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 In memoriam

Au regard de l’écosystème qui domine aujourd’hui en France, Jean-François Vincensini n’avait que des défauts.

Par ses désamours en premier lieu. Il n’aimait pas le compromis. Plus intransigeant que lui, dans notre haute fonction publique, il n’y en avait pas beaucoup. La lutte contre l’inflation dans les années 1980, l’aide raisonnée aux pays émergents dans les années 1990, la supervision du système bancaire dans les années 2000 constituaient des thématiques qui, pour lui, ne souffraient d’aucune concession. Il était, en effet, rigoureux, sa formation d’ingénieur le prédisposant à ce travers. Certains, mal intentionnés et généralement incompétents, le disaient vétilleux. Mais n’existe-t-il pas une différence fondamentale entre M2 et M3, deux définitions de la masse monétaire, que de nombreux hommes (et femmes) politiques, comme aussi nombre d’économistes, confondent par manque de rigueur, différence qui nous a coûté si cher depuis les années 1990 et que la crise actuelle rappelle à notre bon souvenir ?

Il n’aimait pas la microéconomie. Macroéconomiste de formation, il considérait que la fascination qu’exerçaient les entreprises et les chefs d’entreprise brouillait la perception des politiques sur les grands enjeux économiques. Mal lui en a pris lorsqu’il fut nommé conseiller économique à Matignon en 1988.

Il n’aimait pas l’idée même de soumission de la banque centrale au pouvoir politique. Nous étions dans les années 1980 et ils étaient bien peu nombreux à considérer que l’indépendance de la Banque de France était le seul moyen de conduire une politique économique digne de notre temps. Que d’autres combats, tous techniques, a-t-il menés pour mettre en place en France une politique financière rigoureuse et débarrassée de toute préoccupation partisane !

Mais ses amours étaient aussi, souvent, politiquement incorrects.

Il aimait l’État. Mais un État rigoureux et implacable qui ne s’embarrassait pas d’interventions politiciennes, mais se montrait intraitable sur la poursuite de ses missions régaliennes, la finance faisant partie intégrante de ces missions.

Il aimait la politique monétaire. C’était même sa seconde épouse (que la première lui pardonne…). Il croyait en elle et ne pouvait qu’être déçu de son impuissance croissante depuis le début des années 2000 et a fortiori depuis l’éclatement de la crise. Pour rester son ami, il ne fallait ainsi jamais prononcer la fatale expression de QE, le quantitative easing, dernier avatar du laxisme monétaire.

Il aimait aussi l’Afrique où il était né, à Dakar. Lorsqu’il était de bon goût d’être afro-pessimiste, dans les années 1990, il se battait en tant que commissaire du gouvernement auprès de l’Agence française de développement pour ce continent dont il a senti, avant tant d’autres afro-optimistes d’aujourd’hui, le potentiel de croissance.

Jean-François Vincensini avait bien d’autres amours et mésamours qui l’opposaient à nombre de ses interlocuteurs. Mais il avait une qualité que tout le monde doit lui reconnaître : il aimait la REF. Il avait participé à sa création, siégé à son Comité de rédaction et avait même assuré la fonction de délégué général de l’AEF. Malade, il en était toujours resté un fidèle lecteur et bien qu’il ait été obligé de réduire son activité professionnelle, il avait continué sans relâche de dialoguer parfois de manière critique avec le Comité de rédaction de la Revue.

Fidèle mais critique. Comme il l’a toujours été.

La Revue d’économie financière