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 L’inclusion financière en Afrique subsaharienne : faits stylisés et déterminants


Samuel GUÉRINEAU CERDI (Centre d’études et de recherches sur le développement international), université d’Auvergne. Contact : samuel.guerineau@udamail.fr.
Luc JACOLIN DERIE (Direction des études et des relations internationales et européennes), COMOZOF (Service de la Zone franc et du financement du développement), Banque de France. Contact : Luc.Jacolin@banque-france.fr.

L’inclusion financière favorise le développement économique en permettant à une part croissante des ménages et des PME d’accéder à une large palette de services financiers pour un coût raisonnable. Elle apparaît la plus faible en Afrique subsaharienne (AfSS) et en particulier en Zone franc, tant en termes de bancarisation, d’intensité d’utilisation des comptes bancaires que d’accès au crédit. La prévalence de l’exclusion financière en AfSS reflète des facteurs structurels provenant tant des insuffisances de l’offre (coût, gestion des asymétries d’information), de la demande des services financiers (revenus et éducation financière, phénomènes d’auto-exclusion) que de l’environnement réglementaire et du climat des affaires. L’inclusion financière implique, comme tout développement des activités financières, de nouveaux risques pour la stabilité financière et donc un renforcement des réglementations et de la supervision bancaire de façon à ce que la confiance du public et l’accès croissant aux services financiers aillent de pair avec une croissance économique stable et durable.

Dans les pays où les systèmes financiers demeurent faiblement développés, le financement constitue un enjeu majeur tant pour l’État que pour le secteur privé. Dans la mesure où il favorise l’épargne et l’accumulation du capital et qu’il permet d’assurer une allocation optimale des capitaux, le développement financier peut contribuer à une accélération de la croissance et à une réduction de la pauvreté (Beck et al., 2011). De nombreuses études montrent que les pays disposant de systèmes financiers suffisamment développés, par exemple en Asie du Sud-Est, bénéficient d’une croissance de long terme plus élevée que les pays où la profondeur financière est plus faible, en particulier ceux situés en Afrique subsaharienne (AfSS). En réduisant les contraintes de liquidité des entreprises, en facilitant l’investissement de long terme et en contribuant notamment à compenser les effets de la volatilité des taux de change, les systèmes financiers aident également à réduire l’instabilité de l’investissement et donc de la croissance économique.

Le développement financier dans les pays en développement (PED) est lui-même un processus comprenant de multiples facettes, qui s’appuie sur les marchés financiers, le système bancaire et les institutions de microfinance. Dans les PED où la bancarisation des populations demeure faible, de l’ordre de 10 % à 20 % dans les pays à faibles revenus (PFR), et où l’accès au crédit des PME est insuffisant pour assurer le financement de leur croissance, l’inclusion financière, c’est-à-dire un meilleur accès et une utilisation plus intensive des services financiers, est une dimension importante de l’approfondissement financier.

Afin de remédier à cette exclusion financière, qui touche à des degrés différents les populations et les entreprises les plus vulnérables, tant dans les pays avancés que dans les pays émergents et en développement, les pays du G20 ont décidé de faire de l’inclusion financière une priorité de l’agenda international du développement. Cette décision s’est concrétisée notamment par le Partenariat global pour l’inclusion financière et la promotion de stratégies nationales ou régionales d’inclusion financière. Ces stratégies comprennent des réformes réglementaires facilitant l’accès aux services financiers innovants et des mesures renforçant l’éducation financière et la protection des consommateurs. Leurs objectifs sont notamment de renforcer la confiance du public dans les institutions financières « formelles » dans des pays marqués par l’importance de l’économie et de la finance informelles et par une forte préférence des agents économiques pour la monnaie fiduciaire.

L’objectif de cette étude est d’analyser les caractéristiques de l’inclusion financière en AfSS, et en particulier en Zone franc (première partie), en la comparant à celles des principales régions émergentes grâce aux données mésoéconomiques de la base Findex de la Banque mondiale. La seconde partie se focalise sur les variables d’offre et de demande financières, ainsi que sur l’environnement institutionnel qui encadre l’activité du secteur financier, afin de suggérer les principaux leviers d’action de stratégies d’inclusion financière.

L'accès aux services financiers dans les pays émergents et en développement, en particulier en Afrique

Les données relatives à l’inclusion financière à des fins de comparaisons internationales se sont récemment enrichies grâce à la multiplication d’enquêtes. L’enquête du FMI (Fonds monétaire international) sur l’accès à la finance (Financial Access Survey), qui couvre du point de vue de l’offre 184 pays à partir de 2004, constitue la source des indicateurs d’accès aux services financiers de base (taux de bancarisation, densité d’agences bancaires et de distributeurs automatiques de billets, etc.) retenus par le G20 au sommet de Los Cabos en juin 2012. En avril 2012, la Banque mondiale a publié une base de données sur l’inclusion financière globale (Findex) qui mesure du point de vue de la demande comment les populations âgées de plus de quinze ans épargnent, empruntent, utilisent les moyens de paiement et gèrent leurs risques financiers en fonction de critères socioéconomiques comme le niveau de revenus, l’âge, le niveau d’éducation, le sexe et la localisation urbaine/rurale (Demirgüç-Kunt et Klapper, 2012a). Cette enquête apporte donc des informations détaillées sur l’accès aux services financiers et leur utilisation, en particulier pour l’AfSS et la Zone franc.

La bancarisation apparaît plus faible en AfSS, et plus particulièrement en Zone franc, que dans les autres régions émergentes ou en développement

L’accès aux services financiers est avant tout déterminé par le niveau de développement économique. Dans les PFR et en AfSS, la part de la population de plus de quinze ans ayant ouvert un compte bancaire dans une institution financière formelle (c’est-à-dire agréée par les autorités de supervision bancaire) s’élève à 24 % en 2011, contre 43 % dans les pays à revenus intermédiaires (PRI) ou plus de 90 % pour les pays avancés, et elle est inférieure à 10 % en Zone franc (cf. graphique 1).

 
Graphique 1 - Taux de bancarisation (en % de la population de plus de 15 ans)
PFR : pays à faibles revenus ; PRI : pays à revenus intermédiaires ; MOAN : Moyen-Orient et Afrique du Nord ; AEP : Asie de l’Est-Pacifique ; PAL : pays d’Amérique latine ; AfSS : Afrique subsaharienne ; ZF : Zone franc.
Source : Global Findex, Banque mondiale.

L’analyse de l’utilisation des services financiers par catégories de populations fait apparaître d’importantes différences d’accès à l’intérieur de chaque pays selon le niveau de revenus, le genre, le niveau d’éducation, l’âge ou l’urbanisation (cf. graphique 2). Tout d’abord, les populations dont les revenus disponibles se situent parmi les 40 % les plus faibles sont moins bancarisées que le reste des populations. Ce déficit de bancarisation s’élève à, respectivement, 42 % et 46 % dans les PRI et les PFR et atteint 58 % en AfSS et en Zone franc. La différence d’accès pour les femmes est en moyenne de 20 % pour les PFR et en AfSS, mais atteint 29 % en Zone franc et 45 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Ce différentiel d’accès peut révéler des normes juridiques, sociologiques, culturelles ou religieuses, ou peut résulter de différences socioéconomiques liées au revenu, ou au niveau d’éducation, particulièrement dans les zones rurales (Demirgüç-Kunt et al., 2013).

 
Graphique 2 - Écarts de bancarisation par catégories de populations (en % de la population de plus de 15 ans)
Source : Global Findex, Banque mondiale.

L’âge représente également un facteur discriminant significatif dans l’accès aux services financiers. Le déficit de bancarisation des jeunes adultes (15-24 ans) est de 42 % dans les PFR et 39 % en AfSS, mais atteint 66 % en Zone franc, alors qu’il est inférieur à 29 % dans les PRI. Ce différentiel pourrait notamment refléter des difficultés pour les jeunes dans les pays les plus vulnérables à accéder à l’emploi.

L’utilisation des services financiers par les populations rurales est également plus faible que celle des populations urbaines, avec un écart de 37 % dans les PFR et 46 % en AfSS, contre 21 % dans les PRI, reflétant notamment une faible densité d’agences bancaires en dehors des grands centres urbains. Ce différentiel est particulièrement élevé en Zone franc (59 %) du fait de carences importantes dans les infrastructures de transport et de l’isolement relatif des populations rurales, notamment dans les pays de la bande sahélienne.

Le niveau d’éducation général est également associé à un plus faible recours aux services financiers formels. Les différentiels d’éducation (primaire ou secondaire/supérieur) se traduisent ainsi par un écart de 59 % dans l’ouverture de comptes bancaires dans les PFR, contre 32 % dans les PRI, 69 % en AfSS et 63 % en Zone franc.

Au total, l’inclusion financière varie fortement en fonction des principales variables socioéconomiques, les différentiels d’accès apparaissant d’autant plus marqués que le niveau de développement est faible en AfSS comme en Zone franc.

Un faible niveau d’inclusion financière est associé à une forte préférence pour la monnaie fiduciaire pour conduire la plupart des transactions économiques

Au-delà des taux de bancarisation, la qualité de l’accès aux services financiers peut également être appréhendée par l’analyse des motifs d’ouverture des comptes bancaires ainsi que par l’utilisation des moyens de paiement qui leur sont associés.

Les détenteurs de comptes déclarent avant tout utiliser leur compte (cf. graphique 3 infra) pour assurer des transactions vis-à-vis des administrations (24 % en AfSS, contre 16 % en Zone franc et 11 % dans les PFR) ou recevoir des salaires (35 % des déposants dans les PRI, contre 25 % dans les PFR et 26 % en Zone franc). L’une des utilisations principales des comptes bancaires dans les pays émergents et en développement réside également dans la réception (14 % des déposants dans les PRI, contre 20 % dans les PFR et 16 % en Zone franc) ou l’envoi de transferts de migrants (11 % des déposants dans les PRI, contre 12 % dans les PFR et 15 % en Zone franc). Enfin, entre 9 % des titulaires de comptes (dans les PRI) et 29 % (en Zone franc) effectuent des transactions bancaires à des fins professionnelles, ce qui fait apparaître en filigrane l’importance du secteur informel et des TPE (très petites entreprises) dans les PED.

 
Graphique 3 - Utilisation du compte courant (en % des titulaires de comptes bancaires)
Source : Global Findex, Banque mondiale.

S’agissant de l’accès aux moyens de paiement (cf. graphique 4 ci-contre), l’accès aux chèques et aux paiements électroniques demeure limité : environ 13 % et 15 % des détenteurs de comptes bancaires émettent des chèques respectivement en AfSS et en Zone franc, et 17 % et 8 % effectuent des transferts électroniques. On note toutefois une diffusion relative plus prononcée des cartes de débit ou de crédit et de la banque mobile en AfSS (respectivement 76 % et 12 %)1 et en Zone franc (respectivement 38 % et 7 %), soit des niveaux comparables ou supérieurs à ceux des PRI (respectivement 74 % et 4 %). Si la diffusion des moyens de paiement peut donc encore significativement progresser en AfSS, les moyens de paiement les plus innovants, notamment la banque mobile, peuvent y jouer un rôle relativement plus important que les chèques ou les transferts électroniques, permettant à ces pays de compenser leur retard dans la diffusion des moyens de paiement traditionnels (effet de saut technologique – leapfrogging). Par ailleurs, dans les PFR ou les PRI, et généralement en AfSS, entre 64 % et 70 % des détenteurs de comptes, selon les régions, ne bénéficient que d’un ou deux dépôts par mois. L’activité de retrait apparaît également limitée, entre 70 % et 90 % des déposants effectuant au plus deux retraits par mois.

 
Graphique 4 - Accès aux moyens de paiement (en % des titulaires de comptes bancaires)
Source : Global Findex, Banque mondiale.

Ces différents comportements économiques suggèrent une forte préférence pour la monnaie fiduciaire pour la conduite de la plupart des transactions, le système bancaire ayant, avant tout, comme fonction de sécuriser les transferts financiers avec les employeurs, les administrations publiques et au sein des familles (transferts des migrants) ou d’assurer la sécurité de l’épargne. Ainsi, le simple accroissement du niveau de bancarisation des populations ne débouche sur une utilisation effective des services financiers que si elle est relayée par un accès effectif à une large palette de moyens de paiement et à des produits d’épargne de long terme. L’expansion de l’accès aux moyens de paiement et le développement de produits d’épargne devraient contribuer à fluidifier les transactions économiques tout en favorisant le développement de ressources de long terme du système bancaire afin de réduire le risque de transformation.

La plupart des crédits sont distribués en dehors du système financier formel et servent avant tout à la couverture des besoins de consommation courante

Les données de la base Findex montrent que le recours au crédit (crédits formel et informel cumulés) semble décroître avec le développement économique (cf. graphique 5 infra). Ainsi, 44 % de la population des PFR ont contracté un emprunt au cours des douze derniers mois, contre 34 % dans les PRI (cf. graphique 5 et annexe II). Le recours à l’emprunt est ainsi plus répandu en AfSS et en Zone franc (respectivement 47 % et 38 % de la population) que dans d’autres pays émergents ou en développement (25 % en Amérique latine).

 
Graphique 5 - Emprunteurs (au cours des douze derniers mois, en % de la population adulte)
Sources : Findex, Banque mondiale ; estimations des auteurs.

Ces crédits sont avant tout distribués par la famille ou les proches des emprunteurs, les employeurs ou les commerces de proximité alors que le secteur financier formel (banques, réseaux mutualistes, institutions de microfinance) ne touche que respectivement 11 % et 8 % de la population dans les PFR ou dans les PRI (cf. graphique 6). L’accès au crédit du secteur financier formel est plus faible en AfSS et dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb (5 % de la population), et plus encore en Zone franc (4 %).

 
Graphique 6 - Emprunteurs auprès du secteur financier formel (au cours des douze derniers mois, en % de la population adulte)
Sources : Findex, Banque mondiale ; estimations des auteurs.

Les distributeurs de crédits informels les plus importants (cf. graphique 7) demeurent la famille et les proches (70 % des emprunteurs)2. Le recours aux réseaux de relations personnelles est encore plus fréquent en AfSS et en Zone franc (85 % des emprunteurs). La distribution de crédits par des prêteurs privés est significativement plus élevée dans les PFR (16 % des emprunteurs) que dans les PRI (10 % des emprunteurs), mais apparaît fortement variable d’une région à l’autre, de 5 %-6 % en Asie de l’Est-Pacifique à 12 % en AfSS et à 20 % en Asie du Sud (Inde).

 
Graphique 7 - Prêts par catégories de prêteurs (au cours des douze derniers mois, en % des emprunteurs)
Sources : Findex, Banque mondiale ; estimations des auteurs.

Entre finance informelle pure et intermédiation financière formelle, les employeurs et les commerces de proximité peuvent répondre de manière significative aux besoins de financement des ménages (ou des TPE). Le recours aux prêts « employeurs » est homogène dans les PFR ou dans les PRI (respectivement 10 % et 13 %) et varie moins d’une région à l’autre (respectivement de 9 % à 18 %) que les autres modes de distribution, l’AfSS et la Zone franc étant proches de la moyenne des PED (environ 11 %). Le recours aux commerces de proximité est plus fréquent (19 % dans les PRI et les PFR, 18 % en AfSS), mais plus hétérogène entre régions et particulièrement faible en Zone franc (6 %).

Le recours au crédit apparemment plus élevé dans les PFR que dans les PRI reflète en fait une prépondérance des prêts à court terme couvrant les besoins de base des populations les plus vulnérables (cf. graphique 8 infra). Ces crédits peuvent schématiquement financer soit des dépenses de court terme ou de consommation (santé et urgences, funérailles et mariages), soit des dépenses de long terme ou d’investissement (immobilier, éducation). L’enquête Findex fait apparaître que les crédits financent des dépenses d’urgences et de santé dans les PFR (36 % des emprunteurs), en particulier en Zone franc (50 %), contre 32 % dans les PRI. Les événements familiaux (mariages et enterrements) constituent une part significative des emprunts (12 % des emprunteurs dans les PFR, contre seulement 8 % dans les PRI), en particulier en Zone franc (19 %).

 
Graphique 8 - Affectation du prêt (au cours des douze derniers mois, en % des emprunteurs)
Sources : Findex, Banque mondiale ; estimations des auteurs.

L’affectation des crédits à l’investissement est similaire dans les PFR ou dans les PRI : une part significative des prêts est allouée à la couverture des frais de scolarisation (16 %) et à la construction immobilière (14 %) alors que la proportion des prêts à l’achat immobilier demeure faible, quoique plus élevée dans les PRI (9 %, contre 5 % dans les PFR). Si les emprunts destinés à couvrir les dépenses d’éducation sont courants dans l’ensemble des régions couvertes par l’enquête (de 14 % à 24 %), ils apparaissent élevés en AfSS (19 %), particulièrement en Zone franc (24 %). Il existe par ailleurs une forte hétérogénéité entre les différentes zones en ce qui concerne les prêts aux constructions immobilières (de 9 % à 18 %) ou à l’achat de biens immobiliers (de 4 % à 13 %). La part des crédits pour la construction immobilière apparaît plus faible en AfSS et en Zone franc, s’établissant autour de 9 %.

En conclusion, l’inclusion financière en AfSS comme en Zone franc est caractérisée par un accès limité des ménages ou des TPE au secteur financier formel, par l’importance des réseaux personnels informels dans l’accès au crédit, par la part importante des crédits visant à l’auto-assurance ou la solidarité sociale (santé, urgences, événements familiaux) et par la faible proportion des crédits immobiliers. Ces données font apparaître toute la richesse de la « vie financière » des ménages dans les PED et les pays émergents. À cet égard, la promotion de l’inclusion financière comporte ainsi deux défis complémentaires : (1) le développement du secteur financier formel afin de favoriser la mutualisation des risques et la croissance des crédits à long terme, entraînant une réallocation graduelle du crédit aux ménages et aux PME vers l’investissement productif, (2) la prise en compte des contraintes économiques spécifiques des ménages et des PME dans les PED et des solidarités financières traditionnelles, dont les bénéfices ne doivent pas être sous-estimés, tant en termes économiques et financiers qu’en termes de cohésion sociale.

LES DÉTERMINANTS DE L’INCLUSION FINANCIÈRE

L’objectif de cette partie est de présenter les facteurs qui expliquent la faiblesse de l’inclusion financière en AfSS, en particulier dans la Zone franc. La littérature récente a mis en évidence un grand nombre de facteurs explicatifs qui peuvent être classés en trois catégories : les facteurs d’offre, les facteurs de demande et les facteurs institutionnels non spécifiques au secteur financier. Pour chaque catégorie, nous illustrons la relation entre ces facteurs et l’inclusion financière grâce à des graphiques qui contrôlent l’effet du PIB par tête (corrélations partielles)3 et nous évaluons si leur niveau relatif explique la faible inclusion en AfSS et en Zone franc.

L’offre de services financiers : l’importance des coûts de transaction et des économies d’échelle

Le coût net de détention d’un compte bancaire dépend des différents frais et commissions (notamment sur les moyens de paiement) partiellement compensés par les intérêts perçus sur les comptes rémunérés. Parallèlement, le recours au crédit est essentiellement lié au coût du crédit. L’AfSS est caractérisée par des marges d’intérêt élevées (Beck et al., 2011) (médiane de 6,1 %, contre 4,9 % dans l’ensemble des PED). Le graphique 9 (infra) montre que ces marges restent élevées en AfSS lorsqu’on contrôle l’effet du PIB par tête (majorité de résidus positifs sur le graphique), ce qui contribue à une plus faible bancarisation (puisque la pente est négative)4.

 
Graphique 9 - Taux de bancarisation en fonction de la marge d’intérêt (taux d’intérêt débiteur-créditeur, corrélation partielle en contrôlant l’effet du PIB par tête)
Corrélation = –0,60 (5 %).
 
nd : non défini.
Sources : Findex, Banque mondiale ; estimations des auteurs.

Le coût des services financiers est lui-même lié au degré de concurrence entre banques, qui est influencé non seulement par la concentration bancaire, mais également par la pénétration d’institutions financières étrangères. La concentration bancaire est plus forte en AfSS que dans les autres PED (les cinq premières banques concentrent 91 % des actifs, contre 77 %). Néanmoins, le développement rapide des groupes bancaires régionaux ou panafricains accroît cette concurrence, notamment en Zone franc (Léon, 2012). Le graphique 10 (ci-contre) montre la contribution d’une concentration bancaire excessive (majorité des résidus positifs) à la faible bancarisation en AfSS.

 
Graphique 10 - Taux de bancarisation en fonction de la concentration bancaire (part des actifs détenus par les cinq premières banques, corrélation partielle en contrôlant l’effet du PIB par tête)
Corrélation = –0,19 (10 %).
 
Sources : Findex, Banque mondiale ; estimations des auteurs.

L’accès aux services financiers dépend aussi de la densité des infrastructures bancaires (agences, distributeurs de billets, etc.) et de la qualité des moyens de transport. En AfSS, non seulement la densité des agences est faible (3,8 pour 100 000 adultes, contre 10,9 pour l’ensemble des PED)5, mais de plus la mauvaise qualité des voies de communication en accroît le coût global d’accès. L’extension de l’utilisation d’Internet et de la téléphonie mobile permet cependant de réduire ces coûts comme le montre l’expérience kényane (Safaricom, M-Pesa). La difficulté d’accès est encore plus forte en Zone franc (densité de 2,2). Le graphique 11 (infra) montre que cette densité est systématiquement faible en AfSS (tous les résidus sont négatifs) et contribue à la faible bancarisation.

 
Graphique 11 - Taux de bancarisation en fonction de la densité d’agences bancaires (pour 100 000 adultes, corrélation partielle en contrôlant l’effet du PIB par tête)
Corrélation = +0,41 (1 %).
Sources : Financial Access Survey, FMI ; estimations des auteurs.
 
Source : Findex, Banque mondiale.

Enfin, l’offre de services financiers formels est contrainte par l’ampleur des asymétries d’information entre les banques et leurs clients potentiels. Le manque de fiabilité des documents comptables et financiers limite la capacité des banques à sélectionner les emprunteurs solvables, en particulier pour les ménages et les PME. Les bases de données publiques (centrales des bilans, des incidents de paiement, des risques) et privées (données des bureaux de crédit) permettent de réduire ces asymétries d’information et de renforcer l’accès aux services financiers (cf. graphique 12 ci-contre). La couverture par ces registres est plus faible en AfSS et en Zone franc que dans l’ensemble des PED (le quart le mieux couvert des PED possède une couverture supérieure ou égale à 10,7 %, contre seulement 2,5 % en AfSS et 4,5 % en Zone franc).

 
Graphique 12 - Taux de bancarisation en fonction du PIB par tête
Corrélation = +0,0047 (1 %).
Sources : Findex et World Development Indicators, Banque mondiale ; estimations des auteurs.
 
Source : World Development Indicators, Banque mondiale.

Les déterminants économiques et non économiques de la demande

La demande de services financiers est déterminée de manière prépondérante par le pouvoir d’achat des agents (cf. graphique 12), mais également par des facteurs non économiques qui découlent de leurs préférences individuelles. La demande de services financiers dépend non seulement du revenu par tête moyen du pays, mais également de la répartition des revenus à l’intérieur du pays. Guérineau et Jacolin (2013) ont montré que la réduction des écarts d’accès aux services financiers (crédits et dépôts) entre « pauvres » et « non pauvres » était associée à une croissance plus forte. Cette relation existe non seulement pour les crédits, mais également pour les dépôts bancaires. Le faible niveau de PIB par tête des pays d’AfSS et de la Zone franc contribue donc à la faible bancarisation de la zone6.

Les facteurs économiques sont renforcés par des facteurs non économiques qui produisent des phénomènes d’auto-exclusion. Parmi ces facteurs, une éducation financière insuffisante, liée au niveau global d’éducation, peut jouer un rôle important comme le montre le graphique 13. De nouveau, l’AfSS, comme la Zone franc, est pénalisée par un niveau d’éducation inférieur à la moyenne des PED. Cependant, cet écart est essentiellement lié au niveau de PIB par tête (les résidus sont distribués de manière comparable aux autres PED), donc il n’existe pas d’effet spécifique à l’AfSS. L’auto-exclusion peut être renforcée par des barrières culturelles spécifiques à certaines ethnies et religions, mais également par une surestimation du niveau réel de discrimination opéré par les banques (Beck et al., 2007). Ce dernier effet peut difficilement être distingué du rationnement de l’offre si l’on ne dispose pas de données sur la perception des clients potentiels. Enfin, l’auto-exclusion peut provenir d’un manque de confiance dans le système bancaire, parfois émoussée par des épisodes répétés de faillites bancaires.

 
Graphique 13 - Taux de bancarisation en fonction du niveau d’éducation (niveau d’éducation : années de scolarisation primaire chez les plus de 15 ans, corrélation partielle en contrôlant l’effet du PIB par tête)
Corrélation = +3,33 (5 %).
Sources : Findex et World Development Indicators, Banque mondiale ; estimations des auteurs.
 
Source : World Development Indicators, Banque mondiale.

Le contexte institutionnel

Le développement de l’utilisation des services financiers requiert une confiance suffisante entre les banques et les clients potentiels quant à la bonne réalisation des contrats. Cette confiance est tributaire du contexte institutionnel dans lequel le système financier exerce son activité. Premièrement, l’inclusion financière peut être améliorée par une réforme du cadre réglementaire bancaire (Detragiache et al., 2008) et de son application (supervision). Il s’agit en particulier de la qualité des règles de supervision microprudentielles, de la réglementation de la microfinance ou du système de garantie des dépôts. La capacité à appliquer les règles existantes fait souvent défaut en AfSS, notamment du fait du manque de ressources humaines des autorités de supervision et du manque de volonté politique (FMI, 2011a et 2011b). Des réformes ciblées sur l’inclusion financière permettent de modifier les structures de l’offre : promotion du compte de « base » (offrant un nombre réduit de services, comme au Brésil ou au Mexique), de la banque « sans agence » (au Kenya) ou d’une meilleure appréhension des risques (base de données sur les microemprunteurs pour limiter les emprunts multiples ; CGAP, 2010). Ces réformes sont en cours en AfSS, mais de manière très hétérogène et sur un nombre limité de dimensions dans chaque pays. Dans la Zone franc, par exemple, des progrès importants ont été faits sur la réglementation de la microfinance et de la banque mobile, mais pas sur les comptes de base.

La stabilité macroéconomique et politique et la qualité de la gouvernance sont des conditions indispensables pour compenser la forte préférence des agents pour la monnaie fiduciaire, tant pour des motifs de transaction que de précaution. Dans un contexte caractérisé par un climat des affaires insuffisamment favorable (corruption, fragilité de l’état de droit, etc.), la protection des droits de propriété des investisseurs et la capacité à faire respecter les contrats, notamment à mobiliser les garanties associées à un crédit, sont faibles, ce qui décourage la recherche de nouveaux clients par les banques. Les graphiques 14 et 15 (infra) illustrent la corrélation entre l’inclusion financière et les variables « état de droit » et « coût d’enregistrement des titres de propriété ». Ils montrent que ces facteurs contribuent à la faible bancarisation. Les pays d’AfSS souffrent globalement d’une faiblesse institutionnelle (cf. données sous les graphiques). La Zone franc semble plus pénalisée par ces faiblesses institutionnelles que le reste de l’AfSS (Ghura et al., 2009), alors qu’elle bénéficie d’une plus grande stabilité macroéconomique.

 
Graphique 14 - Taux de bancarisation en fonction de l’état de droit (indicateur WGI état de droit, corrélation partielle en contrôlant l’effet du PIB par tête)
Corrélation = +10,6 (1 %).
Sources : Findex, World Governance Indicators et Doing Business, Banque mondiale ; estimations des auteurs.
 
Source : World Governance Indicators, Banque mondiale .        
 
Graphique 15 - Taux de bancarisation en fonction du coût d’enregistrement de la propriété foncière (en % de la valeur du bien, corrélation partielle en contrôlant l’effet du PIB par tête)
Corrélation = –0,76 (5 %).
Sources : Findex, World Governance Indicators et Doing Business, Banque mondiale ; estimations des auteurs.
 
Source : Doing Business, Banque mondiale.

Conclusion

L’inclusion financière reste faible en AfSS comme c’est le cas globalement pour le développement financier. L’intensité de l’utilisation de comptes bancaires reste limitée, la préférence pour la monnaie fiduciaire très forte et les paiements scripturaux rares. Les comptes bancaires sont surtout utilisés pour sécuriser le paiement des salaires, des taxes ou des transferts de migrants et réduire le risque de vol. Les écarts d’accès selon le niveau d’éducation, le revenu, le genre et la zone d’habitation sont plus élevés en AfSS que dans les autres PFR, en particulier en Zone franc. Le crédit informel auprès des réseaux personnels reste le mode de financement principal de l’essentiel des populations. Enfin, le crédit (formel ou informel) finance principalement des besoins de base et de court terme et, dans une moindre mesure, des investissements immobiliers et, seulement de manière marginale, l’investissement productif.

Pour combler ce retard de l’AfSS, les stratégies d’inclusion financière peuvent s’appuyer sur les bonnes pratiques identifiées au niveau international (Global Partnership for Financial Inclusion) notamment sur le renforcement de la concurrence, l’utilisation de l’innovation technologique pour surmonter les infrastructures déficientes et le principe de proportionnalité (la sévérité du contrôle s’accroît avec l’ampleur des risques). Dans la mesure où le développement financier implique de nouveaux risques, les régulations financières et la supervision doivent être simultanément renforcées (Geourjon et al., 2013). Il est cependant important d’adapter ces stratégies au contexte de chaque économie : améliorer la supervision prudentielle, en particulier dans les pays dont le développement financier est rapide, réduire le coût des transferts des migrants dans les pays les plus dépendants et les orienter à travers le secteur financier vers des usages productifs (Bourenane et al., 2011). Enfin, il est utile de s’appuyer sur les avantages procurés par l’intégration régionale (UEMOA – Union économique et monétaire ouest-africaine –, CEMAC – Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale –, CAE – Communauté d’Afrique de l’Est –, etc.) pour développer des instruments bénéficiant d’économies d’échelle (systèmes d’assurance des risques ou de partage d’informations).

Le retard de l’AfSS en termes d’inclusion financière découle de faiblesses structurelles du continent africain (pauvreté, éducation financière insuffisante, infrastructures de transport et climat des affaires déficients), toutes difficiles à surmonter à court terme. Cependant, des actions spécifiques au secteur financier peuvent contribuer à renforcer l’inclusion financière, ce qui permettra aux populations pauvres de développer leur activité, d’accumuler des actifs et de lisser leur consommation et ainsi de sortir des trappes à pauvreté.


Notes

1 Les cartes de débit sont trois à quatre fois plus utilisées que les cartes de crédit.
2 Les emprunteurs peuvent avoir recours à plusieurs prêteurs et la somme des catégories d’emprunteurs peut être supérieure à 100. Ces proportions ne sont donc pas assimilables à des parts de marché.
3 Les variables représentées sur les graphiques de corrélation partielle correspondent à la part de la variable non expliquée par le PIB par tête, c’est-à-dire à l’écart entre la valeur observée et la valeur prédite en fonction du PIB par tête (résidu).
4 D’après les commissions bancaires de l’UEMOA et de la CEMAC, la marge d’intérêt est en moyenne de 7 % à 8 % dans la Zone franc pour l’année 2010. Les données Findex (utilisées pour les autres pays) ne sont pas renseignées pour la Zone franc (un seul pays).
5 La densité géographique des agences (mesurée par km2) est également faible.
6 La faiblesse du revenu réduit simultanément l’offre de services financiers.

Bibliographies

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Les deux bases de données ciblées sur l’offre de services financiers (FAS – Financial Access Survey) et l’inclusion financière (Findex) sont intégrées dans une base de données plus large dédiée aux systèmes financiers (Global Financial Development).
FAS est disponible à l’adresse https://fas.imf.org/.
Global Financial Inclusion (Findex) est disponible à l’adresse https://data.worldbank.org/data-catalog/financial_inclusion.
Global Financial Development est disponible à l’adresse : https://data.worldbank.org/data-catalog/global-financial-development.

Annexe

ANNEXE -

Tableau 1 - Utilisation des comptes bancaires(population des plus de 15 ans)
Source : Findex, Banque mondiale.
Tableau 2 - Écarts de bancarisation par catégorie de populations
Lecture du tableau : dans les PFR, le taux de bancarisation des femmes est inférieur de 24,7 % à celui des hommes.
Source : Findex, Banque mondiale.
Tableau 3 - Emprunts au cours des 12 derniers mois par catégorie de prêteurs(population des plus de15 ans)
Source : Findex, Banque mondiale.
Tableau 4 - Emprunts au cours des 12 derniers mois par objet (population des plus de 15 ans)
Source : Findex, Banque mondiale.