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 La structure des banques européennes : faut-il remettre en cause le modèle de banque universelle ?


Frédéric OUDÉA Président-directeur général, Société générale.
Les banques jouent un rôle clé dans l’économie de la zone euro en matière de financement à la fois par leur rôle d’intermédiation du crédit et de l’épargne, de transformation entre ressources court terme et besoins de financements long terme et de couverture des risques des acteurs non financiers. La crise récente conduit à renforcer de façon drastique la réglementation prudentielle s’appliquant aux banques entraînant des transformations majeures dans le système bancaire de la zone euro qui s’adapte en conséquence. C’est le prix à payer afin de renforcer la stabilité du système financier et de l’économie en général. Par contre, les mesures envisagées par certains pays très touchés par la crise financière, telles que la séparation ou l’interdiction d’activités, ne sont pas nécessairement appropriées ni pertinentes dans le contexte de la zone euro. Elles sont de nature à affaiblir un modèle bancaire qui a fait ses preuves, y compris lors de la crise.

L’objectif du débat sur la structure des banques en Europe doit être de renforcer la stabilité financière et de préserver les déposants et les contribuables. Mais la réflexion ne peut se faire sur des bases pertinentes sans prendre également en compte la structure de financement de l’économie, le rôle joué par les banques et la résilience passée des modèles existants. Une telle approche globale de la problématique est indispensable afin d’estimer de la façon la plus objective possible l’efficacité des différentes mesures et réformes envisagées, qu’elles soient de nature prudentielle ou plus structurelle.

Le financement de l’économie de la zone euro et les modèles bancaires

Le rôle clé des banques dans le financement de l’économie de la zone euro

Les banques sont des acteurs majeurs dans le circuit de financement de l’économie de la zone euro par leur rôle d’intermédiation directe (crédits bancaires, produits d’épargne bilanciels…) ou indirecte (interventions diverses sur les marchés d’actions ou d’obligations). L’économie de la zone euro, à l’image des autres économies « matures », se caractérise par un excédent de financements nets en provenance des ménages qui couvrent les besoins de financement net des sociétés non financières et des administrations publiques. Ainsi, le patrimoine financier des ménages, principaux pourvoyeurs d’épargne financière, est en grande partie intermédié sous forme de dépôts bancaires ou via des placements en produits d’assurance et d’OPCVM qui représentent plus des trois quarts des placements des ménages. De même, les sociétés non financières, telles que les entreprises industrielles et commerciales, font majoritairement appel aux banques pour satisfaire leurs besoins de financement. Le crédit bancaire représente ainsi une proportion prédominante du financement de leur endettement (80 % pour la zone euro, contre 30 % pour les États-Unis).

Au-delà de leur rôle d’intermédiaires, les banques assurent un rôle fondamental de transformation qui les différencie des autres institutions financières (tels que les assureurs et les fonds de pension). En effet, les banques transforment des flux d’épargne structurellement de court terme et liquides vers des besoins de financement de long terme et généralement moins liquides.

Enfin, au sein des banques, les départements de banque de financement et d’investissement (BFI) apportent des services fondamentaux à leurs clients grandes entreprises ou investisseurs. Accompagnant leurs clients dans de nombreux secteurs, la BFI offre des solutions sur mesure en s’appuyant sur son expertise globale en matière d’investissements, de financements et d’activités de marché. Les banques européennes jouent ainsi un rôle actif dans le financement de l’économie réelle en Europe, mais accompagnent aussi leurs clients en Asie, en Amérique du Nord et au Moyen-Orient, notamment via le financement de nombreux projets.

Au-delà des besoins de financement, la couverture de leurs risques financiers est aussi essentielle aux entreprises pour assurer leur pérennité et leur permettre de se concentrer sur leurs risques métiers ou industriels. De telles couvertures sont indispensables pour leur éviter de subir des risques exogènes résultant de leurs activités commerciales (risque de taux, de change, de prix sur les matières premières…). Les banques déchargent les entreprises de ces risques et les gèrent de manière globale et maîtrisée. Parmi les différents intervenants de la sphère financière, seules les banques sont à même de proposer des solutions intégrées à leurs clients, englobant financements et couvertures des risques.

La pertinence économique du modèle de banque universelle et sa résilience durant la crise

L’économie de la zone euro repose sur un système financier fondé en grande partie sur un modèle de banque globale et diversifiée souvent appelé « banque universelle ». La crise, d’une certaine manière, a conforté la pertinence du modèle qui a démontré sa résilience. Celui-ci se fonde sur une orientation client forte, une gestion rigoureuse et une grande diversification des risques et se distingue des conglomérats d’activités disparates organisés prioritairement autour d’un axe produit. Il s’articule autour de trois composantes clés : le client, la durée et le risque.

Les banques universelles ont pour caractéristique de proposer à une clientèle diversifiée à la fois des services de banque de détail et de banque d’investissement. Elles peuvent accompagner leurs clients tout au long de leur vie en répondant à l’ensemble de leurs besoins de financement, mais aussi de couverture de leurs risques. En ce sens, elles constituent un vecteur important du financement de l’économie réelle et notamment des secteurs industriels. Cette possibilité pour le client de réaliser un one stop shopping dans sa banque est facilitée par une véritable approche globale du client par la banque. Elle perçoit en effet ses besoins sur le long terme et appréhende de manière très complète les différents risques financiers liés à son développement. Enfin, les banques universelles utilisent toutes les synergies entre leurs différentes activités pour améliorer leur perception et leur diversification du risque, réduire leurs coûts et optimiser les services rendus à leurs clients. Quand les équilibres managériaux et de gouvernance sont respectés, ce modèle favorise la contribution de l’industrie financière à l’économie réelle avec un niveau optimisé de risque et de consommation de capitaux.

Durant la crise financière de 2008, les banques universelles de la zone euro ont fait preuve de résilience et ont soutenu le système financier par la solidité de leurs fonds propres et leur capacité à conserver la confiance des investisseurs et des épargnants. Leur taille et la diversification de leurs risques en termes de produits, de clients et de présence géographique leur permettent de faire face aux crises et aux inflexions des cycles économiques :

  • la diversification permet d’allouer des ressources et d’accompagner les entreprises dans la durée, y compris en cas de phases de plus grande difficulté ;
  • l’augmentation du coût du risque des PME dans un cycle économique national difficile est atténuée par la présence internationale ;
  • la décorrélation des coûts du risque entre les marchés peut compenser les variations de cycle fortes.

A contrario, les acteurs qui ont le plus pâti de la crise s’avèrent être les banques spécialisées (Northern Rock, Lehman Brothers) ainsi que les banques universelles qui ont été défaillantes dans la gestion de leurs risques. Les mêmes causes reviennent systématiquement dans l’analysedes raisons qui ont fragilisé les banques conduisant même certaines à la faillite. On peut en dénombrer principalement trois :

  • une surconcentration d’actifs peu liquides, souvent des actifs très classiques de crédit ;
  • une dépendance exagérée au refinancement à court terme ;
  • un effet de levier très important.

Il est évident que les acteurs financiers, maillons clés de la chaîne, ont collectivement une part de responsabilité dans la crise, mais la situation est très variable d’un pays à l’autre.

Aux États-Unis, des pans entiers du système financier échappaient totalement à la régulation et à tout contrôle. C’est notamment le cas du marché des subprimes : des courtiers, aux origines professionnelles diverses et variées, démarchaient des particuliers pour leur proposer des prêts sans se soucier des capacités de remboursement du capital, ni même de paiement des intérêts. Les banques d’investissement américaines titrisaient ensuite ces actifs pour les revendre sous forme de boîtes noires à des investisseurs du monde entier. En Irlande, une bulle immobilière alimentée par le crédit s’est développée et l’éclatement de cette bulle a durement frappé les institutions financières les plus exposées. Par exemple, l’Anglo Irish Bank, une petite banque de détail, pourrait coûter à l’État irlandais environ 35 Md€.

Il est donc clair qu’un système de régulation fragmenté ou défaillant, qu’il s’agisse de mécanismes de marché ou d’activités de crédit très classiques, peut conduire à de grandes difficultés, et ce, indépendamment de l’organisation ou de la structure des banques. Dans ce contexte, la structure des banques ou les activités de marché sont moins en cause qu’une bonne gestion de la liquidité et des risques et le respect de règles prudentes de diversification. À ce titre, la qualité de la supervision et la proximité du superviseur avec les banques qu’il surveille jouent aussi un rôle crucial dans la sécurité du système financier.

Les réformes prudentielles en cours

Tirant les leçons de la crise, de très nombreuses réformes législatives et réglementaires internationales, européennes et nationales sont en cours d’élaboration en matière prudentielle. Toutes auront un impact important sur les banques et leur rôle dans le financement de l’économie.

Bâle III est le nouveau cadre réglementaire international pour les banques établi par le Comité de Bâle, qui regroupe les principaux régulateurs bancaires mondiaux, et approuvé par les chefs de gouvernement lors du sommet du G20 à Séoul en novembre 2010. Ses objectifs sont d’« améliorer la capacité du secteur bancaire à absorber les chocs d’origine financière ou économique, quelle qu’en soit la source, afin de réduire ainsi le risque de contagion du secteur financier vers l’économie réelle ». Les éléments clés de ces propositions sont les suivants : améliorer la qualité et le niveau des fonds propres, améliorer la couverture des risques, introduire des normes de liquidité pour le système bancaire mondial et contenir l’endettement excessif. En particulier, les sujets de concentration des risques de crédit et de décalage de liquidité sont clairement les cibles des réformes proposées.

Au-delà d’agir sur les acteurs, un second objectif des nouvelles réglementations est d’agir aussi sur les marchés eux-mêmes. C’est le cas, par exemple, des réformes européennes EMIR (European Market Infrastructure Regulation) et MIF (directive européenne sur les marchés d’instruments financiers) dont l’objectif est de mieux réglementer les activités de marché et d’en augmenter la transparence afin d’avoir une meilleure vision des volumes échangés, de comprendre l’ensemble des risques induits et d’optimiser la compensation des risques entre les différents intervenants.

De nombreuses autres réformes sont en cours de développement et visent toutes à l’accroissement de la stabilité de la sphère financière et à minimiser, le cas échéant, les impacts sur l’économie réelle. On peut notamment citer :

  • l’identification des entités systémiques et l’instauration de surcharge de capital spécifique ;
  • un encadrement plus strict des risques de marché (stressed VaR) et des produits complexes (dont les titrisations) conduisant à des coûts plus importants à la fois en capital et en liquidité pour les activités les plus risquées ;
  • un renforcement des pouvoirs donnés aux superviseurs dans leur rôle de surveillance des institutions ;
  • l’obligation pour les principales institutions de préparer des plans de redressement et de résolution en prévision de crises potentielles, sous contrôle des superviseurs auxquels des pouvoirs d’intervention importants sont donnés.

La nécessaire adaptation des institutions financières européennes à ces nouvelles régulations va entraîner des changements majeurs pour les banques et dans leur rôle de soutien à l’économie. Cela se fera avec une diminution de l’intermédiation au profit de plus d’« origination-distribution » et par une transformation bancaire moindre de l’épargne de court terme en financement long. Cette modification durable du rôle de courroie de transmission et de transformation joué par les banques va obliger à trouver des solutions alternatives, notamment via les marchés obligataires, pour prendre le relais dans un contexte de besoins accrus de financement, que ce soit des banques elles-mêmes (impact de la régulation) ou des États (financement des déficits budgétaires). Bien calibrées, et il reste en la matière de nombreux travaux critiques encore à mener, ces réformes sont le prix à payer pour accroître la stabilité de la sphère financière et économique.

Les réformes structurelles en gestation

En revanche, alors que la phase de transition et d’adaptation ne fait que commencer, que seuls les premiers impacts se font jour, est-il opportun de dicter, en plus, des réformes prudentielles et des changements structurels aux modèles bancaires, en imposant tel ou tel type d’organisation ou de portefeuille d’activités ? À quel prix ? Pour quel bénéfice ?

La proposition Vickers au Royaume-Uni

La consultation menée par la commission indépendante ICB (Independant Commission on Banking), dite Commission Vickers, envisage plusieurs modalités de séparation des activités de banque de réseau et d’investissement au Royaume-Uni. Ce pays, qui a effectivement dû venir massivement au secours de ses banques pour éviter que les déposants ne soient victimes de défaillances du système, préconise comme solution une filialisation des activités de banque de particuliers, en les isolant des activités de marché et d’investissement.

Les banques s’emploient aujourd’hui sur deux fronts :

  • se conformer à un environnement réglementaire international beaucoup plus strict et contraignant (obligation de forte augmentation de leur capital, encadrement très strict de leur risque de liquidité) ;
  • préserver au maximum leur rôle premier de soutien à l’économie, en privilégiant les acteurs européens, lorsque la réglementation les oblige à réduire leurs activités. Pour cela, toutes les activités de la banque sont indispensables, que ce soit celles de dépôt, de financement, mais aussi d’accès aux marchés financiers pour être à même d’apporter aux clients les produits dont ils ont besoin, notamment en matière de couverture de leurs risques (endettement à taux fixe et non variable pour les prêts immobiliers aux particuliers, couverture de taux ou de change pour les entreprises souhaitant se développer à l’international, accès aux marchés de dettes obligataires pour l’État et les entreprises…). Priver les banques européennes de tels accès favoriserait la montée en puissance des banques américaines et émergentes et affecterait dès lors directement la souveraineté économique de l’Europe : cela induirait en effet une forte dépendance des États vis-à-vis d’acteurs anglo-saxons pour financer les politiques publiques (émission et placement de la dette, engagement de liquidité vis-à-vis des investisseurs…).

Dans ce contexte, une séparation des activités du type envisagé par la Commission Vickers suscite d’autant plus de questions que rien ne démontre que ce remède permettrait d’atteindre l’objectif affiché. Les défaillances bancaires auxquelles nous avons assisté dans le passé ne sont principalement pas le fait de banques diversifiées hébergeant des activités de marché, mais au contraire essentiellement de banques spécialisées comme vu plus haut. Il faut par ailleurs rappeler que dans le cas de la France, par exemple, l’intégralité des dépôts des particuliers et des entreprises est utilisée pour financer l’économie nationale et que les banques françaises s’endettent même sur les marchés pour compléter le financement des prêts aux particuliers et aux entreprises françaises. En d’autres termes, les dépôts ne sont en aucun cas disponibles pour alimenter des activités de marché, contrairement aux idées reçues.

Enfin, la mise en œuvre d’une telle restructuration des groupes bancaires français ou européens aurait un coût élevé (plusieurs centaines de millions d’euros pour chaque banque)1 et pourrait même être impossible pour certaines banques, les banques mutualistes, par exemple2. Elle comporterait par ailleurs des risques opérationnels difficilement maîtrisables pour les banques déjà fortement affaiblies dans l’environnement actuel.

En résumé, la séparation des activités ne garantit pas vraiment l’amélioration de la protection des déposants. Imposer une réforme structurante aux conséquences non entièrement maîtrisées, qui ignore la réalité du système bancaire européen, risque d’en perturber le fonctionnement alors que l’économie européenne reste fragile, sans pour autant en améliorer la sécurité.

La règle Volcker aux États-Unis

Une autre forme de séparation consiste à interdire certaines activités. C’est le cas aux États-Unis où après un vif débat, le Dodd-Frank Act (juillet 2010) a limité cette séparation essentiellement à quelques activités : l’interdiction du proprietary trading, mais avec un certain nombre d’exceptions, le contrôle des fonds d’investissement et la règle du push-out qui isole les activités sur certains produits dérivés. L’ampleur et les impacts de ces réformes doivent être analysés et ne sont pas encore bien évalués, compte tenu des nombreux décrets d’application encore à venir.

Les activités de marché de la banque de financement et d’investissement (sur les actions, les taux d’intérêt, le change, le crédit, les matières premières) sont principalement organisées autour de la fourniture de services et de produits aux clients :

  • soit dans un rôle de pure intermédiation, agissant en qualité de courtier, en appariant des besoins inverses entre différents clients. Dans ce cas, la banque n’a pas besoin d’interposer son bilan. Ce mode d’intervention, nécessitant la concordance dans le temps d’intérêts inverses, ne peut représenter qu’une partie limitée du service apporté au client ;
  • soit en tant que contrepartiste afin d’accompagner les besoins de ses clients. La banque met son expertise de marché et sa capacité de prise de risque, de gestion et de transformation au service de ses clients. Elle apporte ainsi une liquidité permanente (sans attendre le besoin inverse d’un autre client), les caractéristiques financières exactes souhaitées (montant, durée…) et quand cela est nécessaire, des solutions innovantes et sur mesure adaptées à chaque cas particulier. La règle Volcker envisagée aux États-Unis, bien qu’encore assez imprécise dans son contour, vise une approche très restrictive du rôle de contrepartiste qui limiterait très fortement cette capacité d’accompagner les clients dans leurs besoins de tels produits de couverture, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur la capacité des entreprises à se financer et le financement de l’économie en général. Cette approche, en cohérence avec la logique transactionnelle anglo-saxonne, serait en contradiction avec la tradition de liens forts et d’accompagnement des clients dans la durée des banques européennes continentales dans le cadre d’une relation globale.

Il n’en reste pas moins que ces activités de contrepartiste, par l’utilisation du bilan de la banque et donc de son compte propre, consomment des fonds propres de cette dernière et qu’il est difficile de faire la part entre les activités dites « spéculatives » et celles qui viennent en support des activités clients. Il est donc primordial que les risques qui découlent de l’utilisation du compte propre, au même titre que les autres risques inhérents à toute activité bancaire (risque de crédit, par exemple), soient encadrés de façon prudente, sous la surveillance indépendante d’un département des risques et d’une supervision forte par les régulateurs nationaux. Différentes techniques sont aujourd’hui déjà en œuvre pour maintenir un profil de risque réduit et certaines mesures de risques proposées par les régulateurs américains en application de la règle Volcker pourraient d’ailleurs être reprises dans l’environnement européen, mais en tenant compte de la nécessité de pouvoir accompagner les besoins des clients en qualité d’expert de marché. Ces encadrements s’ajoutent au renforcement réglementaire en cours (Bâle III) et imposent des montants de fonds propres fortement accrus notamment en face des risques des activités de marché.

Éléments de calendrier

La réforme Vickers ne doit prendre effet qu’en 2019. Aux États-Unis, la réforme Volcker est prévue en théorie pour une mise en œuvre à la fin de 2013 au plus tôt, sachant qu’elle n’est à ce stade que sous forme de propositions, qu’elle fait toujours l’objet de très nombreux débats et qu’il y a une échéance électorale entre-temps. Dans ce contexte, et fort du constat que le modèle de banque globale et diversifiée européenne a plutôt bien traversé la crise, il faut rester prudent avant d’envisager d’autres transformations qui pourraient avoir des conséquences sur le financement de l’économie. Avec ses banques qui ont bien résisté, et ayant accéléré la mise en place des nouvelles normes de Bâle, l’Europe continentale peut se permettre d’observer les conséquences des réformes américaine et britannique et d’en tirer les leçons appropriées, si celles-ci voient effectivement le jour.

La problématique de stabilité du système financier et de la protection des déposants ne relève pas en premier lieu de la structure des banques ou de la séparation entre telles ou telles activités. Elle réside au contraire dans l’origination prudente des crédits, la gestion rigoureuse des risques, le contrôle des concentrations et un encadrement de la liquidité, le tout sous une supervision forte et efficace des autorités bancaires. Les banques françaises, mais aussi canadiennes ou australiennes, par exemple, illustrent que les banques universelles peuvent traverser les crises sans exposer les finances publiques. C’est pourquoi la priorité réside dans le renforcement de la supervision. Pour que celle-ci fonctionne, trois conditions sont nécessaires, mais aucune n’est suffisante. C’est en agissant sur trois piliers que l’on peut assurer la solidité du système.

Premier pilier, les pratiques de distribution du crédit doivent être contrôlées. Avant d’accorder un prêt, les banques doivent s’assurer de la capacité du bénéficiaire à rembourser sur ses propres revenus (ce n’était pas le cas aux États-Unis où les crédits étaient accordés sur la base de la valeur de l’actif et non sur la capacité intrinsèque de l’emprunteur à pouvoir rembourser). Il faut donc des lois et des contrôles appropriés de sorte que les banques et l’ensemble des intermédiaires aient des pratiques saines, fondées sur la vérification de la capacité de remboursement de l’emprunteur et qui ne reposent pas sur des anticipations spéculatives de la valeur des actifs.

Deuxième pilier, la qualité du régulateur doit être prise en compte. À cet égard, on peut noter qu’il existe deux types de régulateurs. Il y a ceux qui mènent un travail en profondeur dans les banques, à travers des audits et des inspections impliquant des moyens humains : le régulateur français, par exemple, passe beaucoup de temps au sein des établissements pour décortiquer un sujet donné. D’autres régulateurs ont une approche plus distante : ils posent des principes, sans aller nécessairement vérifier dans le détail leur mise en œuvre. La tendance au renforcement des moyens et des vérifications, en raison des défaillances observées dans certains établissements et de la prise en compte des risques systémiques, doit être poursuivie.

Le troisième pilier est la régulation. C’est un enjeu déterminant. Désormais, les banques vont être « corsetées » suivant trois dimensions, dont la combinaison déterminera leur capacité à prêter et à prendre des risques : le capital, la liquidité et le levier. Entre 2007 et 2008, c’est-à-dire avant la crise, et au début de 2013, moment où le dispositif Bâle III entrera en vigueur, l’exigence minimale de capital va être multipliée par quatre ou cinq. L’une des grandes leçons de la crise, c’est que la liquidité, comme le capital, est une ressource rare et doit être gérée comme telle. Le monde où la liquidité était abondante et bon marché est révolu et sa gestion plus stricte par les banques va être très contraignante pour le financement de l’économie.

Ces changements, nécessaires pour renforcer la sécurité du système bancaire, vont induire des transformations fondamentales, notamment dans son rôle dans le financement de l’économie. Il n’en reste pas moins que l’ensemble des acteurs économiques, des plus petits aux plus grands, ont et continueront à avoir besoin des banques en tant que rouage essentiel de l’intermédiation financière, que ce soit en matière d’épargne, de financement ou de couverture des risques. Les grandes entreprises européennes, par exemple, ont besoin de banques européennes diversifiées et d’une certaine taille pour les accompagner. Si, paradoxalement, l’Europe décidait de fragmenter son système bancaire face aux banques américaines qui sont désormais gigantesques, aux banques chinoises qui sont numéro un dans le monde, ou encore aux banques d’autres pays émergents, l’industrie bancaire européenne risquerait de ne plus être performante avec un enjeu de compétitivité fort pour l’économie européenne.


Notes

1 Coûts juridiques (révision de millions de contrats clients...), coûts sociaux (révision de contrats de travail...), restructuration des activités pour compte commun...
2 La structure capitalistique des banques mutualiste ne permet pas la filialisation de leurs activités de banque de détail, sauf à refondre entièrement l’organisation de ces banques remettant ainsi en cause l’existence de la moitié du paysage bancaire français.