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Le statut de lanceur d’alerte : quelles actions à mener pour les entreprises en 2017 ?

06/02/2017 EY Visiter le site source

Elle crée également le statut de lanceur d’alerte et impose, en fonction des effectifs de l’entreprise, la mise en place de nouvelles procédures.

Ainsi, les employeurs occupant au moins 50 salariés doivent introduire des procédures de recueil des alertes permettant de rendre effectives les actions des lanceurs d’alerte.

La notion de lanceur d’alerte n’est pas une création de la loi Sapin II et de nombreuses entreprises appliquent déjà des procédures d’alerte.

Issus notamment de la loi américaine Sarbanes-Oxley du 30 juillet 2002, ces dispositifs d’alerte éthique (« whistleblowing »), obligatoires pour les filiales françaises de sociétés américaines, facultatifs pour les autres sociétés implantées en France, visent à encourager les salariés à dénoncer certaines pratiques illégales constatées au sein de leur entreprise.

En l’absence d’intervention du législateur, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), par une succession de préconisations, est venue encadrer ce dispositif d’alerte éthique, l’objectif étant de protéger les droits des salariés, comme des personnes objet de l’alerte.

Par la suite des dispositions législatives éparses ont été prises pour protéger les lanceurs d’alerte dans des domaines précis (tels que la corruption2, les conflits d’intérêts concernant un responsable public3, les risques graves pour la sécurité des produits à finalité sanitaire ou cosmétique4, les risques graves pour la santé publique ou l’environnement5 ou encore les risques graves liés aux produits ou procédés de fabrication utilisés dans l’établissement6).

La loi Sapin II, érige un réel statut de lanceur d’alerte, applicable quel que soit l’objet de l’alerte, et la plupart des dispositions éparses précédentes sont ainsi abrogées. Elle met également expressément à la charge des entreprises l’obligation de mettre en place des dispositifs d’alerte et de protéger les lanceurs d’alerte.

Une définition large du lanceur d’alerte

Le lanceur d’alerte est une « personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Ainsi, le lanceur d’alerte ne peut pas être une personne morale et il est nécessairement désintéressé : aucun système d’octroi de récompense ne pourrait donc être mis en place ?

Par principe, il est de bonne foi, ce qui signifie que si l’information fournie s’avère erronée, sa responsabilité ne sera pas engagée. On peut toutefois penser que rapporter la preuve que le lanceur d’alerte avait connaissance de la fausseté des informations divulguées, permettra de renverser cette présomption de bonne foi.

L’objet de l’alerte, jusqu’ici cantonné à des domaines précis (corruption…), devient des plus larges : les crimes et délits, les violations « graves et manifestes » d’un engagement international, de la loi ou du règlement ou encore la menace ou le préjudice « grave » pour l’intérêt général.

Il est toutefois fait exception des faits ou informations couverts par « le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client » lesquels sont exclus du régime de l’alerte.
Enfin, la loi a souhaité éviter les lanceurs d’alerte « de second rang » en précisant que celui-ci doit avoir « personnellement » eu connaissance des faits à signaler. Il ne doit pas avoir reçu une information détournée ou avoir déduit une infraction sans la constater lui-même, pour bénéficier du statut protecteur.

Nombre de ces notions apparaissent, à ce stade, subjectives et seront sujettes à interprétation et contentieux.

La mise en place d’une procédure de recueil des signalements

Est donc créée, pour les employeurs occupant au moins 50 salariés, l’obligation de mettre en place des « procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels », tels que les salariés des entreprises prestataires ou les intérimaires.

Cette obligation concerne les employeurs de droit public ou privé occupant au moins 50 salariés mais également les « administrations de l’Etat, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions ».

Les conditions de mise en œuvre de cette procédure seront précisées par décret (attendu en mars 2017).

Une seconde obligation pèse sur l’employeur : il devra garantir la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte, de celle de la personne objet de l’alerte et du contenu de l’alerte, sous peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. La procédure mise en œuvre devra donc permettre la confidentialité des données liées à l’alerte (sauf à l’égard des autorités judiciaires).

Par ailleurs, la procédure d’alerte devra se déployer en plusieurs étapes.

L’alerte devra tout d’abord être signalée au « supérieur hiérarchique, direct ou indirect » ou « à un référent désigné par celui-ci ». La désignation d’un référent n’empêche pas a priori le lanceur d’alerte de s’adresser à son supérieur ou à l’employeur directement. Il est possible d’éluder cette première étape « en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles ».

Faute de réaction de ce destinataire « dans un délai raisonnable », le signalement est adressé à l’autorité judiciaire à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels. Il n’est pas précisé par quels moyens le signalement est transmis.

Ce n’est qu’à ce stade et faute de traitement de l’alerte dans les trois mois de la saisine que le signalement peut être rendu public.

Enfin, le lanceur d’alerte peut en tout état de cause « adresser son signalement au Défenseur des droits afin d’être orienté vers l’organisme approprié de recueil de l’alerte ».

Rappelons que les dispositifs d’alerte professionnelle, qui permettent de contrôler l’activité des salariés et/ou de recueillir des données à caractère personnel, doivent donner lieu à information et consultation préalable du comité d’entreprise, voire du CHSCT, compte-tenu de leur éventuel impact sur les conditions de travail des salariés et qu’ils doivent faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL (simplifiée ou normale selon son contenu).

Un lanceur d’alerte largement protégé

Le lanceur d’alerte bénéficiera d’un double niveau de protection.

D’un point de vue professionnel d’abord, le principe de non-discrimination est étendu au lanceur d’alerte en droit privé7 comme dans la fonction publique8. Le lanceur d’alerte bénéficie ainsi d’un droit à réintégration si une mesure discriminatoire de rupture du contrat de travail est prise à son encontre et d’un aménagement des règles de preuve en cas de litige. La Cour de cassation n’avait néanmoins pas attendu la publication de la loi Sapin II pour prononcer la nullité du licenciement d’un salarié auquel il était reproché d’avoir dénoncé aux autorités judiciaires les agissements de plusieurs dirigeants susceptibles de constituer une escroquerie ou un détournement de fonds publics.9

Le lanceur d’alerte dispose en outre, en cas de rupture du contrat, du droit de saisir le Conseil de prud’hommes en référé.

D’un point de vue pénal ensuite, il ne pourra être reproché au lanceur d’alerte la violation d’un secret protégé par la loi à condition que la divulgation de ce secret ait été « nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause » et qu’elle intervienne dans le respect des procédures de signalement définies par la loi10.

Le statut de lanceur d’alerte est enfin protégé par la création d’une infraction d’ « obstacle à un signalement » laquelle est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. En outre, les plaintes pour diffamation portées contre un lanceur d’alerte peuvent donner lieu à une amende civile d’un montant de 30 000 euros.

L’ensemble de ces dispositions invite à procéder à l’audit des mesures existant au sein des entreprises (charte éthique, code de conduite...) afin de les adapter et de mettre en place les nouvelles règles instaurées par la loi Sapin II. Il pourra être judicieux d’analyser leur articulation avec les obligations maintenues dans certains textes relatifs au témoignage de salariés en matière de harcèlement moral, sexuel ou discrimination qui restent en vigueur.

Il s’agira également d’envisager avec précaution la communication spécifique qui pourrait être faite auprès des salariés lors de la mise en place des mesures appropriées.


1 « La loi Sapin II : le dispositif de lutte anti-corruption », LJF du 13 décembre 2016

2 Code du travail, art. L 1161-1

3 Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013, art. 25

4 Code de santé publique, art. L 5312-4-2

5 Code de santé publique, art. L 1351-1-2

6 Code du travail, art. L 4133-5

7 Code du travail, art. L 1132-3-3

8 Article 6 ter A de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983

9 Cass. soc., 30 juin 2016, n°15-10.557

10 Code pénal, art. 122-9

 

Céline Tancré (03 28 04 36 47) et Paule Welter (03 28 04 37 07)