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 Désintermédiation, protection des consommateurs et devoir de conseil


Édouard VIEILLEFOND Secrétaire général adjoint, direction de la régulation et des affaires internationales, Autorité des marchés financiers (AMF).

Protéger l’épargne revêt une importance cruciale aujourd’hui. La place des banques et des marchés financiers a considérablement évolué en quelques années sous l’influence de plusieurs facteurs : montée en puissance d’acteurs nouveaux et de circuits de financement insuffisamment régulés, nouveaux risques, avec des produits financiers de plus en plus complexes, et innovations technologiques bousculant la réglementation existante. Ces débats, apparemment techniques, ont un impact très immédiat sur la perception, souvent empreinte de méfiance, qu’ont les particuliers du fonctionnement des marchés financiers. Plusieurs exemples, tirés de textes communautaires en cours de discussion ou de mise en place, soulignent ainsi le rôle fondamental aujourd’hui – plus encore depuis la crise – conféré à la régulation financière

Pour les autorités publiques, la protection de l’épargne est depuis toujours un enjeu capital, qui a pris ces dernières années une tournure particulière. En effet, à la suite de la crise, la confiance dans les marchés et les instruments financiers les plus « classiques » tels que les actions est devenue très faible ; la situation conjoncturelle, avec des perspectives d’activité atone, des taux d’intérêt historiquement bas et une aversion au risque généralisée, ne fait qu’aggraver le contexte actuel ; de nombreux autres bouleversements (recherche d’une meilleure soutenabilité des finances publiques, réforme du financement de la sécurité sociale et des retraites, émergence de nouveaux risques liés notamment au vieillissement de la population) ne facilitent pas les choix pour les épargnants.

La qualité de la protection des consommateurs de produits financiers, autrement dit des épargnants, est l’un des garants de la confiance que ces derniers peuvent porter dans le système financier. Or, aujourd’hui, dans un système largement intermédié et régulé, les consommateurs n’ont certes plus confiance dans les marchés, mais ont plutôt confiance dans le système bancaire : 60 % des Français ont une bonne image des banques en général, ce qui correspond au niveau constaté avant la crise. 80 % d’entre eux portent une bonne appréciation sur leur propre banque, soit le niveau enregistré en 2006. Les chargés de clientèle ont une responsabilité majeure en matière de commercialisation des produits financiers car les Français reconnaissent avoir, à juste titre, un niveau de connaissances en matière financière très imparfait. Les études commandées par l’AMF (Autorité des marchés financiers) (dont celle du CRÉDOC – Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie – en 2011) montrent en effet que, d’une part, les Français sont globalement peu à l’aise avec l’utilisation des produits financiers et que, d’autre part, leur intermédiaire bancaire constitue dans ce domaine leur principal interlocuteur. De façon générale, le cadre réglementaire européen et notamment français, même s’il est imparfait, est très strict et très protecteur pour les épargnants. Cela est dû aux règles elles-mêmes bien sûr, mais aussi au fait que le système est intermédié par des professionnels bien implantés et bien supervisés. La France est un pays largement « bancarisé » où les lacunes de la régulation sont rares voire inexistantes, à l’opposé de ce que l’on a pu identifier dans certains pays anglo-saxons.

Or des évolutions majeures touchent actuellement les modes de financement de l’économie après la crise financière de 2008, avec une désintermédiation plus marquée. Même si la part du financement de marché dans la totalité de l’endettement des entreprises reste très sensiblement inférieure en Europe (environ 30 %) par rapport aux États-Unis (proche de 80 %), la tendance européenne s’inscrit à la hausse depuis la fin des années 1990 (15 % en 1995). Elle ne fait que se confirmer avec la mise en place de réglementations prudentielles plus sévères dans les secteurs de la banque et de l’assurance. Les marchés financiers sont donc appelés à jouer un rôle croissant, compte tenu des réformes réglementaires internationales en cours de finalisation touchant notamment les marchés financiers avec, par exemple, la réforme de la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers (MIF) et la mise en œuvre du règlement EMIR (European Market Infrastructure Regulation) sur les produits dérivés, et les banques, via les nouvelles règles bâloises dites « Bâle III ». Cette dernière réglementation prudentielle, dont l’application a été reportée aux États-Unis sine die et qui devrait prendre effet a priori à partir de 2013 en Europe, accélérera la modification de la structure du bilan des banques sous la conjugaison de trois effets : un renforcement de la quantité et de la qualité des instruments éligibles au calcul des fonds propres prudentiels, la mise en place d’exigences de liquidité plus sécurisantes et un relèvement des ratios de solvabilité. Concrètement, les entreprises seront probablement conduites à davantage solliciter les marchés financiers, puisque les banques devront faire face à des exigences renforcées en termes d’actifs liquides mobilisables et de sources de financement stables, ce qui modifiera sensiblement leur activité de transformation. L’un des enjeux de cette désintermédiation est donc celui de la bonne capacité des marchés à s’associer aux banques pour assurer un financement approprié de l’économie, c’est-à-dire de permettre la rencontre au moindre coût entre demandeurs et offreurs de capitaux. C’est, en quelque sorte, l’envers du débat sur le shadow banking ou la « finance parallèle ».

Trois questions fondamentales se posent dans ce contexte :

  • les structures de marché, destinées à recevoir plus de flux et d’activités, sont-elles prêtes à cette évolution ?
  • les règles visant à protéger les épargnants sont-elles suffisantes ?
  • comment faire face aux nouveaux enjeux nés de la désintermédiation et de la concurrence ?

Les structures de marché sont-elles à même de jouer leur rôle d’intermédiation croissant ?

L’architecture des marchés financiers a sensiblement évolué depuis l’entrée en application de la directive MIF qui, jointe à des règles prudentielles ayant contribué à la désintermédiation des financements, a accompagné le passage accéléré d’une économie intermédiée à une économie de marchés financiers. Observant la part croissante des financements obtenus et des placements effectués par les entreprises, comme par les particuliers, directement sur les marchés, donc sans intermédiaire bancaire, cette directive visait à mettre en concurrence les différents lieux d’exécution des ordres, en supprimant le monopole des marchés réglementés, ainsi qu’à favoriser la transparence, afin de garantir aux investisseurs une amélioration de la qualité et de moindres coûts d’exécution des ordres. Elle a donc mis fin à la concentration des ordres sur le marché réglementé et favorisé la mise en concurrence des plates-formes de négociation, pour encourager les innovations et limiter le coût des transactions.

D’une part, des principes d’encadrement spécifiques selon les modes de négociation (marchés réglementés – MR –, Multilateral Trading Facility – MTF –, c’est-à-dire des systèmes multilatéraux de négociation organisés, internalisateurs systématiques) ont été édictés en matière de transparence pré et postnégociation. D’autre part, un cadre global d’exécution des ordres a été mis en place de manière à renforcer la concurrence en Europe entre ces trois modes de négociation, supprimant ainsi la faculté de la concentration obligatoire des ordres dont disposaient les États membres en vertu de la directive sur les services financiers de 1993.

Les résultats observés après l’entrée en vigueur de la directive MIF sont aujourd’hui mitigés. Ils ont laissé un sentiment d’inachevé pour les investisseurs finals, qui n’ont pas toujours constaté une meilleure transparence, ni une baisse significative des coûts de négociation :

  • la part des transactions réalisées de gré à gré sur les actions françaises dépasse désormais celle des transactions intervenant sur les plates-formes multilatérales MR et MTF. Sachant que, d’une part, seule une proportion très faible de cette activité de gré à gré a lieu au sein d’internalisateurs systématiques régulés (certes a minima) et que, d’autre part, une partie non négligeable des transactions sur les MTF font l’objet de dérogations à la transparence prénégociation, il semble donc qu’au-delà de la fragmentation entre plates-formes, conséquence logique de l’ouverture à la concurrence, on assiste à une dérive des transactions vers les lieux les moins régulés et les moins transparents ;
  • malgré la baisse objective des commissions de négociation prélevées par les plates-formes, l’impact de la directive MIF sur les coûts complets de transaction pour les épargnants a été limité, compte tenu d’autres facteurs (captation du gain par les intermédiaires, autres frais dans la chaîne d’intermédiation, coûts des investissements répercutés sur les donneurs d’ordres, structure des économies d’échelle selon le type de titres…) ;
  • la directive MIF a élargi les dérogations à l’obligation de transparence prénégociation. La dérogation portant sur les négociations de blocs d’actions, qui concerne les transactions dont la taille est qualifiée d’« élevée » par rapport à la taille normale du marché, a été maintenue. Sont également exemptés de la transparence prénégociation : les systèmes de négociation fonctionnant sur la base d’un prix de référence, c’est-à-dire déterminé par un autre système dès lors que ce prix de référence est largement divulgué et considéré comme fiable ; les ordres détenus dans un système de gestion des ordres dans l’attente de leur diffusion au marché ; les transactions négociées. En bref, le développement des dark pools sur la base de ces dérogations a largement dépassé la volonté du législateur. La transparence postnégociation n’est aujourd’hui pas en meilleure posture en l’absence d’une centralisation suffisante des données de type consolidated tape pour les actions ;
  • enfin, les innovations technologiques sur les marchés organisés, et en particulier le trading haute fréquence (high frequency trading – HFT), ont également eu des effets mitigés. Le HFT représenterait actuellement de 30 % à 40 % des transactions réalisées dans l’Union européenne, avec un taux d’exécution des ordres très faible (l’essentiel des ordres étant annulés) et une concentration importante sur quelques acteurs. Ce rapide développement du HFT est un défi pour préserver la capacité des régulateurs et des superviseurs à garantir l’intégrité, l’efficience et la stabilité des marchés financiers.

Du point de vue des épargnants et des entreprises faisant appel au marché, ces évolutions, et notamment la forte augmentation du volume des transactions peu réglementées, menacent la qualité de la formation du prix. D’une part, sur les marchés réglementés, les prix de marché mesurés ne sont plus représentatifs de l’intégralité, ni même de la majorité, des transactions effectivement réalisées, évolution qui se nourrit également de la montée en puissance du HFT. D’autre part, sur les marchés non ou moins réglementés, les règles sont moins contraignantes et les épargnants n’ont alors pas accès à la même qualité d’information, notamment sur l’offre et la demande de titres financiers. Cette opacité des structures contribue sans doute à expliquer le manque de confiance que les investisseurs et les entreprises cotées – qui in fine sont les « clients » du système financier – affichent aujourd’hui vis-à-vis des marchés financiers, même si la défiance des épargnants est d’abord imputable à l’évolution conjoncturelle du cours des actions.

Ce constat a conduit les autorités européennes à lancer une proposition de révision de la directive, toujours en cours de négociation. Ces débats très techniques peuvent sembler éloignés des préoccupations immédiates des consommateurs… et pourtant : les structures des marchés financiers, c’est-à-dire le lieu où sont échangés les instruments financiers qui, directement ou indirectement, finissent dans le portefeuille des épargnants, sont cruciales. Or il est patent que les structures actuelles semblent mal adaptées à la refonte en cours de l’organisation des marchés financiers. Les réformes engagées par la directive MIF en 2007 se sont traduites par un éclatement des lieux d’exécution des transactions, mais sans pour autant mettre en place une configuration alternative qui paraisse solide et cohérente. Une certaine confusion s’est installée, entraînant une méfiance des épargnants envers les marchés financiers, alors que le rôle du marché est d'être une source de financement primordiale, parfois alternative ou complémentaire aux banques, mais toujours indispensable au bon fonctionnement de nos économies. Pour l’heure, les innovations technologiques, couplées à la volonté des régulateurs d’encourager la concurrence, ont permis l’émergence de nouvelles plates-formes de trading. Elles ont toutefois contribué à la fragmentation des échanges et en réalité à une complexité réglementaire propice aux contournements et à l’éloignement des acteurs économiques de la « sphère réelle ». La règle de « meilleure exécution » des ordres, trop floue et trop générale, n’a pas fourni de garde-fou suffisant.

Les règles de protection du client issues de la directive MIF, et notamment le devoir de conseil à la charge des intermédiaires, sont-elles suffisantes ?

Le cadre communautaire est a priori protecteur

Avant de décrire les règles que le législateur communautaire a souhaité mettre à la charge des intermédiaires afin de protéger les épargnants, il convient de prendre un peu de recul pour situer les leviers à la disposition des pouvoirs publics en la matière.

En effet, au-delà des marchés secondaires d’instruments financiers réglementés via la directive MIF évoqués supra, les marchés « primaires » sont également régulés et encadrés. Ces derniers ont toutefois des limites. Ainsi, la plupart des textes ne visent naturellement pas le contenu des produits eux-mêmes, mais bien leurs modalités d’émission, principalement en termes de transparence de l’information délivrée au public (notamment en cas d’offre au public et/ou d’admission sur un marché réglementé). C’est typiquement le cas de la directive Prospectus – complétée tout aussi naturellement par une directive portant sur l’information permanente, la directive Transparence. D’autres textes plus sectoriels, au contraire, sont devenus très exigeants sur le contenu des produits (par exemple, la directive OPCVM), prévoyant leur autorisation individuelle sur la base de règles contraignantes et précises (concernant les actifs éligibles, leur diversification, leur conservation, le levier acceptable…). Il existe donc des degrés de protection extrêmement divers selon l’enveloppe réglementaire des produits, par exemple entre des obligations et des fonds d’investissement, aux profils risque/rendement pourtant parfois très proches. Au-delà de cette problématique « interne » aux instruments financiers tels que définis dans la directive MIF, la définition même de « produit financier » pose problème : l’écart de réglementation est en effet potentiellement encore plus grand lorsqu’on prend en compte des produits qui, juridiquement, ne sont pas des instruments financiers. Il s’agit bien sûr, en France, de l’assurance-vie, mais aussi de plus en plus des dépôts bancaires « structurés ».

Au total, la protection de l’épargnant ne saurait reposer, en tout cas intégralement, sur le cadre réglementaire entourant les produits eux-mêmes, qui est sinon insuffisant en soi, à tout le moins déséquilibré et inéquitable entre les classes de produits financiers. La logique communautaire, partiellement en raison de ces limites (mais des progrès sont attendus à la suite de la révision des directives MIF et IMD (Insurance Mediation Directive ou directive sur l’intermédiation en assurance), promeut donc logiquement une approche horizontale de la protection des épargnants via les règles de commercialisation des produits d’épargne. Même si celle-ci est également imparfaite du fait de la segmentation des réglementations sectorielles, elle offre déjà un haut degré de protection. Celui-ci doit être renforcé au regard des imperfections connues et, surtout, des évolutions prévisibles.

Pour ce qui concerne les instruments financiers au sens strict, les règles de commercialisation aux épargnants ont été réformées par ladirective MIF, en garantissant un encadrement strict des acteurs comme des régimes de fourniture de services d’investissement.

L’intermédiaire assurant la vente d’instruments financiers doit en effet choisir entre deux statuts : celui de prestataire de services d’investissement (PSI) ou celui de conseiller en investissements financiers (CIF). Les PSI sont des entreprises d’investissement ou des établissements de crédit ayant reçu un agrément pour fournir des services d’investissement. Les CIF, en revanche, peuvent exercer les activités de conseil en investissements, de conseil portant sur la réalisation d’opérations sur biens divers, ainsi que le service de réception et de transmission d’ordre sur parts et actions d’OPC (organismes de placement collectif) lorsqu’ils ont fourni une prestation de conseil en investissements ou d’activité de conseil en gestion de patrimoine sur ces actifs. Si la directive MIF permet aux CIF de bénéficier d’exemptions, la France a choisi de leur appliquer des obligations similaires à celles des PSI en ce qui concerne la commercialisation d’instruments financiers et de biens divers. La nouvelle directive MIF (MIF2) rendra fort probablement cet alignement réglementaire obligatoire partout en Europe.

Dans ce contexte, ces intervenants, les CIF comme les PSI, sont soumis à un corpus d’obligations à l’égard des consommateurs, qui inclut notamment la communication au client d’informations appropriées et compréhensibles relatives à l’entreprise, aux produits proposés et aux risques encourus. En outre, ils doivent respecter les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts et au respect de la primauté de l’intérêt du client, ainsi que les obligations de loyauté, d’équité et de professionnalisme à son égard. Cela offre un cadre général protecteur par rapport aux tromperies et aux informations biaisées ou incomplètes dont le consommateur pourrait souffrir de la part d’autres acteurs. De plus, des règles relatives à la protection de ses avoirs sont prévues.

Ce socle général de régulation des intermédiaires financiers étant posé, la directive MIF prévoit par ailleurs trois régimes de commercialisation d’instruments financiers, correspondant à des obligations de conseil différentes de la part des intervenants. Du plus protecteur au moins protecteur, ces cadres visent les cas suivants : le conseil en investissements, les autres services d’investissement et l’exécution ou la réception et transmission d’ordre simple.

Dans le régime le plus protecteur du conseil en investissements, l’intervenant agréé doit, par exemple, s’assurer, lors de la vente du produit ou du service, que celui-ci est bien « adéquat » pour le client. La vérification de l’adéquation impose à l’intervenant de se procurer les informations nécessaires concernant les connaissances et l’expérience du client en matière d’investissement, en rapport avec le type spécifique de produit ou de service proposé, sa situation financière et ses objectifs d’investissement, de manière à lui recommander les services d’investissement et les instruments financiers qui lui conviennent. Il doit ainsi s’assurer que le produit recommandé répond aux objectifs du client, que celui-ci est financièrement en mesure de faire face à tout risque compatible avec ses objectifs d’investissement et qu’il possède l’expérience et la connaissance nécessaires pour comprendre les risques inhérents à la transaction.

Dans le régime couvrant les autres services d’investissement, moins protecteur que le précédent, l’intervenant agréé doit s’assurer, lors de la vente du produit ou du service, que celui-ci est bien approprié pour le client. L’intervenant doit donc évaluer le niveau d’expérience et de connaissances du client requis pour appréhender les risques inhérents au produit proposé ou demandé. Si l’intervenant estime que le produit ne convient pas au client, il doit l’en avertir. En outre, si le client ne fournit pas d’informations suffisantes, il doit aussi lui faire savoir qu’il n’est pas en mesure de s’assurer que le produit lui convient.

Enfin, en cas d’exécution ou de réception et transmission d’ordre simple, l’intervenant agréé n’est en revanche soumis à aucune obligation de conseil ou de mise en garde spécifique vis-à-vis du client autre que celle d’honnêteté et de loyauté. Aussi, cette diminution du niveau de protection du client n’est-elle possible que dans les cas suivants : (1) si le produit souscrit n’est pas un « produit complexe » au sens de la directive, (2) si le service est fourni à l’initiative du client, (3) si le client a été averti du fait qu’il ne bénéficie pas des règles de protection applicables dans les cas de conseil en investissements et, enfin, (4) si l’intervenant respecte les autres dispositions applicables dont celles relatives à la prévention des conflits d’intérêts.

Des produits d’investissement de plus en plus complexes ou à la marge du champ de la régulation sont pourtant apparus

Malgré le renforcement de ce cadre réglementaire établi par la directive MIF, l’AMF a constaté une recrudescence de propositions d’investissement complexes ou alternatives, à destination des consommateurs, assorties de promesses de rendements très attractifs.

L’examen de ces sollicitations et des mesures susceptibles d'être prises par l’AMF dans le cadre de sa mission de protection de l’épargne fait apparaître que ces offres exploitent différentes failles de la régulation. Trois exemples de problématiques parmi les plus préoccupantes peuvent être évoqués.

La complexité croissante des produits financiers

La notion même de complexité fait l’objet de débats très vifs entre régulateurs, mais en tout état de cause, il s’avère que deux questions se posent : la définition des instruments « non complexes » au sens de la directive MIF, c’est-à-dire de ceux qui peuvent être vendus en exécution simple, est-elle satisfaisante ? existe-t-il des degrés de complexité au-delà desquels les produits devraient être réservés aux seuls professionnels ? Sur le premier point, le fait que tous les OPCVM soient aujourd’hui classés en produits simples par la directive MIF pose problème en soi ; sur le second, l’AMF s’est dotée depuis maintenant plusieurs années d’une doctrine robuste et efficace. Mais ce sujet est malheureusement loin de faire l’objet d’une harmonisation européenne ou internationale suffisante à ce jour. Et ces questions vont bien au-delà des seuls titres financiers classiques de type obligations et des fonds, elles concernent bien sûr les dérivés dont les sous-jacents sont démultipliables presque à l’infini (forex, matières premières...).

Les nouveaux produits ou canaux et leur interaction éventuelle avec les règles sur l’offre au public

Depuis 2008 ont émergé des plates-formes de finance participatives (crowdfunding) mettant directement en relation des entrepreneurs à la recherche de financement et des épargnants en quête de rendement. Aujourd’hui, on en décompterait une vingtaine en France, qui auraient permis de mettre en relation 35 000 épargnants pour financer près de 15 000 projets à hauteur de 6 M€. Au-delà de la question de la limite entre offre au public et placement supposé « privé », délicate à opérer dans la pratique, il s’agit d’une problématique bien plus large concernant l’évolution des modes de financement qui, objectivement, ont parfois du mal à rentrer dans les cases réglementaires existantes – d’ailleurs sans qu’un objectif d’arbitrage réglementaire soit forcément à la base de ce mouvement. Au-delà du crowdfunding, on assiste au développement non seulement des offres obligataires, mais aussi des produits de bilan (EMTN – euro medium term notes) contribuant à la liquidité des banques, à la création de fonds de dette, à un renouveau partiel de la titrisation…

Le périmètre des produits financiers

La frontière entre la sphère financière et la sphère « réelle » est une notion mouvante et souvent arbitraire que le législateur a la lourde responsabilité d’essayer de délimiter. Il suffit d’observer les débats sur le Libor, l’appartenance des quotas d’émission à la catégorie des instruments financiers, ou encore la classification des dérivés selon qu’ils sont cotés ou pas, dénouables en physique ou en espèces, réellement spot ou rolling spot…, pour se convaincre de la complexité du sujet. Or, aujourd’hui, l’arbitrage réglementaire agit pleinement bien au-delà des sujets identifiés de longue date comme celui des matières premières. De nombreux actifs non financiers sont devenus ainsi des cibles d’investissement, sans que les investisseurs ne réalisent toujours que le degré de protection offert par le cadre réglementaire est très inférieur. Par exemple, les CIF ne sont pas soumis aux règles de bonne conduite prévues par le Code monétaire et financier et le règlement général de l’AMF lorsqu’ils fournissent un conseil en investissements sur un produit autre qu’un produit financier. Des prestataires proposent donc de plus en plus fréquemment des produits (manuscrits, bois, œuvres d’art…) selon des modalités qui peuvent être non régulées. Autrement dit, le flou ou la mauvaise perception qui entoure la limite du secteur financier et de la régulation très protectrice qui s’y attache est un enjeu en soi. Mais cet enjeu est également démultiplié par la recherche, par les investisseurs, de placements qu’ils considèrent comme (plus) « sûrs », autrement dit d’actifs soi-disant « solides » et non financiers. Il y a là non seulement un enjeu pour le financement de l’économie, mais aussi un enjeu microéconomique de protection du consommateur.

Quelles propositions avancer pour renforcer la confiance des consommateurs ?

Les modalités de financement de l’économie changent de façon inéluctable. Les produits et leurs canaux de vente accompagnent ce mouvement, parfois de façon d’autant plus forte que la conjoncture et notamment le bas niveau des taux d’intérêt favorisent l’innovation, bonne ou mauvaise.

La question n’est pas d’essayer de s’opposer à cette tendance, mais de l’encadrer de telle façon que le financement de l’économie, le cas échéant via des nouveaux modes, et la protection des épargnants demeurent des priorités sur le terrain : par exemple, il faudra encadrer, et non interdire, les fameuses plates-formes dites de « crowdfunding ».

Les premières réflexions commencent prudemment à émerger sur les produits eux-mêmes, en particulier sur la dangerosité potentielle de certains d’entre eux et donc leur possible interdiction (cf. art. 9 du règlement instituant l’Autorité européenne des marchés financiers – AEMF) ou leur adéquation pour la clientèle non professionnelle. Des progrès sont imaginables sur l’encadrement des produits, à l’instar de ce qui existe aujourd’hui pour la gestion d’actifs. Mais, en tout état de cause, le secteur financier n’atteindra jamais un niveau de réglementation comparable à celui du médicament, de telle sorte que tous les produits en viendraient à faire l’objet d’autorisations individuelles ou de contrôle du risque permanent par les régulateurs. Des impératifs d’innovation financière et, surtout, la nécessité de laisser les investisseurs réaliser leurs choix de risque/rendement en toute connaissance de cause militent à juste titre pour un degré de liberté individuel encadré, mais manifestement plus grand.

L’effort devra donc être fait sur d’autres paramètres tels que :

  • les structures de marché ;
  • une approche intégrée de la commercialisation, de la complexité et du périmètre des produits financiers.

Des règles d’organisation des structures de marché à compléter en Europe

Le texte de la directive MIF2 est toujours en cours de négociation au Conseil européen dans le cadre du processus législatif européen. Les objectifs affichés visent à repenser la structure de marché pour tous les instruments financiers, de manière notamment à assurer une plus grande transparence. La prochaine directive élargirait ainsi les obligations de transparence, aujourd’hui applicables aux seules actions, à d’autres instruments dont les obligations et les produits dérivés.

Les objectifs de la directive MIF2 sont larges et la technicité des débats ne facilite pas la formation d’une vision cohérente de l’architecture finale souhaitée par le législateur. On peut toutefois considérer, au regard de l’état des négociations à ce jour, que les enjeux pour la finalisation du texte sont les suivants.

L’architecture des marchés doit favoriser les lieux de négociation régulés, les plus transparents, les plus équitables et, in fine, là où le prix doit se former. S’il est probablement trop tard pour obtenir une règle privilégiant les marchés organisés pour tous les instruments financiers dont les actions et surtout les obligations – alors même que cette règle existera pour les produits dérivés en application des principes édictés par le G20 ! –, il faut absolument que les premiers progrès soient effectués sur les actions et que des mesures compensatoires soient prises pour les autres titres. L’OTC (over the counter, de gré à gré) doit être défini et restreint et il doit à tout le moins faire l’objet d’un reporting permettant de connaître les transactions qui s’y déroulent. Il faut aussi éviter à tout prix que d’éventuelles nouvelles plates-formes moins réglementées, telle que les organized trading facilities (OTF), soient mises sur un pied d’égalité avec les MR et les MTF, sans encadrement.

La transparence doit être la règle, l’opacité, l’exception. Les dérogations à la transparence de la prénégociation doivent être restreintes autant que possible. Cela est vrai pour les actions pour lesquelles les enseignements des dernières années sont clairs, mais aussi pour les autres instruments financiers : il ne faudrait pas en effet qu’au moment même où l’Europe introduit ce type de transparence pour des instruments autres que les actions, on vide le texte de sa substance en adoptant des dérogations d’un périmètre potentiellement équivalent ! Le renforcement des obligations de transparence postnégociation, via la mise en place d’une base d’enregistrement centralisée des transactions sur les actions, c’est-à-dire la consolidated tape européenne, est tout aussi essentiel. Dans un deuxième temps, il faudra aussi pousser ce type de solution pour les autres instruments, dont les obligations.

Des règles de conduite des intermédiaires qui devront accroître la protection des investisseurs, et un champ de la régulation clarifié et cohérent

L’AMF utilise déjà aujourd’hui les outils à sa disposition, par exemple en multipliant les alertes à l’attention des consommateurs sur certains intervenants et produits considérés comme particulièrement risqués, mais non proposés par des prestataires régulés, ou en appliquant une doctrine robuste concernant les produits financiers dits « complexes », refusant notamment d’examiner les documents commerciaux des produits considérés comme trop complexes pour être commercialisés aux particuliers. Mais cela n’est évidemment pas suffisant. D’abord parce que le manque d’harmonisation, européen et au-delà international, est criant en la matière. Ensuite parce que l’effort des régulateurs doit s’exercer sur une plus grande partie de la chaîne de valeur, de la conception à la disparition des produits en passant par leur documentation, notamment précontractuelle, leur commercialisation et l’accompagnement pendant leur durée de vie.

Dans ce contexte, un effort particulier devra être réalisé sur les trois thèmes suivants.

Les règles relatives à la rémunération du conseil, à son indépendance et à sa durée

Au regard de l’état de la négociation de la directive MIF, il est fort probable que nous nous dirigeons vers une triple réforme : (1) la possibilité pour les États membres d’opter pour l’interdiction pure et simple des avantages et incitations (ci-après « rétrocessions », pour simplifier) ; (2) a minima, une séparation entre le conseil dit « indépendant » (qui interdit par nature les rétrocessions et nécessite une palette suffisamment variée de produits) des autres formes de conseil ; (3) des règles durcies en tout état de cause pour l’activité de conseil fondée sur les rétrocessions. Quoi que l’on puisse penser des limites du label dit « indépendant » ou du risque de fragmentation induit par l’option d’interdiction offerte aux États, il est clair qu’un effort devra être fait pour mieux prévenir et, le cas échéant, traiter les conflits d’intérêts propres aux différents modèles d’affaires du conseil en investissements : rémunérations et carrières des salariés, conseil pendant la durée de vie du produit, transparence… Mais cet effort ne devra pas uniquement porter sur le modèle européen continental, largement fondé sur les réseaux bancaires et, dans une moindre mesure, sur les CIF. Il devra aussi prendre en compte le modèle dit « ouvert » ou « indépendant » qui, lui aussi, porte en germe un certain nombre de conflits d’intérêts potentiels, dont le risque d’incitation à faire « tourner » excessivement les portefeuilles.

Une approche cohérente et exhaustive de la complexité des produits financiers

La complexité n’est pas interdite en finance : elle doit simplement être encadrée à partir d’un certain niveau. Lorsqu’elle devient excessive, elle doit être réservée aux seuls professionnels. Ce principe simple doit être appliqué en ayant une conception objective de la complexité. La complexité est-elle dans les produits qui permettent la confection des produits – par exemple, les produits dérivés ? L’AMF pense au contraire que la complexité est celle qui est vue de l’investisseur, c’est-à-dire qu’elle s’apprécie en mesurant l’intelligibilité du couple rendement/risque vu par l’investisseur. Et ne nous y trompons pas : il ne faut pas confondre risque et complexité. La prise de risque des investisseurs, y compris les particuliers, est une condition nécessaire à la bonne gestion de leur épargne et, plus largement, au financement de l’économie. Mais cette prise de risque doit être éclairée et acceptée en toute connaissance de cause : or la complexité excessive est précisément le « voile » qui empêche l’investisseur non professionnel de faire cette mesure. En conséquence, la définition des produits non complexes, c’est-à-dire des catégories de produits éligibles à l’exécution et à la réception et transmission d’ordre simple, doit être affinée. Pour l’AMF, la complexité d’un produit doit pouvoir être déterminée à partir de critères simples et appliqués de façon idéalement uniforme à tous les instruments financiers commercialisés à des investisseurs non professionnels. Ainsi, la définition des produits complexes et non complexes de la directive MIF devra être révisée de telle façon que le champ des produits « non complexes » soit réduit, notamment concernant les OPCVM. C’est la première ligne de notre position. Ensuite, pour les produits « trop complexes » (c’est-à-dire inintelligibles pour l’investisseur non professionnel), il est urgent que les autorités et les organisations compétentes, au premier rang desquelles l’AEMF et l’OICV (Organisation internationale des commissions de valeurs), tentent d’harmoniser des pratiques qui voient le jour un peu partout au niveau national.

Enfin, bien au-delà de la directive MIF, un effort devra également être fait pour assurer l’« étanchéité » du système et sa cohérence

Il s’agit de mieux définir les limites du monde financier pour que l’investisseur sache si, oui ou non, il bénéficie du haut degré de protection de textes tels que la directive MIF, la directive MAD (Market Abuse Directive ou directive sur les abus de marché) ou encore de textes sectoriels tels que UCITS (OPCVM), lorsqu’il prend sa décision d’investissement. Cela nécessite, à tous les niveaux (national, européen, international), d’une part, de mieux circonscrire la notion d’instrument financier et, d’autre part, de préciser dans quels cas un régulateur de marché peut intervenir au-delà des seuls instruments couverts par sa mission d’origine, comme dans le cas des « biens divers » ou d’autres produits offerts au public en France. Cela exige également d’assurer une véritable équité de régulation entre produits substituables, c’est-à-dire ceux qui offrent, du point de vue des investisseurs, les mêmes caractéristiques. L’enjeu concerne majoritairement en France les produits d’assurance-vie et notamment les unités de compte par rapport aux produits de gestion classiques, mais l’évolution vers des produits de bilan de type EMTN ou de nouveaux SPV (special purpose vehicles) ainsi que vers des dépôts bancaires structurés milite pour avoir une approche exhaustive de la question. Le projet de règlement RIP (retail investment product) est un premier pas. Mais comme il ne concerne que l’information précontractuelle, il sera en tout état de cause insuffisant pour harmoniser la régulation sur, comme cité supra, une partie suffisante de la chaîne de valeur et de la vie de tous les produits financiers.


Bibliographies

Bigot R. (2011), La culture financière des Français, CRÉDOC, étude réalisée à la demande de l’Institut pour l’éducation financière du public (La Finance pour tous), en partenariat avec l’Autorité des marchés financiers, octobre.
Cartographie 2012 des risques et des tendances sur les marchés financiers et pour l’épargne, juillet 2012 ; disponible sur le site de l’AMF : www.amf-france.org , rubrique publications, lettres et cahiers, risques et tendances.
Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil européen du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers (MIF). Disponible sur le site : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32004L0039:FR:HTML.
Directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil européen du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Disponible sur le site : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:302:0032:0096:FR:PDF.
Règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil européen du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (EMIR). Disponible sur le site : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:201:0001:0059:FR:PDF.
Règlement délégué (UE) de la Commission du 19 décembre 2012 complétant le règlement (UE) nº 648/2012 du Parlement européen et du Conseil européen sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux en ce qui concerne les normes techniques de réglementation sur les informations minima à déclarer aux référentiels centraux. Disponible sur le site : https://ec.europa.eu/internal_market/financial-markets/docs/derivatives/121219_rts_minimum-details-trade-repositories_fr.pdf.