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Cercle Turgot – Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion

18/06/2019 AEFR Visiter le site source

Accueilli par Jean-Louis Chambon, président-fondateur du Cercle Turgot, Édouard-François de Lencquesaing, président de l’European institute of financial regulation (EIFR) a donné une conférence éclairante sur l’industrie de la finance et la portée de son activité dans la compétition internationale. 

Nous traversons des moments historiques civilisationnels parsemés d’aiguillages primordiaux pour notre avenir. La démocratie était vantée comme un bien universel qui allait naturellement s’imposer au monde entier. En Europe, cette culture et ses valeurs, actuellement contestées, ont abouti au modèle d’économie sociale de marché. Ce bien commun unique, en péril, se différencie des modèles américains et chinois. Pour assurer sa pérennité, il est de notre responsabilité d’expliquer notre système et de lui faire atteindre une masse critique opérationnelle. Le Brexit prouve concrètement la gravité de quitter l’Europe. Il symbolise aussi cruellement une tragédie imputable à un travers qui mine la démocratie, à savoir la cabale mensongère dans une campagne de référendum ou d’élection. Cet événement dramatique sonne comme un réveil pour les 27 membres restant. Le projet d’une Union européenne achevée apparaît dès lors bien plus prioritaire à nos yeux que l’avenir de l’Angleterre. La quatrième révolution industrielle que nous entamons s’annonce colossale. Les GAFA augurent une vague de changements majeurs de la société. Pour faire partie des acteurs qui comptent dans ce chambardement, nous avons besoin d’innovation et de capitaux. Nous nous trouvons sur le pas d’une guerre de financement qui implique que les régions, les pays prennent des risques. Nos réflexes de protection prudentielle doivent laisser de la place à un appétit du risque contrôlé. La quatrième révolution industrielle sera pilotée par son côté entrepreneurial qui demandera de mobiliser des processus de marché et de muter vers une culture du risque. Cela implique d’adapter nos instruments, puisqu’aujourd’hui, 80 % du financement de l’économie arrive par le crédit contre 20 % par le marché. La mutation vient aussi du climat et de l’environnement, avec bientôt un milliard et demi de Chinois, un milliard et demi d’Indiens et deux milliards d’Africains qui entendent consommer. Les matières premières et les ressources ne sont pas durables au point de satisfaire tout le monde. L’Europe parle d’une mobilisation de mille milliards par an sur ce thème. Ils seront dévolus à la révision de domaines comme la construction, la nutrition, l’énergie… c’est-à-dire à révolutionner notre mode de vie là encore. La dernière révolution d’importance émane de la globalisation. Pour l’instant, l’Europe se situe entre deux rouleaux compresseurs, la Chine et les États-Unis. Dans la gouvernance du monde prochain (dans le style du G20, affranchie de la domination américaine), des décisions collectives seront à prendre. Le défi sera de participer, autour de la table des négociations, à la définition des processus internationaux pour les décennies suivantes. Dans ce contexte, pour faire partie des influenceurs écoutés, il faut une dimension et une puissance minimum. Chaque pays membre de l’UE pris individuellement n’atteint pas ce seuil. Par contre, l’Europe s’impose comme la première économie de la planète et regroupe plus de 500 millions d’individus. Elle représente pour les 27 l’entité respectable évidente. Cependant, multiculturelle, multilingue, bref diverse, elle ne reçoit pas l’adhésion de ses ressortissants. Alors pour les convaincre de ses atouts qualitatifs, il faut mettre en exergue nos intérêts communs. Comment faire afin que chaque nationalité, pour préserver son égoïsme propre, soit persuadée qu’elle a besoin des autres européens ? L’Europe des experts fait : directive, règlement, normalisation. Mal perçue par le citoyen, elle répond à la demande de pragmatisme des entreprises qui veulent accéder à un marché unique standardisé de 500 millions de personnes. Pour contrer cette incompréhension utilisée par quelques politiques, l’Union doit communiquer sur ses valeurs communes et son histoire partagée afin de rassembler ses populations. Les crises ont entraîné une avancée du processus européen. Des outils efficaces existent. Le problème vient de la caricature permanente du système. Sa bureaucratie ou son manque de démocratie font l’objet de critiques incessantes. Or en réalité, la commission européenne et l’administration de la ville de Paris ont des dimensions équivalentes. Sachant que 50 % des actifs à la commission font de la traduction, la bureaucratie se situe-t-elle vraiment à Bruxelles ? De même, en politique intérieure, les décisions européennes sont beaucoup décriées, mais toutes sont prises collectivement. Dans notre confédération, chaque État y participe par la voie de ses élus. L’Europe doit s’appuyer sur des politiques industrielles absolument indispensables dans les secteurs de l’énergie, du numérique, du climat et de la finance. La Chine et les États-Unis ne font pas autre chose. « America first » est une vision stratégique. Nous ne proclamons pas « Europa first ». La finance, élément fondamental, doit être mobilisée pour répondre aux révolutions en cours. L’appétit au risque des pays, des entreprises et des banques forme le carburant alimentant le moteur qui va créer de la valeur. Sans cela, point de mouvement, le système stagne inerte. Chacun a bien connaissance du dilemme de notre société. D’un côté, les épargnants ont de l’argent mais ne veulent pas prendre de risque. De l’autre côté, les entrepreneurs veulent développer en ayant conscience du risque d’échouer. Pour gérer cette asymétrie, l’intermédiaire s’appelle la finance. Il faut la voir comme une usine de transformation du risque. Les choix d’allocation de ressource doivent simplement reposer sur du bon sens. Si le pouvoir ne croit pas que les banques ont la capacité de se surveiller, il leur impose à la fois des capitaux propres et des comités de risque, soit une double charge. Mais c’est bien le mouvement, contrairement à l’immobilisme, qui génère de la valeur, source de sécurité et de protection. La finance oblige à faire des choix visionnaires. La réglementation adaptée qui en découle établit l’é quilibre entre trois paramètres, la croissance, la sécurité et la solidarité. Les acteurs du secteur en dépendent. Ainsi, depuis la crise, les cinq premières banques américaines sont passées de 45 % de parts de marché domestique à 65 %. La volonté de consolidation apparaît nettement. Simultanément, en Europe, les cinq premières banques européennes ont conservé le même volume de parts de marché domestique, 22 %. L’écart de force entre l’industrie financière américaine et l’industrie financière européenne, sachant que les marchés intérieurs présentent la même taille, est passé d’un facteur deux à trois, soit trois fois notre puissance de feu. Résultat, dans les marchés de capitaux où nous sommes faibles, les américains sont en passe de nous financer à environ 50 % . On note là un souci d’option politique qui touche à notre souveraineté. Souhaite-t-on externaliser l’ensemble des financements du continent à une puissance étrangère ou souhaite-t-on en conserver la maîtrise ? La régulation appelle une discussion entre régulateur et régulé qui réclame de la vigilance. Ce n’est pas une négociation de lobbies qui défendent des intérêts catégoriels. Les lobbies décrédibilisent. Par ailleurs, l’administration ne détient pas le monopole du bien public. Il appartient aux experts du secteur privé, dans les échanges, de démontrer leur motivation pour le bien commun (et non pas pour les boni). Ils peuvent apporter leur collaboration à la construction d’une régulation responsable correspondant à une stratégie. Un dialogue de régulateurs entre zone se tient également à l’échelle mondiale. Il s’appuie sur de la confiance. Lorsque les USA ne font pas confiance à la qualité de la surveillance ou de la régulation, elles tentent de se substituer au cadre et recourent à l’extraterritorialité. Si demain d’autres faisaient de même, la situation deviendrait ingérable. La convergence de règles, des best practices semblent incontournables pour aller vers de la subsidiarité et de la reconnaissance d’équivalence, c’est-à-dire vers une dynamique de confiance.

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