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 Les banques américaines après la crise financière : adaptations sous contraintes


Céline CHOULET * Économiste, équipe d'économie bancaire, BNP Paribas. Contact : celine.choulet@bnpparibas.com.
Laurent QUIGNON ** Responsable de l'équipe d'économie bancaire, BNP Paribas. Contact : laurent.quignon@bnpparibas.com.
Les banques américaines avaient abordé le xxie siècle avec des taux de rentabilité financière élevés, mais l’éclatement de la crise des subprimes à l’été 2007 a, en moyenne annuelle, réduit ces taux de moitié. Moins de quatre ans après le paroxysme de la crise financière, les banques américaines ont renoué avec les profits plus rapidement qu’escompté, surtout au regard de la profondeur de la crise. Le redressement a toutefois largement résulté de la décrue du coût du risque, par nature non reproductible, tandis que les revenus devraient être durablement pénalisés par le contexte de désendettement du secteur non financier, une configuration des taux moins favorable et un cadre réglementaire renforcé. Profondément marqué du sceau de la crise financière, le nouveau contexte économique, financier et réglementaire qui se dessine pourrait peser durablement sur les performances financières des banques américaines et redéfinir, au moins partiellement, les contours des modèles bancaires qui coexistaient avant la crise.

Les banques américaines avaient abordé le xxie siècle avec des taux de rentabilité financière élevés, même si leur suprématie s’était progressivement réduite depuis le début des années 1990, notamment sous l’influence des gains d’efficience dégagés par leurs consœurs européennes. À l’exception de la période 2000-2002 marquée par l’éclatement de la bulle des nouvelles technologies, leurs taux de rentabilité financière étaient continûment supérieurs à 15 % entre le début de la décennie 1990 et 2006. Mais l’éclatement de la crise des subprimes à l’été 2007 les a, en moyenne annuelle, réduits de moitié, en dépit d’une incidence exclusivement concentrée sur le second semestre, ce qui illustre sa violence. Les six grandes banques constituant notre échantillon1 ont cumulé en 2008 près de 84 Md$ de pertes comptables, alors que leur bénéfice agrégé s’élevait encore à 55 Md$ en 2007. Les taux de rentabilité financière se sont, en moyenne, redressés entre 5 % et 7 % entre 2009 et 2011. Profondément marqué du sceau de la crise financière, le nouveau contexte économique, financier et réglementaire qui se dessine pourrait durablement peser sur les performances financières des banques américaines et redéfinir, au moins partiellement, les contours des modèles bancaires qui coexistaient avant la crise.

Deux faits stylisés d’avant-crise

La transformation rapide de la physionomie du paysage bancaire américain, largement suscitée par les évolutions réglementaires, et la faiblesse historique des intérêts dans les revenus bancaires comptent parmi les caractéristiques saillantes des deux décennies qui ont précédé la crise financière.

Un marché bancaire moins fragmenté

À l’instar du marché européen, le marché bancaire américain a connu une hausse de son degré de concentration depuis les années 1990. L’adoption du Riegle-Neal Act en 1994 et celle du Gramm-Leach-Bliley Act en 1999, qui ont aboli les barrières entre régions et levé les restrictions sur les activités bancaires, ont permis de poser les jalons d’un marché bancaire plus intégré à l’échelle nationale, tandis que les rapprochements entre banques locales décéléraient (cf. graphique 1).

Graphique 1 Mouvement de consolidation du marché bancaire américain
Source : FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation).

L’émergence de grandes banques actives à l’échelle nationale, telles que Bank of America et Wells Fargo, est représentative de cette évolution. La première est issue de l’acquisition, en 1998, de BankAmerica par NationsBank, dont la complémentarité géographique a permis à Bank of America de développer le plus grand réseau à l’échelle nationale. Wells Fargo et Wachovia étaient encore des banques régionales jusqu’en 1998. L’expansion géographique de leurs réseaux individuels, puis le rachat de Wachovia par Wells Fargo en 2008 ont donné naissance au réseau le plus étendu en nombre d’États fédérés couverts (38 États), devant celui de Bank of America (33 États). Durant la crise financière, le processus de consolidation du marché bancaire américain s’est, en revanche et pour l’essentiel, résumé aux opportunités créées par les défaillances bancaires et les opérations les plus notables ont été menées par les plus grands acteurs (Bank of America a acquis Countrywide Financial Corp. en 2008 et Merrill Lynch en 2009 ; Wells Fargo a racheté Wachovia Corp. en 2008 ; PNC Financial Services Group a acquis National City Corp. en 2008 ; JP Morgan Chase a intégré Bear Stearns et Washington Mutual en 2008).

Le niveau de concentration du marché américain a convergé vers celui du marché européen, la part des établissements présentant un bilan supérieur à 10 Md$ ayant quasiment doublé entre 1994 et 2011 (cf. graphiques 2a et 2b ci-après), les cinq plus grands acteurs se répartissant désormais plus de 50 % des actifs.

Graphique 2a Répartition des actifs bancaires par taille de bilan au 31 décembre 1994
Source : FDIC.
Graphique 2b Répartition des actifs bancaires par taille de bilan au 30 septembre 2011
Source : FDIC.

Empreinte des anciennes réglementations, la structure de l’industrie bancaire reste cependant singulière à deux égards. Héritage des lois qui interdisaient aux banques, avant les années 1990, d’établir des succursales en dehors de leur État d’origine (et dans une moindre mesure, reflet de la prépondérance de la finance de marché aux États-Unis), le bilan moyen des banques américaines demeure sensiblement inférieur à celui des banques européennes. 98 % des 7 400 établissements affiliés au fonds de garantie des dépôts (FDIC – Federal Deposit Insurance Corporation) affichent ainsi moins de 10 Md$ d’actifs. En outre, la fin du Glass-Steagall Act en 1999 n’a pas signifié la disparition des banques spécialisées, de sorte qu’il subsiste aux États-Unis des pure players en banques d’investissement, même si Goldman Sachs et Morgan Stanley ont opté pour le statut de bank holding companies.

La part des produits nets d’intérêt à l’étiage

Les décennies 1980 et 1990 furent caractérisées par la part grandissante des revenus hors intérêts2 dans le produit net bancaire (PNB) des banques commerciales américaines (c’est-à-dire hors banques d’investissement), passée de moins de 20 % à la fin des années 1970 à 43,4 % en 2000, une proportion qui n’avait plus été atteinte depuis le milieu des années 1930 (cf. graphique 3 ci-après). Il s’agit, au cours des dernières décennies, d’une tendance partagée avec plusieurs des plus importants systèmes bancaires européens (allemand, français, italien), lesquels avaient connu des progressions encore plus significatives au cours des années 1990, les banques britanniques faisant figure d’exception.

Les marges d’intermédiation bancaires, historiquement élevées durant la première moitié des années 1990 (4,1 % pour l’ensemble des banques commerciales en 1993, 3,9 % pour les cinq plus grandes en 1994), ont souffert de l’aplatissement de la courbe des rendements durant la décennie 1990, puis de nouveau entre 2004 et 2007 avec le resserrement, opéré par la Federal Reserve (Fed), de sa politique monétaire. L’érosion des marges semble avoir été plus sensible pour les six grandes banques de notre échantillon (1,9 % en 2007) que pour l’ensemble des banques commerciales placées sous l’égide du FDIC pour lesquelles le processus s’est en revanche prolongé d’une année supplémentaire (3 % en 2008). Cette tendance ne s’est cependant pas accompagnée d’un recul de la proportion des revenus d’intérêts dans le PNB. Pour l’ensemble des banques commerciales, la part des revenus d’intérêts fut, en effet, relativement stable entre 2000 et 2006 (57,3 % du PNB en moyenne), reflétant des stratégies délibérément orientées vers les volumes.

Graphique 3 Évolution de la structure du produit net bancaire (en %)
Source : FDIC.

La fragilité des revenus occultée par la dynamique des résultats

L’incidence de la crise financière est restée circonscrite à l’exercice 2008, les banques américaines renouant dès 2009 avec les profits. Après un rebond spectaculaire en 2009, les revenus bancaires ont légèrement reflué en 2010 et 2011. Sur fond de crise des dettes souveraines et de litiges, l’année 2011 s’est en outre caractérisée par un recul des résultats des grandes banques d’investissement, tandis que la baisse du coût du risque préservait les résultats des banques plus diversifiées.

Incidence sur les bilans bancaires

À l’issue d’une croissance qui s’est intensifiée entre 2004 et 20073, les actifs des banques commerciales ont connu en 2009 leur unique contraction significative depuis 1946, principalement imputable au recul des other earning assets constitués notamment des portefeuilles de trading et à la baisse des encours de prêts. Cette évolution a coïncidé avec l’incidence de la crise financière la plus forte sur la sphère réelle dont l’activité a reculé, en moyenne annuelle, de 3,5 %. La baisse des encours de crédits a découlé à la fois des effacements de créances et de l’ajustement des comportements financiers. Les ménages adaptaient leur niveau d’endettement à la dévalorisation de leurs logements et de leurs portefeuilles d’actions, tandis que les entreprises présentaient un moindre appétit pour le crédit. La baisse des encours de crédits bancaires et de titres divers a été partiellement compensée par le renforcement des portefeuilles de titres du Trésor et de dettes des agences, tandis que les achats opérés par la Fed portaient les réserves des banques commerciales constituées auprès de cette dernière à des niveaux records, de l’ordre de 5 % du total des bilans, contre une proportion de 0,2 % à 0,3 % avant la crise. Les programmes d’achats de dettes et de MBS (mortgage-backed securities) d’agences instaurés par la Fed à la fin de 2008 ont été renforcés (175 Md$ et 1 250 Md$ en mars 2010, respectivement) et élargis aux titres du Trésor (300 Md$ acquis entre mars et octobre 2009). Dans le même temps, le Trésor procédait à des injections massives de fonds propres dans les banques dans le cadre du volet Capital Purchase Program (CPP) du Troubled Asset Relief Program (TARP), tandis que plusieurs grandes banques étaient incitées à lever des fonds propres sur les marchés dans le cadre du Supervisory Capital Assessment Program piloté par la Fed.

La croissance de l’activité économique, réamorcée au troisième trimestre 2009, est demeurée vigoureuse au premier semestre 2010, avant de s’infléchir au second semestre, atteignant 3 % en moyenne sur l’année. Après un premier trimestre de quasi-stagnation, l’activité a renoué avec la croissance à partir du deuxième trimestre 2011, cette dernière atteignant 1,7 % sur l’ensemble de l’année. Les actifs des banques commerciales ont renoué avec la croissance en 2010 et 2011 (+ 2,1 % et + 4,1 %, respectivement). Le renforcement des titres du portefeuille d’investissement (MBS et titres du Trésor) et la reprise de la croissance des encours de prêts en 2010, notamment industriels et commerciaux, furent largement relayés en 2011 par celle des prêts interbancaires internationaux4.

Résistance relative des revenus d’intérêts, effondrement des autres revenus

Au paroxysme de la crise, les revenus bancaires ont présenté une remarquable résistance, leur recul restant circonscrit à 2008. Celui-ci fut, au demeurant, beaucoup plus sensible pour les grandes banques constituant notre échantillon (– 26 %), au cœur de l’épicentre, que pour l’ensemble des banques commerciales (– 2,7 %) dont le PNB agrégé enregistrait néanmoins son premier recul depuis 1959.

La baisse spectaculaire du taux objectif des Fed funds de 4,25 % à la fin de 2007 à une fourchette de 0 % à 0,25 % a largement soutenu les marges d’intermédiation. Ces dernières, très affectées au second semestre par les tensions provoquées par la chute de Lehman Brothers sur le marché interbancaire, ont atteint un plancher en 2008, avant de se redresser au cours des deux exercices suivants, neutralisant les effets de la contraction des encours de crédits en 2009 sur les revenus d’intermédiation. En raison du renforcement des marges et de l’effondrement des autres revenus, la part des intérêts dans le PNB s’est accrue jusqu’à atteindre 64,1 % en 2010. Les données du FDIC disponibles pour 2011 laissent toutefois entrevoir une inversion de tendance caractérisée par le fléchissement des revenus d’intérêts. Pour la première fois depuis 1938, les revenus nets d’intérêts enregistraient en effet leur première baisse significative (– 2 % pour l’ensemble des banques commerciales5 et – 9,2 % pour les six grandes banques).

À l’opposé des revenus d’intérêts, les autres revenus ont reculé en 2007 et 2008 (– 2,9 % et – 8 %, respectivement), entraînés dans leur chute par les indices boursiers (– 40,7 % en glissement annuel à la fin de 2008 et – 18,4 % en moyenne annuelle pour le S&P 500) et traduisant d’importantes pertes sur les portefeuilles de produits structurés à base de mortgages, de CDO (collateralized debt obligations), de dérivés de crédit et de prêts syndiqués à effet de levier. Ces évolutions ont encore été accentuées pour les grandes banques de notre échantillon, qui ont vu leurs autres revenus reculer de 17 % en 2007 et de 58 % en 2008.

En 2009, contrairement aux banques universelles et aux pure players de la banque d’investissement, les établissements de taille moyenne n’ont que modestement bénéficié du redressement des revenus liés aux activités de marché. Les banques universelles comme Citigroup ou Bank of America se sont situées entre ces deux extrêmes. Le PNB agrégé des grandes banques de notre échantillon a globalement rebondi en 2009 sous l’effet du quasi-triplement de la composante hors intérêts du PNB, laquelle a renoué, en moyenne, avec son niveau de 2006.

Les évolutions erratiques des indices boursiers en 2010 et 2011, dans un contexte dominé par la crise de la dette souveraine en Europe, ont ensuite pénalisé les autres revenus, lesquels reculaient de 10,2 % pour l’ensemble des banques commerciales en 2010, plus modestement de 4,2 % pour les grandes banques de notre échantillon avant de se creuser en 2011 (– 10,7 %). Sur l’exercice 2011, les revenus hors intérêts se sont plus sévèrement contractés au sein des banques d’investissement, à l’image de Goldman Sachs dont les activités de trading ont été particulièrement affectées par la dégradation des conditions de marché (– 32,6 %, contre – 9,2 % pour les quatre grandes banques commerciales). Seul Morgan Stanley tirait son épingle du jeu, ses autres revenus ayant sensiblement progressé en 2010 (+ 36,6 %), plus modestement en 2011 (+ 3,6 %). Les effets comptables particulièrement bénéfiques (gains financiers sur sa propre dette et autres ajustements liés à l’élargissement de son spread de crédit de 3,7 Md$) ont été partiellement neutralisés par une charge exceptionnelle de 1,7 Md$ dans le cadre d’un litige avec le rehausseur de crédit MBIA. Après s'être stabilisé en 2010, le PNB agrégé des grandes banques de notre échantillon a reculé de 10 % sur l’exercice 2011.

La rentabilité financière soutenue par l’allégement du coût du risque depuis 2010

Alors qu’elles évoluaient dans une fourchette de 25 Md$ (2006) à 45 Md$ (2002), les dotations aux provisions ont connu une dynamique exponentielle, doublant approximativement d’une année sur l’autre à partir de 2007 pour culminer à 231,3 Md$ en 2009, absorbant jusqu’à 38,5 % des revenus bancaires (proportion la plus élevée depuis 1934), contre 7,7 % en moyenne depuis 1934. À l’issue d’un reflux de plus de deux tiers des dotations nettes aux provisions au regard du pic de 2009, la proportion était, sur la base des données des neuf premiers mois, retombée à 11,7 % du PNB pour l’ensemble des banques commerciales (cf. graphique 4 ci-après) (à 9,9 % pour les six grandes banques, soit une baisse de moitié des dotations).

Graphique 4 Provisions et cycles économiques (en %)
Sources : BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses) ; FDIC ; prévisions BNP Paribas.

La déroute du marché des actifs adossés aux subprimes et la défiance à l’égard des produits structurés transparaissaient dès 2007 dans les comptes de résultat bancaires. Après plusieurs années consécutives de résultats très élevés, les banques commerciales ont accusé un effondrement de leur résultat net agrégé en 2007 et 2008 (97,6 Md$ et 15,3 Md$, respectivement, contre 128,2 Md$ en 2006), puis leur première perte (– 12,3 Md$ en 2009) depuis l’origine de la série FDIC (1934). Les évolutions de 2009 ont toutefois affecté de manière très hétérogène les établissements selon leur taille et la structure de leur portefeuille d’activités. Les banques d’investissement ont, à l’image de Goldman Sachs, largement bénéficié de la reprise des marchés.

En dépit du redressement de leurs résultats observé en 2010 et 2011, les grandes banques américaines commerciales n’ont pas, loin s’en faut, renoué avec leurs performances passées. À l’exception de 2009, l’amélioration des résultats a exclusivement reposé sur le recul de la sinistralité, en dépit duquel elles restent confrontées à une proportion élevée d’actifs non performants. Les revenus de trading et les commissions demeurent fragilisés par les incertitudes planant sur les évolutions de marché, le S&P ayant, par exemple, entraîné dans sa chute les volumes de trading et les introductions en Bourse (– 69 % en octobre et novembre 2011 par rapport à la même période de 2010 selon les chiffres d’Ernst & Young), tandis que les revenus d’intérêts enregistraient leur premier recul significatif depuis la fin des années 1930. Le constat pour les grandes banques d’investissement est plus contrasté. Les résultats nets de Morgan Stanley ont ainsi fortement rebondi en 2010, puis ont été relativement préservés en 2011 (4,1 Md$ après 4,7 Md$ en 2010) en partie à la faveur d’effets comptables, tandis que le bénéfice de Goldman Sachs accusait de forts reculs en 2010 (– 37,6 %) et 2011 (– 46,8 %).

Des perspectives dominées par les problématiques réglementaires

Au cours des prochaines années, le secteur bancaire américain pourrait voir sa physionomie évoluer avec une nouvelle vague de consolidation, mais il devra composer avec un environnement de taux moins favorable et, surtout, s’adapter aux mutations réglementaires.

Un potentiel de consolidation résiduel

Le processus de consolidation devrait se poursuivre, même si le climat de défiance (à l’égard de la qualité des portefeuilles de prêts notamment) et les défis économiques et réglementaires le ralentiront sur les prochaines années. À l’instar des opérations les plus récentes (acquisition d’ING Direct USA par Capital One Financial annoncée en juin 2011), les banques de taille moyenne bénéficiant d’une assise financière confortable devraient y participer plus activement que les cinq ou dix premiers acteurs (dont le bilan excède les 500 Md$) dont les capacités de croissance sont limitées par la régulation financière.

Compte tenu du poids prépondérant des dépôts dans les bilans des plus grandes banques américaines (les dépôts représentent, en moyenne, près de 50 % des passifs de Bank of America, JP Morgan, Citigroup et Wells Fargo, par exemple), la limite de concentration des dépôts bancaires instituée par le Riegle-Neal Act de 1994 est mordante pour certains établissements. Pour éviter tout arbitrage réglementaire (qui consisterait à substituer aux dépôts des sources de financement moins stables), le Dodd-Frank Act établit une limite à la croissance des bilans. Dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition, la société nouvellement créée ne doit pas représenter plus de 10 % des passifs consolidés agrégés de l’ensemble des institutions financières (bank holding companies, institutions de dépôt, savings institutions, institutions financières non bancaires systémiques6), définis comme la différence entre les actifs pondérés des risques et le capital réglementaire total, à moins que la société cible ne soit en défaut ou en danger de l'être, ou que l’opération soit menée avec l’assistance du FDIC. Cette contrainte est finalement assez redondante, pour les plus grands établissements, avec l’imposition d’une surcharge en capital réglementaire, laquelle élèvera mécaniquement leur solvabilité relativement à celle des autres établissements.

La régulation et la supervision d’une trentaine de grandes banques d’importance systémique (holdings bancaires dont le bilan consolidé excède 50 Md$) sont, plus généralement, promises à un renforcement progressif par le biais d’un relèvement des standards prudentiels (exigences en matière de capital réglementaire, levier, gestion du risque de liquidité, ratio debt to equity, limites d’exposition), la conduite de stress tests (une exigence qui s’appliquera également aux bank holding companies dont le bilan excède 10 Md$) et la rédaction de testaments bancaires.

Les grandes banques auront notamment à démontrer leur capacité à maintenir leurs ratios de solvabilité au-dessus des exigences réglementaires minimales actuelles (normes Bâle I)7 et un ratio tier 1 common de 5 %8 en conditions normales et stressées (sur un horizon de neuf trimestres). Sans pour autant introduire de contraintes chiffrées, le régulateur propose également un cadre de gestion du risque de liquidité, qui s’inspire en partie du ratio bâlois LCR (liquidity coverage ratio), mais sous une forme bien moins contraignante. Il est notamment recommandé que les grandes banques constituent un matelas d’actifs liquides (cash, titres émis ou garantis par le gouvernement, une agence gouvernementale ou une government-sponsored enterprise – GSE) afin de faire face à leurs besoins de financement (à divers horizons) dans le cadre de scénarios de stress (développés par les banques elles-mêmes).

Si les régulateurs ont pris l’engagement de transposer les accords de Bâle III aux États-Unis, les définitions du capital et de la liquidité qui seront retenues et les conditions dans lesquelles cette convergence s’organisera demeurent très incertaines (si ce n’est que le calendrier de mise en œuvre ne sera pas accéléré, mais conforme à celui prévu par le Comité de Bâle). Il est ainsi difficile de dire si les nouvelles exigences nécessiteront de la part des banques américaines les mêmes efforts de deleveraging et de réallocation du capital que de la part des banques européennes dont la convergence vers Bâle III a été accélérée par l’Autorité bancaire européenne. Si en normes Bâle I, les établissements américains sont relativement bien capitalisés9 (cf. graphique 5 ci-après), l’application stricto sensu de Bâle III pourrait ainsi révéler des besoins en fonds propres (définition plus stricte du capital nécessitant des ajustements réglementaires tels que la déduction d’une partie des charges administratives liées aux créances hypothécaires – MSR, mortgage servicing rights – et des participations aux fonds propres d’autres entités financières ; évaluation plus contraignante des risques de marché ; cible relevée à 7 %). Tandis que le passage (inachevé) à Bâle II n’était requis que pour un groupe restreint de banques américaines (onze banques), la mise en conformité de toute bank holding company dont le bilan excède 50 Md$ avec les normes Bâle III pourrait être rendue nécessaire, ce qui élargirait le périmètre à une trentaine d’établissements. Les banques américaines classées comme global systemically important banks (G-SIB) par le Conseil de stabilité financière en vertu de la méthodologie du BCBS (Basel Committee of Banking Supervision) (huit banques américaines apparaissent sur la liste publiée à l’issue du sommet du G20 de novembre 2011)10 devront se conformer à des exigences additionnelles en fonds propres durs (surcouche de 1 % à 2,5 % des risques pondérés au-dessus de l’exigence minimale). La liste définitive des banques et leurs surcouches respectives ne seront connues qu’en 2014 avec une mise en œuvre progressive sur 2016-2019. Au-delà des G-SIB, le régulateur américain prévoit d’appliquer une surcharge en fonds propres à tout ou partie des autres banques américaines jugées d’importance systémique (la liste des bank holding companies, dont le total de bilan excède 50 Md$, compte 34 établissements, dont les 8 G-SIB américaines), en s’inspirant de la méthodologie retenue par le BCBS. Toutefois, d’après les récentes déclarations du gouverneur Daniel Tarullo, cette surcouche devrait, si elle était introduite, être modeste.

Graphique 5 Ratios tier 1 common equity (définition Bâle I) d’un échantillon de grandes banques américaines au 30 septembre 2011 (en %)
Source : communiqués des banques.

Deleveraging, taux bas et croissance molle

En 2012, la croissance de l’activité économique devrait être limitée par le processus de désendettement, de nature à peser sur la demande des ménages, et le plan d’austérité budgétaire. En dépit de l’accélération de l’activité constatée au troisième trimestre (et confirmée au quatrième), le FOMC (Federal Open Market Committee) a, au cours de sa réunion des 24-25 janvier 2012, annoncé le maintien d’une politique monétaire très accommodante jusqu’à la fin de 2014, suggérant le maintien du taux objectif des Fed funds dans une fourchette de 0 % à 0,25 %. Il confirmait, par ailleurs, la poursuite de son programme visant à allonger la maturité moyenne des titres détenus par la Fed, à réinvestir les flux de remboursement des dettes et de MBS d’agences dans l’achat d’autres MBS, et à renouveler les lignes de bons du Trésor arrivant à échéance.

Le consensus d’analystes interrogés par Bloomberg tablait, en moyenne, sur un rebond de 57 % des bénéfices en 2012 qui reposerait à la fois sur les mesures de réduction des coûts et le redémarrage modéré des activités de banque d’investissement, en particulier le conseil en fusions et acquisitions, dans un contexte qui invite toujours à la prudence.

Ce scénario n’est bien sûr pas exempt de risques, en particulier celui de la persistance de la crise européenne, de nature à pénaliser le commerce extérieur américain et les résultats bancaires. Le principal foyer d’inquiétudes demeure l’exposition des six premières banques américaines (JP Morgan Chase, Bank of America, Citigroup, Wells Fargo, Goldman Sachs et Morgan Stanley) à la dette souveraine européenne. L’exposition aux dettes des pays périphériques demeure toutefois gérable (environ 50 Md$), tandis que l’absence de solution politique au risque de contagion aux grandes économies de la zone euro, auxquelles les grandes banques américaines sont davantage exposées, apparaît peu vraisemblable à moyen terme.

Pour 2012, les banques universelles semblent dans une position plus favorable tant du point de vue des nouvelles contraintes réglementaires que des risques associés aux évolutions de marché. Les revenus des banques d’affaires resteront en effet tributaires de la gestion de la crise de la dette souveraine en Europe et des évolutions de la confiance et de la volatilité des marchés, qui pourraient pénaliser les volumes de fusions-acquisitions.

À un horizon de moyen-long terme, sous les hypothèses conjuguées du maintien d’une politique monétaire accommodante et d’un renforcement de la demande émanant des pays émergents, la croissance américaine pourrait temporairement revenir au-dessus de 2 % à partir de 2013. De telles évolutions, de nature à soutenir le commerce extérieur et l’investissement productif, agiraient favorablement sur le marché du travail. La croissance de l’activité s’accompagnerait d’un reflux du chômage, éloignant ainsi le spectre d’une nouvelle récession. L’amélioration de l’emploi et le renchérissement des matières premières pourraient attiser l’inflation et conduire la Fed à relever ses taux directeurs pour les porter jusque vers 4 % en 2016, un niveau qui resterait inférieur aux maxima atteints à l’issue des phases de resserrement monétaire antérieures (6,5 % en 2000, 5,25 % en 2006-2007) en raison notamment des conséquences des restrictions budgétaires sur l’activité. La qualité du crédit devrait s’améliorer sur les segments des cartes et des commerciaux au bénéfice des banques universelles. Mais la tendance générale à l’érosion des revenus d’intérêts n’a sans doute été que temporairement remise en cause par la crise, ces derniers étant susceptibles d'être durablement pénalisés par un environnement de taux plus bas et un contexte moins propice au crédit bancaire.

Les effets du nouvel environnement réglementaire sur les modèles bancaires

Au-delà du contexte économique et financier, la nouvelle régulation financière américaine va peser sur les résultats bancaires. Les commissions nettes perçues (Card Act, régulation E limitant les commissions sur les découverts, amendement Durbin qui plafonne les commissions sur les transactions par carte de débit, réforme du financement du FDIC, standardisation des marchés des dérivés) devraient notamment reculer, de même que les revenus de trading (« Règle Volcker »), tandis que les charges d’exploitation (mise en conformité des établissements à la nouvelle réglementation, rapports trimestriels sur l’exposition globale des groupes aux risques, plans de démantèlement annuels, litiges) s’alourdiraient. La dépréciation du goodwill (écart d’acquisition) de Bank of America de 10,4 Md$ en 2010, en lien avec la réforme des moyens de paiement électroniques, en fournit une illustration. De manière plus structurante, la loi Dodd-Frank modifie les contours du modèle de banque d’investissement.

La nouvelle réglementation va profondément transformer le modèle américain de banque d’investissement

La nouvelle loi de régulation financière américaine contrarie principalement les activités de banque d’investissement. Figurent parmi les grands chantiers des régulateurs américains l’interdiction de certaines activités ou investissements, la standardisation des produits négociés sur les marchés des dérivés et la mise en place de chambres de compensation. La complexité des réformes engagées et les incertitudes qui entourent leurs conditions d’application empêchent, pour le moment, d’évaluer leur incidence sur la rentabilité et la pérennité des modèles d’activités dans leur forme actuelle. La « Règle Volcker », qui prohibe l’exercice, par les banques, d’activités d’arbitrage qui ne bénéficieraient pas directement à leurs clients (en dehors de certaines exceptions), est celle qui, à ce jour, apparaît comme la plus pénalisante. Elle vise à séparer certaines activités jugées trop risquées de celles couvertes par les garanties publiques, dans l’esprit du Glass-Steagall Act instauré en 1933. La séparation stricte des activités de banque de dépôt et de banque d’investissement n’est pas pour autant préconisée. Le texte interdit aux établissements bénéficiant d’un soutien public (garantie des dépôts du FDIC, accès à la liquidité de la Fed), tels que ceux habilités à recevoir des dépôts ou les holdings bancaires, d’effectuer des opérations de trading pour compte propre, lorsque ces opérations ne sont ni réalisées pour couvrir des transactions menées pour le compte de leurs clients, ni à titre de teneurs de marché (en particulier, pour animer le marché des titres publics comme les US treasuries ou les titres des GSE). La loi prévoit également une exemption spécifique pour les activités de prêts-emprunts de titres. Des propositions concernant la distinction des opérations de proprietary trading, qui doivent être interdites, de celles nécessaires au bon fonctionnement des marchés (correction des imperfections de marché, augmentation de la liquidité), qui doivent demeurer autorisées, ont été publiées à l’automne 2011. Les investissements et le sponsoring des banques dans les hedge funds et fonds de private equity sont en outre plafonnés à concurrence de 3 % du capital des fonds et 3 % du capital tier 1 des banques.

Compte tenu de la complexité de la loi, la documentation à fournir est particulièrement lourde. La règle pourrait engendrer d’importants conflits juridiques tant le périmètre des activités illicites demeure difficile à délimiter de façon claire. Le délai de mise en conformité a été fixé à deux ans après adoption des règles définitives (prévue d’ici à juillet 2012), prorogeable annuellement pendant trois ans maximum. Bien que l’obligation de mise en conformité avec la « Règle Volcker » ne doive pas intervenir avant 2014, voire 2017, les grandes banques américaines l’ont devancée en engageant leur retrait des activités de trading pour compte propre stricto sensu et en réorganisant certains métiers. Au regard du poids des activités d’arbitrage dans leurs revenus et de leurs expositions aux fonds alternatifs et de capital-investissement (qui excédaient au 30 septembre 2011 de 5 et 21 points de pourcentage, respectivement, la limite fixée par la règle), ces interdictions sont plus particulièrement pénalisantes pour les deux grandes banques d’investissement, Morgan Stanley et Goldman Sachs (cf. graphique 6 ci-après).

Graphique 6 Investissements dans les hedge funds et private equity funds (en % du capital tier 1 au 30 septembre 2011)
Sources : communiqués des banques ; BNP Paribas.

L’application de Bâle II.5 et Bâle III aux États-Unis, si elle devait effectivement avoir lieu (pour un groupe restreint de grandes banques), se traduirait en outre par un relèvement des exigences en matière de fonds propres dédiés à la couverture des risques de marché. Ce dernier pèserait sur la rentabilité des activités de marché et impliquerait plus fondamentalement une revue du modèle des banques d’investissement. Pour le moment, la volonté de s’affranchir des notes de crédit ralentit et complique toutefois le processus de convergence. D’après les analystes de JP Morgan, l’utilisation des alternatives aux notes de crédit proposée par les régulateurs américains (limitée, pour l’heure, aux risques spécifiques sur titres de dettes et produits titrisés) serait plus pénalisante que l’application de Bâle II.5 pour les deux grandes banques d’investissement.

L’adaptation des métiers de financement suspendue à la convergence vers Bâle III

Le système bancaire américain est sans doute le meilleur exemple de l’imbrication croissante des métiers de financement et des activités de marché. Dans les années 1980, alors que se développaient les techniques de titrisation, des entités en marge du secteur bancaire traditionnel, telles que les broker-dealers, les ABS (asset-backed securities) issuers ou les GSE, se sont développées sur le marché hypothécaire notamment et ont accompagné la transformation de la structure de financement de l’économie américaine. Le modèle originate-to-distribute (OTD) s’est imposé, les banques n’ayant plus vocation à détenir dans leur bilan les prêts qu’elles avaient initiés, mais à les vendre. En corrigeant certaines des limites du modèle OTD que la crise a pu révéler (sélection insuffisante des emprunteurs, manque de transparence des pratiques des prêteurs et des émetteurs d’ABS, contrôle des risques défaillant), le nouvel environnement réglementaire devrait inciter les banques commerciales à réviser leurs pratiques et peser sur les volumes de financement. Le processus de désendettement des ménages à l'œuvre, de nature à limiter la demande de prêts, conduit néanmoins à relativiser ces pressions à court terme.

Le durcissement des critères d’octroi passe notamment par l’obligation pour le prêteur de s’assurer, au moment où il initie le crédit, de la capacité de l’emprunteur à rembourser sa dette. Les pratiques de rémunération des « originateurs » sur le marché des prêts hypothécaires résidentiels sont également plus strictement encadrées. Toute rémunération liée aux termes ou aux conditions du prêt (notamment au taux d’intérêt pratiqué) autres que le montant emprunté est ainsi proscrite. L’information fournie aux emprunteurs dans le cadre de prêts à taux variables doit être améliorée et les pénalités de remboursement anticipé restreintes.

Le projet de règle qui fixe à 5 % le seuil minimum de rétention du risque de crédit pour les émetteurs d’ABS complète ces dispositions en imposant aux banques (lorsqu’elles sont les sponsors des véhicules de titrisation et pas uniquement originatrices des prêts) de demeurer exposées aux risques qu’elles transfèrent au marché. Des travaux ont en effet mis en évidence que les taux de défaut sur les prêts titrisés étaient plus élevés que ceux qui ne l’avaient pas été. L’exigence de rétention vise implicitement à encourager une meilleure sélection des crédits puisque sont exclus de la règle les prêts qui répondent à une dizaine de critères, qui paraissent assez stricts relativement aux pratiques récentes. À titre illustratif, selon la Federal Housing Finance Agency (FHFA) (régulateur de Fannie Mae, Freddie Mac et des federal home loan banks), parmi les prêts originés en 2009 et achetés par les GSE, seuls 31 % respectaient au moins quatre critères (dont les ratios loan-to-value et debt-to- income). Le texte évoque plusieurs modalités de rétention soit par conservation d’une fraction des ABS émis (rétention dite « verticale » de 5 % de chaque tranche d’ABS, conservation « horizontale » de 5 % de la tranche d’ABS la plus subordonnée, rétention « en L » qui combine les deux modèles précédents), soit par conservation directe de 5 % des créances du portefeuille tirées aléatoirement.

Cette contrainte vise à réduire les conflits d’intérêts entre prêteurs, émetteurs de titres et investisseurs. Son caractère contraignant n’est toutefois pas avéré. La crise financière a en effet révélé que les banques étaient elles-mêmes détentrices d’ABS (généralement de tranches seniors, moins consommatrices en fonds propres) qu’elles utilisaient comme collatéraux pour leurs opérations de mise en pension livrée (repo). Le FDIC a estimé, à partir d’un échantillon de RMBS (residential mortgage-backed securities) prime et Alt-A émis entre 2001 et 2007, que les taux de rétention variaient de 1 % à 8 %. En outre, les deux GSE (Fannie Mae et Freddie Mac) sont exonérées de la règle aux motifs qu’elles respectent la limite de rétention en garantissant le paiement du principal et des intérêts sur les titres adossés à des prêts hypothécaires qu’elles émettent et qu’elles bénéficient d’un soutien fédéral11. Cette exception perdurera tant qu’elles demeureront sous la tutelle de la FHFA (créée en septembre 2008) et que leur solvabilité sera assurée par le Trésor américain. Compte tenu du rôle des agences bénéficiant d’un soutien fédéral dans le financement du marché hypothécaire (près de 90 % de la production nouvelle de prêts hypothécaires), cette exclusion est significative.

Si en Europe, la mise en place des nouveaux standards prudentiels et, de manière plus structurante encore, la réforme Vickers au Royaume-Uni impliquent des adaptations conséquentes de la part des banques, le modèle de banque commerciale aux États-Unis ne devrait pas connaître d’ajustement d’une telle ampleur car le retrait des garanties fédérales du marché hypothécaire, seul véritable levier de transformation du métier, s’il est parfois évoqué, apparaît, à ce stade, pour le moins hypothétique. Les GSE et plus généralement les garanties fédérales sur le marché secondaire des prêts hypothécaires constituent en effet l’un des ressorts essentiels du modèle OTD. En assurant la liquidité des marchés hypothécaires, elles soutiennent l’octroi de crédits et leur sortie des bilans bancaires. Les titres qui bénéficient d’une garantie fédérale profitent en outre d’un puissant effet d’attractivité auprès des banques, le régulateur américain proposant de les inclure dans la classe des actifs très liquides pour la définition du nouveau ratio de liquidité. Le rôle central que les garanties fédérales jouent aux États-Unis s’est renforcé depuis 2008 sous l’effet de la mise sous tutelle des deux GSE et le programme d’achats des titres d’agences par la Fed, tandis que le marché secondaire américain hors garantie fédérale s’asséchait (cf. graphiques 7 et 8 ci-après). En Europe, les émissions de produits titrisés se sont non seulement taries, mais aussi 76 % des titres émis en 2011 étaient conservés au bilan des banques sponsors des véhicules de titrisation pour être utilisés dans le cadre d’opérations de mise en pension livrée (repo) (54 % de l’encours des titres émis à la fin de septembre 2011).

Graphique 7 Émissions de produits titrisés (en Md$)
CMO = collaterized mortgage obligations.
Source : SIFMA (Securities Industry and Financial Markets Association).
Graphique 8 Émissions de produits titrisés sur le marché hypothécaire secondaire (en Md$)
Source : SIFMA.

En incluant les volumes de titres adossés à des prêts hypothécaires (environ 7 000 Md$) détenus ou garantis par les deux GSE et Ginnie Mae (dont le poids ne cesse de s’alourdir), plus de la moitié des encours de prêts hypothécaires aux États-Unis bénéficient, implicitement ou explicitement, d’une garantie fédérale (cf. graphique 9). Même si elle se heurte à de nombreuses difficultés, la suppression progressive (sur sept à dix années) des GSE ne semble pas faire débat au sein des milieux politiques12. La question du désengagement de l’État fédéral du marché secondaire n’est pas pour autant tranchée. Tandis que les démocrates proposent de substituer aux deux agences des mécanismes de garantie fédérale ciblés (en faveur des ménages les plus modestes), les républicains militent pour l’abandon de toute garantie publique sur le marché hypothécaire secondaire. Compte tenu de la taille du marché considéré et de l’incidence qu’aurait leur suppression sur la situation économique plus généralement, cette dernière option ne nous paraît pas envisageable.

Graphique 9 Volumes des titres adossés à des prêts hypothécaires
Source : SIFMA.

Le développement d’un marché des covered bonds aux États-Unis, tel qu’il peut en exister en Europe, pourrait également être de nature à remettre en cause le modèle OTD. Sur ce marché, les obligations émises sont adossées à des portefeuilles d’actifs, généralement des prêts hypothécaires, mais contrairement aux techniques de titrisation largement utilisées par les banques américaines, ces actifs demeurent au bilan de l’émetteur. Les craintes exprimées par le FDIC de ne pas avoir accès, en cas de faillite d’une banque, aux actifs utilisés comme collatéraux des obligations sécurisées contrarient toutefois, pour le moment, le désir d’établir un cadre légal à l’émission de covered bonds aux États-Unis.

Moins de quatre ans après le paroxysme de la crise financière, les banques américaines ont renoué avec les profits plus rapidement qu’escompté, surtout au regard de la profondeur de la crise. Le redressement a toutefois largement résulté de la décrue du coût du risque, par nature non reproductible, et la dynamique de la composante hors intérêts du PNB demeure fragile ainsi qu’en attestent les évolutions du quatrième trimestre 2011. L’ensemble des lignes de métiers de banque d’investissement y ont enregistré des baisses de revenus, le métier actions accusant les contractions les plus significatives.

Les banques universelles bénéficient de modèles sensiblement plus diversifiés que les banques d’investissement qui leur ont permis de compenser le recul des activités de marché en 2010-2011. Elles apparaissent moins tributaires des risques réglementaires, en raison de la proportion moindre de leurs revenus issus des activités concernées par la « Règle Volcker » et la réforme des dérivés. La faculté d’adaptation à la nouvelle donne réglementaire des banques d’investissement ne doit pas être sous-estimée. Les banques d’investissement américaines jouissent en effet de plusieurs leviers d’action. Un recentrage pourrait être ainsi opéré au détriment des activités les plus risquées (produits structurés, trading pour compte propre, certains dérivés) et à la faveur de prestations peu coûteuses en fonds propres et en liquidité (gestion d’actifs, services titres), voire du conseil en fusions-acquisitions lequel pourrait profiter des opportunités engendrées par la sortie de crise. Même si l’écart de rendement semble appelé à se réduire, les banques d’investissement américaines pourraient continuer de se démarquer par une rentabilité supérieure à celle des grandes banques commerciales ou universelles au cours de cette phase du cycle.

Le risque existe, néanmoins, que la « Règle Volcker » entraîne un transfert des activités risquées – et rentables – de la sphère bancaire vers des structures moins régulées. Si elle s’opérait, une telle évolution ne serait pas sans incidence sur la stabilité financière. En effet, l’attention grandissante portée aux grandes institutions systémiques encouragerait l’émergence d’entités plus petites, exposées collectivement aux mêmes risques, mais susceptibles d’échapper à la surveillance des régulateurs.

Achevé de rédiger le 6 février 2012.


Notes

1 Notre échantillon est constitué des six premiers groupes bancaires américains en termes de capital tier 1 et de taille de bilan (JP Morgan, Bank of America, Citigroup, Wells Fargo, Morgan Stanley, Goldman Sachs). Stable entre les exercices 2009 et 2011, il a fait l’objet de retraitements au titre des exercices précédents visant à corriger les effets de périmètre (acquisitions de Wachovia par Wells Fargo, de Bear Stearns et Washington Mutual par JP Morgan en 2008 et de Merril Lynch par Bank of America en 2009).
2 Les autres revenus désignent l’ensemble des composantes du PNB hors intérêts. Ils comprennent notamment les commissions et les gains nets sur instruments financiers.
3 La progression des actifs bancaires en 2008 tient, dans une large mesure, à l’élargissement, au 30 septembre, du champ des statistiques des banques commerciales élaborées par le FDIC aux banques d’investissement Goldman Sachs et Morgan Stanley.
4 Selon le FDIC, 86,2 % de l’accroissement des prêts interbancaires de l’ensemble des institutions qui lui étaient affiliées, relevaient, au premier trimestre 2011, d’opérations avec des banques étrangères. Voir le site : www2.fdic.gov/qbp/2011mar/qbpall.html.
5 Revenus nets d’intérêts annualisés des neuf premiers mois de 2011/revenus nets d’intérêts de 2010.
6 Institutions financières non bancaires considérées comme systémiques par le FSOC selon un ensemble de critères et placées de ce fait sous la supervision de la Fed. Pour le moment, aucun établissement n’a fait l’objet d’une telle désignation.
7 En vertu de l’amendement Collins, les BHC et les savings and loan holding companies doivent respecter un ratio de capital tier 1 supérieur à 4 %, un ratio de capital total supérieur à 8 % et un ratio d’endettement tier 1 supérieur à 4 %.
8 Le capital tier 1 common exclut du capital tier 1 les obligations préférentielles perpétuelles ou obligatoirement convertibles, les intérêts minoritaires dans les filiales et les trust-preferred securities.
9 Le ratio tier 1 common moyen de notre échantillon de grandes banques atteignait 11 % à la fin de 2011.
10 En plus des six grandes banques composant notre échantillon figurent sur la liste des G-SIB la Bank of New York Mellon et State Street.
11 Les GSE, mises en place à partir des années 1930, constituent l’un des socles de la politique du logement. Initialement, leur création visait à faciliter l’accès à la propriété et à stabiliser le marché immobilier. Ces agences achètent et titrisent des prêts immobiliers. Les créances qu’elles émettent sont cédées à des investisseurs, assorties d’une garantie de l’État fédéral contre le défaut sur le prêt sous-jacent. Le statut d’entreprise privée de Fannie Mae et Freddie Mac s’est révélé être conflictuel avec leur mission de service public. Le soutien fédéral implicite dont elles bénéficiaient (associé à une fiscalité plus avantageuse, des exigences en capital plus faibles, une moindre supervision) a encouragé leur position dominante sur le marché secondaire (en proposant des garanties à des prix plus faibles) aux côtés de Ginnie Mae (entièrement détenue par l’État américain dès sa création en 1968). À partir de 2004, alors que les prêts immobiliers à risque (Alt-A et subprimes) se développaient rapidement dans la sphère privée, les deux GSE ont assoupli leurs exigences sur les prêts qu’elles garantissaient afin de reconquérir des parts de marché, dégradant ainsi significativement la qualité de leur portefeuille d’actifs. L’éclatement de la bulle a entraîné des pertes considérables pour ces deux GSE, qui ont nécessité leur mise sous tutelle et l’injection de 169 Md$ (entre septembre 2008 et la fin d’octobre 2011).
12 Elle transiterait par une augmentation du prix des garanties, un relèvement de l’apport initial exigé (à 10 %), la baisse du montant maximal des prêts garantis (à 417 000 dollars), ou encore la réduction de leur portefeuille d’investissement. La transition se heurte toutefois à nombre d’écueils (la taille de bilan des GSE dépasse 6 000 Md$ ; les conditions sur le marché immobilier demeurent fortement dégradées pour plus d’un ménage sur cinq, le capital restant dû excède la valeur de leur logement). Aussi, afin de limiter les défauts et les saisies, l’administration a assoupli, pour 2012 et 2013, les conditions d’éligibilité au programme de refinancement des prêts immobiliers (le Home Affordable Refinance Program – HARP – mis en place en 2009) (suppression du plafond loan-to-value de 125 % pour les prêts à taux fixes et de l’obligation de contracter une assurance privée).