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 Les fusions-acquisitions dans le secteur bancaire européen après la crise


Patrick BEITEL Partner, McKinsey & Company Frankfurt.
Pedro CARVALHO Partner, McKinsey & Company Lisbon.
Joao CASTELLO BRANCO Senior Partner, McKinsey & Company Madrid.
Ramandeep CHAWLA Banking Expert, McKinsey & Company Delhi.

Les dirigeants des banques européennes commencent à examiner de près les possibilités de fusion-acquisition. Le désendettement, la pression des régulateurs en faveur des réformes et la nécessité pour les banques de mener leurs activités de façon plus rentable ont pour conséquence que de nombreux actifs du secteur financier seront vendus dans les années à venir. Jusqu’à la mi-2013, les ventes d’actifs du secteur financier ont progressé lentement. Toutefois, plusieurs facteurs aideront à stimuler l’activité de fusion-acquisition d’actifs du secteur bancaire européen pendant un certain temps.Cet article vise à présenter une vue multidimensionnelle des fusions-acquisitions dans le secteur bancaire européen. Il présente le contexte historique et examine les facteurs expliquant la cession des actifs bancaires européens sur le marché. Il s’ensuit une analyse thématique de la création de valeur due aux fusions-acquisitions et un examen des acquéreurs attendus lors de la prochaine vague de fusions-acquisitions.

Avec le recul de la crise financière et les signes de stabilisation de l’euro, les dirigeants des banques européennes commencent à examiner de près les possibilités de fusion-acquisition (F&A). Le désendettement, la pression des régulateurs en faveur des réformes et la nécessité pour les banques de se renforcer face à la concurrence en affichant une meilleure rentabilité sur un nombre réduit de segments signifient que de nombreux actifs du secteur financier seront vendus dans les années à venir.

Jusqu’ici, le rythme des ventes d’actifs du secteur financier a été lent. Nous pensons néanmoins que plusieurs facteurs aideront à stimuler l’activité de F&A d’actifs du secteur bancaire européen pendant un certain temps.

Examinons les facteurs impliqués : la pression croissante sur les banques européennes due aux difficultés de financement, l’augmentation du coût du capital et une réglementation de plus en plus onéreuse auront probablement pour conséquence de soutenir l’activité de F&A alors que les établissements renonceront aux opérations avides de fonds propres et simplifieront leurs activités. Les opérations seront également soutenues par le fait que les prix des actifs, mesurés en termes de ratios entre la valeur de marché et la valeur comptable nette, sont encore très faibles. Enfin, il est probable qu’une amélioration de la conjoncture après cinq ans de relative stagnation exacerbera le biais cyclique des F&A dans le secteur bancaire européen et incitera à la conclusion de transactions.

Cet article vise à présenter une vue multidimensionnelle des F&A dans le secteur bancaire européen. Après avoir rappelé le caractère cyclique de l’activité de F&A, nous nous pencherons sur les raisons explicatives de la faiblesse du flux d’opérations depuis la crise financière et sur les facteurs qui ont dominé les F&A dans le secteur bancaire européen après 2007.

Nous passerons ensuite en revue les raisons pour lesquelles l’offre d’actifs bancaires européens restera, selon nous, abondante au cours des prochaines années et nous étudierons les raisons qui pourraient amener les acheteurs à être de plus en plus agressifs. Cela conduira à une analyse thématique de la création de valeur résultant des F&A ainsi qu’à une présentation finale des acquéreurs attendus dans la prochaine vague de F&A.

L’activité de F&A dans le secteur bancaire européen est cyclique

L’activité de F&A dans le secteur bancaire européen au cours des seize dernières années (cf. graphique 1 ci-contre) se caractérise par un biais cyclique et un modèle en forme de vagues. La petite remontée des transactions en 2012 indique que l’activité de F&A est sans doute actuellement sur le point de prendre de l’ampleur. La dernière reprise en 2009 a marqué un rebond après la crise bancaire de 2007-2008 et le ralentissement sévère du marché des actions qui l’a accompagnée. La précédente reprise cyclique qui a eu lieu en 2005-2006 a été beaucoup moins prononcée que celle du début du millénaire qui s’est brutalement achevée par le crash des « dot.com » et le marché baissier qui s’est ensuivi.

En 2012, le volume total des transactions dans le secteur bancaire européen, soutenu par une légère hausse au quatrième trimestre, a été de 67 Md€ (cf. graphique 2 ci-contre), soit une hausse modeste par rapport aux bas niveaux enregistrés en 2010 et 2011. Pourtant, l’activité de F&A reste modérée par rapport à l’année 2007, au cours de laquelle les transactions enregistrées ont été d’une valeur totale de 207 Md€. Depuis lors, les volumes ont été moribonds. En comparaison, le niveau relativement décent de l’activité de F&A dans le secteur bancaire européen en 2008, principalement dû aux injections de fonds publics destinées à sauver les établissements financiers vulnérables, était en fait un signe de faiblesse du secteur.

 
Graphique 1 - Variation du nombre d’opérations de F&A bancaires dans le secteur bancaire européen
Sources : Dealogic ; McKinsey analysis.
 
Graphique 2 - Acquisitions bancaires en Europe, 2007-2012 (par trimestre, en Md€)
Sources : Dealogic ; McKinsey analysis.
 
Tableau 1 - Montant et nombre des opérations
Sources : Dealogic ; McKinsey analysis.

Une forte baisse des montants des transactions dans un secteur en détresse

Ces dernières années, les acheteurs d’actifs bancaires européens ont brillé par leur absence, ce qui signifie que les prix des actifs n’étaient pas attrayants pour les vendeurs. De plus, un environnement d’exploitation troublé, couplé à une forte destruction de valeur dans quelques très grandes transactions de fin de cycle, notamment l’acquisition d’ABN AMRO par RBS (Royal Bank of Scotland), a nourri le scepticisme du marché. Nous voyons trois raisons principales au manque d’intérêt des acheteurs pour les actifs bancaires européens.

L’incertitude macroéconomique

La chute des prêts de type subprime et la crise de la dette souveraine européenne ont inauguré un environnement macroéconomique difficile dans toute l’Europe. Dans l’ensemble, les grandes économies européennes du sud ont été confrontées à un creusement des déficits budgétaires et à des problèmes de refinancement. Les investisseurs stratégiques et financiers ont été préoccupés par la détérioration de la qualité des actifs et une augmentation des créances douteuses. Pris ensemble, ces facteurs ont eu un impact négatif sur l’environnement macroéconomique qui a alimenté l’incertitude et rendu les acheteurs potentiels extrêmement réticents à procéder à des acquisitions.

Les injections de liquidités par la Banque centrale européenne (BCE)

Les opérations de refinancement à long terme (LTRO – long-term refinancing operations) de la BCE ont fourni environ 1 000 Md€ à faible coût pour soutenir les banques européennes en 2011-2012. Ce soutien vital a fait que les acheteurs ont été incapables de prendre la main sur le rythme (et le prix) des transactions.

Le renforcement des exigences réglementaires

La réglementation a joué un rôle en demi-teinte, notamment la réglementation Bâle III, qui a augmenté les exigences de fonds propres de premier niveau et introduit des critères supplémentaires. Au départ, il était estimé que les banques à faibles bilans seraient poussées à chercher des acquéreurs potentiels, mais, en fait, les acheteurs stratégiques ont plutôt pris en compte l’effet des exigences réglementaires plus strictes sur leurs propres bilans.

Les différents types de transactions réalisées depuis la crise financière

Malgré le ralentissement des transactions dans le secteur bancaire européen pendant la crise et par la suite, quelques transactions ont été conclues. Nous les divisons en trois types.

Les injections des États

Pendant cette période exceptionnelle, dans toute l’Europe, les États sont fortement intervenus pour stabiliser le marché. L’intervention (cf. tableau 2) pour sauver les banques jugées too big to fail s’est traduite par une injection de 322 Md€ de capitaux publics (jusqu’à la fin de 2011, sans compter les garanties, les mesures de sauvetage des actifs et les autres mesures en faveur de la liquidité). Les injections réalisées par l’État ont été accompagnées de diverses conditions préalables visant à accroître la sécurité du système financier et à faire en sorte que les banques n’adoptent pas à nouveau les comportements qui ont déclenché la crise.

 
Tableau 2 - Interventions des États dans le secteur financier (liste non exhaustive)
nd = non disponible.
Sources : Commission européenne ; McKinsey analysis.

Fusions de survie

Bien que les États européens aient directement injecté des fonds pour soutenir les établissements financiers nationaux systémiquement importants, de nombreuses autres banques ont été confrontées à de graves difficultés pour remplir leurs obligations de financement et s’acquitter des exigences de fonds propres. Pour beaucoup, la seule solution a été de s’agrandir par une fusion ou de disparaître à la suite d’une acquisition. Les régulateurs ont favorisé ces opérations car il était plus facile de surveiller et de gérer une grande entité plutôt que plusieurs plus petites.

Un certain nombre de pays en Europe, notamment le Royaume-Uni, l’Espagne et la Grèce, ont connu ce type de fusion. Au Royaume-Uni, par exemple, le gouvernement a négocié la fusion de HBOS, jugée non viable de façon autonome, avec Lloyds TSB. De même, en Espagne, une série de fusions entre cajas (caisses d’épargne) a amené la formation de Bankia (cf. graphique 3).

 
Graphique 3 - Consolidation du secteur financier espagnol depuis 2009
* 4 banques aux actifs > 250 Md€, 1 grande banque nationalisée aux actifs > 250 Md€, 1 à 2 banques de taille moyenne aux actifs > 125 Md€.
Note : l’analyse n’intègre que les institutions financières des banques dont les actifs sont supérieurs à 20 Md€ en 2012.
Source : McKinsey analysis.

Le désengagement des activités non essentielles pour accroître la liquidité

Après 2008, un certain nombre de banques européennes ont abandonné les activités sous-dimensionnées ou annexes dans les marchés européens périphériques et ailleurs. Un certain nombre de transactions ont consisté pour les grandes banques à choisir de céder des actifs dans les domaines non essentiels ou sous-dimensionnés afin de consolider leurs fonds propres ou d’éviter de devoir accepter un financement public ainsi que les restrictions supplémentaires qui en découleraient.

En général, les transactions de cette nature en Europe n’ont pas été très importantes et ont ciblé des niches de marché (cf. graphiques 4).

 
Graphiques 4 - Opérations récentes en général de petite taille et surtout sur des niches de marché (2012)
Graphique 4a - Montant des opérations (opérations dans la finance et l’assurance concernant des acquéreurs de grande taille de la zone Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique) (en M€)
Sources : Dealogic ; Bloomberg ; McKinsey analysis.
 
Graphique 4b - Nombre d’opérations par sous-segment
AM = asset management (gestion d’actifs) ; CIB = corporate and investment banking (banque de financement et d’investissement) ; PB = private banking (banque privée) ; RB = retail banking (banque de détail).
Sources : Dealogic ; Bloomberg ; McKinsey analysis.
 
Graphique 4c - Part du montant des opérations dans les actifs du vendeur (opérations de désinvestissement des 10 premières banques européennes classées en fonction de la capitalisation boursière)
Sources : Dealogic ; McKinsey analysis.

En outre, un certain nombre de banques européennes ont abandonné diverses lignes de produits et services (et parfois des régions entières) en Asie et en Amérique. RBS, par exemple, a vendu son activité de services bancaires commerciaux dans sept pays d’Asie où elle manquait d’envergure. Pour l’acquéreur, ANZ, ce retrait a offert une bonne occasion de renforcer sa présence régionale. Une autre transaction, la cession par ING de ses activités asiatiques de banque privée, a mis en lumière une forte demande des acheteurs dans la région.

De nombreux actifs bancaires restent à céder

Nous croyons que l’offre d’actifs bancaires européens sur le marché va continuer à être extrêmement abondante. Nous voyons quatre raisons à cela.

La restructuration forcée des banques renflouées

L’aide des États est souvent accompagnée de mesures de redressement. Une caractéristique essentielle des aides apportées par les autorités européennes et nationales est d’exiger des banques qu’elles cèdent des actifs pour accroître leurs liquidités et rembourser les aides. Le résultat en est que de nombreux dirigeants de banques européennes doivent désormais mettre en œuvre des programmes de restructuration pour satisfaire les conditions des accords qui leur ont été imposées par les régulateurs nationaux ou européens. Il existe de nombreux exemples, notamment RBS, ING, Lloyds et autres, où les banques ont déjà cédé des actifs pour satisfaire à ces exigences. Cependant, de nombreux autres sont à venir.

La restructuration du secteur bancaire étant toujours en cours, un grand nombre d’actifs et d’activités seront vendus. Ce mouvement touchera à la fois les marchés essentiels et annexes. Il conduira à la séparation des activités bancaires de celles, par exemple, d’assurance. Dans des cas extrêmes, cela pourra conduire à couper en deux la base de l’actif de certaines banques et des mesures douloureuses seront inévitables.

Le désinvestissement des États

Les plans de sauvetage ont placé des milliards d’euros d’actifs du secteur des services financiers entre les mains des États. En général, les autorités publiques ne considèrent pas qu'être propriétaires des banques soit leur rôle naturel. On s’attend à ce que le secteur privé en redevienne propriétaire lorsque les conditions sur les marchés financiers le permettront. L’augmentation des déficits publics, la pression de l’opinion publique et le désir de promouvoir la concurrence et de réaliser des bénéfices amèneront naturellement les États à céder leurs participations. Certains désengagements sont déjà en cours.

La nécessité de renforcer les fonds propres

Nous estimons que les banques européennes devront lever plus de 100 Md€ de fonds propres pour répondre à leurs besoins en capitaux. Malgré les efforts de désendettement et d’amélioration des ratios de fonds propres, les banques sont encore à la recherche de capitaux. Compte tenu de leur rareté sur le marché, elles sont contraintes de céder des actifs afin de lever des fonds propres. Ces ventes peuvent également être une condition préalable à des appels de fonds destinés aux investisseurs.

La nécessité de sortir des activités sous-dimensionnées ou annexes

Les rendements du secteur devraient être substantiellement (et structurellement) inférieurs à ceux d’avant 2008, en grande partie du fait des nouveaux dispositifs réglementaires et, notamment, de la nécessité de détenir des fonds propres plus importants. Pour stimuler les rendements, les établissements financiers doivent atteindre une masse critique dans leurs métiers de base et abandonner leurs activités sous-dimensionnées, annexes ou fortement consommatrices de fonds propres. Par conséquent, il y aura une tendance à l’agrandissement et à la gestion des secteurs d’activité par l’opérateur naturel le mieux placé. Cela se traduira par l’éclatement de certaines opérations conclues lors de la dernière vague de F&A et, peut-être, par une vague de fusions entre entités égales cherchant à s’agrandir dans leur cœur de métier.

En somme, nous pensons que la pression continue des États et des régulateurs en faveur des restructurations et les exigences de fonds propres plus strictes amèneront de nombreuses banques à vendre une partie de leurs activités afin de se concentrer sur des activités de base plus durables et plus rentables, ce qui affectera un grand nombre de banques, y compris les plus solvables. En fait, nos recherches montrent qu’un nombre important d’actifs bancaires européens dans la plupart des secteurs d’activité et des régions sont « à vendre » ou que leur vente est envisagée (cf. tableau 3).

 
Tableau 3 - Les institutions financières européennes envisagent de céder 400 à 725 lignes d’activité dans divers sous-segments d’activité et zones géographiques
* Italie, Espagne, Portugal, Grèce et Turquie.** Suisse, Norvège, Suède, Danemark et Finlande.*** Y compris les services titres et les infrastructures de marchés.**** Actifs spécifiques (par exemple, portefeuilles d’immobiliers et de leasing) y compris les activités d’assurance-vie et les dommages, les doubles-emplois possibles avec les autres sous-segments.
Sources : Dealogic ; McKinsey analysis.

Les déclencheurs de la prochaine vague

Malgré l’abondance des actifs, l’incertitude économique, le soutien des banques centrales et la pression réglementaire peuvent s’opposer à une reprise immédiate des F&A dans le secteur bancaire européen. Cependant, nous continuons de penser que des acheteurs vont apparaître sur le marché et que l’activité de F&A dans le secteur bancaire européen va finalement reprendre, entraînée par trois déclencheurs.

Des valorisations attrayantes

Les évaluations des marchés de capitaux pour les actifs du secteur des services financiers restent déprimées et offrent des opportunités intéressantes aux investisseurs stratégiques et financiers, qu’ils soient déjà établis en Europe ou qu’ils cherchent à investir dans la région. Dans l’ensemble, les banques européennes restent valorisées en dessous de leur valeur comptable, comme en témoigne l’indice Datastream du secteur bancaire européen qui fait apparaître un ratio « cours/valeur comptable » de 0,8. Certains sous-secteurs des services financiers (par exemple, la banque de détail) se négocient à de très faibles valorisations et pourraient offrir des rendements hors normes aux acheteurs.

Le soutien des États aux F&A

Comme l’ont montré les fusions de survie, les États peuvent jouer un rôle important dans la facilitation des transactions. Les grandes banques peuvent s’agrandir en acquérant des banques avec des bilans faibles. Elles peuvent également couvrir leur exposition aux actifs faibles ou improductifs en participant aux programmes de protection des actifs financés par les États (comme dans le cas de l’acquisition d’Unnim par BBVA et dans celui de l’acquisition de CAM par Sabadell).

La confiance des acheteurs

Alors qu’un grand nombre de banques cherchent à vendre des actifs (et que relativement peu de banques cherchent à en acheter), il est clair que ce sont les acheteurs qui ont les atouts en main. Pour l’instant, ceux-ci sont en mesure de négocier des conditions favorables et structurent les transactions de la manière qui leur convient le mieux. Par exemple, dans l’achat par Virgin Money de succursales de Northern Rock, une partie du prix final est liée au rendement de l’actif acquis. Jusqu’à présent, les situations de ce type ont été l’exception, mais cela pourrait changer car les acheteurs deviennent plus à l’aise avec les perspectives économiques et réglementaires et sont conscients de la nécessité d'être bien placés pour tirer parti de l’augmentation de l’activité de F&A dès son début.

Les thèmes de création de valeur

En résumé, nous croyons que l’offre d’actifs bancaires pour des opérations de F&A en Europe continuera d'être abondante et que les acheteurs finiront par saisir les opportunités. L’offre et la demande seront influencées par plusieurs thèmes qui contribueront à orienter la création de valeur vers l’activité de F&A dans le secteur bancaire européen.

Les acquéreurs étrangers cherchent des opportunités

Divers acquéreurs étrangers ont activement participé aux achats d’actifs bancaires européens et beaucoup d’autres se montrent attentifs en la matière. L’avenir de la zone euro s’éclaircissant et les perspectives de croissance de l’économie mondiale s’améliorant, il se pourrait qu’un plus grand nombre de prétendants étrangers émergent pour enchérir sur des actifs bancaires européens.

Pourtant, il est instructif de constater que les plus grosses opérations en valeur impliquant des acquéreurs étrangers ont visé des gestionnaires d’actifs, des Bourses et un portefeuille de crédit-bail. En comparaison, les réseaux bancaires traditionnels n’ont pas vraiment été considérés comme des cibles par les acquéreurs étrangers. Une exception partielle a été, en 2012, l’acquisition par la banque brésilienne Banco Safra de la banque privée Sarasin & Partners, rachetée à son actionnaire majoritaire, la banque néerlandaise Rabobank.

Les acheteurs asiatiques, Japon en tête, ont été les acquéreurs étrangers les plus actifs en Europe. On a vu Rabobank revenir sur le marché en tant que vendeur avec la cession d’une participation de 90 % dans le gestionnaire d’actifs quantitatif Robeco à ORIX pour 1,9 Md€ au début de 2013. Dans le domaine de l’infrastructure des marchés financiers, le London Metal Exchange (LME) a été acheté par la société chinoise Hong Kong Exchanges and Clearing. La troisième transaction mettant en vedette un acquéreur étranger a impliqué un « prédateur » japonais avec l’acquisition par Sumitomo Mitsui Financial Group de l’activité de location d’avions de RBS, à la suite de son acquisition des actifs de financement de projet de Bank of Ireland. En outre, la Banque Royale du Canada s’est montrée active en consolidant les 50 % de RBC Dexia Investor Services dont elle n’était pas encore propriétaire après son achat en 2010 de BlueBay Asset Management.

La cession des portefeuilles de prêts

Les opérations réalisées dans le domaine de la vente de portefeuilles de prêts fournissent un exemple de la manière dont les F&A contribuent à la restructuration du secteur bancaire. Dans toute l’Europe, les États encouragent également les banques à débarrasser leurs bilans des actifs toxiques. En Espagne, l’Union européenne a imposé la création de SAREB comme une condition préalable à une aide au secteur bancaire espagnol, pouvant atteindre 100 Md€. À la fin de février 2013, SAREB avait acquis auprès des établissements espagnols 52 Md€ d’actifs de prêts consentis à des promoteurs immobiliers.

L’Irlande figure également dans les opérations sur les portefeuilles de prêts avec deux récentes transactions impliquant des acheteurs américains. La société internationale d’investissement immobilier Kennedy Wilson a acheté un portefeuille de prêts immobiliers commerciaux à Bank of Ireland en 2012. De même, la société de capital-investissement Apollo Management Global a acquis un portefeuille de prêts immobiliers commerciaux irlandais de Lloyds Banking Group.

Le gouvernement irlandais a également pris des mesures en créant la National Asset Management Agency (NAMA) pour résoudre la crise immobilière et bancaire. Les activités des banques et des organismes étatiques comme SAREB et NAMA vont considérablement augmenter les activités de F&A impliquant des restructurations de portefeuilles de prêts dans les prochaines années.

Les regroupements au niveau national

Dans de nombreux marchés européens, la surcapacité et la faiblesse des bilans pourraient stimuler les fusions. L’activité de F&A pourrait également être dynamisée par les plans européens de restructuration et de désengagement de l’État des actifs bancaires. Les effets de synergie peuvent induire de fortes augmentations de l’efficacité et accroître les rendements, en fournissant une occasion unique pour les acteurs stables de s’agrandir à un prix attractif.

La consolidation au niveau national est déjà en cours. En 2011, la banque espagnole BBK a acquis une autre banque basque, la Kutxabank, pour 1,64 Md€. Cette acquisition a suivi celle de Banco Pastor par Banco Popular pour 1,34 Md€ et d’autres regroupements en Espagne en 2012. Au Royaume-Uni, nous avons déjà évoqué l’acquisition opportuniste de Northern Rock par Virgin Money.

Les acteurs en bonne santé se mondialisent

Alors que la plupart des autres régions affichent une croissance économique nettement supérieure à celle de l’Europe et une saturation moindre du marché des services financiers, nous nous attendons à voir les acteurs européens en bonne santé continuer d’envisager des transactions à l’étranger. Cela est particulièrement probable dans des secteurs qui sont de nature mondiale, comme le crédit-bail et la gestion d’actifs, où apparaissent des opportunités de regroupement d’entreprises opérant dans différentes régions.

L’acquisition par la société irlandaise Fly Leasing pour 982 M€ de la société australienne Global Aviation Asset Management représente un exemple de transaction où un acteur européen s’implante à l’étranger. Une série de petites affaires chiffrées à moins de 200 M€ ont montré l’intérêt des acteurs européens du secteur financier à se développer à l’étranger, notamment au Brésil et aux États-Unis.

La création de champions paneuropéens dans des activités spécifiques

La restructuration du secteur bancaire européen devrait offrir des occasions de recourir aux F&A pour amener les petites entreprises à se développer à l’échelle paneuropéenne. Cela est évident dans la gestion d’actifs et, dans une moindre mesure, dans le secteur de la banque privée. Les petits acteurs peuvent ainsi se développer et les plus grands se débarrasser de leurs activités accessoires pour se concentrer sur les activités essentielles. Santander, par exemple, va partiellement céder son activité de gestion de fonds.

Parmi les transactions récentes, RBC a consolidé sa participation dans le gestionnaire d’actifs RBC Dexia, tandis que le gestionnaire de fonds Schroders a payé 424 M€ pour acquérir Cazenove Capital afin de renforcer sa position au sein des conseillers mondiaux en gestion de fortune. Dans la même veine, State Street a acquis les activités d’administration de fonds spéculatifs de Goldman Sachs pour 550 M$.

La scission des activités d’infrastructure

Les activités d’infrastructure des marchés de capitaux des grandes banques génèrent de faibles marges et peu de croissance. Il est de plus en plus crucial de tirer profit des effets d’échelle et de générer des gains d’efficacité. Alors qu’elles ont un besoin croissant de capitaux et de liquidité, les banques pourraient envisager de vendre des services de type infrastructure, comme la compensation et le service de titres, qui peuvent être externalisés.

C’est en effet ce qui se passe déjà. ING a vendu ses activités locales de conservation et de services de titres en Bulgarie, en République tchèque, en Hongrie, en Roumanie, en Russie, en Slovaquie et en Ukraine à Citi en avril 2013.

Les gagnants potentiels de la prochaine vague

Tout comme il y a des thèmes évidents de création de valeur dans les F&A au sein du secteur bancaire européen, il y a également des gagnants potentiels. Ces acteurs ont une force suffisante pour définir les principales conditions des opérations de F&A et créer de la valeur en conséquence.

Les banques européennes

Un certain nombre de banques européennes qui ont été relativement épargnées par la crise sont des consolidateurs naturels. Les banques avec un bilan solide, une réputation de rigueur financière et la capacité d’extraire des synergies peuvent approcher les vendeurs en position de force. Néanmoins, ces établissements sont peu nombreux.

Nous estimons le montant du capital requis pour consolider l’ensemble du secteur bancaire européen à plus de 100 Md€, ce qui est hors de portée des banques régionales. La future réglementation souligne ce point. En conséquence, nous pensons que de nouveaux acteurs parmi les banques européennes joueront un rôle majeur dans les F&A du secteur.

Les banques étrangères

Parmi les vingt plus grandes banques mondiales, quinze ne sont pas européennes. La plupart d’entre elles sont également mieux capitalisées et se négocient à des multiples plus élevés que leurs homologues européennes. Nous nous attendons donc à ce que ces banques s’intéressent à l’Europe. Parmi les acheteurs étrangers les plus probables, on trouve les banques brésiliennes et australiennes. Les banques asiatiques, qui représentent plus de 40 % de la capitalisation boursière des vingt-cinq plus grandes banques du monde, étudient également les possibilités d’acquérir des actifs bancaires en Europe. L’objectif des acheteurs est de diversifier leur empreinte et de puiser dans de nouvelles compétences en matière de tarification des produits et de marketing.

Les établissements non financiers

Les établissements non financiers étudient les possibilités d’entrer sur le marché. Les détaillants, les entreprises de biens de consommation et les opérateurs de télécommunications pourraient entrer ou étendre leur position dans le secteur bancaire européen. Ces acteurs pourraient apporter une nouvelle perspective au secteur bancaire, susciter une réelle innovation dans le marketing et la tarification et tirer parti des synergies de nouveaux modèles de distribution. Ces acteurs seront relativement peu présents, mais ils pourraient remettre en question un certain nombre de paradigmes bancaires bien établis.

Les acteurs financiers disposant d’une trésorerie importante

Les acteurs financiers riches en trésorerie sont susceptibles de considérer les faibles valorisations actuelles et la vulnérabilité de certaines banques comme un signal pour devenir actifs dans les F&A. Leur entrée pourrait reconfigurer le secteur bancaire européen et restructurer l’actionnariat de nombreux opérateurs.

Les fonds souverains et les fonds spéculatifs

Les fonds souverains ont déjà apporté des fonds aux banques européennes. Il est possible qu’ils engagent des capitaux en partenariat avec d’autres acteurs pour acheter des actifs bancaires de détail étant donné les faibles valorisations actuelles. Les fonds spéculatifs, en revanche, ont joué un rôle actif dans l’achat des obligations convertibles conditionnelles utilisées par certaines banques pour reconstituer leurs fonds propres. Ces fonds sont également des acheteurs potentiels de certains portefeuilles de prêts et des participants possibles dans d’autres domaines de la structure des fonds propres des banques.

Les investisseurs en capital-investissement

Une certaine prudence continue de prévaloir, en particulier de la part des sociétés de capital-investissement, en raison d’échecs précédents dans le secteur bancaire européen. Avec 100 Md€ supplémentaires de fonds propres requis, nous prévoyons une protection réduite de la part des États et, pour l’instant, une concurrence importante pour l’obtention de nouveaux fonds. Il est attendu que la vague de F&A fasse l’objet d’un examen attentif de la part des entreprises de capital-investissement. Nous pensons que ces sociétés seront actives dans des sous-segments tels que les paiements et la gestion d’actifs, où l’obligation de détenir des fonds propres est limitée et où il existe des occasions de procéder à des restructurations et de développer l’échelle des activités.

 

En conclusion, nous pensons que les conditions sont réunies pour le déclenchement d’une nouvelle vague de F&A dans le secteur bancaire européen. Après les grandes opérations des années ayant précédé la crise financière et à la suite des restructurations imposées par cette dernière, cette nouvelle vague contribuera à remodeler le paysage concurrentiel. Elle déterminera la physionomie de ce secteur pour les dix prochaines années caractérisée par de nouveaux périmètres d’activité et la présence de nouveaux acteurs.


Notes

Senior Partner, McKinsey & Company Madrid.
Partner, McKinsey & Company Frankfurt.
Partner, McKinsey & Company Lisbon.
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