisée par l’apport de liquidités externes et de soutien en capital. Une assistance de liquidité d’urgence fournie par la Deutsche Bank et un prêt garanti de 50 Md€, dont 35 Md€ bénéficiant d’une garantie gouvernementale, ont assuré la continuité d’exploitation du groupe et endigué sa faillite incontrôlable au début du mois d’octobre 2008. Le volume de soutien de trésorerie a atteint 102 Md€ au premier trimestre 2009, garantis en grande partie par le fonds allemand de stabilisation des marchés financiers (SoFFin). De plus, tel qu’il apparaissait en avril 2010, ce fonds avait fourni à HRE de nouveaux fonds propres à hauteur de 7,9 Md€. Pour HRE, les besoins totaux en recapitalisation sont estimés de manière constante à 10 Md€.

Plans de sauvetage du secteur bancaire, récession économique et crise d’endettement

Contrairement à Continental et à First Republic, HRE n’a pas été renfloué par un effort isolé suivant la faillite de Lehman Brothers, mais plutôt dans le cadre d’un embrasement financier qui posait des difficultés spécifiques. Les gouvernements des économies avancées étaient intervenus pour soutenir les banques et les établissements financiers au moyen d’actions isolées dirigées vers les institutions individuelles et de programmes couvrant l’ensemble du système. En outre, les banques centrales ont commencé à acquérir des actifs financiers en vue de soutenir les marchés d’actifs financiers spécifiques et d’améliorer les conditions des marchés financiers en général, allant jusqu’à risquer les deniers publics. Les mesures de sauvetage entreprises par les gouvernements consistaient généralement en trois volets : injections de capitaux pour renforcer les capitaux propres des banques, garanties explicites sur les dettes pour maintenir l’accès des banques au financement et achats de garanties d’actifs historiques douteux pour réduire les risques de pertes lourdes encourus par les banques. L’ampleur des interventions et les mesures déployées ont beaucoup varié selon les pays. Dans les pays, tels que le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, où le système bancaire a un poids non négligeable par rapport à l’économie réelle, l’intervention a été plus importante, contrairement aux pays, tels que le Japon et l’Italie, où les banques se consacrent principalement aux opérations de prêts traditionnels et ont dès lors été moins affectées par la crise. Des données de la Banque des règlements internationaux (BRI) datant du milieu de l’année 2009 montrent que le Royaume-Uni remportait le palmarès des pays européens en matière de dépenses en faveur des banques, c’est-à-dire d’après le volume de dettes bancaires garanties par le gouvernement. Ce pays a engagé environ 44% de son PIB en faveur des banques, suivi des Pays-Bas (17%), de l’Allemagne (6%) et de la France (5%). Au-delà des frontières de l’Europe, les États-Unis ont engagé environ 7% de leur PIB pour les banques américaines et l’Australie, 10%. Le volume des engagements dépasse ces chiffres (BRI, 2009 ; Stiglitz et Greenwald, 2003).

L’agitation et l’incertitude suscitées par la crise dans les marchés financiers se sont soldées par un ralentissement prononcé de l’économie réelle, ce qui a poussé les gouvernements à prendre des mesures de stimulation. L’endettement public a pris des proportions considérables, principalement en raison des coûts élevés des mesures de stimulation, de la baisse des recettes fiscales à la suite de la récession économique et des opérations d’aide de grande envergure des États.

Vers une doctrine d’institutions financières d’importance systémique

Pour répondre à ces événements, les dirigeants du G20 ont décidé, lors du sommet de Pittsburgh, de « prendre des mesures concrètes pour aller de l’avant par le biais de nouvelles réglementations financières plus strictes afin que des crises comme celle-ci ne se reproduisent plus » et « que les États et les gouvernements ne subissent plus le chantage des banques » (Bundesregierung, 2009 ; The Whitehouse, 2009). En effet, les nombreuses opérations de sauvetage des banques TBTF ont confirmé et aggravé le problème global des TBTF. Néanmoins, la crise récente a révélé que l’importance des institutions financières dans le système financier découle de plusieurs facteurs et pas seulement de leur taille. On peut citer, par exemple, l’interdépendance entre les banques et les autres institutions, les similarités entre banques, leur complexité et la substituabilité de leurs services.

Le premier facteur est donc la taille de l’établissement financier définie par son bilan qui reflète le volume de ses opérations. Tel que décrit dans la section consacrée au cas HRE, la liquidation incontrôlée de son bilan de 400 Md€ aurait ébranlé les marchés financiers. L’ampleur de l’exposition de Depfa aux risques souverains aurait fait planer une épée de Damoclès sur le marché secondaire de la dette publique. De plus, en raison du montant important des Pfandbriefe et de la part que tenait HRE sur ce marché, un défaut de paiement aurait eu un impact négatif sur le marché Pfandbrief allemand.

Deuxième facteur, l’interdépendance fait référence aux relations directes et indirectes qu’entretient une banque avec d’autres banques, au niveau national ou international, et avec d’autres établissements financiers non bancaires. Ces relations peuvent découler des activités de financement de la banque comme l’émission de titres, la réception de lignes de crédit ou de dépôt. L’interdépendance peut également être due à des opérations faisant intervenir des contreparties, liées à la banque à hauteur de la valeur nette du risque des transactions sur repos et produits dérivés. Le cas de HRE souligne l’importance de l’interdépendance. Il comptait de nombreux fonds et institutions financières parmi les détenteurs de dettes Depfa à court terme non garanties ou de dettes adossées à Depfa. HRE était aussi une contrepartie non négligeable dans les marchés internationaux de la mise en pension de titres et des dérivés.

Troisième facteur, la ressemblance fait allusion aux banques en tant qu’entités systémiques qui s’inscrivent dans un ensemble d’institutions financières aux risques corrélés. En ce sens, de nombreuses institutions de poids moindre, mais exposées de manière semblable à un choc pourraient avoir les mêmes répercussions sur le système qu’une institution plus importante. L’histoire regorge d’exemples tels que la crise des savings and loans qui a secoué les États-Unis dans les années 1980 et la petite crise bancaire en Angleterre au début des années 1990 (Brunnermeier et al., 2009).

Quatrième facteur, la complexité d’une banque est liée à celle de son modèle d’organisation et de gestion. Le cas de HRE souligne l’importance de cet aspect. Compte tenu des nombreuses relations intragroupe existant entre HRE et sa filiale Depfa, la mise sous administration judiciaire de cette dernière se serait retournée contre le reste du groupe (HRE, 2009).

Enfin, la substituabilité des services illustre la dépendance du système financier à l’égard d’une banque en difficulté. En d’autres termes, le système financier peut-il se permettre sa disparition ? Il pourrait en être ainsi en cas de parts de marché élevées détenues par un établissement en difficulté dans une certaine catégorie de produits. Ces services non substituables peuvent être des services de paiement et de compte fournis aux commerces de détail ou aux petites entreprises, tout comme la conservation de titres.

Ces facteurs s’intègrent dans une approche plus large de l’importance d’une banque dans le système financier, dans lequel les risques encourus par celle-ci dépendent en grande partie du comportement d’autres établissements financiers. Cette approche se reflète aussi dans le concept d’institutions financières d’importance systémique (IFIS) auquel se réfère le Conseil de stabilité financière (CSF). À noter cependant que l’importance relative de facteurs individuels dans l’importance systémique d’une institution est susceptible de changer au fil du temps. Dans le débat général sur l’importance systémique, le poids accordé aux facteurs individuels varie. De plus, il sera très difficile de mesurer les facteurs individuels et les effets secondaires ainsi que de traduire en exigences de capital l’importance du risque systémique causée par la banque sur le système financier.

Les avantages des grandes banques à activités internationales diversifiées

Pour mettre en œuvre l’accord pris par les dirigeants du G20 de ne plus jamais permettre des crises de ce type, on pourrait envisager le démantèlement des IFIS, à l’instar de l’Independent Banking Commission du Royaume-Uni qui étudie cette possibilité. Toutefois, cette hypothèse supprimerait les avantages que présentent les grandes banques à activités internationales diversifiées dans un environnement de plus en plus mondialisé. Par conséquent, avant d’évoquer les aspects réglementaires soulevés par la nouvelle doctrine des IFIS, cette partie souligne les avantages de telles banques.

Le processus de mondialisation est un moteur de développement économique, favorisant la croissance et réduisant la pauvreté des pays mondialisés intégrés et ces grandes banques y contribuent de plusieurs façons (IIF, 2010).

Contribution de ces grandes banques à la croissance économique

Premièrement, ces grandes banques contribuent à la croissance économique. En effet, elles fournissent les produits et les services dont les sociétés nationales comme internationales ont besoin. Entre autres produits et services, elles fournissent des crédits aux pays émergents et favorisent les mouvements de capitaux vers les marchés émergents. Elles contribuent également à l’intégration et à l’efficacité des marchés boursiers, des marchés obligataires et des devises au niveau mondial et proposent des services financiers internationaux, favorisant ainsi la croissance de leurs clients, par exemple en participant au financement de la chaîne d’approvisionnement. Deuxièmement, elles sont en mesure de réaliser des économies non négligeables grâce au partage des infrastructures, du savoir-faire et de l’information. Néanmoins, des études suggèrent que lorsque le champ d’action d’une société augmente, les gains en efficacité sont atténués par les coûts qu’implique la complexité. Troisièmement, elles peuvent miser sur des économies d’échelle pour réduire les frais fixes dans des domaines comme les technologies de l’information, les activités de back office ou les exigences réglementaires. Bien que des études aient prouvé une amélioration considérable en matière de système de paiement et de règlement, les résultats restent mitigés sur la question de l’existence d’un seuil d’économie d’échelle (BRI, 2010b).

Contribution de ces grandes banques à la résilience du système financier

Ces grandes banques contribuent aussi à la stabilité économique et financière. Premièrement, elles diversifient les risques liés à leurs flux d’actifs et de revenus. Deuxièmement, au fil de l’histoire et récemment, bien gérées, elles ont contribué à une résolution efficace des défaillances d’institutions en difficulté, y compris d’établissements importants tels que First Republic (acquis par la NCNB Corporation) et Bear Stearns (acquis par JP Morgan). Ce type d’acquisitions évite le soutien du gouvernement, fait assumer le risque par le secteur financier et est donc de fait un rachat par le secteur financier lui-même. Troisièmement, celles qui ont une présence internationale contribuent à la stabilité en soutenant leurs filiales dans des marchés émergents spécifiques ou, alternativement, en faisant appel à leur réseau pour combler les creux de liquidité. En ce sens, les banques internationales d’Europe de l’Ouest ont contribué à la stabilité financière de l’Europe centrale et de l’Est.

Pour résumer, ces grandes banques remplissent diverses fonctions bénéfiques pour l’économie mondiale et contribuent dès lors à la croissance économique. Il convient de garder cela à l’esprit au moment de débattre sur la régulation.

Dépasser la doctrine too big to fail : réglementer les IFIS

Objectifs macroéconomiques : un équilibre optimal nécessite de tenir compte de la croissance économique

Une fois l’existence légitime et les effets externes potentiellement négatifs des IFIS reconnus, les efforts déployés pour les réglementer devraient aller vers un équilibre entre les divers objectifs macroéconomiques. D’une part, les réglementations devraient permettre aux banques de favoriser durablement la croissance économique et le bien-être. D’autre part, elles devraient assurer la sécurité et la sûreté des institutions financières et de l’ensemble du système financier. En outre, elles devraient garantir des finances publiques saines et empêcher l’utilisation de l’argent des contribuables à des fins de sauvetage bancaire. La conception de nouvelles réglementations déterminera si une meilleure sécurité et une meilleure sûreté sont atteintes au détriment de la croissance ou si un équilibre optimal entre croissance, solidité et sécurité peut être atteint.

Bâle III : améliorer la sécurité et la sûreté du système bancaire dans son ensemble

À la suite de la crise récente, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a renforcé en 2009 les règles de Bâle II, en amendant les exigences de fonds propres pour les positions du portefeuille de négociation et le dispositif pour le risque de marché ainsi qu’en durcissant les exigences en matière de titrisation et de retitrisation.

Une version profondément modifiée de Bâle II, le nouvel accord de Bâle (Bâle III), a été approuvée en décembre 2010. Cette nouvelle réglementation prévoit une amélioration de la qualité, de la continuité et de la transparence des fonds propres, le renforcement de la couverture des risques, la réduction de la procyclicité par la mise en place de marges de sécurité sur les fonds propres et de méthodes de provisionnement dynamique ainsi que l’inclusion de surcharges en capital pour répondre aux risques systémiques et à l’interdépendance dans le système financier (BRI, 2010c).

Les nombreuses recapitalisations de banques et l’injection répétée de liquidités par les gouvernements pendant la crise ont souligné l’importance du durcissement des exigences en matière de capitaux propres et de liquidité. Cependant, il semble indispensable de mieux évaluer les changements proposés avant de les mettre en œuvre. En effet, leurs détracteurs, parmi lesquels figurent des organismes de régulation, soutiennent que les nouvelles normes en matière de capitaux propres et de liquidité vont conduire vers un « brusque darwinisme financier » où seules les banques les plus fortes survivront, ce qui limitera la concurrence et augmentera par conséquent les risques systémiques (Matussek et Aarons, 2011). De plus, les organismes de contrôle devront s’atteler à une tâche difficile : décider de manière discrétionnaire et au cas par cas si le capital conditionnel d’une institution potentiellement en proie à des difficultés peut absorber des pertes à un moment donné avant que l’institution en question ne fasse faillite. Par ailleurs, les opposants à ces réglementations qualifient le taux d’endettement d’instrument simpliste car il ne tient pas compte du risque des actifs, ce qui pourrait avoir un effet non souhaité : évincer les actifs faiblement pondérés en fonction du risque en faveur des actifs à haut rendement fortement pondérés par rapport au risque, ce qui augmenterait les risques au bilan des banques. Au niveau macroéconomique, le taux d’endettement pourrait entraîner une diminution des offres de crédit, ralentissant ainsi la croissance économique (Frenkel et Rudolf, 2010). Bien que les marchés exigent déjà que les banques appliquent ces nouvelles exigences en matière de capitaux, qui ne doivent prendre effet que dans quelques années, il est essentiel d’observer ce processus avec précaution et de modifier les réglementations s’il y a lieu.

Dépasser la doctrine too big to fail : propositions du Conseil de stabilité financière pour la régulation des IFIS

Les principaux objectifs des réglementations de Bâle III visent à renforcer la sûreté des banques et à réduire une propagation du risque systémique tant dans le système financier que dans les banques. En octobre 2010, le CSF a recommandé l’application d’une réglementation supplémentaire spécifique aux IFIS. Cette disposition se développe actuellement au niveau des autorités financières nationales, du Comité de Bâle et, de manière sélective, de certains organismes de régulation supranationaux (CSF, 2010).

Exigences en matière de capital : améliorer la capacité des banques à absorber les pertes risque d’avoir des conséquences non souhaitées

La recommandation du CSF consiste à augmenter la capacité des IFIS, notamment des IFIS internationales, à absorber les pertes afin de minimiser les risques et les externalités potentielles qu’elles posent. Dans une certaine mesure, ces exigences plus strictes en matière de capitaux propres pourraient être couvertes par un capital conditionnel et des instruments financiers hybrides qui essuieraient les pertes en cas de défaillances. Le CSF n’a pas émis de recommandation en ce qui concerne les ratios exacts de fonds propres, mais la Banque nationale suisse (BNS) a imposé un ratio de capital total de 19 % à UBS et au Crédit suisse, ce qui traduit la dimension qu’un tel fardeau supplémentaire peut avoir (ELVRG, 2010).

Sans surprise, les associations du secteur financier et même les régulateurs mettent en garde contre des conséquences non souhaitées, soutenant que la perspective de devenir une société TBTF incite les banques à augmenter leurs bilans. En outre, les exigences cumulatives en matière de capitaux propres pourraient maximiser la concentration au sein du secteur financier et limiter la concurrence, comme indiqué ci-dessus. De plus, les activités financières pourraient se voir transférées au système bancaire parallèle (shadow banking system), c’est-à-dire à des parties non régulées du système financier. En ce qui concerne le capital conditionnel, la conception du mécanisme de conversion sera fondamentale dans la mesure où la perception du marché risque d'être influencée négativement si les fonds propres d’une institution se rapprochent du seuil de mise en œuvre, ce qui pourrait déclencher des death spirals (Pazarbasioglu et al., 2011).

Quoi qu’il en soit, le renforcement des exigences en matière de capitaux va créer un nouvel équilibre où les coûts élevés du capital additionnel pourraient s’accompagner d’une diminution des coûts de refinancement en raison de la baisse des risques de l’institution et du système dans son ensemble (Admati et al. 2010).

Régimes de résolution : un mécanisme efficace pour neutraliser les too big to fail à condition qu’il soit bien conçu

Outre le durcissement des exigences en matière de capitaux, le CSF propose un cadre complet permettant une résolution rapide des défaillances des institutions financières sans bouleverser le système financier et sans dépenser d’argent public. Premièrement, le cadre comprend un régime de résolution et la désignation d’une autorité de résolution ayant accès à des instruments pour distribuer les pertes entre les actionnaires et les créanciers non garantis. Deuxièmement, il est indispensable que la coordination et la coopération internationales des autorités de régulation nationales soient efficaces. Troisièmement, le CSF exige des IFIS internationales un plan de résolution et de redressement obligatoire, appelé aussi « testament bancaire » (living wills), qui détaille les procédures de démantèlement bien avant les premiers symptômes de difficulté6. Quatrièmement, les autorités de réglementation doivent avoir le pouvoir d’intervenir et d’exiger des changements de la structure juridique et opérationnelle au sein des banques si cela peut faciliter une résolution potentielle.

Plusieurs juridictions ont établi des régimes de résolution ou sont en voie de le faire, par exemple le special resolution regime (régime de résolutions spéciales) prévu par le Banking Act de 2009 au Royaume-Uni, la orderly liquidation authority (OLA) (procédure de liquidation ordonnée) prévue par la loi Dodd-Frank aux États-Unis et un processus de réorganisation et de transfert possible d’actifs vers une banque-relais prévu par la loi de restructuration en Allemagne. Cependant, d’après le CSF, nombreux sont les régimes existants qui ne remplissent pas entièrement les objectifs du CSF.

En outre, les régimes actuels manquent d’harmonisation. Par exemple, pour mettre en œuvre la procédure OLA, la FDIC doit emprunter au Trésor américain les fonds nécessaires pour stabiliser les institutions en difficulté. Ce dernier récupère une partie de ces fonds ex post auprès des créanciers de l’établissement en faillite, qui seront mieux remboursés qu’ils ne l’auraient été lors d’une faillite normale, et le reste par une évaluation ex post des holdings bancaires et des institutions non bancaires d’importance systémique (Acharya et al., 2011). En revanche, la loi de restructuration bancaire approuvée en novembre 2010 établissait un fonds de restructuration financé par l’industrie ex ante pourvoyant les ressources nécessaires à de potentielles résolutions futures.

Plusieurs facteurs clés devraient être pris en compte au moment de concevoir un régime de résolution.

Premièrement, afin de minimiser l’aléa moral, le financement d’un schéma de résolution devrait principalement venir du secteur financier, garantissant que les mesures de sauvetage consistent en des renflouements provenant du secteur lui-même. Cela favoriserait aussi la résolution de défaillances d’institutions internationales car si l’argent des contribuables n’était pas impliqué, il y aurait moins de conflits d’intérêts entre les pays. Outre les banques, toutes les institutions financières bénéficiant directement ou indirectement d’un processus de résolution ordonné devraient contribuer au financement suivant leur degré d’importance systémique. Cette mesure permettrait non seulement d’internaliser les coûts ex ante, mais aussi d’inciter les sociétés à limiter leur importance systémique. Cela dit, la contribution des institutions financières doit être échelonnée dans le temps afin de ne pas leur imposer – et, par conséquent, à l’industrie – un fardeau trop lourd au lendemain de la crise récente (Speyer, 2010).

Deuxièmement, tel que le suggère Acharya (2009), une organisation supranationale de coordination de la régulation des grandes banques à activités internationales diversifiées pourrait aussi favoriser la coordination et la coopération des autorités de contrôle dans le processus de résolution bancaire. De plus, l’harmonisation des régimes de résolution nationaux encouragerait la coordination et la coopération au plan international. Toutefois, cela exigera d’harmoniser les lois sur l’insolvabilité au niveau mondial, ce qui peut s’avérer difficile au vu du nombre de juridictions concernées. La Commission européenne a annoncé en octobre 2010 un plan d’action sur la gestion des crises qui traduit un effort vers l’harmonisation des régimes de résolution. Ce plan vise à développer des propositions législatives pour la prévention et la résolution de faillites bancaires. À long terme, un fonds de résolution géré au niveau supranational et une institution européenne veillant à l’efficacité des garanties de dépôts pourraient être mis en place, comme l’a conseillé le Conseil allemand d’experts en économie. La structure et les instruments de la FDIC pourraient servir de modèle pour la création de cette double institution de contrôle au niveau européen.

Troisièmement, il convient d’augmenter le niveau de transparence des IFIS globales de manière à limiter l’instabilité potentielle et préparer une résolution ordonnée en cas de faillite. La transparence devrait être renforcée au moyen de stress tests ou de plans de redressement ou de résolution et en définissant au préalable les points de rupture de l’organisation. Cependant, afin d’inciter les institutions à investir dans la transparence, un niveau de transparence plus élevé devrait s’accompagner d’exigences moins strictes en matière de capitaux pour récompenser l’amélioration de la protection contre la faillite, et ce, à l’image de vases communicants.

Pour résumer, à condition d'être bien conçu, un régime de résolution permettrait une liquidation ordonnée des IFIS et associerait les créanciers non garantis aux pertes, éliminant ainsi la cause principale du problème fondamental de l’aléa moral des TBTF. Associées à un fonds de résolution financé par le secteur, les externalités pourraient être internalisées ex ante et l’importance systémique se verrait réduite, transformant finalement les établissements TBTF en établissements TBDF (too big for disorderly failure) (trop grands pour une faillite chaotique).
Supervision : renforcer le cadre institutionnel, les incitations et la surveillance internationale

En règle générale, la surveillance doit être renforcée significativement, notamment parce que contrairement aux progrès réalisés en matière de réglementation, il y a eu très peu d’avancées en termes de surveillance à la suite de la crise récente. Les autorités de surveillance doivent relever le défi de mettre en œuvre un régime de résolution tel que décrit précédemment, garantissant ex ante un niveau élevé de transparence, de coordination et de coopération internationales et en mettant progressivement en œuvre le processus de résolution (Viñals et al., 2010).

Le CSF recommande que le cadre institutionnel de surveillance remplisse plusieurs critères. Premièrement, l’autorité concernée doit avoir un mandat clair, être indépendante et disposer de ressources suffisantes. Deuxièmement, les superviseurs doivent disposer de l’autorité nécessaire et des mécanismes institutionnels pour pouvoir intervenir. Troisièmement, l’autorité de surveillance doit travailler sur la base d’un ensemble de normes améliorées, dont des processus de détection des risques au niveau micro et macro. Enfin, un régime de contrôle strict est nécessaire afin de garantir une surveillance de qualité.

Cette recommandation mérite d'être analysée dans le détail. Premièrement, il semble indispensable de garantir l’indépendance des autorités de surveillance afin d’éviter « l’assujettissement de la surveillance », par exemple s’incliner devant les politiciens lorsqu’ils souhaitent octroyer des crédits à certains secteurs ou à certains groupes de population suivant leurs revenus. Deuxièmement, leurs dirigeants devraient avoir un esprit entrepreneurial, ne pas craindre d’assumer la responsabilité de la faillite des banques et des conséquences qu’elle entraîne et, idéalement, avoir de l’expérience dans la gestion d’établissements bancaires. Troisièmement, les autorités de surveillance doivent avoir accès aux ressources nécessaires pour être en mesure de résoudre la défaillance de grandes banques à activités internationales diversifiées. Dans le cas où de telles banques sont localisées dans de petits pays comme la Suisse, on pourrait envisager de transférer une partie de l’autorité de surveillance et de résolution et les responsabilités au niveau régional, c’est-à-dire européen. Enfin, la précision et la solidité des données au niveau micro et macro sont indispensables, notamment des dispositifs d’alarme efficaces et des statistiques fiables sur les montants des prêts des banques, établies par des institutions bancaires nationales et internationales.

Plusieurs autres aspects doivent être pris en compte en matière de surveillance.

Premièrement, l’aléa moral des autorités de surveillance doit être atténué par des incitations adéquates. Comme le soulignent Stern et Feldman (2004), les autorités de surveillance sont tentées de s’abstenir, c’est-à-dire de ne pas garantir la sécurité et la sûreté au bon moment, au risque d’aggraver une crise (Stern et Feldman, 2004). Les contre-mesures comprennent une comptabilité plus précise des garanties explicites et implicites et des coûts totaux des opérations de sauvetage, ainsi que des mandats clairs limitant l’arbitraire. En outre, minimiser la préoccupation des autorités de surveillance en matière de retombées économiques au moyen de stress tests et d’une planification continue des mesures d’urgence permettrait de réduire leur aversion à laisser les banques faire faillite. Une mesure encore plus drastique consisterait à mettre des obstacles au sauvetage des banques, par exemple en interdisant formellement leur renflouement.

Deuxièmement, comme souligné par Acharya et Richardson (2009), un organisme de surveillance unique consacré aux grandes banques à activités internationales diversifiées permettrait de réunir les compétences spécifiques requises, récolter de meilleures données et évaluer le risque de chaque institution de manière plus précise. De plus, afin d’éviter l’arbitrage réglementaire de la part d’institutions financières installées dans des juridictions où la réglementation est moins stricte, il a été suggéré d’établir une institution supranationale dotée de l’autorité suffisante et de ressources comparables à celles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Ce rôle pourrait être joué par le CSF (Davies, 2010)7.

Troisièmement, les effets d’une croissance interne et externe rapide sur la sûreté des banques doivent être pris en compte. Par exemple, Acharya et Richardson (2009) suggèrent que la croissance soit considérée comme un critère d’importance systémique. La réglementation contracyclique mise au point par le Comité de Bâle dans le cadre de Bâle III et le contrôle des opérations de fusion sont deux instruments que les autorités de surveillance pourraient employer pour limiter le risque systémique lié à la croissance trop rapide des IFIS.

En résumé, le CSF a fait de nombreuses propositions pour élaborer un cadre institutionnel de surveillance renforcé qui s’est avéré indispensable. Cependant, il convient de prendre garde aux incitations des autorités de contrôle, à la surveillance et la coordination internationales ainsi qu’à la croissance potentielle et au contrôle des opérations de fusion, aspects qui ne sont pas sans importance.

Infrastructure : les contreparties centrales peuvent augmenter la transparence et réduire l’interdépendance

Afin de renforcer l’infrastructure financière, le CSF recommande de mettre à jour les normes internationales concernant les systèmes de paiement, le règlement de titres et les contreparties centrales et d’exiger que les dérivés négociés de gré à gré soient échangés dans des Bourses s’il y a lieu, compensés entre contreparties centrales et portés à la connaissance de l’autorité de supervision.

Compte tenu de l’extrême incertitude qui planait après la faillite de Lehman Brothers autour de la transparence des actifs des banques et de la connaissance qu’en avaient le marché et les organismes de régulation, les propositions du CSF sont dans la bonne voie. Cependant, les contreparties centrales devront avoir des capitaux propres suffisants et faire l’objet de contrôles adaptés. Les réglementations sur la structure du secteur doivent se concentrer sur l’infrastructure centrale et permettre de renforcer la transparence et de réduire l’interdépendance.

Réflexions sur les réglementations liées aux propositions du Conseil de stabilité financière

Structure de l’industrie : les restrictions sur la taille et le modèle de gestion ont un coût économique

En vue de limiter l’importance systémique, les organismes de régulation ont envisagé des restrictions sur la taille des établissements et leur modèle de gestion. Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank contraint les banques à se séparer de leurs opérations sur produits dérivés et impose aux établissements de dépôt de séparer les transactions pour compte propre du reste de leurs activités et de céder leurs participations dans les hedge funds et les fonds de private equity. Au Royaume-Uni, l’Independent Banking Commission examine la séparation des opérations de gros et de détail8 et 9. Toute réflexion sur les limitations structurelles devrait tenir compte des avantages des grandes banques à activités internationales diversifiées, c’est-à-dire les économies d’échelle et leur champ d’action comme décrit précédemment. En règle générale, une concurrence limitée dans les modèles de gestion est un argument clé contre la restriction de la taille et des modèles de gestion des banques. Il est essentiel de chercher à garantir les mécanismes du marché libre.

Une autre suggestion, celle de l’indépendance des filiales et le financement décentralisé des banques multinationales, néglige l’effet stabilisateur potentiel de l’accès à des financements intragroupe. De plus, cette mesure entraînerait une augmentation considérable des coûts d’opération en raison de la multiplication des frais généraux ainsi que des problèmes liés aux disparités fiscales dans la mesure où la complexité juridique répond en grande partie à l’allégement des charges fiscales.

Taxe pigouvienne : difficulté pratique d’évaluation du risque systémique et d’application de cet impôt

Suivant le concept de la taxe pigouvienne, les banques devraient être fiscalisées sur leurs pertes en cas de défaut et sur l’estimation de leur part des coûts systémiques lors d’une crise, ce qui créerait un nouvel optimum où le système financier comporterait moins de risques systémiques et où les banques paieraient leur juste part des coûts systémiques. Par ailleurs, ces taxes pourraient être utilisées par les autorités de surveillance pour mettre en œuvre des mesures contracycliques.

Les organes de régulation n’ont pas envisagé d’appliquer une forme pure de la taxe pigouvienne. L’évaluation exacte des risques systémiques est un défi non négligeable et les banques tenteront de s’y soustraire, ce qui nous pousse à nous interroger sur le fait de savoir si les organismes de surveillance sont plus à même de surveiller les banques que le marché privé.

Conclusion : surmonter la doctrine too big to fail

Depuis son apparition dans les années 1980, la doctrine TBTF a globalement été maintes fois renforcée. Bien qu’il existe des preuves et des contre-preuves de la contribution des banques à la dernière crise financière, le cours des événements de ladite crise a été fortement influencé par le risque systémique des grandes banques à activités internationales diversifiées. Au vu des nombreux renflouements effectués par les gouvernements ces dernières années, la doctrine TBTF est sans aucun doute montée en puissance. Néanmoins, l’importance systémique de ces banques s’expliquait par divers facteurs autres que la simple taille, tels que l’interdépendance avec d’autres institutions, leurs ressemblances avec d’autres banques, leur complexité et la substituabilité de leurs services. La définition de « banques d’importance systémique » qui en découle est plus large et se reflète dans le terme d’IFIS établi par le CSF. Étant donné la contribution des grandes banques à activités internationales diversifiées à la croissance économique, au système financier et à la stabilité économique, il conviendrait d’élaborer des réglementations judicieuses plutôt que d’essayer de limiter leur taille. En outre, les propositions de réglementations devraient être étudiées à la lumière des différents objectifs macroéconomiques de croissance, de sûreté du système financier et de bonne santé des finances publiques.

Parmi les mesures de réglementation des IFIS proposées par le CSF outre Bâle III – surcharges en capital, régimes de résolution, renforcement de la surveillance et amélioration des infrastructures financières clés –, les régimes de résolution semblent les plus efficaces car ils font participer les créanciers non garantis aux pertes, supprimant ainsi la cause principale de l’aléa moral des TBTF. Premièrement, le durcissement des exigences en matière de capitaux propres renforcera la sécurité et la sûreté du système financier, mais ne pourra pas entièrement éviter une nouvelle crise. Dans ce cas, les régimes de résolution offrent un mécanisme et des règles claires pour réduire progressivement et de manière ordonnée les opérations des IFIS. Deuxièmement, en contraignant le secteur financier à contribuer ex ante à un fonds de résolution en fonction du risque systémique des institutions individuelles, un renflouement effectué par le système financier lui-même se
fait automatiquement et les créanciers sont incités à renforcer leur surveillance. Le mécanisme de marché peut ainsi être mis en oeuvre, les externalités internalisées et l’aléa moral réduit. À condition d’être bien conçus, ces régimes de résolution peuvent transformer les établissements TBTF en TBDF.
À l’heure où le système bancaire se redéfinit, il convient d’éviter les conséquences non souhaitées liées aux exigences en matière de capitaux propres de Bâle III et les surcharges potentielles de capital dans le cadre de réglementations spécifiques aux IFIS. Parmi ces conséquences, on peut citer l’augmentation de la concentration, la limitation de la concurrence et la fuite des activités financières vers le shadow banking, ce qui pourrait aggraver le problème des TBTF.
Une fois que les nouvelles réglementations entreront en vigueur, quelle forme prendra donc le nouvel équilibre ? Des réglementations plus strictes risquent d’avoir des répercussions sur les profits des banques et certains coûts de la réglementation seront sans doute transférés aux consommateurs. Mais le durcissement de la réglementation aura aussi une influence positive sur la sûreté de l’ensemble du système financier, minimisant potentiellement les taux de primes de risque pour les investisseurs. Un régime crédible de résolution permettrait d’atténuer l’avantage concurrentiel décisif procuré par la garantie implicite du gouvernement. Dès lors, ce sont plutôt la gestion des risques, l’accès au capital et au financement, la gouvernance et un modèle de gestion diversifié qui seront désormais les facteurs concurrentiels clés. On ne peut encore se prononcer sur les effets qu’auront ces mesures sur l’attractivité du secteur financier pour les investisseurs. Compte tenu de la fragilité du système financier, seule une mise en oeuvre soignée, des ajustements successifs et l’expérimentation effective garantiront des résultats positifs.


Notes

Cet article exprime les opinions personnelles des auteurs. Ils tiennent à remercier la rédaction de la Revue d’économie financière pour la traduction française de cet article.
1 Tandis que la FDIC a assumé les coûts de résolution nets, d’aucuns ont soutenu que le volume de garanties accordées aux déposants non garantis et autres créanciers de Continental et de First Republic avait considérablement dépassé les réserves de la FDIC évaluées à l’époque entre 17 Md$ et 18 Md$. Compte tenu du statut d’entreprise d’État de la FDIC et de sa ligne de crédit de trésorerie de 3 Md$, on peut dire que l’argent des contribuables était en péril.
2 Voir : note 1.
3 Le fonds LTCM estimait lui-même à un total de 3 Md$ à 5 Md$ les pertes de ses dix-sept contreparties les plus importantes.
4 Au Japon, plus de 100 Md$ des caisses de l’État ont été utilisés. Dans chacun des pays scandinaves, ces sommes ont été de moins de 10 Md$. Pour les États-Unis, voir : note 1.
5 Le 14 février 2011, l’agence de notation Moody’s a annoncé, à la suite des réformes réglementaires dans divers pays visant à faire porter une partie du coût des sauvetages de banque futurs sur les détenteurs de titres obligataires, une réévaluation de sa manière de tenir compte du support potentiel des gouvernements dans ses notations (Hughes, 2011).
6 En ce qui concerne les « dispositions testamentaires », de nombreuses interrogations relatives à leur conception exacte subsistent. Par exemple, on se demande actuellement si les exigences de capitaux imposées par le pilier 2 doivent être calculées sur la base d’un scénario de continuité de l’exploitation (c’est-à-dire en cas de faillite bancaire, le transfert des actifs vers une « banque poubelle ») ou si un scénario de liquidation s’applique aussi aux dispositions testamentaires.
7 Dans ce contexte, une faible réglementation violant les normes établies au niveau international sur les réglementations minimales pourrait être considérée comme une subvention octroyée par le pays concerné aux sociétés agissant dans ce marché. Contrairement aux subventions à l’exportation octroyées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les coûts de ces « subventions de réglementations » (distorsion financière) pourraient potentiellement être payés en partie par d’autres pays en raison de la contagion financière. Cependant, la définition d’un événement de subvention sanctionné devrait veiller à éviter de restreindre l’innovation financière. En effet, les changements de réglementations postérieurs pourraient influencer négativement la conception et la production de produits financiers.
8 D’après l’Independent Banking Commission, afin de justifier un tel pas, il faudrait que la probabilité et l’impact négatif d’une défaillance des opérations de banque d’investissement au sein d’une banque universelle dépassent leur effet stabilisateur sur la banque dans son ensemble en cas de défaillances des opérations de détail. Aucune affirmation n’est faite pour avancer que c’est le cas.
9 Les options de réforme de l’Independent Banking Commission comprennent le narrow banking, soit la séparation des activités bancaires, afin de protéger les systèmes de paiement et de dépôts des pertes issues des activités de négociation et autres activités annexes des banques. Voir aussi : Turner et al. (2010).

Bibliographies

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