Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

 Les fonds d’investissement : une source essentielle de capitaux à long terme pour les entreprises africaines


Luc RIGOUZZO Cofondateur et président d’Amethis Finance. Contact : luc.rigouzzo@amethisfinance.com.

Face aux considérables opportunités d’investissement offertes par ses mutations démographiques, urbaines et économiques, l’AfSS est devenu un véritable terrain d’action pour les acteurs du capital-investissement. Les grands bailleurs de fonds sont en train d'être remplacés par des investisseurs de plus en plus diversifiés. Cet intérêt grandissant des investisseurs montre que l’image de la région s’améliore. Il existe toutefois aujourd’hui un risque de « surchauffe ». Les acteurs doivent s’adapter aux spécificités de l’AfSS, caractérisée par des opérations de petite taille dans des contextes d’entrepreneurs familiaux qui ne souhaitent pas céder la majorité. Ainsi, les fonds de private equity investissant en Afrique ont une triple utilité : mobiliser l’épargne longue disponible et l’investir dans des projets de qualité, fournir les fonds propres nécessaires aux entreprises en forte croissance, et réduire l’écart entre les industriels des pays développés et des pays émergents.

Une mutation de l’industrie du private equity1 en Afrique portée par l’évolution favorable des fondamentaux du continent

Des évolutions macroéconomiques favorables au capital-investissement

Depuis dix ans, l’Afrique subsaharienne (AfSS) est devenue l’une des dernières frontières de la croissance mondiale (6,5 % de croissance par an hors Afrique du Sud). Cette évolution est due à une mutation et à un tournant historique. Le continent est porté par des réformes structurelles entamées à la fin des années 1990 et des mutations démographiques majeures. D’un espace « vide et rural » il y a trente ans, l’Afrique est en train de devenir un continent urbain et dense qui, d’ici à 2040, abritera 20 % de la population mondiale. Sa classe moyenne, estimée à plus de 250 millions de personnes représentera, à elle seule, un marché de 2 000 Md$.

La population africaine va doubler d’ici à quarante ans. La croissance du continent a démarré en 2000, lorsque l’Afrique a commencé à bénéficier du même dividende démographique que la Chine il y a trente ans (un ratio élevé de population active par rapport aux populations « dépendantes » représentées par les jeunes et les seniors).

 
Graphique 1 - Croissance et urbanisation de la population (en millions)
Source : Banque mondiale.
 
Graphique 2 - Dividende démographique historique (en % de la population totale)
Source : Banque mondiale.
 
Graphique 3 - Croissance économique (PIB annuel africain, en M$ ; taux de croissance annuel, en %)
Sources : FMI ; Banque mondiale ; McKinsey.
 
Graphique 4 - Émergence d’une classe moyenne de consommateurs
Sources : Banque mondiale ; McKinsey.

Ces mutations démographiques, urbaines et économiques offrent de considérables opportunités d’investissement. Aujourd’hui, le continent africain montre des retours sur investissement élevés dans toutes les classes d’actifs (investissement direct étranger, private equity). Les meilleures perspectives de rentabilité ne sont pas dans les industries extractives, comme on le croit encore trop souvent en Europe et aux États-Unis, mais dans tous les secteurs délivrant des biens et des services aux Africains eux-mêmes. La croissance africaine est endogène et portée par sa démographie et son urbanisation.

Depuis une décennie, le continent africain est donc devenu un véritable terrain d’action pour les acteurs du capital-investissement. Cependant, malgré un accroissement des activités et une concurrence limitée sur les actifs de grande qualité, la pénétration du capital-investissement reste encore faible dans les économies de l’AfSS. En pourcentage du PIB, les investissements en private equity ne représentent encore que 0,11 % en AfSS et 0,14 % en Afrique du Sud, alors que l’on observe des taux de 0,74 % au Royaume-Uni et de 0,67 % aux États-Unis.

Cet écart est essentiellement dû à la « petite taille » du continent (qui représente moins de 4 % du PIB mondial), ainsi que celle de ses économies et de ses entreprises. Il faut en effet une taille critique minimale des transactions pour amortir les coûts d’instruction d’équipes très qualifiées. Et les coûts unitaires d’analyse de dossiers et de participation à la gouvernance des entreprises sont pratiquement les mêmes, qu’il s’agisse d’un petit investissement ou d’un grand investissement. Le private equity est donc une industrie qui a besoin d’amortir le « coût fixe » relativement élevé que constitue la création d’une équipe.

Cette asymétrie de marché était d’autant moins logique qu’en termes de rentabilité, l’Afrique surperforme les autres zones du monde depuis plusieurs années. En effet, en comparant les performances enregistrées sur les vingt dernières années, il apparaît clairement que depuis 2004, les investissements en Afrique supplantent largement ceux des autres régions. En termes de profil risque/rendement, en prenant l’exemple des rendements des marchés des actions sur six ans (annualisés), l’indice DJ Africa Titans montre un meilleur couple risque/rendement que les indices MSCI Europe ou S&P 500.

 
Graphique 5 - Rentabilité des investissements directs à l’étranger (en %)
Sources : United Nations Conference on Trade and Development ; McKinsey Global Institute.
 
Graphique 6 - Rentabilité des marchés sur six ans (annualisée) (en %)
Source : Market places.

Devant la baisse des taux de croissance dans la plupart des pays développés à la suite de la crise financière, les fonds de private equity se sont donc tournés vers les marchés émergents, et tout particulièrement vers l’Afrique, comme source de croissance et de rendement. Alors qu’il y a cinq ans, les marchés émergents ne représentaient qu’environ 12 % des fonds levés par les fonds de capital-investissement, ils représentent aujourd’hui près de 20 % des levées de fonds.

Cependant, tous les pays n’offrent pas le même degré d’attrait pour les investisseurs en private equity. Les pays à économie diversifiée (plus de 70 % du PIB dans les services et l’industrie) qui ne sont pas nécessairement les plus riches sont les premiers à offrir des cibles d’investissement dans toutes les entreprises délivrant des biens et des services aux populations. Parmi ces pays, on trouve des économies telles que la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Ghana, le Sénégal, l’Ouganda, le Nigeria ou la Zambie. On y retrouvera aussi des pays producteurs de pétrole comme l’Angola ou le Gabon, qui essayent de commencer à diversifier leurs économies, puis les pays en transition (Sénégal, Mozambique, Cameroun, etc.), parmi lesquels certains, comme le Ghana, font partie des dix économies mondiales à plus forte croissance. Ensuite, les pays en phase de prétransition, tels que l’Éthiopie, sont en train de devenir de solides bases industrielles exportatrices.

D’une industrie portée par les bailleurs de fonds à une mobilisation accrue des investisseurs privés

Après avoir vu le jour en Afrique du Sud dans les années 1990 avec les cessions opérées par des multinationales et favorisées par les réformes postapartheid, le private equity a conquis l’Afrique à travers une première génération de fonds panafricains/régionaux soutenus quasi exclusivement par les grands bailleurs de fonds internationaux. IFC ou Proparco, que j’ai eu la chance de diriger, font ainsi partie du panel d’institutions internationales ayant porté la première génération de fonds de private equity africains sur les fonds baptismaux à une période où les investisseurs en capital-investissement ne s’intéressaient pas à cette région du monde, marquée par une période difficile d’ajustement structurel, une baisse des cours des matières premières, ainsi que par les problèmes de taille critique des opérations cités supra.

La faiblesse de la croissance des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et la perte de confiance dans le modèle occidental de rachat d’entreprises avec des effets de levier à la suite de la crise financière ou encore un couple risque/rendement désormais peu satisfaisant dans les pays développés, y compris sur les risques souverains, incitent en effet de nombreux investisseurs à se tourner vers des marchés en forte croissance et peu exploités. Il est ainsi significatif et paradoxal que des pays africains comme la Zambie ou la Namibie ont réussi à émettre des obligations souveraines à dix ans en 2011, au lendemain de la crise, à des taux alors inférieurs à la moyenne des taux européens.

En termes de levées de fonds, comme sur les marchés développés, le capital-investissement a connu une forte expansion en AfSS juste avant la crise financière. Les levées de fonds ont atteint 6 Md$ entre 2006 et 2008, contre 2 Md$ entre 2000 et 20052. Malgré cette forte progression, le secteur demeure modeste. L’AfSS a accueilli moins de 4 % des 159 Md$ levés pour l’ensemble des marchés émergents entre 2006 et 2008, et moins de 0,5 % des 1 400 Md$ levés dans le monde. En 2010, elle a drainé 6 % du total des capitaux levés pour les marchés émergents – un record absolu – et cette croissance devrait se poursuivre.

Il faut toutefois noter que rapportée au PIB, l’activité de capital-investissement en AfSS est comparable à celle constatée dans les BRIC (Brésil, Rusie, Inde, Chine). Elle est même supérieure à celle d’autres régions comme l’Amérique latine et l’Europe centrale et orientale. Ainsi, les opérations de capital-investissement réalisées entre 2008 et 2010 ont représenté environ 0,17 % du PIB, contre 0,16 % pour la Chine et 0,10 % pour l’ensemble de l’Amérique latine3.

Après avoir fortement baissé en 2009, les levées de fonds ont rebondi en 2010. L’attitude plus positive des investisseurs à l’égard de l’Afrique s’est traduite par des engagements significatifs.

Les levées de fonds destinées à l’AfSS ont augmenté de 50 %, pour atteindre 1,5 Md$ en 2010 grâce à quelques fonds régionaux. Le troisième fonds (clôturé à 613 M$ en juillet 2010) de l’un des vétérans du secteur, Emerging Capital Partners, était à l’époque le plus grand fonds panafricain de capital-développement. Kingdom Zephyr Africa Management a recueilli 492 M$ en février 2010 pour son deuxième fonds Pan African Investment Partners Fund, tandis que l’investisseur Aureos Capital a levé 381 M$ en février 2010 pour son dernier fonds ciblé sur l’Afrique.

La région attire désormais un groupe d’investisseurs de plus en plus diversifiés ; l’importance des fonds levés pourrait même éclipser les niveaux atteints avant la crise. Sur les 900 M$ levés en juin 2011 par les investisseurs panafricains Helios Investment Partners, 70 % ont été apportés par des investisseurs extérieurs aux institutions financières de développement (les soutiens traditionnels du capital-investissement en Afrique). Au printemps 2011, Carlyle Group a annoncé l’ouverture d’un fonds dédié à l’AfSS, avec un objectif d’engagements d’au moins 500 M$. Au cours des dix dernières années, le nombre de gérants de fonds actifs en Afrique a été multiplié par cinq. En juin 2014, Amethis Finance4, créé en partenariat avec la compagnie Benjamin de Rothschild, a réussi à lever 530 M$ pour sa première génération de fonds avec un pool d’investisseurs très diversifiés : ainsi, sur les 55 LP (limited partnerships), qui ont décidé de leur faire confiance, près de la moitié est constituée d’investisseurs institutionnels et l’autre moitié d’investisseurs privés et family offices. Par ailleurs, pour permettre aux investisseurs privés institutionnels d’Afrique de l’Ouest (assurances, fonds de pension) d’accéder à des investissements en capital, Amethis Finance a monté en Côte d’Ivoire un véhicule dédié à cette région. On voit donc clairement que l’intérêt grandissant des investisseurs montre que l’image de la région s’améliore : 67 % des LP interrogés jugent l’Afrique attractive en 2011 et 39 % prévoient d’investir ou de poursuivre les investissements dans des fonds subsahariens.

Le capital-investissement reste malgré tout modeste dans la région, au regard d’autres marchés. Sa croissance s’est ralentie dans la phase la plus aiguë de la récente crise financière. Cependant, l’apparition ces derniers mois de plusieurs véhicules – de la stratégie de niche sur des marchés frontières à d’importants pools de capitaux internationaux gérés par des vétérans du secteur – laisse supposer une forte croissance à moyen terme en AfSS. Pour cette région, c’est une formidable opportunité pour attirer de nouveaux investisseurs, qui confient leurs fonds à des équipes de gestion professionnelles et spécialisées. Pour de nombreuses entreprises de taille moyenne ou en phase de création, c’est un moyen d’accéder non seulement à des fonds propres, indispensables à leur croissance, mais également à un accompagnement rapproché en matière de définition de leur stratégie, d’amélioration de leur gouvernance et d’accès à des réseaux professionnels internationaux.

Il est important de noter aussi qu’au fil du temps, la part des institutions financières de développement dans les fonds a baissé d’environ un tiers, passant de 54 % en 1995 à 36 % entre 2005 et 2010. Le private equity en Afrique a donc bien évolué avec une ouverture progressive à des LP5 privés et locaux attirant ainsi des investisseurs de plus en plus diversifiés. Certes, les activités restent concentrées sur quelques marchés et les équipes locales encore trop peu nombreuses. Mais une diversification est donc à l'œuvre améliorant l’attractivité de la région provoquant l’arrivée de grands institutionnels américains et du Moyen-Orient.

Finalement, en termes d’investissements directs dans des actifs africains, sur les 25 Md$ investis par les fonds de private equity entre 2004 et 2014, 62 % des investissements ont été réalisés par des fonds internationaux, 16 % par des fonds africains internationaux et 22 % par des fonds locaux (cf. graphiques 7). Cette tendance se confirme d’autant plus en 2014, avec 83 % des opérations en valeur réalisées par des fonds internationaux (44 % en volume) (cf. graphiques 8 ci-contre). En effet, les chiffres démontrent qu’au premier semestre 2014, la valeur des transactions réalisées en Afrique par des fonds internationaux de private equity a plus que doublé (+137 %) par rapport à la même période de 2013.

 
Graphiques 7 - Répartition des investissements réalisés entre 2004 et 2014
Graphique 7a - Opérations en volume
 
Graphique 7b - Opérations en valeur
Source des deux graphiques : Into Africa: the Rise of Private Equity, Freshfields Bruckhaus Deringer.
 
Graphiques 8 - Répartition des investissements réalisés en 2014
Graphique 8a - Opérations en volume
 
Graphique 8b - Opérations en valeur
Source des deux graphiques : Into Africa: the Rise of Private Equity, Freshfields Bruckhaus Deringer.

La nécessité d’adapter les stratégies d’investissement aux caractéristiques du continent

Si les fonds d’investissement sont aujourd’hui un relais de croissance nécessaire pour de nombreuses entreprises du continent, ils restent encore inaccessibles à nombre d’entre elles. En effet, la recherche de rentabilité conduit beaucoup d’acteurs à délaisser certains segments ou secteurs et notamment celui des TPE (très petites entreprises). Ce segment du capital-risque est beaucoup plus développé en Europe (business angels, fonds de venture capital, etc.) et, à l’exclusion de quelques fonds spécialisés (Investisseur et Partenaires – I&P –, par exemple), il a encore du mal à se répandre en Afrique (cf. BMCE – Banque marocaine du commerce extérieur  – qui vient de lancer un premier prix entrepreneurs en Afrique).

Face au développement de plus en plus rapide du capital-investissement sur un continent africain dont la taille macroéconomique reste réduite, il existe des risques d’exubérance irrationnelle, de « surchauffe » et, surtout, de voir de nouveaux acteurs « appliquer » au continent des recettes ou des modèles directement importés de l’industrie du private equity des pays développés (recherche d’opération de taille significative, LBO – leverage buy-out –, buy-out majoritaires, etc.) et qui ne nous semblent pas encore adaptés au continent.

Celui-ci est en effet encore caractérisé par des opérations de petite taille et dans des contextes d’entrepreneurs familiaux qui ne souhaitent pas céder la majorité. Amethis Finance a construit sa stratégie à partir d’une expérience accumulée dans les deux dernières décennies et de sept règles clés qui nous semblent essentielles pour un investisseur « avisé » en private equity sur le continent africain.

 

Règle 1 : investir dans les secteurs qui suivent la croissance de la consommation locale

Il paraît opportun de se positionner sur les secteurs qui constituent les principaux goulots d’étranglement du continent africain, véritables leviers de son urbanisation et de la croissance de sa consommation : FMCG (fast-moving consumer goods – biens de grande consommation), services financiers, distribution, agro-industrie, énergie, etc. Si en 1980, le continent était « vide et rural », avec 300 millions de personnes dont moins de 35 % en ville et environ 10 % ayant un pouvoir d’achat de 5 à 10 dollars par jour, il comptera dans vingt ans près de 2 milliards d’habitants dont plus de 50 % en ville, avec 300 millions de personnes ayant un pouvoir d’achat de 10 à 20 dollars par jour. Cette révolution démographique et l’émergence d’une classe moyenne vont s’accentuer dans les années à venir et les secteurs qui suivent la croissance de la consommation locale sont ceux qui présentent aujourd’hui le meilleur couple rendement/risque.

Règle 2 : diversifier ses risques pour maîtriser la forte volatilité du continent

L’analyse des données par type de fonds met en lumière une plus grande diversification géographique des investissements réalisés par les acteurs internationaux au cours des dernières années. Ces fonds, qui augmentent leur exposition à l’Afrique, ne se limitent plus à l’Afrique du Sud, destination historique du private equity. En effet, entre 2004 et 2009, 75 % de leurs investissements étaient localisés en Afrique du Sud. Entre 2009 et le premier semestre 2014, cette région n’a plus attiré que 10 % des investissements.

Investir en Afrique, c’est accepter de faire face à une certaine volatilité et à d’importants risques pays (risques économiques, politiques et civils) et de change, comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire en 2011, au Kenya en 2007 et au Ghana en 2014 : considérée comme une économie stable, la monnaie ghanéenne (le cedi) s’est dépréciée de 40 % par rapport au dollar en 2014, malgré une croissance de 7,5 % au cours de la dernière décennie. L’incertitude sur l’issue de la crise au Burkina Faso est un autre exemple des risques auxquels les investisseurs s’intéressant à l’Afrique peuvent se heurter. En Afrique de l’Ouest, 84 % des investissements en valeur réalisés depuis 2004 par les fonds internationaux ont été réalisés au cours de ces deux dernières années. La même tendance est également observée en Afrique de l’Est où 41 % des investissements réalisés dans la région depuis 2004 l’ont été ces deux dernières années. Enfin, malgré les récents conflits qui ont marqué l’actualité en Afrique du Nord, la région a attiré un sixième des investissements totaux en private equity en Afrique au cours de la dernière décennie.

La diversification des risques est donc l’élément crucial d’une stratégie efficace d’investissement en Afrique. Cette diversification doit être sectorielle comme géographique, afin de pouvoir lisser les rythmes de sortie du portefeuille pour gérer les crises conjoncturelles. Par ailleurs, il est préférable d’investir dans des économies en transition, elles-mêmes déjà diversifiées et plus résilientes à des chocs macroéconomiques exogènes. Sur le plan sectoriel, on recommandera des secteurs liés directement aux consommateurs africains et moins corrélés à des interventions publiques limitant ainsi les risques politiques pour l’investisseur.

Règle 3 : investir sur le long terme : le temps compte en Afrique pour maîtriser ses sorties !

Pour capturer les dynamiques de croissance à l'œuvre dans ces pays, les fonds d’investissement doivent adapter leurs horizons temporels. En effet, un horizon de long terme est nécessaire pour appréhender la croissance des entreprises africaines qui évoluent dans des marchés en plein essor et sujets à de nombreuses mutations. La durée classique d’un investissement d’un fonds de private equity se situe autour de quatre ou cinq ans, ce qui n’est aujourd’hui pas adapté aux besoins des entrepreneurs africains. Aussi, pour capturer pleinement la croissance des entreprises africaines, un fonds de capital-investissement doit avoir une certaine flexibilité temporelle, notamment pour éviter de céder ses participations en cas de crise ou de contraction temporaire d’un secteur d’activité.

Règle 4 : rester conservateur et éviter les modèles à fort effet de levier

La forte croissance endogène du continent africain est largement suffisante pour porter la croissance des participations du portefeuille permettant aux gestionnaires de fonds de créer de la valeur et de réaliser de forts rendements. L’effet de levier visant à maximiser le retour sur investissement, justifié dans les pays développés qui ne croissent qu’à 2 %, n’est pas nécessaire et expose l’investisseur à des risques inutiles.

Règle 5 : se positionner en investisseur minoritaire pour accompagner un management de qualité

Par définition, les investisseurs en private equity s’adressent souvent à des entreprises ayant connu un certain succès. Il est donc parfois prétentieux et même contre-productif de prétendre gérer mieux celles-ci que leurs promoteurs ou leurs fondateurs, dans des contextes économiques, politiques et sociologiques parfois très complexes. L’acquisition d’une participation minoritaire permet d’accompagner un management de qualité dans sa stratégie de croissance, notamment via des droits minoritaires forts, tout en le laissant « capitaine de son navire ». L’investisseur contribue donc fortement à la création de valeur en apportant à l’entrepreneur une réelle valeur ajoutée et des synergies, tout en bénéficiant de l’expertise de ce dernier dans son domaine et de sa parfaite maîtrise des idiosyncrasies locales.

Contrairement à une idée reçue, la position d’investisseur minoritaire ne dégrade pas les perspectives de sortie. L’expérience des bailleurs de fonds et de la première génération de fonds montre que les sorties se répartissent de façon équilibrée entre cession majoritaire avec le promoteur initial, rachat par celui-ci à un prix prédéfini de la participation du minoritaire (promesse d’achat – put option) et sortie en Bourse grâce à l’émergence et au développement des marchés financiers africains (le Nigeria, le Kenya, la BRVM – Bourse régionale d’Afrique de l’Ouest – sont de très bons exemples). Enfin, une nouvelle catégorie d’acheteurs est en train de se développer grâce à la croissance du private equity en Afrique : le marché secondaire des nouveaux fonds de grande taille qui seront heureux de racheter les participations de petits fonds quand celles-ci auront atteint une taille critique.

Règle 6 : ne pas rechercher d’opérations de trop grande taille, l’essentiel des opportunités d’investissement sont de taille moyenne

Les fonds d’investissement internationaux ont par construction un modèle économique qui privilégie les opérations de grande taille pour mieux amortir leurs coûts d’instruction. Or il existe très peu d’opérations de taille significative sur le continent et leur visibilité en fait des cibles très courtisées, donc très chères.

Cependant, l’essentiel du marché est constitué d’entreprises africaines de taille moyenne à la recherche de capitaux pour financer leur expansion domestique et régionale. Les PME africaines sont donc un véritable vivier pour les acteurs internationaux du capital-investissement.

Règle 7 : « doing well while doing good », le respect des règles de bonne gouvernance et de critères environnementaux et sociaux élevés est une condition de la création de valeur

L’Afrique est un continent de préjugés et de suspicions et il est essentiel à tout investisseur d'être irréprochable en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Les critères d’investissement de type sociaux et environnementaux, bien que non financiers, participent de façon essentielle à la création de valeur d’une entreprise.

Cela rejoint d’ailleurs les aspirations de la plupart des entreprises africaines qui, bien que confrontées à des environnements très imparfaits dans ces domaines ainsi qu’à des gouvernances de type familiales, sont soucieuses de passer le cap de l’institutionnalisation, indispensable pour construire des partenariats modernes ou, tout simplement, pour accéder à des marchés extérieurs.

Les acteurs du capital-investissement peuvent donc apporter une réelle valeur ajoutée en termes de gouvernance. Si cette amélioration passe tout d’abord par la nomination au comité de direction de représentants qui apportent un regard extérieur sur les orientations stratégiques prises par l’entreprise, elle peut également se traduire par la mise en place de procédures plus structurées en matière de politique de rémunération, de prise de décisions, de gestion des conflits d’intérêts, des risques, etc.

Dans le cas d’Amethis Finance, nous avons choisi d’éviter les secteurs exposés qui dépendent de l’État comme les grands travaux d’infrastructures, les mines ou le secteur pétrolier. Par ailleurs, tous nos pactes d’actionnaires intègrent des exigences en matière environnementale, sociale et de gouvernance aux meilleurs standards internationaux et le non-respect de ces critères est l’une des conditions de rupture du partenariat. Nos partenaires ont d’autant plus de mérite de partager ces niveaux d’exigences qu’ils constituent encore bien souvent des « oasis » dans des environnements encore assez dégradés. L’expérience montre toutefois que c’est une démarche gagnante qui, loin d’affecter leur compétitivité, est source de création de valeur à long terme.

L'intérêt et le rôle du private equity en Afrique

Les services financiers sont une industrie comme une autre s’ils conservent justement leur rôle « industriel » qui est de fournir des capitaux aux secteurs et aux entreprises dynamiques. La crise de la dette souveraine des années 1980 et la restructuration des secteurs bancaires qui a suivi ont conduit à une industrie financière fragmentée et peu développée qui est un frein réel à la croissance du continent.

Dans le contexte actuel de forte croissance, les entreprises ont besoin de capitaux longs et les banques de détail africaines comme les marchés boursiers naissants ne suffisent pas à assurer ces besoins. Comme tous les autres continents, l’Afrique a besoin d’une industrie financière mature et diversifiée qui réponde à ses différents besoins en capitaux. Le private equity, qui est encore une industrie jeune sur le continent, à l’exception de l’Afrique du Sud, a une triple utilité. D’abord, il permet grâce à des équipes expérimentées de mobiliser l’épargne longue disponible (dans les économies développées comme sur le continent) et de l’investir dans des projets de qualité. Les acteurs financiers ont longtemps, à tort, surestimé le risque africain. Ensuite, il est indispensable pour fournir les fonds propres dont ont besoin les entreprises en forte croissance. Enfin, au-delà des apports financiers, il permet de réduire l’écart entre les industriels des pays développés et ceux des pays émergents en apportant son expertise et ses réseaux industriels à chacune des parties.

C’est tout le sens de l’activité de fonds de private equity comme Amethis Finance : permettre des convergences entre ces différents univers qui sont encore trop cloisonnés. Permettre à la « vieille » Europe d’investir dans la « jeune » Afrique et de bénéficier de son dynamisme pour les prochaines décennies. Permettre aux entreprises africaines d’accéder aux marchés de capitaux longs, mais aussi à des partenaires financiers et industriels. Créer de la valeur à long terme pour nos investisseurs comme pour nos partenaires africains. Tout cela est de plus en plus indispensable sur un continent qui doit accueillir plus de 1 nouveau milliard d’habitants dans les prochaines décennies.


Notes

1 Le private equity, littéralement « fonds propre privé » et communément traduit par « capital-investissement », représente l’activité des institutions financières ou des fonds d’investissement qui investissent en fonds propres dans des sociétés non cotées en Bourse. En prenant une participation au capital de ces sociétés, l’objectif des fonds est de réaliser une plus-value à moyen ou long terme, soit en cédant la société à un industriel ou à un autre fonds du même type, soit en l’introduisant en Bourse.
2 EMPEA (2011), Capital Emerging Markets Private Equity Survey.
3 EMPEA (2011), Capital Emerging Markets Private Equity Survey.
4 Ibid.
5 Amethis Finance est un fonds d’investissement doté de 530 M$, né de l’expérience tirée de plus de vingt-cinq ans d’investissements responsables à long terme sur le continent africain. Il a été créée par Luc Rigouzzo et Laurent Demey en partenariat avec la compagnie Benjamin de Rothschild, afin de prendre part à cette dynamique et de contribuer à l’émergence de l’Afrique.