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 Les nouveaux visages de la microfinance en Afrique


Jacques ATTALI Président, PlaNet Finance. Contact : jattali@planetfinance.org.
L’avenir de l’Afrique réside en partie dans sa capacité à rendre son secteur économique et financier plus inclusif. L’écosystème de la microfinance en Afrique est aujourd’hui très différent de ce qu’il était à ses débuts, et ce, malgré un développement moins dynamique que dans d’autres régions du monde mais qui renferme un potentiel de croissance et d’innovation important. À l’image de la microfinance dans le monde, l’avenir de la microfinance en Afrique repose sur une stratégie de recentrage sur le client et se développera sur la base de partenariats innovants permettant d’offrir une diversité de services adaptés et accessibles à la base de la pyramide tout en mitigeant les risques systémiques et en renforçant la protection des clients. La technologie continuera à façonner le secteur révolutionnant la conception et l’accès des services.

L’avenir de l’Afrique réside en partie dans sa capacité à rendre son secteur économique et financier plus inclusif. La microfinance contribue aujourd’hui de manière directe au développement du secteur financier intermédiaire africain, lui-même corrélé positivement à la croissance économique (Beck et al., 2000).

Le terme « microfinance » fait référence à l’offre de services financiers aux personnes à faibles revenus ou exclues du système financier traditionnel formel. À l’origine, le terme était étroitement lié au microcrédit (de très petits prêts accordés à des emprunteurs non salariés, ayant des garanties limitées ou inexistantes, pour développer des activités génératrices de revenus), mais il a depuis évolué pour couvrir toute une gamme de produits financiers1 tels que l’épargne, l’assurance, les paiements, les transferts d’argent, etc.

La microfinance désigne également l’écosystème dans lequel agissent les acteurs qui encadrent, soutiennent et investissent dans la bancarisation des particuliers et le financement des très petites entreprises (TPE). Depuis le premier sommet du microcrédit qui s’est tenu à Washington en 1997, date à laquelle la création du groupe PlaNet Finance a été décidée, cet écosystème s’est profondément modifié.

En Afrique, comme ailleurs, le développement de la microfinance s’est caractérisé par :

  • la conception d’une offre autour de principes comme la solidarité, la proximité géographique et sociale des clients et la confiance ;
  • une implication des bailleurs publics ayant fortement subventionné le démarrage du secteur ;
  • la formalisation des activités à partir des années 1970-1980 avec la création d’institutions telles que la Grameen Bank ou la BRAC Bank au Bangladesh qui comptent des millions de clients ;
  • la variété des acteurs impliqués, groupes informels, organisations non gouvernementales (ONG), coopératives, institutions financières non bancaires et banques, réseaux de microfinance internationaux ;
  • un équilibre constant à trouver entre performances sociales, pérennité financière et commercialisation accrue à partir des années 1990 ;
  • la saturation des marchés dans des pays comme le Maroc à la fin des années 2000 poussant les fournisseurs de ces services à diversifier leur offre et cibler de nouveaux clients ;
  • des efforts constants d’innovation à travers les nouvelles technologies, permettant de faire évoluer les mentalités, les pratiques et réduisant les coûts de transaction des services financiers.

En 2005, les institutions de microfinance (IMF) africaines faisant partie de l’échantillon de l’enquête du Mix Market2 déclaraient 4,5 millions d’emprunteurs actifs pour un portefeuille de crédits de 1,3 Md$ et 5,7 millions d’épargnants pour un encours d’épargne de 1,2 Md$.

En 2012, selon la même enquête du Mix Market, le nombre d’emprunteurs avait quasiment doublé (7,3 millions d’emprunteurs actifs), le portefeuille de crédits quintuplé (6,3 Md$) et le nombre d’épargnants quadruplé (21,6 millions d’épargnants et un volume d’épargne de 5,2 Md$).

Mais la croissance du secteur en Afrique est plus lente que dans d’autres régions du monde et le taux de bancarisation reste encore l’un des plus bas au monde (24 % en Afrique subsaharienne) après celui de la zone MENA3 (Demirgüç-Kunt et Klapper, 2012).

Le propos de cet article est de montrer les principales évolutions du secteur de la microfinance en Afrique, un continent avec une énorme potentialité de croissance et d’innovation, de présenter les initiatives qui contribuent aujourd’hui à rendre les systèmes financiers africains inclusifs et de dessiner ce que sera la microfinance de demain.

Les évolutions conditionnant l’émergence d’un nouvel écosystème

Au forum Forbes Africa (juillet 2014), les dirigeants des principaux États africains ont échangé sur deux des leviers essentiels à la bancarisation de leur continent : la confiance et l’innovation. Les évolutions réglementaires et technologiques ont conditionné l’émergence d’un nouvel écosystème.

L’évolution d’un cadre légal et réglementaire favorisant la confiance

Créer les conditions d’émergence de nouveaux acteurs

Les pouvoirs publics cherchent à garantir la stabilité macroéconomique, encadrer les activités existantes et stimuler le développement d’activités nouvelles pour le développement des systèmes financiers inclusifs. Faire appel au secteur privé et encourager la concurrence s’avèrent être une stratégie efficace depuis deux décennies pour favoriser l’accès des services financiers adaptés aux personnes à faibles revenus et aux TPE.

La plupart des pays africains se sont dotés d’un cadre spécifique à la microfinance à partir de la fin des années 1990 à travers des lois nationales ou régionales qui réglementent les conditions de demande et d’obtention de licence (et les montants de capitalisation minimum), le rôle des autorités de supervision (ministère des Finances/banques centrales), les exigences en matière d’audits externes, le reporting financier, les aspects spécifiques aux coopérations de crédit et d’épargne, les normes comptables, l’appartenance à des associations professionnelles, les exemptions fiscales et les taux d’intérêt. Le tableau (infra) illustre le niveau de réglementation en vigueur dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Tableau - Réglementation en vigueur dans les pays d’Afrique subsaharienne
Source : PlaNet Finance, adapté de CGAP (2009).

Ces lois sont encore récentes et leur adaptation est actuellement en cours en Afrique subsaharienne. La priorité des pouvoirs publics est maintenant donnée à la transparence et à la protection des petits épargnants et consommateurs ainsi qu’à des standards de supervision plus rigoureux, principal enjeu de création d’un climat de confiance.

Par exemple, la loi PARMEC4 en vigueur dans les huit pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) a fortement marqué l’évolution du secteur en Afrique de l’Ouest. La première loi PARMEC (1993-2007) limitait l’accord d’agréments aux mutuelles de crédit et aux coopératives financières. En 2007, cette loi a été révisée pour autoriser la création de sociétés à but lucratif, la transformation de sociétés à but non lucratif, rendant possible une diversification de l’offre des services de microfinance.

L’encouragement des initiatives innovantes d’inclusion financière : l’exemple de la microassurance

L’évolution rapide de la réglementation en matière de microassurance illustre clairement les efforts des pouvoirs publics africains pour encourager les initiatives innovantes d’inclusion financière.

Aujourd’hui, vingt pays africains disposent déjà d’une législation – les quatorze pays membres de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA)5, le Kenya, le Mozambique, le Ghana, l’Afrique du Sud et, depuis 2014, la Tanzanie et le Nigeria (McCord et al., 2013) – et six autres pays sont en cours d’élaboration de leur législation.

Dans les cadres de réglementation adoptés, la microassurance est définie au sens large, englobant une grande variété de produits d’assurance et favorisant l’ouverture du marché. Les produits prévoient des primes relativement basses, peu d’exclusions, une préférence pour la souscription de groupe, des procédures de sinistre simples. Les polices d’assurance ont souvent une couverture limitée et une durée de court terme.

Nous citerons ici à titre illustratif quelques particularités réglementaires propres à la microassurance :

  • un plafonnement des prestations d’assurance (par exemple, le cadre de régulation sud-africain impose un plafond de prestations de 50 000 ZAR – 3 500 euros – par assurance-vie) favorise, par exemple, les primes basses et permet l’accès à ces produits aux personnes à faibles revenus tout en réduisant les risques systémiques ;
  • les autorités de réglementation exigent habituellement qu’une police d’assurance ne couvre qu’un type de risques, ce qui permet aux consommateurs de comprendre facilement le produit ;
  • les dispositifs d’assurance de groupe facilitent généralement la gestion de risques et réduisent les primes d’assurance. Dans le cas de l’Afrique du Sud, par exemple, le cadre de réglementation de la microassurance stipule que les assureurs ne peuvent pas refuser de manière sélective le renouvellement de police d’un individu faisant partie d’un groupe (National Treasury of the Republic of South Africa, 2011) ;
  • certains pays africains ont inclus dans leur réglementation une exigence de rapidité de traitement des sinistres pour les assurés (National Insurance Commission of Nigeria, 2013), incitant ainsi les assureurs à trouver des solutions innovantes notamment pour relever les défis de distances géographiques.

La stratégie globale adoptée en microassurance en Afrique consiste à restreindre l’agrément des fournisseurs de services, mais, en revanche, à laisser les circuits de distribution assez ouverts6 s’adaptant aux contraintes spécifiques du continent en matière de coûts de transaction, de distances géographiques et de culture. Cette stratégie permet d’intégrer les systèmes de gestion communautaire, le canal de distribution actuellement le plus large dans le secteur africain de microassurance santé et agricole (McCord et al., 2013) et les nouvelles technologies qui représentent notamment un fort levier de développement de ces systèmes communautaires.

L’essor des nouvelles technologies et de la téléphonie mobile

Il y a trois décennies aussi bien les infrastructures que la technologie ne permettaient pas de communiquer de façon efficiente et les zones rurales se trouvaient fortement marginalisées (infrastructures routières, électricité, moyens de communication).

On constate que la téléphonie mobile contribue activement au désenclavement en Afrique. Les sociétés africaines ont sauté le pas entre réseau fixe et réseau mobile pour développer directement le modèle mobile. Cette stratégie portée par les opérateurs de télécommunications a permis de désenclaver en partie les zones rurales, plaçant l’Afrique comme l’un des marchés les plus prometteurs en téléphonie mobile. La pénétration de la téléphonie mobile en 2013 est estimée à plus de 89 % dans les pays du Sud (ITU, 2013), même si la couverture réseau reste à améliorer en zone rurale. Cependant, il est important de prendre ces chiffres avec précaution car les opérateurs mobiles oublient souvent de désactiver les cartes SIM et la plupart des habitants des pays du Sud utilisent plusieurs cartes en même temps.

Les opérateurs de téléphonie mobile en Afrique se livrent une guerre des prix, ce qui rend la technologie mobile abordable grâce aux subventions des terminaux « entrée de gamme » et à la baisse des prix des smartphones et des chargeurs solaires (utilisés pour recharger les mobiles dans les zones non couvertes par l’électricité).

Si, dans un premier temps, la plupart des applications mobiles étaient difficiles à utiliser7, le téléphone mobile permet aujourd’hui d’apporter de nouveaux services aux populations : enregistrer les naissances, se (faire) soigner à distance, mieux gérer sa microentreprise, apprendre l’anglais. D’ailleurs, des acteurs internationaux voient un grand potentiel de développement de l’accès à Internet en Afrique (Google, avec son projet Loon8, réfléchit à étendre l’accès via des ballons gonflables).

Le panorama de la microfinance en Afrique aujourd’hui

L’écosystème de la microfinance en Afrique est aujourd’hui très différent de ce qu’il était à ses débuts, et ce, malgré un développement moins dynamique que dans d’autres régions du monde, mais qui renferme un potentiel important de croissance et d’innovation.

Le secteur est aussi varié que le continent lui-même et même si nous ne pouvons pas généraliser les caractéristiques, quelques points généraux méritent d'être soulignés.

Les coopératives, qui affichent généralement des problèmes de gestion des risques, sont principalement implantées en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Les institutions financières non bancaires sont présentes principalement en Afrique de l’Est et ont une portée assez importante. L’Afrique du Sud a un marché de la microfinance plus réduit avec majoritairement des banques qui offrent des services d’épargne et de crédit.

Les IMF affichent des performances moins élevées que dans les autres régions du monde avec une faible qualité des actifs (portefeuille à risque supérieur à trente jours se situe autour de 5 %, faible taux de couverture des défauts de paiement, une structure de coûts plus élevée).

Comparativement à d’autres régions du monde, l’Afrique subsaharienne compte moins d’IMF de type tier 19 et tier 2. Cela peut s’expliquer par la faible taille des crédits offerts, un environnement opérationnel plus difficile (instabilité politique et macroéconomique) et un accès difficile aux financements.

Malgré l’importance des engagements des bailleurs et des investisseurs (2,5 Md$ en 2011), la capacité d’absorption dans certains marchés africains reste faible, une faiblesse qui peut être due au faible revenu national brut par habitant et à la performance moyenne des IMF.

La mauvaise gestion et la gouvernance restent des défis importants du secteur (faible capital humain et formation, conflits d’intérêts, manque de transparence).

Pour compléter ce panorama global, quelques grandes tendances évolutives sont à noter.

- Les populations africaines épargnent depuis toujours

Elles ont, pour cela, très souvent recours à des mécanismes financiers informels tels que la « tontine » (mise en commun de fonds en une somme qui est redistribuée de façon alternée aux membres du groupe). Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne reste le deuxième plus grand marché régional en termes de nombre de déposants. En Afrique anglophone, les mécanismes d’épargne évoluent vers des modèles plus formalisés de village banking, avec des structures formelles améliorant la gouvernance et la gestion de ces groupes. Ainsi, l’ONG SAVEACT en Afrique du Sud permet à ses 26 000 membres d’avoir accès à des services de microfinance améliorés via le recours à des nouvelles technologies.

- Les coopératives ont une grande couverture géographique

Même si la plupart sont de petites tailles, les coopératives sont généralement bien implantées en zone rurale. Le nombre de bureaux des IMF ayant déclaré au Mix Market entre 2005 et 2012 a doublé principalement grâce à l’ouverture de bureaux de banques et de coopératives.

- Des grands réseaux internationaux

Les réseaux tels que Microcred10, ACCION, FINCA International, Opportunity International et Procredit se sont développés à grande échelle depuis la dernière décennie sur le continent africain en introduisant des méthodologies standardisées et en s’implantant grâce au soutien d’institutions financières internationales. Ils ciblent principalement les clients urbains et les TPE. Aujourd’hui, une majorité de ces réseaux assurent aussi leur croissance en se reposant sur des nouveaux moyens technologiques permettent à leurs clients d’épargner, de rembourser leurs crédits directement de chez eux via des solutions dites de mobile banking.

- Les banques jouent un rôle de plus en plus prépondérant et cherchent à toucher une base de clients encore peu desservie

Leur stratégie peut être d’intervenir directement par la création de filiales ou de départements spécialisés et par l’offre de produits adaptés (downscaling). Depuis 2009, les banques ont bénéficié d’une croissance rapide en termes de nombre d’emprunteurs et détiennent plus de 50 % de l’encours des microcrédits en Afrique. Akiba Bank en Tanzanie, qui opère comme banque commerciale depuis 1993, offre une gamme de produits d’épargne et de crédit adaptée aux populations à bas revenus et ciblant plusieurs segments de marchés : jeunes, étudiants, PME. En 2012, Akiba Bank reportait un encours de crédits de 46,8 M$ avec 27 000 emprunteurs et 65,9 M$ de dépôts pour 213 000 épargnants (Mix Market, 2013).

Les banques peuvent aussi prendre des participations ou refinancer des IMF spécialisées. À titre d’exemple, la Société générale refinançait en 2013 en monnaie locale 24 IMF pour un total supérieur à 75 M€ en Afrique subsaharienne (Société générale, 2014).

- Le « mobile money » et la banque à distance

Ils représentent aussi une opportunité pour les banques de pénétrer dans le segment de la microfinance. Au Kenya, Musoni offre depuis 2009 des services de microcrédit via la téléphonie mobile.

- Les correspondants bancaires

Enfin, de nouvelles initiatives s’inspirent en Afrique de ce qui a été fait en Inde et au Brésil en matière de correspondants bancaires. Des commerçants sont recrutés comme relais de l’institution financière et rémunérés sur leurs résultats. Grâce à leur proximité géographique et socioculturelle, ils permettent de mieux servir les clients. Ainsi, il pourrait devenir possible à terme en Afrique de faire toutes les opérations bancaires chez un épicier ou dans une station essence via le smartphone du commerçant. Les banques développent aussi les agents mobiles, des camions généralement, se déplaçant de village en village pour étendre leur portée. En 2013, Centenary Bank, Opportunity Finance et Post Bank en Ouganda déployaient, à chaque lancement de programme, des camionnettes équipées de la technologie des services bancaires mobiles dans les zones rurales. Cette stratégie hub and spoke permet d’identifier les centres régionaux et ensuite d’utiliser des fourgons bancaires mobiles pour atteindre les zones rurales à faible densité de population (Opportunity International, 2012).

- Les réseaux postaux représentent un levier significatif d’amélioration de l’inclusion financière en Afrique

Bien que leur portée demeure encore limitée, plusieurs modèles de services financiers postaux ouverts à tous existent déjà aujourd’hui. Soit La Poste développe des partenariats avec une banque, un opérateur de téléphonie mobile ou une compagnie d’assurances, soit elle devient elle-même une institution financière licenciée (Maroc, Gabon). Enfin, elle peut aussi offrir des services financiers non licenciés tels que l’ouverture de comptes épargne (Algérie et Afrique francophone), contribuant ainsi au développement de l’inclusion financière (Berthaud et Davico, 2013).

Au Maroc, Al Barid Bank (ABB), filiale de La Poste marocaine créée en 2010, opère grâce à un réseau de 1 800 agences et offre des services de crédit, d’épargne et de transfert de fonds à des prix abordables pour des personnes à faible revenus. La base de clients est passée d’environ 4 à 6  millions de personnes en trois ans. Avec l’appui de PlaNet Finance, ABB a lancé une solution mobile en 2013 et développe une stratégie d’inclusion financière basée sur des canaux de distribution innovants.

En Afrique de l’Ouest, l’initiative postale pour les migrants (IPM) menée par PlaNet Finance consiste à faciliter les transferts de fonds à usage productif entre le Mali, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Cameroun avec des produits d’épargne couplés à de l’investissement dans les pays d’origine.

- Les opérateurs téléphoniques et les sociétés de paiement électronique

Aujourd’hui, 20  millions de personnes en Afrique ont accès aux services financiers via la téléphonie mobile. À lui seul, le produit M-PESA de Safaricom couvre 13  millions de personnes et les produits Vodacom et MTN 5  millions. En dehors de ces trois expériences, il faut noter que la portée du service reste encore limitée et les données sur le lien entre les produits de banque mobile existants et d’autres services financiers manquent. La solution portée par Safaricom permet aux clients de M-PESA de convertir leurs billets de banque en « unités électroniques » chargées sur leurs téléphones dans plus de 60 000 points de vente. Ces unités électroniques peuvent être utilisées ou transférées à des personnes tierces (via des SMS) pour payer une course de taxi, envoyer de l’argent à sa famille ou encore rembourser un crédit. Plus de 80 % de la population adulte kényane utilise cette solution de mobile money et près de 250 déploiements dans le monde11 (dont la plupart en Afrique) sont largement inspirés de ce succès. Il convient de mentionner que cette monnaie électronique, qui est contrôlée par la banque centrale de chaque pays, est indexée sur la valeur de la monnaie du pays pour éviter les risques systémiques de création monétaire.

Aujourd’hui, le mobile money est un mécanisme financier qui s’impose de lui-même sur le continent. En juin 2013, neuf pays africains comptaient plus de clients mobile money que de clients ayant un compte dans une institution financière « formelle »12. Ce canal de distribution est un moyen de toucher la population dans les zones les plus reculées. Les États peuvent aussi saisir cette opportunité et réduire drastiquement leurs coûts d’intermédiation en versant directement sur les téléphones des bénéficiaires les salaires des fonctionnaires, les aides sociales ou les allocations.

La Microfinance de demain

Elle servira des clients jeunes, de plus en plus éduqués et exigeants

Le profil des clients de la microfinance va fortement évoluer dans les prochaines décennies : jeunes, maîtrisant parfaitement les nouvelles technologies, de plus en plus éduqués, vivant dans les zones urbaines et avec des attentes plus définies. D’après la Banque africaine de développement (BAD), près de 40 % de la population africaine aura entre dix ans et vingt-neuf ans en 2030, et le taux d’alphabétisation aura atteint 80 %. 50 % de la population africaine vivra dans les villes et les flux migratoires, en majorité intracontinentaux, se seront amplifiés (BAD, 2011). D’après une étude de la Standard Bank, basée sur un échantillon de onze pays africains13, la classe moyenne, qui représente aujourd’hui 34 % de la population, devrait même tripler entre 2014 et 2030 en Afrique (Freemantel, 2014). Si ces données laissent espérer qu’une majorité de personnes en Afrique auront accès à un nombre plus grand de services de microfinance, offerts à des prix compétitifs, par des institutions de large portée, un second type de clients se profile aussi à l’horizon 2030 : ceux totalement exclus de ce système, ceux vivant dans les zones rurales isolées, peu éduqués, parfois moins jeunes. L’inclusion financière pour ces clients sera rendue encore plus compliquée du fait du processus d’urbanisation, des économies d’échelle rendues plus difficiles et d’une offre de services encore plus coûteuse dans les régions rurales.

Elle valorisera des partenariats innovants pour étendre l’inclusion financière et couvrir les besoins

Les services financiers inclusifs pourraient être utilisés de manière plus innovante pour résoudre des problèmes systémiques socioéconomiques. Des partenariats innovants devraient se multiplier à l’image de l’expérience en cours, coordonnée par PlaNet Finance, dans le nord de Madagascar où une entreprise multinationale Symrise est à l’origine de la création d’une mutuelle de santé pour ses fournisseurs cultivateurs de vanille. La microassurance santé pourrait ainsi se développer dans les régions agricoles africaines en devenant un volet clé de la stratégie de sourcing responsable de grandes entreprises et en s’appuyant sur des mécanismes de financement publics-privés.

La microfinance pourrait devenir un élément déterminant du financement de chaînes de valeur comme l’illustrent des expériences pilotes prometteuses.

Ainsi, au Ghana et en Côte d’Ivoire, plus de 10 000 producteurs de cacao ont bénéficié de crédit d’intrants, représentant environ 2,5 M€ de prêts octroyés dans le cadre du programme Cocoa Livelihoods Program (2009-2013). Le taux de remboursement des crédits en Côte d’Ivoire a été de 100 % et au Ghana de 96 %. Du fait de ces investissements couplés à des services non financiers, la productivité des cacaoculteurs bénéficiant des différentes interventions du programme a augmenté en moyenne de 15 % à 40 %.

Au nord du Ghana, l’entreprise sociale Starshea a été créée pour améliorer l’accès au marché de 15 000 productrices de noix et de beurre de karité avec l’appui de PlaNet Finance, de l’Union européenne et de l’entreprise SAP. Deux IMF partenaires offrent des crédits à 3 000 de ces femmes avec un taux de remboursement de 93 % et Starshea a mis en place un système complémentaire de warrantage. Ces mécanismes ont permis une amélioration significative de la productivité et des revenus des femmes.

Elle verra les opérateurs s’adapter de manière constante dans des environnements de plus en plus concurrentiels et offrir une plus large gamme de produits à leurs clients

La meilleure connaissance des besoins des populations à faibles revenus et un secteur de la microfinance plus concurrentiel incitent déjà les opérateurs à innover. Ces derniers devraient continuer à étendre leur gamme de produits pour répondre aux besoins de leurs clients et diversifier leur clientèle.

Les donateurs internationaux devraient continuer à les soutenir s’ils sont en mesure de proposer des services à plus forte valeur ajoutée et avec un potentiel de diffusion à grande échelle. Les priorités porteront notamment sur :

  • le développement de la (micro)finance agricole et rurale permettant de toucher les 63 %Voir les données de la Banque mondiale sur l’agriculture et le développement rural : http://donnees.banquemondiale.org/theme/agriculture-et-developpement-rural. de la population d’Afrique subsaharienne vivant dans les zones rurales et dépendant majoritairement de l’agriculture. À titre d’exemple, Equity Bank au Kenya finance les coopératives agricoles et offre un crédit « Kilimo Biashara », conçu pour rendre le financement accessible à 2,5 millions d’agriculteurs et 15 000 entreprises agricoles de ventes au détail (IFC, 2012) ;
  • le financement de l’accès au logement dont ont besoin 200 millions de personnes à bas revenus en Afrique subsaharienne (UN-Habitat). Depuis 2012, la Fondation MasterCard appuie, par exemple, Habitat pour l’humanité et des IMF partenaires pour financer l’accès au logement de 17 000 foyers au Ghana, en Ouganda et au Kenya.

Les nouveaux visages de la microfinance devront aussi développer des solutions innovantes pour financer l’accès à la santé, à l’éducation et à l’énergie.

Elle devra prévenir des risques systémiques croissants

Les pays d’Afrique ne sont pas à l’abri d’une crise comme celle connue par l’Inde. Le rôle des banques centrales et des autorités de régulation est primordial pour créer un environnement à la fois favorable au développement de l’inclusion financière, mais aussi protecteur des clients. Cela nécessitera le renforcement des infrastructures meso (centrales de risques, centres de formation professionnelle, etc.). Cette tendance est déjà amorcée : diagnostics sectoriels, revue des cadres réglementaires, cartographies de risques, analyse des besoins de formation professionnelle sont actuellement, à titre d’exemple, des axes d’intervention forts pour PlaNet Finance en Afrique.

Engager la responsabilité de tous les acteurs à promouvoir la transparence et l’éducation financière des clients influence aussi positivement la stabilité systémique. Dans cette direction, les pouvoirs publics peuvent aussi jouer un rôle fondamental concernant l’éducation des consommateurs, avec des stratégies d’éducation financière ciblées. Notamment, l’organisme de réglementation sud-africain a imposé au National Treasury Financial Services Board de concevoir et mettre en œuvre une stratégie d’éducation financière ciblant les consommateurs de la microassurance.

Elle utilisera mieux les nouvelles technologies pour l’inclusion financière des zones rurales et la réduction des coûts de transaction au bénéfice des plus pauvres

Il y a un réel enjeu pour les opérateurs de la microfinance à placer les nouvelles technologies au cœur de leur stratégie et leurs opérations. Aujourd’hui, ils sont dans la majorité prestataires des opérateurs de téléphonie. En s’appropriant plus les outils mobile money et en développant le mobile banking, les opérateurs vont pouvoir réduire leurs coûts de transaction, notamment dans les zones rurales, et renforcer l’inclusion financière. À titre d’exemple, PlaNet Finance et l’Agence française de développement (AFD) ont récemment appuyé le gouvernement du Burkina Faso dans l’identification de la meilleure stratégie pour promouvoir le développement du mobile banking dans le pays.

D’autres technologies devraient permettre d’innover dans le design et l’octroi de services et de renforcer l’impact de l’inclusion financière :

  • les appareils de géolocalisation, les drones et les instruments météorologiques de mesure vont améliorer de façon radicale la conception de produits de microassurance, par exemple ;
  • l’utilisation de la biométrie ou des programmes de reconnaissance vocale vont étendre l’accès à la microfinance de personnes encore exclues et faciliter la mise en place de réseaux d’agents en prévenant la fraude ;
  • le développement de systèmes d’information en nuage cloud-based banking programs va permettre aux opérateurs de réduire leurs dépenses opérationnelles et de mieux comprendre le profil et les besoins de leurs clients en ayant accès à des systèmes d’analyse plus sophistiqués (Barnett, 2011).

Encadré - PlaNet Finance et l’Afrique

Rendre les systèmes financiers plus inclusifs en Afrique, servir les populations à faibles revenus et appuyer le développement des TPE sont les objectifs que le groupe PlaNet Finance s’est donnés depuis sa création en 1998. Aujourd’hui, Microcred sert 300 000 clients directement au travers de ses banques au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Nigeria et à Madagascar. PlaNet Finance mène cinq projets touchant près de 1 million de clients et contribue au renforcement du secteur au travers de cinq axes d’intervention : (1) l’assistance technique, le conseil et la formation en microfinance, (2) le renforcement des capacités des microentrepreneurs (gestion d’entreprise, éducation financière), (3) l’appui à l’inclusion financière des populations particulièrement vulnérables, (4) la promotion et l’appui à la structuration du secteur de la microfinance et (5) la capitalisation et la diffusion des bonnes pratiques. PlaNet Rating est l’une des principales agences de notation spécialisées en microfinance œuvrant en Afrique et PlaNet Guarantee développe des services innovants de microassurance. L’évolution de PlaNet Finance illustre aussi l’émergence de ces nouveaux visages.


Notes

1 Voir le site : www.microfinancegateway.org/fr/what-is-microfinance.
2 Le Mix Market est une base de données sur laquelle les fournisseurs de services de microfinance peuvent s’enregistrer sur une base volontaire (www.mixmarket.org).
3 Middle East and North Africa (Moyen-Orient et Afrique du Nord).
4 Programme d’appui à la réforme des mutuelles d’épargne et de crédit. Ce programme a conçu le cadre juridique d’exercice de l’activité des institutions mutualistes d’épargne et de crédit. La loi s’est communément appelée Loi Parmec.
5 Les quatorze pays de la CIMA sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.
6 Fait référence à différents types de distributeurs (National Insurance Commission of Nigeria, 2013).
7 Technologie USSD (unstructured supplementary service data) accessible sur n’importe quel téléphone, mais contraignante lors de la manipulation.
8 Voir le site : https://google-africa.blogspot.fr/2013/06/introducing-project-loon-balloon.html.
9 Tier 1 est défini comme une IMF avec des actifs supérieurs à 30 M$, tier 2 entre 5 M$ et 30 M$ et tier 3 moins de 5 M$ (CGAP, 2010).
10 Microcred est la holding de microfinance créée en 2005 par PlaNet Finance pour construire un réseau de banques de microfinance principalement en Afrique, mais aussi en Asie. Elle compte aujourd’hui 275 000 clients et un portefeuille de prêts d’un montant de 186,5 M€.
11 Voir le site : www.gsma.com/mobilefordevelopment/programmes/mobile-money-for-the-unbanked/insights/tracker.
12 Ces neuf pays sont : Cameroun, République démocratique du Congo, Gabon, Kenya, Madagascar, Tanzanie, Ouganda, Zambie et Zimbabwe, www.gsma.com/mobilefordevelopment/wp-content/uploads/2014/07/SOTIR_2013_French.pdf.
13 Angola, Éthiopie, Ghana, Kenya, Mozambique, Nigeria, Soudan du Sud, Soudan, Tanzanie, Ouganda et Zambie.

Bibliographies

BAD (Banque africaine de développement) (2011), Africa in 50 Years’ Time. The Road Towards Inclusive Growth, septembre, www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/Africa%20in%2050%20Years%20Time.pdf.
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