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 Quelles règles pour sortir de la crise des dettes souveraines ?


Philippe MARINI Sénateur ; rapporteur général, Commission des finances du Sénat.
Pour les pays de la zone euro, la sortie de crise passe par une sortie de la crise de la dette souveraine. Elle nécessite une action sur tous les leviers disponibles tant de l’Union européenne que de chacun des pays membres. L’UE doit agir à deux niveaux : la mise en place de mécanismes de solidarité (Fonds européen de stabilité financière et le futur mécanisme européen de stabilité financière) et une réforme de la gouvernance économique de la zone euro. L’auteur plaide pour la mise en œuvre de mécanismes efficaces et responsables. Pour ce qui est de la France en particulier, il préconise également la mise en œuvre de mécanismes institutionnels contraignants lui permettant de respecter les décisions du Parlement en matière de finances publiques, en cohérence avec ses engagements vis-à-vis de la zone euro.

Les politiques de sortie de crise doivent s’attacher à la reconstitution du potentiel de croissance de l’économie, durement endommagé. Le gouvernement s’y emploie à travers les réformes structurelles qu’il a engagées, en particulier la réforme des universités, la réforme des retraites, l’aménagement raisonnable de l’impôt de solidarité sur la fortune ou encore le programme d’investissements d’avenir. Une réforme d’ampleur de notre système de prélèvements obligatoires, pour en préserver le rendement tout en favorisant la compétitivité de notre pays, reste à accomplir. La campagne en vue de l’élection présidentielle de 2012 se concentrera probablement sur ce thème.

Mais pour les États, la sortie de crise implique également – bien que cela ne soit sans doute pas favorable à la croissance dans le court terme – de revenir à des trajectoires de finances publiques soutenables sur le long terme. Cet impératif s’impose de façon encore plus forte aux États membres de la zone euro dont la monnaie est, sinon attaquée, du moins l’objet d’une défiance des marchés. Pour eux, la sortie de crise passe manifestement par la sortie de la crise de la dette souveraine.

Le fait que cette dernière frappe la zone euro, dont la situation globale des finances publiques est dans l’ensemble plus favorable que celle des États-Unis et du Japon, peut paraître paradoxal. Il tient à la nature même de l’euro qui en faisant disparaître le risque de change rend rationnel pour les investisseurs le fait d’accorder une importance prépondérante au risque de défaut, aussi faible soit-il a priori. Par ailleurs, une hausse des taux peut s’auto-entretenir dans la mesure où elle aggrave le risque de défaut de l’État concerné. Un cercle vicieux peut également s’instaurer entre le pessimisme des marchés au sujet de certains États et leur pessimisme au sujet de leur système bancaire.

À cela s’ajoute que parmi les États les plus en difficulté, la Grèce, le Portugal et l’Espagne ont un déficit extérieur courant de l’ordre de 10 points de PIB, ce qui est nettement supérieur à celui de leurs partenaires et ce qui, compte tenu de leurs perspectives de croissance, n’est pas soutenable sur le long terme : s’il se maintenait, ces pays seraient tellement endettés vis-à-vis de l’extérieur que tôt ou tard, leurs administrations publiques feraient défaut, soit directement, soit après s'être portées au secours d’agents privés en difficulté.

Par ailleurs, il existe un risque de crise autoréalisatrice pour tout État ayant une dette publique de l’ordre de 100 points de PIB. La dette de la Grèce, à hauteur de 150 points de PIB, est probablement impossible à financer sur les marchés, que ses taux d’intérêt demeurent ou non à leur niveau actuel. Dans tous les cas, elle devrait dégager un excédent de son solde public primaire très élevé et donc peu réaliste.

Les commentateurs mettent généralement l’accent sur tel ou tel aspect de la situation et tendent à minorer l’importance des autres. Par exemple, l’Allemagne tend à insister sur l’importance de la discipline économique et budgétaire. D’autres font remarquer que l’Espagne et l’Irlande étaient présentées comme des modèles de vertu budgétaire avant la crise et considèrent que l’essentiel est de mettre en place divers mécanismes de solidarité.

En réalité, la sortie de cette crise sera possible seulement si l’on agit sur tous ces leviers à la fois. Il est évident que la zone euro présente une fragilité intrinsèque qu’il convient de corriger. Mais si, dans le même temps, les États ayant un déficit ou une dette élevés donnent l’impression aux marchés qu’ils ne sont pas réellement engagés dans le redressement de leurs finances publiques, les marchés ne seront pas convaincus de la pérennité de la solidarité financière entre États de la zone euro.

Ce sont bien à la fois l’Union européenne et, chacun pour ce qui les concerne, les différents États, en particulier la France, qui doivent agir pour favoriser la sortie de crise.

Un rôle déterminant de l’Union européenne dans la sortie de crise

Les mécanismes de solidarité

Les mécanismes mis en place Une capacité de prêt qui devrait être bientôt portée à 750 Md€ hors aide à la Grèce

À la suite du sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro du 7 mai 2010, le Conseil Ecofin des 9 et 10 mai 2010 a décidé de la mise en place d’un dispositif européen de stabilisation « de droit commun ». Ce dispositif doit disparaître au milieu de 2013 pour être remplacé par le futur Mécanisme européen de stabilité (MES).

Aux 500 Md€ de ce mécanisme « de droit commun » (440 Md€ pour le Fonds européen de stabilité financière – FESF – et 60 Md€ pour le Mécanisme européen de stabilité financière – MESF) s’ajoutent 250 Md€ du Fonds monétaire international (FMI), portant le total à 750 Md€ (sur trois ans).

Cependant, si l’on suppose que pour maintenir sa notation « triple A », le FESF doit limiter ses emprunts à la participation des États notés « triple A », les sommes en jeu ne sont plus que de 565 Md€ (dont 255 Md€ pour le FESF).

L’accord sur le FESF doit toutefois être modifié pour garantir une capacité de prêt effective de 440 Md€. La France doit pour cela accroître la garantie qu’elle lui accorde et la porter – conformément aux dispositions de la loi de finances rectificative de juillet 2011 – de 111 Md€ à 159 Md€.

Un montant qui pourrait être insuffisant

À titre de comparaison, les trois États « périphériques » hors Grèce (Portugal, Irlande, Espagne) présentent un besoin de financement (déficit et refinancement) d’environ 600 Md€ d’ici au milieu de 2013. Par ailleurs, les ordres de grandeur changeraient en cas d’extension de la crise à de nouveaux États puisque les besoins de financement de 2011 à 2013 sont de l’ordre de 200 Md€ pour la Belgique et 800 Md€ pour l’Italie. Citigroup évoque ainsi un montant de 2 000 Md€ financés en tout ou partie par des achats de dette souveraine par la Banque centrale européenne (BCE) afin d’aider, le cas échéant, l’Italie, la Belgique et la France1.

Cependant, ce point n’est pas à l’ordre du jour. Si la crise devait s’étendre à de « grands » États, il serait probablement inévitable de recourir à la monétisation de leurs dettes publiques, c’est-à-dire à des achats massifs de ces dettes par la BCE. Et surtout, l’expérience même de la zone euro serait en cause si un État actuellement noté « triple A » devait être concerné.

Un dispositif « de droit commun » activé dans le cas de l’Irlande et du Portugal

Si, conformément à l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’attribution d’un prêt du MESF exige simplement une décision du Conseil européen à la majorité qualifiée, celle d’un prêt du FESF est subordonnée à l’accord unanime des États participants.

Le dispositif a été activé pour l’Irlande et le Portugal, respectivement en décembre 2010 et en mai 2011. Les sommes concernées sont respectivement de 67,5 Md€ (85 Md€ après la prise en compte de la contribution de l’Irlande) et 78 Md€ (cf. tableau 1).

Lors des deux premières émissions du FESF, en janvier 2011 et juin 2011, la France a accordé sa garantie. Les commissions des finances des deux assemblées en ont été informées, conformément à l’article 3 de la loi n° 2010-606 du 7 juin 2010 de finances rectificative pour 20102, par courrier des ministres en charge de l’économie et des comptes publics.

Le futur Mécanisme européen de stabilité

À moyen terme, le FESF et le MESF, qui disparaîtront en juin 2013, doivent être remplacés par un dispositif pérenne, le MES, doté d’une capacité de prêt de 500 Md€3 (soit égal à la capacité affichée du FESF et du MESF).

Une capacité de prêt effective de 500 Md€

Sur le plan juridique, il est nécessaire de modifier l’article 136 du TFUE. Comme le FESF, le MES sera régi par un accord intergouvernemental.

Selon les conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011, « le MES sera doté d’un capital souscrit de 700 Md€ au total. Sur ce montant, 80 Md€ seront constitués de capital versé par les États membres de la zone euro en cinq annuités égales à compter de juillet 2013. Le MES disposera en outre d’une combinaison de capital engagé exigible et de garanties apportés par des États membres de la zone euro pour un montant total de 620 Md€. Pendant la phase transitoire allant de 2013 à 2017, les États membres s’engagent à accélérer, dans le cas peu probable où cela serait nécessaire, la fourniture d’instruments appropriés afin de maintenir un ratio minimum de 15 % entre le capital versé et l’encours des émissions du MES ». À l’occasion du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011, les États se sont engagés à donner leur accord à la modification du traité avant la fin de l’année 2012.

Les conséquences pour la France

En supposant que la capacité de prêt du MES demeure de 500 Md€, la France contribuera à son capital à hauteur de 142,7 Md€ (dont 16,3 Md€ de capital versé et 126,4 Md€ de capital engagé exigible et de garanties), à comparer avec les 111 Md€ de garanties accordés au FESF.

Si, contrairement à ce qui a été le cas pour le FESF, sa contribution ne se limitait pas à des garanties, les versements qu’elle devrait nécessairement réaliser devraient être « limités » à 16,3 Md€ versés en cinq annuités égales à compter de juillet 2013 (à comparer à 16,8 Md€ d’autorisations d’engagement dans le cas de la Grèce). Ces montants seraient toutefois supérieurs si le MES émettait ses titres plus rapidement que prévu.

Un Parlement qui sera tenu à l’écart des décisions

Le Parlement sera plusieurs fois sollicité au cours de la phase de mise en place du MES puisqu’il devra ratifier la modification apportée au TFUE, ratifier le traité relatif au MES lui-même, accorder la garantie de la France aux émissions du MES et autoriser les versements en capital qui seront effectués entre 2013 et, au plus tard, 2017 (cf. tableau 2 ci-après).

En régime de croisière, les décisions les plus importantes, dont certaines peuvent avoir des conséquences sur les finances publiques des États contributeurs, seront prises par le Conseil des gouverneurs du MES, c’est-à-dire les ministres des finances.

Il me paraît indispensable d’instituer, sur le modèle des débats précédant les conseils européens qui sont organisés dans chacune des assemblées, des auditions préalables aux réunions du Conseil des gouverneurs, devant les commissions des finances, de façon à ce que le gouvernement puisse recueillir l’avis du Parlement avant de participer à des réunions déterminantes pour le fonctionnement de la zone euro. Ces auditions devraient, à mon avis, être conclues par le vote de résolutions.

Des modalités de fonctionnement déjà critiquées

Selon les conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011, le MES, comme le FESF, « sera activé d’un commun accord, si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ».

Une différence majeure par rapport au FESF est que « des clauses d’action collective (CAC) figureront dans tous les nouveaux titres d’État d’une durée supérieure à un an qui seront émis dans la zone euro à partir de juillet 2013 ». Le régime juridique de ces clauses fait l’objet d’un travail préparatoire dont les mêmes conclusions disposent qu’il devra être achevé « pour la fin de 2011 ».

Le recours aux CAC ne fait pas l’unanimité. En effet, dans le cas de la zone euro, il équivaut à la reconnaissance explicite par ses membres que l’un d’entre eux est susceptible de faire défaut, ce qui pourrait accentuer le phénomène de « fuite vers la qualité » plutôt que de le freiner.

La réforme de la gouvernance économique de la zone euro

La Commission européenne a rendu publique le 29 septembre 2010 cinq propositions de règlements et une proposition de directives, qu’elle présente comme « le plus important renforcement de la gouvernance économique de l’Union européenne et de la zone euro depuis le lancement de l’Union économique et monétaire ». Un accord définitif n’a pas pu être trouvé avec le Parlement européen avant la réunion du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011, dont les conclusions se contentent de saluer les « progrès substantiels réalisés ».

Les propositions de la Commission européenne

La réforme du Pacte de stabilité et de croissance serait réalisée par trois règlements, qui reviendraient à instaurer un véritable fédéralisme en matière de politique budgétaire, pour les États de la zone euro. En effet, s’appuyant sur l’article 136 du TFUE, qui permet aux États de la zone euro de « renforcer la coordination et la surveillance de leur discipline budgétaire », ils prévoient notamment l’obligation de constituer un dépôt égal à 0,2 % du PIB, selon une procédure dite de « vote inversé » : le dépôt deviendrait exigible sur proposition de la Commission européenne, à moins que le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, ne décide du contraire dans les dix jours. La Commission européenne n’aurait elle-même pas compétence liée, mais disposerait d’une importante faculté d’appréciation.

Cette procédure de dépôt et de vote inversé s’appliquerait non seulement pour le volet répressif, mais aussi pour le volet préventif. D’autres sanctions seraient également possibles. En particulier, le dépôt pourrait être transformé en amende. On retrouve le caractère paradoxal de cette méthode qui, si elle ne demeure pas purement dissuasive, accroîtrait les difficultés des États en péril financier.

Le principal renforcement des règles serait la réforme du volet répressif. En effet, le seuil de déficit de 3 points de PIB ne serait plus le seul à faire l’objet de sanctions, mais ce serait également le cas du seuil de dette de 60 points de PIB.

La position du Conseil européen : l’adoption de sanctions par vote inversé impliquerait l’adoption préalable d’une recommandation à la majorité qualifiée

Le Conseil européen d’octobre 2010 a « fait sien le rapport du groupe de travail sur la gouvernance économique » présidé par Herman Van Rompuy. Ce rapport reprend les grandes lignes des propositions de la Commission européenne et en particulier chacun des éléments indiqués ci-avant.

En réponse à des questions posées par la Commission des finances du Sénat sur les principales différences, s’agissant de la surveillance budgétaire des États membres, entre les propositions initiales de la Commission européenne et les positions du Conseil européen, le gouvernement a fait parvenir la réponse suivante : « L’orientation générale du Conseil européen (et donc les conclusions du groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy) s’écarte toutefois légèrement des propositions législatives que la Commission européenne a adoptées le 29 septembre 2010. Concernant la procédure de surveillance budgétaire, les différences essentielles concernent (i) l’étape de la procédure à laquelle les sanctions seront imposées (la Commission européenne proposait que les sanctions soient imposées immédiatement, dès l’ouverture de la phase de procédure correspondante, par le biais d’un vote à la majorité qualifiée inversée ; l’orientation générale prévoit de conserver l’adoption par vote à la majorité qualifiée inversée, mais prévoit que la sanction financière sera infligée quand le Conseil européen constatera que les recommandations qu’il a précédemment émises n’ont pas été suivies d’effet). Par ailleurs, (ii) dans le cadre du volet préventif du Pacte, les propositions de la Commission européenne prévoyaient la possibilité de déclencher une procédure en cas de manquement aux principes d’une politique budgétaire prudente, fondée sur le niveau de dépenses publiques nettes des recettes discrétionnaires. Le rapport du groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy rajoute un deuxième critère, le solde structurel, qui était déjà présent dans le volet préventif issu de la réforme de 2005. »

À mon avis, il s’agit d’une orientation plus réaliste et donc substantiellement différente de l’approche de la Commission européenne. Le débat n’est pas clos…

Le rôle de la France dans sa propre sortie de crise

Une longue tradition de programmations non respectées

Trois types de programmations qui couvrent la totalité des administrations publiques

Les programmes de stabilité ont pour base juridique l’article 121 du TFUE4, relatif à la coordination des politiques économiques, et le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil européen du 7 juillet 1997, relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques. Depuis 2011, leur transmission aux autorités communautaires doit avoir lieu au mois d’avril de chaque année (et non au mois de décembre comme précédemment), dans le cadre du « semestre européen ».

L’article 50 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), introduit à l’initiative du Sénat, prévoit que le rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la nation (RESF – rapport économique, social et financier) « présente et explicite les perspectives d’évolution, pour au moins les quatre années suivant celle du dépôt du projet de loi de finances, des recettes, des dépenses et du solde de l’ensemble des administrations publiques détaillées par sous-secteurs et exprimées selon les conventions de la comptabilité nationale, au regard des engagements européens de la France ainsi que, le cas échéant, des recommandations lui ayant été adressées sur le fondement du traité instituant la communauté européenne ». Ainsi, pour la première fois, un exercice de programmation pluriannuelle a été annexé au projet de loi de finances pour 2003 dans le RESF.

À ces deux types de documents s’ajoutent les lois de programmation des finances publiques, également indicatives. Elles ont pour base l’avant-dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution, qui dispose, depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, que « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation, et s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Deux lois de programmation des finances publiques ont été adoptées : la loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 ; la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

Les trois types de documents sont très proches et présentent de nombreuses redondances.

Des règles qui ne permettent pas de respecter les programmations et d’atteindre les objectifs Des programmations jusqu’à récemment jamais respectées

L’évolution du solde public a été jusqu’à récemment largement indépendante des programmations qui se sont jusqu’en 2010 contentées de décaler, chaque année ou presque, l’objectif de retour à l’équilibre comme l’indique le graphique 15.

Des lois de programmation des finances publiques insuffisantes car non contraignantes

La première loi de programmation des finances publiques – loi n° 2009-135 du 9 février 2009 portant sur les années 2009 à 2012 – a d’abord été un échec relatif parce qu’elle reposait sur des hypothèses économiques dépassées avant même son entrée en vigueur. Par ailleurs, les différentes règles de gestion des finances publiques qu’elle prévoyait, comme la règle de « gage » des dépenses fiscales et des allégements des prélèvements obligatoires, n’ont pas été respectées ou ont été interprétées d’une manière leur faisant perdre l’essentiel de leur portée.

Lors de son examen de la deuxième loi de programmation (n° 2010-1645 du 28 décembre 2010), le Sénat a tenté de tirer les leçons de cet échec et ses amendements ont conduit à modifier profondément le texte adopté par l’Assemblée nationale. Les apports du Sénat ont notamment consisté à prévoir :

  • la définition des objectifs de dépenses en milliards d’euros définis année par année, afin qu’il soit possible de déterminer chaque année dans quelle mesure la norme est respectée ;
  • l’obligation du gouvernement de rendre des comptes précis sur l’exécution des lois de programmation et des programmes de stabilité ;
  • une disposition, insérée au rapport annexé (par un amendement du gouvernement, mais à l’initiative de la Commission des finances du Sénat), selon laquelle si la croissance était de 2 % par an au lieu de 2,5 %, cela impliquerait un effort supplémentaire au moins de 4 Md€ à 6 Md€ par an, qui reposerait sur « des mesures d’économies supplémentaires sur les dépenses et les niches fiscales ou sociales ».

Cependant, la principale faiblesse de la loi de programmation des finances publiques 2011-2014, comme de celle qui l’a précédée, est de ne présenter, par nature, aucun caractère contraignant.

La révision de la Constitution en cours de discussion

La confiance actuelle dans la capacité de la France à rétablir la soutenabilité de ses finances publiques ne va pas de soi et ne peut être tenue pour acquise. La décision, le 18 avril 2011, de l’agence de notation Standard & Poor’s de placer « sous perspective négative » la capacité des États-Unis à rembourser leur dette publique montre qu’aucun État ne peut s’estimer à l’abri d’une dégradation de sa notation qui s’accompagnerait sans doute d’un renchérissement de ses coûts de financement.

En outre, les perspectives à moyen terme des finances publiques françaises, telles que les évalue la Commission européenne, sont préoccupantes. Selon ses prévisions du printemps 2011, la France présenterait, en 2012, le quatrième déficit de la zone euro, après la Grèce, l’Irlande et l’Espagne. Dans ces conditions, le risque qu’elle se retrouve classée par les marchés parmi les « mauvais élèves » de la zone euro ne peut a priori être écarté.

Il convient de trouver une voie entre une rigueur excessive qui casserait la croissance et en laquelle ne croiraient pas les marchés et l’aisance à laquelle notre pays est habitué. Ce juste milieu passe par un retour progressif à l’équilibre qui parce qu’il doit se faire dans la durée ne sera jugé crédible que s’il s’appuie sur une trajectoire précise dont la mise en œuvre serait confirmée chaque année.

Pour tirer les leçons des outils existants, et notamment de l’échec relatif de la première loi de programmation des finances publiques, le président de la République, à l’issue de la première session de la conférence sur le déficit, le 28 janvier 2010, a annoncé la mise en place de quatre groupes de travail dont l’un chargé de réfléchir aux modalités de la mise en œuvre d’une règle constitutionnelle d’équilibre des finances publiques.

Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, a été chargé de présider ce groupe de travail par une lettre du Premier ministre en date du 1er mars 2010. Ce groupe comprenait seize membres dont les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées. Il a adopté son rapport6 le 21 juin 2010. L’objectif est de donner un contenu opérationnel et contraignant à « l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques », dont l’inscription à l’article 34 de la Constitution en 2008 n’a pas eu de conséquence pratique.

Sans attendre la constitution de ce groupe de travail, la Commission des finances du Sénat, dès le 9 février 2010, préconisait la mise en place d’une règle exprimée « en termes d’effort structurel », sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

Le rapport de ce groupe de travail, présenté en juin 2010, a très largement inspiré le projet de loi constitutionnelle adopté par le Conseil des ministres le 16 mars 2011.

Une « règle » d’équilibre mise en œuvre grâce à des lois-cadres Les lois-cadres d’équilibre des finances publiques

Le premier volet du projet de loi constitutionnelle réside en la mise en place d’une « règle » d’équilibre mise en œuvre grâce à une nouvelle catégorie de lois, dénommées lois-cadres d’équilibre des finances publiques (LCEFP), s’imposant aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale. Le texte proposé par la Commission des lois de l’Assemblée nationale en vue de la deuxième lecture dispose que les lois-cadres « fixent, pour chaque année, un plafond de dépenses et un minimum de mesures nouvelles sur les recettes qui s’imposent globalement aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale ». Il s’agit donc d’une règle d’effort structurel.

Pour les raisons exposées par la Commission des finances du Sénat dans son rapport pour avis sur le projet de loi constitutionnelle7, il a été exclu de retenir une règle définie en termes de solde structurel, compte tenu de l’absence de consensus en France sur le niveau et l’évolution du solde structurel et du fait que le déficit structurel évolue notamment en fonction des fluctuations spontanées de l’élasticité des recettes publiques par rapport au PIB.

La règle ainsi énoncée existe déjà dans notre droit, à un niveau, il est vrai, non juridiquement contraignant, depuis l’entrée en vigueur de la deuxième loi de programmation des finances publiques.

Une conformité à la loi-cadre contrôlée par le juge constitutionnel

Le projet de loi constitutionnelle choisit de confier au Conseil constitutionnel le rôle de juge de la conformité des lois financières annuelles aux prescriptions de la loi-cadre. À l’issue de la première lecture dans chacune des assemblées, il ressort que le contrôle de conformité à la loi-cadre sera automatique et dès lors que la trajectoire en recettes est exprimée de manière consolidée, il portera conjointement sur la loi de finances et la loi de financement de la Sécurité sociale.

De manière générale, on peut regretter que la discussion de ce projet de loi constitutionnelle reste très théorique, sans explicitation des modalités concrètes d’application de la nouvelle règle d’équilibre par le Conseil constitutionnel. En particulier, le souci exprimé par la Commission des finances du Sénat de prévoir les conséquences d’une éventuelle non-conformité à la loi-cadre d’une loi financière, de façon à prévenir une situation d’incertitude sur la capacité de la France à exécuter son budget et ses conséquences probables sur le coût de financement de sa dette publique, a été peu entendu jusqu’ici, même s’il est admis que ce dispositif devra être intégré à la loi organique à adopter en application de la réforme constitutionnelle.

Une condition de l’efficacité : retenir une hypothèse de croissance prudente

Sur le fond, le projet de loi constitutionnelle, schématiquement, se contente de conférer un caractère contraignant au dispositif des actuelles lois de programmation des finances publiques, sans rien imposer en matière d’effort de réduction du déficit. Pour que le dispositif soit efficace sur ce point, l’enjeu est celui de la fiabilité des hypothèses économiques qui fondent les choix budgétaires du gouvernement.

Par le passé, pratiquement aucune programmation n’a été respectée en ce qui concerne le solde effectif en raison notamment d’hypothèses optimistes en matière de croissance du PIB (2,5 % ou 3 % en volume, contre 2 % en exécution sans la crise). La question des hypothèses économiques retenues est donc au moins aussi importante que celle de la définition de la règle d’équilibre elle-même, la prudence des hypothèses étant l’une des conditions de l’effectivité de la règle.

En effet, des hypothèses économiques trop optimistes conduisent à « sous-calibrer » les efforts nécessaires en recettes et en dépenses rendant ainsi la règle inopérante. Or une règle qui ne permettrait pas de respecter la trajectoire de solde effectif ne serait pas considérée comme un « frein à la dette » efficace par les observateurs et perdrait donc sa crédibilité.

En tout état de cause, la question des modalités de fixation des hypothèses économiques devra être traitée car il est manifeste que les choses bougent dans le sens préconisé de longue date par le Sénat. La proposition de directives sur les cadres budgétaires nationaux en cours de discussion recommande aux États de construire leurs prévisions en fonction de scénarios alternatifs, l’un probable, l’autre plus prudent. Dans sa récente évaluation de la situation de la France, le FMI a recommandé de confier des prévisions à un organe indépendant. Diverses références étrangères existent en ce domaine.

Le vote du Parlement sur le projet de programme de stabilité

En application de l’article 14 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, inséré à l’initiative de la Commission des finances du Sénat, « à compter de 2011, le gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne en application de l’article 121 du TFUE, le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote ».

Ainsi, pour la première fois, le Sénat a débattu et s’est prononcé, le 27 avril 2011, par un vote favorable, sur la déclaration du gouvernement sur le projet de programme de stabilité en application de l’article 50-1 de la Constitution. Si la réforme en cours aboutissait, cette nouvelle obligation légale deviendrait une obligation constitutionnelle.

Cette évolution du droit constitue une avancée significative. Il n’en reste pas moins que les possibilités pour le Parlement de peser sur la définition de la trajectoire de convergences existent moins lors de la discussion du programme de stabilité, qu’il ne peut qu’approuver ou rejeter, que lors de l’examen des lois de programmation des finances publiques ou, demain, des lois-cadres, qu’il peut amender.

Le monopole des lois financières sur les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires

Les dispositions du projet de loi constitutionnelle ayant suscité le plus de débats sont celles relatives au monopole des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale sur les dispositions inhérentes aux prélèvements obligatoires de l’État et des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale.

Le 4 juin 2010, sans attendre l’issue des travaux du groupe de travail animé par Michel Camdessus, le Premier ministre a émis une circulaire « relative à l’édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la Sécurité sociale ». Depuis lors, aucun projet de loi n’a dérogé à ces instructions.

Pour justifier sa recommandation d’instituer le monopole des lois financières sur les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires, le rapport Camdessus reprend à son compte un extrait de la note que lui ont adressée le président et le rapporteur général de la Commission des finances du Sénat : « Une révision en ce sens de la Constitution est une condition de la cohérence des orientations en matière de finances publiques puisque chaque mesure coûteuse serait appréciée non seulement au regard de ses effets sectoriels, mais également sur le solde des administrations publiques. Elle serait également facteur de hiérarchisation des priorités de l’action publique puisque les mesures sectorielles se feraient concurrence entre elles, ne pouvant être toutes retenues. »

Une telle réforme de bon sens se heurte cependant à des réticences au sein des assemblées parlementaires où elle est parfois perçue comme susceptible de porter atteinte à l’initiative parlementaire et comme interdisant d’examiner les principales réformes structurelles dans leur globalité, dès lors que le volet fiscal en serait disjoint.

Pour tenter de concilier les préoccupations de chacun, aussi bien l’Assemblée nationale que le Sénat ont tenté de trouver des formules intermédiaires en imaginant une nouvelle procédure d’irrecevabilité à l’article 41 de la Constitution ou en proposant que toute disposition relative aux prélèvements obligatoires devienne caduque si elle n’a pas été « ratifiée » par une loi financière.

Sans savoir à ce stade quel sera le dispositif finalement retenu, on peut se contenter de regretter qu’une mesure aussi symbolique de la volonté de redresser les comptes publics n’emporte une large adhésion. Il faut y voir les effets d’une culture économique encore marquée par le sentiment si répandu que les questions de finances publiques seront toujours réglées par un deus ex machina susceptible de trouver des solutions indolores, sans remise en cause des habitudes et des petites ou grandes lâchetés de notre République…

Il peut paraître surprenant de consacrer un article portant sur les politiques de sortie de crise à des questions essentiellement juridiques ou institutionnelles. Peut-être l’importance prise par ces aspects illustre-t-elle d’ailleurs une forme d’impuissance face à l’évolution du cours des choses. Les entretiens du général de Gaulle avec Alain Peyrefitte nous rappellent à cet égard que lors de la préparation de la loi de finances pour 1965, après avoir été tenté par une règle constitutionnelle d’interdiction des « impasses », le général préféra conserver « les mains libres ». Il disait : « Supposez une guerre, une dépression économique grave dont on ne puisse sortir qu’en recourant à l’emprunt, que sais-je ? On ne peut jamais savoir. La vie est imprévisible. Nous devons nous fixer des règles à nous-mêmes, mais ne pas nous les imposer artificiellement, pour une période future dont nous ignorons tout. »

Cependant, l’expérience des quarante dernières années nous enseigne que les règles que l’on s’impose à soi-même ont leurs limites. Surtout, la crise de l’euro ne pourra être surmontée qu’au prix d’une extrême discipline de la part de l’ensemble des États de la zone.

Dans ces conditions, que ce soit pour montrer l’exemple aux États moins bien notés qu’elle ou pour préserver cette notation qui garantit encore sa relative indépendance à l’égard de ses créanciers, donc sa pleine souveraineté, la France a intérêt à se protéger en souscrivant à l’ensemble des règles susceptibles de lui permettre de respecter la trajectoire de finances publiques que le Parlement a approuvée et qui correspond à ses engagements au sein de la zone euro.

Cet article a été finalisé le 1er juillet 2011.


Notes

1 Voir : Buiter W. et al. (2011), « The Debt of Nations », Citrigroup, 7 janvier.
2 Qui prévoit que « lorsqu’il octroie la garantie de l’État […] et lorsque le FESF apporte un financement ou consent des prêts, le ministre chargé de l’économie informe les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ».
3 Lors du passage du FESF au MES, la capacité de prêt consolidée ne doit pas dépasser ce montant.
4 Ex-article 99 du traité instituant la communauté européenne.
5 Les causes de ce non-respect (principalement des hypothèses de croissance du PIB et d’évolution des dépenses publiques trop optimistes) sont détaillées notamment dans le rapport n° 78 (2010-2011) de la Commission des finances sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, ainsi que dans son rapport d’information n° 456 (2010-2011) consacré au projet de programme de stabilité 2011-2014.
6 Groupe de travail présidé par Michel Camdessus et intitulé « Réaliser l’objectif constitutionnel d’équilibre des finances publiques », 21 juin 2010.
7 Avis n° 591 (2010-2011) de Jean Arthuis et Philippe Marini, 8 juin 2011.