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 Afrique subsaharienne : tendances et évolutions au sein du marché des obligations souveraines internationales


Amadou N. R. SY Chercheur principal, Brookings Institution. Contact : asy@brookings.edu

Avant 2006, en Afrique subsaharienne, seule l’Afrique du Sud avait émis des obligations souveraines libellées en devises. De 2006 à 2014, douze autres pays dont certains parmi les plus pauvres au monde ont émis un total de 15 Md$ d’obligations souveraines internationales. Cette soudaine vague d’emprunts s’explique par divers facteurs : croissance rapide et amélioration des politiques économiques dans la région, prix élevé des produits de base et faibles taux d’intérêt mondiaux, augmentation des liquidités mondiales ainsi que des besoins de diversification des investisseurs. Toutefois, à moyen terme, la croissance économique grisante pourrait s’estomper si la plus grande partie du produit de la dette est consacrée aux dépenses courantes et si la dette n’est pas gérée convenablement. L’accélération et le maintien du rythme des réformes budgétaires ainsi que l’adoption de politiques adéquates de gestion de la dette doivent constituer des priorités. Par ailleurs, il faut envisager l’application de mesures non conventionnelles, telles que la mise en place de marchés obligataires locaux.

La majorité des pays d’Afrique subsaharienne ont longtemps dû faire appel à l’aide extérieure ou à des prêts d’institutions financières internationales pour couvrir une partie des besoins en devises et financer une partie des investissements intérieurs, au vu du faible niveau d’épargne intérieure. Cependant, nombre de ces pays sont aujourd’hui pour la première fois en mesure d’emprunter sur les marchés financiers internationaux en vendant des titres appelés « euro-obligations », généralement libellés en dollars ou en euros.

Cette hausse soudaine de la demande d’obligations souveraines internationales émises par des pays d’une région qui compte certains des pays les plus pauvres du monde s’explique par divers facteurs : croissance rapide et amélioration des politiques économiques dans la région, prix élevés des produits de base et faibles taux d’intérêt mondiaux. L’augmentation des liquidités mondiales ainsi que les besoins de diversification des investisseurs, dans un contexte où les corrélations entre de nombreux actifs se sont accentuées à l’échelle internationale, ont également contribué à renforcer l’attrait des « marchés frontières », incluant les marchés d’Afrique subsaharienne.

En outre, l’émission d’obligations souveraines internationales s’inscrit dans le cadre de la stratégie de plusieurs pays africains visant à restructurer leur dette, financer leurs investissements dans les infrastructures et établir une référence pour contribuer au développement du marché des obligations sous-souveraines et du marché des obligations du secteur privé. Le développement d’un marché obligataire national dans de nombreux pays a également permis de renforcer les capacités techniques des ministères des Finances et des organismes chargés de la gestion de la dette pour l’émission d’obligations internationales.

Toutefois, reste à savoir si cette vague d’emprunts par les États subsahariens (ainsi que par quelques entreprises de la région) va perdurer sur le moyen et long terme. D’une part, les faibles taux d’intérêt sont appelés à évoluer à un moment ou à un autre – entraînant une hausse des coûts d’emprunt pour les pays et atténuant l’intérêt des investisseurs. D’autre part, la chute du cours du pétrole freinera le remboursement ou le refinancement des prêts des pays producteurs de pétrole. À moyen terme, la croissance économique grisante pourrait s’estomper si la plus grande partie du produit de la dette est uniquement consacrée aux dépenses courantes et si la dette n’est pas convenablement gérée.

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Avant 2006, en Afrique subsaharienne, seule l’Afrique du Sud avait émis des obligations souveraines. Depuis, des pays tels que l’Angola, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Gabon, le Kenya, la Namibie, le Nigeria, le Rwanda, le Sénégal, les Seychelles, la Tanzanie et la Zambie ont successivement levé des fonds sur le marché obligataire international (cf. graphique 1 ci-contre). De 2006 à 2014, ces pays ont émis un total de 15 Md$, contre 10,9 Md$ pour l’Afrique du Sud. En novembre 2014, en incluant l’Afrique du Sud, les États subsahariens avaient émis 7 Md$ d’obligations libellées en devises. Le Ghana, en particulier, a pu placer 1 Md$ d’obligations, avant même de conclure un programme avec le FMI (Fonds monétaire international) et dans un contexte de détérioration rapide de ses variables fondamentales. Dans quelques cas, des pays d’Afrique ont pu vendre des obligations assorties de taux plus bas que ceux de certains pays européens en difficulté tels que la Grèce et le Portugal.

Par ailleurs, quelques entreprises d’Afrique subsaharienne ont également émis avec succès des euro-obligations. C’est le cas de Guarantee Trust Bank au Nigeria avec 500 M$ d’obligations à cinq ans en 2011 et de Ghana Telecom avec 300 M$ d’obligations à cinq ans en 2007.

Ce fort appétit pour les obligations d’Afrique subsaharienne soulève un grand nombre de questions quant à la viabilité à court et moyen terme des flux obligataires vers la région.

 
Graphique 1 - Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) : émission cumulée d’obligations souveraines, 2006-2014 (en Md$)
Source : Dealogic.

Les récentes performances de croissance de l’Afrique par rapport aux pays développés et sa résistance face à la crise mondiale ont fortement contribué à aiguiser l’intérêt des investisseurs étrangers pour le continent (cf. graphique 2 infra). Ces performances peuvent être attribuées à la fois à un environnement international favorable et à l’amélioration de la gouvernance économique et politique. Le « supercycle » de hausse des prix des produits de base, alimenté en partie par la demande de la Chine en ressources naturelles, a entraîné une hausse des exportations et des recettes budgétaires pour les exportateurs de produits de base (cf. graphique 3 infra). Les faibles taux d’intérêt mondiaux ont permis de redéployer les investissements internationaux et les flux d’investissements de portefeuilles vers le continent. Il est toutefois évident que l’amélioration de la gouvernance économique, la hausse des investissements et de la productivité totale des facteurs – pour la première fois depuis le début des années 1970 – et le perfectionnement des institutions politiques ont également joué un rôle dans les récentes performances économiques du continent (Rodrik, 2014).

 
Graphique 2 - Afrique subsaharienne : tendance de croissance du PIB, 1980-2019p
Source : Perspectives de l’économie mondiale, FMI, avril 2014 (utilisation du filtre HP pour la composante tendancielle).
 
Graphique 3 - Cours du pétrole brut - (2005 = 100)
Source : FMI.

En outre, divers facteurs stimulent l’émission et la vente d’euro-obligations par les États d’Afrique subsaharienne :

  • l’évolution du contexte institutionnel : depuis 2009, le FMI a assoupli le plafonnement des emprunts non concessionnels octroyés aux pays à faibles revenus (PFR) dans le cadre d’un programme du FMI. Ce plafond est basé sur la capacité de remboursement du pays et le degré de vulnérabilité de sa dette. En 2013, seuls trois pays d’Afrique subsaharienne disposaient d’une marge d’emprunt non concessionnel limitée ou nulle ;
  • la réduction de la charge de la dette : le FMI a revu sa politique après l’annulation des dettes de nombreux pays les moins développés par plusieurs pays donateurs et grandes institutions financières multilatérales. Cet allégement de la charge de la dette a permis aux pays d’emprunter sur les marchés internationaux sans excéder leurs capacités de remboursement (le ratio médian « dette publique/PIB » en Afrique subsaharienne est maintenant inférieur à 40 %). De plus, de nombreux pays ont renforcé leur gestion macroéconomique et ont amélioré leur capacité à mesurer la viabilité de leur dette ;
  • d’importants besoins d’emprunt : de nombreux pays d’Afrique subsaharienne doivent massivement investir dans leurs infrastructures – production et distribution d’électricité, réseau routier, aéroports, ports et chemins de fer. Les émissions euro-obligataires peuvent être cruciales pour le financement des infrastructures, qui nécessitent souvent des ressources bien supérieures à la somme de l’aide extérieure et de l’épargne intérieure ;
  • des besoins de gestion de la dette : au moins quatre pays d’Afrique subsaharienne ont émis des obligations internationales en échange de créances sinistrées (Côte d’Ivoire, Gabon, République du Congo et Seychelles). Dans le cadre d’une opération de restructuration du secteur privé en 2010, les Seychelles, avec 168 M$ d’euro-obligations à seize ans en 2010, et la Côte d’Ivoire, avec 2,3 Md$ d’euro-obligations à vingt-trois ans, ont émis des euro-obligations en échange d’obligations en souffrance. En 2007, le Gabon a émis 1 Md$ d’euro-obligations à dix ans pour racheter avec une décote de 15 % sa dette aux créanciers du Club de Paris. La République du Congo, avec 480 M$ d’euro-obligations à vingt-deux ans, a restructuré sa dette dans le cadre de l’initiative d’allégement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) qui accorde le même traitement aux créanciers privés et publics (Goldman Sachs, 2013) ;
  • un faible coût des emprunts : ces dernières années, les pays d’Afrique subsaharienne ont pu emprunter à des taux historiquement bas, parfois même inférieurs à ceux des pays de la zone euro en crise, et à des conditions favorables, telles que des échéances plus longues (cf. graphique 4 infra). Le coût des emprunts internationaux est souvent moins élevé que les taux d’intérêt intérieurs, même après ajustement pour effets de change. Si le coût des emprunts est historiquement bas, le rendement des euro-obligations émises par les pays d’Afrique subsaharienne reste suffisamment élevé pour attirer les investisseurs étrangers. Le développement des marchés obligataires locaux, qui offrent de forts rendements souvent multipliés par l’appréciation des monnaies, a également attiré les investisseurs étrangers et contribué à l’augmentation de l’émission de dette souveraine.
 
Graphique 4 - Rendements des obligations souveraines : émetteurs souverains en Afrique subsaharienne et en Europe au 30 janvier 2013
* EMBIG : Emerging Market Bond Index Global.Note : les rendements des instruments libellés en euros peuvent être comparés aux obligations libellées en dollars des États-Unis sur la base du coût des contrats d’échange de devises.
Source : Bloomberg L.P.

Les pays d’Afrique subsaharienne ne sont pas les seuls à profiter des faibles taux pour émettre des euro-obligations pour la première fois. Quelques pays d’Amérique latine se lancent également. La Bolivie a dernièrement fait appel aux marchés internationaux pour la première fois en quatre-vingt-dix ans. Le Paraguay a récemment lancé une première souscription et le Honduras a vendu des euro-obligations en 2013.

Ce climat peut-il durer ?

Pour déterminer si le climat propice au lancement d’émissions obligataires va perdurer, il faut s’intéresser aux facteurs qui influent sur le coût des emprunts et déterminent l’orientation des flux de capitaux. Les facteurs d'« impulsion » agissent sur le climat général des ventes d’obligations aux investisseurs internationaux. Les facteurs d'« attraction » sont propres à chaque pays et dépendent dans une certaine mesure de leur politique1.

Parmi les principaux facteurs d’impulsion figurent (1) les indicateurs de liquidité mondiale tels que la masse monétaire (M2) pour la zone euro, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis, (2) les indicateurs de propension au risque des investisseurs tels que l’indice de volatilité VIX et (3) le cours du pétrole. Les facteurs d’attraction des fonds vers un pays incluent des variables macroéconomiques telles que le PIB par habitant, la viabilité de ses opérations financières extérieures, dont la balance courante (différence entre ce qu’un pays dépense à l’étranger et ce que les étrangers dépensent dans ce pays) et le ratio « dette extérieure/exportations », et la stabilité macroéconomique (principalement mesurée par le taux d’inflation). Les notes de crédit attribuées aux États, qui sont révélatrices de la capacité de remboursement d’un pays, reflètent la plupart de ces facteurs d’attraction.

Les récentes tendances et évolutions indiquent que les facteurs d’impulsion deviennent de moins en moins favorables aux pays d’Afrique subsaharienne. Premièrement, les taux d’intérêt historiquement bas aux États-Unis sont appelés à remonter. Deuxièmement, la propension au risque des investisseurs étrangers, même si elle reste élevée, pourrait chuter quand les taux d’intérêt internationaux remonteront et que les inquiétudes relatives à la croissance mondiale s’apaiseront. On a pu constater la forte réaction des marchés face à l’éventualité de l’arrêt du programme de rachat d’obligations de la Federal Reserve (Fed) (taper tantrum) en 2013 et en octobre 2014. Troisièmement, le cours du pétrole brut a chuté de 25 % entre juin et octobre 2014 et tournait autour de 80 dollars le baril au milieu de novembre 2014, un niveau qu’il n’avait pas atteint depuis le milieu de 2012. Par conséquent, les pays d’Afrique subsaharienne producteurs de pétrole devront faire face à une augmentation du coût des emprunts. Les nouveaux émetteurs disposeront d’une plus grande flexibilité quant au calendrier de leur émission obligataire lorsque la conjoncture deviendra plus exigeante, mais les anciens émetteurs devront payer des coûts de refinancement plus élevés lorsque leurs obligations arriveront à échéance.

À court terme, les pays producteurs de pétrole seront confrontés à des conditions moins favorables à mesure que leurs variables fondamentales se détérioreront en conséquence de la chute du cours du pétrole. Pour les émetteurs souverains, Barclays (2014) prévoit qu’une chute du cours du pétrole de 10 dollars par baril entraînerait une perte d’exportations nette de 6,1 Md$ pour le Nigeria et de 5,7 Md$ pour l’Angola, contribuant ainsi à l’érosion de l’excédent de leur balance courante. La dépendance de ces pays à l’exportation et aux recettes budgétaires provenant du pétrole est relativement élevée. Les exportations de pétrole représentent 95 % du total des exportations et plus de 70 % des recettes budgétaires du Nigeria et de l’Angola. Au Gabon, le pétrole représente 60 % des recettes de l’État et plus de 80 % des exportations du pays.

Malgré la récente dégradation de la note de l’Afrique du Sud et du Ghana, les facteurs d’impulsion indiquent globalement que, pour la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les afflux de dette souveraine vont perdurer à court terme. L’attrait de capitaux sur le long terme dépend de la capacité des dirigeants des États d’Afrique subsaharienne à les renforcer. Selon les prévisions du FMI, les perspectives à court terme pour la région restent largement positives. La croissance devrait être de 5 % en 2014 (au même niveau qu’en 2013) et de 5,75 % en 2015, soutenue par l’investissement public durable dans les infrastructures, de solides secteurs des services et une forte production agricole (FMI, 2014).

Toutefois, les taux moyens de croissance peuvent dissimuler d’importantes disparités entre les pays. Les récents épisodes de turbulences sur le marché montrent que les pays affichant les plus faibles facteurs d’impulsion seront les plus vulnérables à l’évolution des facteurs d’attraction. Par exemple, au début de 2014, les acteurs du marché ont été troublés par des signes de ralentissement de la croissance en Chine, ce qui a exacerbé l’inquiétude du marché quant à la réduction des achats d’actifs par la Fed et la hausse des taux d’intérêt. Le rand sud-africain a plongé pour atteindre son plus faible niveau depuis cinq ans (11,39 rands pour 1 dollar) quand les investisseurs ont commencé à étudier de près les variables fondamentales des « cinq fragiles », dont font également partie le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et la Turquie. Ces pays ont été qualifiés de fragiles au vu de leurs variables fondamentales plus faibles que celles des autres pays. Ces variables fondamentales concernent le déficit de la balance courante et le déficit budgétaire (ou une combinaison des deux), la chute des taux de croissance du PIB, une inflation supérieure à l’objectif et l’incertitude politique liée aux élections à venir.

Politiques conventionnelles

Les récentes faillites souveraines en Afrique subsaharienne montrent à quel point il est important de renforcer les facteurs d’attraction. Les Seychelles ont fait défaut sur une émission euro-obligataire de 230 M$ en octobre 2008 à cause de la chute libre des recettes du tourisme pendant la crise financière mondiale, mais aussi de dépenses publiques excessives pendant plusieurs années. Cette faillite a conduit à une restructuration de la dette et à une réduction des dépenses publiques. À la suite de litiges électoraux, la Côte d’Ivoire n’a pas versé des intérêts totalisant 29 M$, entraînant un défaut de paiement en 2011 sur un emprunt obligataire émis en 2010.

Malgré des taux d’intérêt mondiaux historiquement bas, la politique d’un pays soulève des questions quand la dette extérieure lui coûte considérablement moins cher que la dette intérieure. L’expérience du Ghana en est un bon exemple. En janvier 2013, cet État pouvait payer environ 4,3 % pour un emprunt à dix ans en dollars (rendements sur le marché secondaire). Or, quand il emprunte en monnaie nationale, le taux des bons du Trésor à trois mois est d’au moins 23 %. Après une prise en compte des écarts de taux d’inflation, la différence entre les coûts d’emprunt en dollars des États-Unis et en monnaie nationale atteint 10,6 % (et 5,4 % en tenant compte de la dépréciation de la monnaie)2.

Cet écart s’explique en partie par l’évolution du contexte politique : la politique monétaire a été durcie en 2012 et le déficit budgétaire est monté d’environ 10 % à 11 % du PIB. Toutefois, l’écart tient aussi aux faibles coûts extérieurs, qui reflètent la recherche du rendement par les investisseurs, et à leur confiance dans la volonté du Ghana d’honorer ses obligations et dans sa capacité de remboursement en raison de ses bonnes perspectives de croissance (il s’agit d’un pays producteur de pétrole). L’écart s’explique également par le faible développement des marchés obligataires intérieurs, où la base d’investisseurs est dominée par les banques, ce qui accroît le coût d’emprunt intérieur, et aussi sans doute par le fait que les investisseurs étrangers ne sont pas autorisés à acquérir des titres publics ghanéens à court terme (échéance inférieure à trois ans). La réticence des pouvoirs publics à libéraliser les mouvements de capitaux et à augmenter et diversifier la base d’investisseurs illustre l’alternative difficile qui se pose à eux. D’une part, accroître l’investissement étranger sur le marché intérieur pourrait augmenter la liquidité et faire baisser les coûts d’emprunt. D’autre part, cela augmenterait les risques associés à la volatilité des flux de capitaux à mesure de l’ouverture du canal de transmission des chocs internationaux au marché intérieur.

Moins de deux ans plus tard, les variables fondamentales du Ghana se sont considérablement détériorées, obligeant le pays à demander l’aide du FMI. La dernière fois qu’il s’était tourné vers le FMI, c’était cinq ans auparavant. Grâce au programme de trois ans qui avait alors été mis en place, le pays avait réussi à faire monter la croissance réelle du PIB d’environ 4 % en 2009 à 7,9 % en 2012, avec un pic à 14,4 % en 2011. Toutefois, en 2013, la croissance a ralenti pour retomber à environ 5,4 % et les indicateurs macroéconomiques ont lancé des signaux d’alarme : l’inflation non corrigée tournait autour de 15 %, la monnaie ghanéenne (le cédi) a perdu 37 % face au dollar et la banque centrale a fait passer son taux directeur à 19 % en juillet 2013. L’État est passé à côté de ses prévisions en matière de déficit budgétaire et les indicateurs sociaux tiraient également la sonnette d’alarme – à la fin de juillet 2014, lors du « vendredi rouge », des activistes ont défilé dans les rues de la capitale, Accra, pour protester contre la détérioration de la situation économique.

Les performances économiques du Ghana ont été minées par un double déficit : déficit budgétaire et déficit de la balance courante. En d’autres termes, l’État a dépensé plus qu’il ne perçoit de recettes et a importé plus qu’il n’exporte. Cette situation n’est pas viable à long terme et crée des déséquilibres macroéconomiques. Les deux principaux facteurs de ce double déficit sont la hausse des salaires et la baisse des cours de l’or et du cacao.

Dans son dernier rapport sur le Ghana, le FMI a souligné que la stratégie du gouvernement ghanéen « est une première étape importante qui doit maintenant se traduire par des actions spécifiques, quantifiées et définies dans le temps, en particulier concernant la rationalisation prévue des services publics et les mesures de politique fiscale ». Il a ajouté qu'« au regard des importants déséquilibres budgétaires et extérieurs du Ghana, le FMI encourage fortement les pouvoirs publics à viser une consolidation budgétaire plus importante et mieux anticipée ». Fitch Ratings a récemment émis des réserves : « Ni le programme du FMI, ni sa mise en œuvre effective ne doivent être tenus pour acquis, et une baisse durable du taux de change et des pressions liées au financement est peu probable jusqu’à ce qu’un programme soit conclu et qu’une stratégie crédible de réduction du déficit soit mise en place. »

Jusqu’ici, la détérioration des variables fondamentales de certains pays d’Afrique subsaharienne n’a pas entravé l’accès au marché, mais a fait monter les coûts d’emprunt. En septembre 2014, le Ghana a notamment pu lever 1 Md$ par le biais d’une émission obligataire à douze ans en payant un coupon de 8,125 % tout en négociant en parallèle un programme avec le FMI. En réalité, l’anticipation du programme du FMI a probablement contribué à attirer les investisseurs étrangers qui prévoyaient que l’ajustement macroéconomique qui en découlerait atténuerait le risque de crédit du Ghana. Ce pays paye aujourd’hui le taux le plus élevé parmi les émetteurs subsahariens, avec environ 550 points de base (ou 5,50 %) sur les bons du Trésor des États-Unis (cf. graphique 5 ci-contre) et dispose de la note la plus faible.

Bien que certains pays affichant de faibles variables fondamentales comme le Ghana soient capables d’emprunter, la vague d’emprunts internationaux par les pays d’Afrique subsaharienne ne perdurera pas à long terme à moins que ces pays ne soient capables de générer une croissance économique forte et durable et de réduire davantage la volatilité macroéconomique.

Il est donc important de prendre des mesures politiques. Tout d’abord, à court terme, il convient de concentrer les efforts sur le maintien de la stabilité macroéconomique et de la viabilité de la dette, de veiller à ce que le produit des emprunts soit utilisé à bon escient et à investir dans des projets à fortes retombées économiques, d’éviter l’affaiblissement des bilans que provoquerait l’asymétrie des devises et des échéances, et de gérer les risques de ralentissement majeur ou de renversement de la conjoncture. À plus long terme, il faut s’attacher à développer les marchés de capitaux intérieurs et les institutions, ainsi qu’à planifier convenablement la libéralisation des mouvements de capitaux. Ces politiques conventionnelles sont essentielles si les pays d’Afrique subsaharienne souhaitent éviter une nouvelle crise de la dette.

 
Graphique 5 - Afrique subsaharienne : écarts de taux souverains et notation (en points de base au 28 octobre 2014)
Sources : Bloomberg L.P. ; Barclays Research.

Jusqu’ici, les analyses de viabilité de la dette des pays d’Afrique subsaharienne les plus pauvres indiquent que le risque de surendettement extérieur est faible ou modéré pour la plupart des émetteurs souverains (cf. tableau infra). Depuis 2007-2008, le risque de surendettement extérieur a baissé pour le Rwanda et la Côte d’Ivoire et n’a pas changé pour le Ghana (modéré) et le Nigeria, le Kenya, le Sénégal, la Tanzanie et la Zambie (faible).

 
Tableau - Pays en développement à faibles revenus : évolution du risque de surendettement extérieur
Note : les émetteurs souverains d’Afrique subsaharienne apparaissent en caractères gras.
Source : analyses de viabilité de la dette, FMI.

Si le risque de surendettement extérieur semble gérable, la viabilité des finances publiques pose un plus grand défi à de nombreux pays (cf. graphique 6 infra). Si les pays importateurs de pétrole ont généralement un solde budgétaire global plus faible, la baisse du cours du pétrole aura un impact négatif sur les pays exportateurs de pétrole, avec une forte réduction de leurs excédents. En outre, de nombreux pays augmentent leurs dépenses courantes tandis que d’autres intensifient leurs dépenses en capital pour répondre à leurs besoins d’infrastructures.

 
Graphique 6 - Afrique subsaharienne : solde budgétaire global, hors subventions (en % du PIB)
Source : FMI.

Par conséquent, l’amélioration de la politique budgétaire doit constituer une priorité. Moreno-Badia et Presbitero (2014) recommandent, par exemple, des changements dans plusieurs domaines : (1) le renforcement des institutions budgétaires, (2) l’augmentation des recettes basées sur l’assiette fiscale de chaque pays, (3) l’amélioration de l’efficience des dépenses, en particulier par le biais de la sélection et de la gestion des projets d’investissement et (4) les stratégies globales de gestion de la dette à moyen terme. Un point positif est à noter : les pays d’Afrique, y compris le Ghana, sont parfaitement conscients de ce plan d’action et ont progressé vers ces objectifs au cours des dernières décennies. Cela dit, l’accélération et le maintien du rythme des réformes budgétaires doivent figurer en tête des priorités, en particulier pour les pays ayant eu accès aux marchés obligataires internationaux.

Politiques non conventionnelles

Néanmoins, les pays doivent également évaluer les avantages des mesures non conventionnelles, car l’élaboration et la mise en œuvre des politiques conventionnelles prennent du temps. Il n’est, par exemple, pas facile de mettre en place un marché obligataire intérieur efficace pour attirer l’épargne intérieure et extérieure, surtout à long terme. À cette fin, il est généralement recommandé aux pays d’améliorer leur politique macroéconomique, la gestion de leur dette, ainsi que les infrastructures réglementaires, juridiques et des marchés, et de développer leur base d’investisseurs. Les marchés monétaires sont la pierre angulaire des marchés de capitaux et c’est naturellement par eux qu’il faut commencer les réformes. Les banques commerciales sont en général les plus gros investisseurs, il est donc essentiel d’établir un marché interbancaire efficace. Enfin, il est prioritaire d’assurer la liquidité des marchés intérieurs.

Toutefois, il faut du temps pour mettre en œuvre ces mesures conventionnelles. En prenant exemple sur différents pays, les gouvernements africains pourraient d’abord viser les objectifs les plus accessibles avant de passer à des objectifs plus ambitieux. Par exemple, en renforçant leurs institutions communes, les États des pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) parviennent de mieux en mieux à mobiliser l’épargne intérieure des banques et autres investisseurs dans les huit pays de l’UEMOA et émettent séparément des bons du Trésor et des obligations. Le Ghana, l’Éthiopie et l’Inde ont capté l’épargne de leurs ressortissants non-résidents en émettant des « obligations de la diaspora ». Enfin, la province du Québec au Canada et le Maroc se sont dotés d’institutions financières publiques inspirées des caisses de dépôts françaises pour développer leurs marchés de capitaux intérieurs. Ainsi, mettre à profit l’expérience d’autres pays pourrait permettre à l’Afrique subsaharienne d’aller de l’avant.

Alors que la communauté internationale met au point le cadre pour le financement du développement pour l’après-2015, la croissance de l’emprunt international des pays africains et le développement des marchés de capitaux locaux sont des enjeux majeurs qui requièrent l’attention de toutes les parties prenantes, y compris les gouvernements africains et les partenaires du développement, ainsi que les acteurs des marchés nationaux et internationaux. À cet égard, les interactions entre les marchés de capitaux locaux et internationaux méritent une plus grande attention, étant à la fois sources d’opportunités et de défis.


Notes

L’auteur tient à remercier Bruno Cabrillac pour ses suggestions et commentaires utiles. Il assume l’entière responsabilité de toute erreur éventuelle.
1 Voir, par exemple, Gueye et Sy (2015).
2 Au vu du manque de données, les écarts de taux d’inflation sont calculés ex post. Les anticipations d’inflation devraient permettre d’obtenir des estimations plus précises.

Bibliographies

Barclays (2014), « Commodities and Credit Spreads », Sub-Saharan Africa Insights, 28 octobre.
FMI (2012), Regional Economic Outlook: Sub-Saharan Africa, octobre, www.imf.org/external/pubs/ft/reo/2012/afr/eng/sreo1012.htm.
FMI (2013), Regional Economic Outlook: Sub-Saharan Africa, octobre, www.imf.org/external/pubs/ft/reo/2013/afr/eng/sreo1013.htm.
FMI (2014), Regional Economic Outlook: Sub-Saharan Africa, octobre, www.imf.org/external/pubs/ft/reo/2014/afr/eng/sreo1014.htm.
Goldman Sachs (2013), « Africa’s Window of Sovereign Bond Opportunity », CEEMEA Economics Analyst, n° 13/20, 14 juin.
Gueye C. A. et Sy A. N. R (2013), « US Interest Rates and Emerging Market Bond Yield Spreads: a Changing Relationship? », Journal of Fixed Income, vol. 22, n° 4, pp. 48-52.
Gueye C. A. et Sy A. N. R. (2015), « Beyond Aid: How Much Should African Countries Pay to Borrow », Journal of African Economies, à paraître.
Moreno-Badia M. et Presbitero A. (2014), « Financing for Development: New Opportunites or the Old Debt Trap », Brookings Institution.
Rabah A., Gylfason T. et Sy A. N. R. (2012), Beyond the Curse: Policies to Harness the Power of Natural Resources, International Monetary Fund.
Rodrik D. (2014), « An African Growth Miracle? », National Bureau of Economic Research, Working Paper, n° 20188, juin.