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 Industrie et finance, histoire d’un désamour : Peugeot, 1919-1939


Jean-Louis LOUBET Professeur d’histoire contemporaine, université d’Évry Val d’Essonne ; directeur, LHEST (Laboratoire d’histoire économique et sociale et des techniques).
Comment passer à la grande série pour un constructeur automobile ? L’article montre l’exemple de Peugeot, entre 1919 et 1939, qui, face à la frilosité des banques, doit trouver de nouveaux financements. Si les liens tissés avec les maisons Rosengart et Oustric se solderont par des échecs, ils seront paradoxalement la base du renforcement de la solidarité familiale et de la constitution de sociétés de portefeuille, clés d’une stratégie d’autofinancement.

En 1919, Peugeot est une grande entreprise composée de presque autant de sociétés que d’usines. Les Fils de Peugeot frères, la SA des automobiles et des cycles Peugeot (SAACP) et Peugeot & Cie essaiment des ateliers en Franche-Comté, à Audincourt, Beaulieu, Valentigney, Sochaux et Montbéliard. Les sociétés Peugeot sont confrontées à trois difficultés. D’abord, la guerre n’a pas offert assez de travail à des usines trop proches des lignes de feu, soit tout le contraire de Renault. Ensuite, l’annonce par André Citroën, un inconnu1, de lancer en 1919 la première voiture en série en France est l’amorce d’un changement de métier que Renault et Peugeot n’ont pas envisagé. Enfin, il y a la crise de reconversion. Dès que l’armée brade ses automobiles, les usines n’ont plus d’activité. Dans cette situation difficile, Peugeot décide de sauter le pas, passer de la fabrication à l’industrie automobile, soit une mutation dévoreuse de capitaux qui oblige à tisser des liens avec des financiers et des banques.

Préparatifs

Expérience et acquis

Les Peugeot espèrent reproduire les éléments de la réussite d’avant-guerre. À la Belle Époque, l’un des aspects du succès de la SAACP tient au solide financement apporté par ses actionnaires. Fixé à 15 MF (1910), le capital atteint 30 MF (1913)2 grâce au soutien du Comptoir d’escompte de Mulhouse, du Crédit lyonnais et de la Société générale. Cette dernière assure l’augmentation de capital de 10 MF de 1913 : alors que 4 MF sont acquis « par la famille Peugeot, grâce à ses droits préférentiels, le solde de 6 MF est pris par la Société générale qui centralise les souscriptions »3. Cette banque a senti l’évolution des besoins des entreprises. L’agence du Crédit lyonnais de Belfort avise sa direction que « les grandes industries trouvent chez nos concurrents un écho pour l’émission de leurs titres. Il semble que nous devrions mieux considérer ces questions »4. Pour preuve, madame Peugeot et son fils viennent de vider de moitié leurs comptes « pour le concours de la Société générale à la Société des automobiles Peugeot »5. Le Crédit lyonnais contacte le directeur financier de Peugeot – Émile Juillard6 – qui avoue que sa firme ne peut avoir autant d’affaires avec toutes les banques : « D’une part, la SAACP règle beaucoup ses fournisseurs avec son papier et, d’autre part, l’aide apportée par la Société générale pour l’augmentation de capital induit de resserrer les affaires avec lui. [Mais le Crédit lyonnais reste optimiste.] Grâce à nos bonnes relations avec Juillard, nous ramènerons chez nous du mouvement. »7 Quel progrès de voir les liens avec les banques se resserrer ! En 1909, lorsque le syndicat des agents de change avait refusé les titres Peugeot « sous le prétexte que l’affaire ne présentait pas d’intérêt »8, les Peugeot étaient allés voir les banques suisses et le Comptoir de Mulhouse, indéfectible maison capable d’émettre seule, en 1911, 5 MF d’obligations à 4,5 %9.

Penser l’après-guerre

L’après-guerre s’esquisse vite. Le premier voyage de Peugeot aux États-Unis (1916) fait découvrir les nouvelles méthodes de production. C’est le point de départ de la vision des installations futures, avec un regroupement des usines autour du « Grand Sochaux ». Sochaux est la dernière usine construite avec un atelier de montage de camions, des presses d’emboutissage et une fonderie. Au début de 1917, Robert Peugeot achète 200 hectares de terres sur les communes de Sochaux et de Montbéliard10, sûr de devoir foncer. La chambre patronale11 le martèle : « Attendre la paix pour arrêter nos plans d’après-guerre serait une négligence. »12 Pour dessiner sa politique, Robert s’appuie sur une escouade d’ingénieurs, Lemoine (directeur général et commercial), Juillard (finances), Mattern (usines), Giauque (études), Willard (aéronautique) et Muret (camions).

Les banques et le désamour automobile

La crise de reconversion

Le 11 novembre 1918, André Citroën assomme la concurrence en annonçant la naissance d’une usine de grande série : « Là où l’on a vu faire des obus, on verra bientôt se construire des automobiles. L’outillage sera différent, mais au plus haut degré de la productivité et avec des méthodes de travail scientifiques. »13 À 100 voitures par jour, c’est bien une production fordienne qui se prépare en plein Paris. Renault et Peugeot sont abasourdis : ils n’ont pas préparé de saut aussi rapide. La réorganisation des usines du Doubs traîne, faute d’argent. En mai 1918, les dépenses dépassent les recettes de 16,50 MF en « raison de la lenteur des paiements de l’État »14. Peugeot doit emprunter 25 MF auprès de la Banque nationale de crédit et du Crédit lyonnais15. On ne parle plus de projets, mais de trous à boucher. La situation est en plus confuse : les commandes de guerre se poursuivent par crainte d’une reprise du conflit et les ouvriers restent sous les drapeaux16. Mattern profite du flou pour faire ses suggestions17, annonçant aux Peugeot son envie « de modifier complètement l’organisation des usines et des méthodes de fabrication ». Mais alors que le conseil « approuve », Lemoine répond que la Maison n’a pas l’argent18 ! Face à ces contradictions, Jules Peugeot engage une « étude détaillée de la situation financière de la société ». Tout y est calculé : les programmes d’installations nouvelles, les réparations de guerre, la préparation de la nouvelle voiture – Quadrilette – et même les impôts sur les bénéfices de guerre. Il précise que « la société dispose de ressources suffisantes pour faire face à ces dépenses grâce aux disponibilités actuelles, aux rentrées normales à venir, aux paiements de l’État sur les marchés de guerre et aux remboursements des dommages de guerre »19. Si le calcul est juste, les trois derniers éléments font défaut en fin d’exercice, précipitant la SAACP dans une crise majeure.

L’État n’est pas bon payeur. La question des dommages de guerre mettra vingt ans à être réglée, avec plus de 80 MF (1920) à la clé20. Pour faire patienter les entreprises, l’État délivre des certificats provisoires de dommages de guerre de 8 MF réescomptables par le Crédit national. Il finit par payer avec de la Rente française à 5 %. Si les banques sont absentes, la Banque de France accepte de faire « une avance d’au moins 1 MF contre des dépôts de cette Rente »21. Jules Peugeot ne démord pas de son analyse : « Si notre trésorerie est gênée, c’est uniquement en raison des retards de paiement de l’armée. »22 Il pèche par excès d’optimisme, refusant de voir que la SAACP est en crise. Factures mal engagées, bons de commande égarés, doublons entre usines, comptabilité déficiente, rien ne tourne : « Nous sommes en pleine gabegie. La première source du mal provient de l’autorisation donnée à tous les services, usines et succursales, de repartir vite, donc de commander directement aux fournisseurs. »23 C’est à ce moment-là que Juillard entame une remise à plat de la gestion et la comptabilité, différenciant les comptes des cycles, des autos et des camions. Il s’engage dans ce qui conduira en 1923 à la première comptabilité analytique24.

Mais la crise de 1920-1921 n’est pas seulement financière malgré une perte de 1 890 498 francs. Pierre Peugeot a beau expliquer que « ce résultat n’est pas inquiétant pour l’avenir »25, la dépression est là, avec ses interrogations : rentabilité des usines, situation des marchés et tensions sociales. L’analyse de Juillard est alarmante : « Le rapprochement des prix de vente et des prix de revient montre qu’il y a peu de bénéfices à réaliser. »26 Pour maintenir les équilibres, il obtient de payer les fournisseurs en Rente française ou par traites de soixante ou quatre-vingt-dix jours. Tout se joue par rapport à la situation des usines qui sont incapables de passer aux produits civils. Certaines sont surencombrées et paralysées, d’autres sont vides et prêtes à repartir. Les ateliers d’amont attendent. Au montage, on organise des déménagements sans trop savoir que faire du matériel militaire, d’autant que l’on ignore même s’il est payé.

Le marché automobile reste le souci majeur. Il s’est éteint avec la vente des surplus militaires. Sochaux s’arrête ! Quant aux voitures légères, les clientèles attendent, refusant les vieux modèles de 1914. On attend la Citroën Type A27, annoncée 7 950 francs, mais que l’usine peine à produire. Rien de mieux chez Peugeot. Si la Quadrilette – voiture artisanale – est prête, sa fabrication ne l’est pas : la crise a entraîné un retard de quinze mois ! Robert Peugeot prend contact avec Renault en mars 1920 et propose un partage de marché sur la base d’un « catalogue commun d’articles Peugeot et Renault ». « Nous ferions tout, de la bicyclette à la 12 CV, Quadrilette et voiturettes incluses, et Renault tous les types de voitures plus importants ainsi que les camions et les tracteurs agricoles. »28 Et pour convaincre Renault, Robert évoque une fusion des services commerciaux. C’est mal connaître Renault. Lui qui prépare l'île Seguin et ses chaînes de montage, il comprend qu’on lui propose les produits qui ne se vendront pas (Loubet, Michel et Hatzfeld, 2004). Peugeot devra donc attendre 1921 et le lancement de la Quadrilette, vendue 9 500 francs à 10 000 francs, soit moins chère que la Citroën Type A, dont le prix a grimpé à 14 000 francs en 192129. Mais la production de Peugeot est lente avec 500 véhicules en 1919, 770 en 1920, 6 337 en 1921, à peine 7 615 en 192230, soit des volumes inférieurs à Citroën, Renault et Ford qui s’installe à Bordeaux (Loubet et Hatzfeld, 2001). Serait-ce la première inquiétude visible ?

Visite des banquiers

Du 15 au 19 octobre 1920, la direction des études économiques et financières (DEEF) du Crédit lyonnais est chez Peugeot pour faire le point sur la situation d’une maison qu’elle apprécie : « C’est une affaire qui a prospéré et pris un très grand [essor] par suite du développement de ses ateliers, tous spécialisés. »31 Les hommes de la DEEF découvrent un ensemble industriel en plein chantier, porteur de projets, mais dans une situation contrastée31. Ils sont d’abord frappés par la modernité qui touche les nouvelles usines de Sochaux et de Montbéliard. La première est « vaste, récente et complètement outillée, avec une possibilité d’augmenter le nombre de machines-outils »31. C’est une fonderie complète « pour toutes les usines de la société »31 qui est en plus devenue une usine d’emboutissage et de fabrication de camions32. Le potentiel est de 300 camions et 50 tracteurs par mois, avec 1 200 ouvriers. La forge est une surprise : « Tout est neuf, luxueux, avec des bâtiments en pierre et en fer. C’est très vaste. Tout a été organisé de façon rationnelle. »33 Mais pas question de s’enthousiasmer : « L’importance de cet établissement est exagérée si on la compare à celle des usines automobiles qu’il doit alimenter. Elle se justifierait pour une production dix fois plus élevée que celle que fournissent actuellement les usines Peugeot. »33 La conclusion est lapidaire : « Cette forge a été inspirée par les usines Ford en Amérique. Il semble qu’en la construisant, la société ait vu beaucoup trop grand. »33 Y aurait-il d’emblée une vision différente de l’après-guerre entre industriel et banquier ? Le lendemain, les banquiers sont à Beaulieu. Ils pénètrent dans « les plus vieilles usines de la société »33 où l’on trouve des cycles, des voiturettes et des 10-12 CV produits à 30 exemplaires par jour34. Elles sont les plus importantes « pour le chiffre d’affaires, les surfaces et le personnel »35. « Toute la place – 200 000 m2 – est occupée et l’on ne peut plus rien agrandir. » L’appréciation est sèche : « Beaulieu gagnerait à être réorganisée. » À Mandeure, le Crédit lyonnais apprécie l’achat de terrains « d’assez grande étendue »35. Un nouvel outillage a été acheté, ce qui montre que « la société est prête à aborder de grandes fabrications avec des conditions de prix de revient plus avantageuses que celles qu’elle obtenait jusqu’ici ». Selon les banquiers, l’usine a « coûté très cher, de 4 MF à 5,37 MF ». Ultime étape de cette visite, Audincourt, l’« usine des autos », une vielle usine qui s’occupe des 12 CV et des 14 CV, à raison de 6 modèles par jour, soit 150 par mois.

Le verdict des banquiers

On l’aura compris, les usines Peugeot sont une mosaïque qui est sous-utilisée avec la mévente de 1920. Une situation peu confortable face aux banquiers. Avec rigueur, ces derniers distinguent les éléments de conjoncture des fondamentaux. La SAACP apparaît comme une firme de qualité : « L’affaire jouit d’une excellente réputation, tant au point de vue technique que commercial et financier. On la sait bien dirigée et très prudemment administrée. »35 L’analyse met en lumière les avantages et les inconvénients dont bénéficie la SAACP par sa position dans l’est de la France. D’abord, Peugeot tire de gros atouts d’une main-d'œuvre expérimentée, moins chère qu’à Paris et disciplinée : « Les grèves sont rares par suite de l’attachement des ouvriers aux Maisons Peugeot qui leur procurent des avantages comme les maisons ouvrières, les coopératives, les assurances, les retraites. »35 Ensuite, les usines profitent d’une force motrice peu chère « qui permet de gagner 2 MF à 3 MF par an car le kilowattheure coûte 9 centimes, contre 18 centimes à 20 centimes ailleurs »35. Enfin, la proximité de la Lorraine et du Jura offre pour les aciers et le bois de meilleurs prix qu’à Paris. Ces trois avantages sont à peine érodés par le surcoût dû à l’éloignement des fournisseurs parisiens et au transport des véhicules finis, puisque le marché reste très parisien. Parallèlement à ces atouts, le Crédit lyonnais ajoute que l’intégration rend « la société indépendante d’un grand nombre de fournisseurs »35.

L’expertise du Crédit lyonnais va loin, soulignant que Peugeot a tendance à masquer ses profits par une large politique d’amortissement ; pourtant, les bénéfices « représentent 20 % à 25 % du chiffre d’affaires »36. Reste l’avenir. Et c’est là que le doute apparaît. « La société a dépensé des sommes considérables en vue d’accroître ses moyens de production. Elle a accru ses charges financières alors que ses bénéfices diminuent du fait de la mauvaise période […] La société nous semble avoir les moyens de traverser la crise actuelle […] Mais n’a-t-elle pas vu trop grand ? »36 Un an plus tard, en août 1921, la même équipe revient chez Peugeot : la persistance de la crise face au développement des usines devient cette fois une inquiétude. « Peugeot, comme les autres constructeurs français de voitures automobiles, exagère l’importance donnée à ses usines. »36 La banque ne parle plus de crise à surmonter, mais de « surproduction ». Elle désavoue la construction automobile, pensant que le parc a été reconstitué en 1919 des pertes dues à la guerre. L’automobile serait même appelée à se raréfier car elle devient « un transport très coûteux ». La loi du 25 juin 1920 qui fixe un impôt sur son usage et une taxe sur l’essence viendrait à ruiner l’activité (Sauvy, 1998). Pour preuve, le Crédit lyonnais écrit : « Les transports commerciaux par voitures automobiles qui étaient autrefois très utilisés sont peu à peu abandonnés. »37 Inutile de compter redresser cette situation grâce à l’exportation, de vendre des voitures proposées comme des objets de luxe ou des produits de Paris : « Tous les pays du monde sont aujourd’hui inondés de voitures américaines livrées à des prix très inférieurs à ceux des voitures françaises. Autrefois, on reconnaissait la supériorité de la voiture française. Aujourd’hui, cette supériorité est discutée et d’ailleurs, elle intéresse beaucoup moins depuis que l’on recherche avant tout le véhicule bon marché. »37 Arrêtons ce monologue du Crédit lyonnais, reflet du monde bancaire. Au-delà de ce désamour pour l’automobile, il faut y voir un élément de rupture : Peugeot sait que la mutation vers l’industrie moderne, qui passe à la fois par la voiture fabriquée en série, l’unité usinière et l’atelier organisé sur des lignes de montage, se fera loin des banques et de leur financement direct. Cette frilosité bancaire constitue un handicap pour tous les industriels qui ont décelé une mise à niveau de l’économie nationale après-guerre. Pour Peugeot, cette situation est lourde de conséquences. La société doit s’adapter à une triple contrainte : une modernisation dévoreuse de capitaux, une stratégie d’autofinancement limitée par la crise de reconversion et la faiblesse structurelle liée à l’indépendance d’une entreprise familiale.

Stratégie de contournement

Enfin la modernisation

Dès l’été 1922, la situation s’améliore avec la fin de la crise : les ventes et les fabrications repartent, permettant de reprendre le plan de modernisation. Le succès de la Quadrilette est le déclencheur. « En deux mois », écrit Lemoine, « on est passé de l’apathie à l’engorgement. C’est inouï. »38 Dans l’urgence, il envoie à Clichy les carrosseries spéciales. Une nouvelle organisation se dessine : les petites voitures à Sochaux – aidée par Beaulieu et Audincourt devenues usines d’appoint –, les 18 CV à Issy et Clichy39. Ce nouveau schéma renforce la prépondérance des usines du Doubs et la spécialisation des ateliers parisiens dans les voitures puissantes. La montée en cadence des Quadrilette est étonnante : 350 exemplaires en novembre 1922, 400 en décembre, 600 en janvier, « en s’aidant de l’extérieur »40. Les 10 CV sont à 400 par mois, entre Beaulieu et Audincourt, les camionnettes à 100 et les bicyclettes à 120 000 par an. « Le retournement est net. Les usines tournent à plein collier. Nous devons être à 800 000 francs de bénéfices par mois, soit 10 MF par an. L’objectif est un chiffre d’affaires de 200 MF. »40

Le moment devient idéal pour enfin trouver le financement nécessaire à l’avenir. Robert Peugeot prend contact avec la Banque nationale de crédit et la Société générale : toutes deux acceptent des crédits de campagne, mais refusent d’aller plus loin. La frilosité reste totale. Robert dresse un constat désolant : « Comme nous ne pouvons ni augmenter notre capital, ni placer de nouvelles obligations, ni obtenir des découverts en banque suffisants, il convient de trouver toute solution financière susceptible de nous procurer, même à des conditions onéreuses, des ressources pour pouvoir travailler à plein régime toute l’année. L’argent n’a en ce moment plus de prix. »41 Lemoine et Willard appuient l’idée : ils savent que si Peugeot ne produit pas plus, la marque sera dépassée et « nos revendeurs partiront »42. Robert prend les devants et contacte Citroën43. Les discussions le conduisent vers Georges-Marie Haardt, vice-président de Citroën, et Lucien Rosengart, le financier. Haardt met Robert en contact avec la Compagnie française de constructions industrielles (CFCI) à laquelle il est lié. Il s’agit d’une société de portefeuilles – « dans une situation médiocre »44, selon le Crédit lyonnais – qui possède d’importantes participations dans des entreprises assez diverses45. Avec des prêts à plus de 13 %, son offre est exorbitante. « Le taux est prohibitif. », reconnaît Robert. « Mais si l’on calcule les avantages résultant d’une trésorerie mieux alimentée, on constate que l’offre de la CFCI ne doit pas être rejetée et même qu’elle mérite d'être étudiée sérieusement. »46 Les administrateurs et les directeurs s’interrogent. Alors que Robert observe, Pierre et Jules Peugeot semblent perplexes, Lemoine, Muret et Willard sont enthousiastes et Juillard est affolé. L’affaire est acceptée le 1er juin 1923.

Trois mois plus tard, Rosengart passe à l’offensive. En froid avec Citroën, il propose à Robert Peugeot le même montage qui a permis à la firme du quai de Javel de se hisser au sommet de la profession : avancer de l’argent sur la production de voitures achevées et mises sous warrants47. La SAACP accepte, écartant aussitôt une CFCI mort-née48. Le 18 janvier 1924, Rosengart crée la société financière SEDIA (Société d’extension de l’industrie automobile)49, destinée à ouvrir des crédits à la SAACP. Le financement de cette dernière est donc assuré, mais au prix fort, 2 % de plus que le taux de la Banque de France, soit 12 % au moment de la signature. De 1924 à 1927, la SEDIA va avancer 72 MF à Peugeot sur ses fonds propres et ses bailleurs de fonds, la Banque nationale de crédit, la Société générale, la banque Bénard et, plus tard, d’autres établissements50. Le warrantage des voitures neuves stockées dans les entrepôts est directement géré par la SEDIA (Henri, 1983) ! C’est la clé de la réorganisation des usines que Robert envisage depuis la Grande Guerre, le point de départ du « Grand Sochaux ». Une installation intégrée, allant de la matière à la voiture finie, construite autour de cinq usines : forge, fonderie, mécanique, tôlerie et carrosserie. Grâce à la SEDIA, mais aussi à ses propres fonds, Peugeot achève le puzzle de la modernisation de la SAACP.

Qui dirige ? Le financier ou le propriétaire ?

La décision de lancer la carrosserie de Sochaux – pierre angulaire du « Grand Sochaux » – est prise en janvier 192451. Le devis atteint 30 MF ; le projet se fera au rythme des rentrées d’argent. Utilisable en 1926, au point en 1927, la carrosserie est en ordre en 1928, permettant la cohérence du « Grand Sochaux » en 1929. Au final, elle revient à 33 MF, le paiement étant effectué en trois ans52. Peugeot a poussé l’autofinancement, passant de 23 000 à 30 000 voitures annuelles pour apporter 18 MF. Robert Peugeot s’entend avec ses frères et la famille pour doubler le capital en 1924, le faisant passer de 30 MF à 60 MF grâce à 60 000 actions de 1 000 francs bénéficiant d’un droit préférentiel. L’opération est renouvelée en 1927 avec l’autorisation de porter au « moment opportun53 » le capital à 90 MF. L’union familiale est totale. Dès 1922, les Fils de Peugeot frères ont émis un emprunt obligataire de 15 MF dont ils n’ont qu’un besoin partiel. L’opération sert à aider la SAACP en lui versant 10 MF54 en mars, à condition que « ce prêt ne soit en aucun cas onéreux pour les Fils de Peugeot frères »55.

Le « Grand Sochaux » est l’occasion de restructurer toutes les sociétés du groupe. La famille rapproche Peugeot & Cie et les Fils de Peugeot frères en échafaudant des prises de participations croisées. Fin de la concurrence et place à la complémentarité. Mais l’effort majeur porte sur le recentrage sur l’automobile, désengageant ainsi Sochaux de plusieurs activités. Une opération industrielle, mais aussi financière. En 1926, l’entreprise cède à la SA des cycles Peugeot (traditionnellement dénommée « Les Cycles »)56, nouvellement constituée, Beaulieu et Mandeure. Elles sont vendues 5 164 750 francs et 2 387 781 francs respectivement, toutes payables en huit ans. Dans le même temps, la SAACP vend aux Fils de Peugeot frères Audincourt pour 2 692 503 francs57. De quoi redéfinir le périmètre des entreprises. Dégagée des automobiles, Beaulieu accroît son potentiel de bicyclettes qui double entre 1927 et 1930, avec 162 000 unités par an. Quant aux motocyclettes, elles passent de 7 000 (1926) à 15 000 machines (1929) (Salvat et Ganneau, 1998 ; Sédillot, 1960). Le plus gros effort porte sur les automobiles (et la nouvelle SAAP – SA des automobiles Peugeot) pour lesquelles Robert Peugeot s’appuie sur un homme neuf, ingénieur, Philippe Girardet58. Le rajeunissement de l’état-major s’accélère avec la venue de deux hommes, Lucien Rosengart, le patron de la SEDIA, mais aussi Jean-Pierre Peugeot, fils de Robert, un centralien qui s’entoure de son ami d’école Édouard Arnaud et de Maurice Jordan, un ingénieur des Mines (Loubet, 1990). Avec Jean-Pierre, Arnaud et Jordan, la relève est prête lorsque Rosengart se dévoile. Il est décrit comme « imaginatif59, provoquant l’animation qui manquait un peu dans la maison60 ». Mais cette facette cache « un bouillonnement d’idées parfois baroques, une manière de travailler sans méthode, un manque de perspicacité à l’égard des hommes, des ambitions et une inégalité de caractère »61. Si la tâche de Rosengart est de financer le « Grand Sochaux », son souhait est de pousser les Peugeot vers une diversification qui n’a pas lieu d'être (Girardet, 1952). Profitant d’une mauvaise santé de Robert, Rosengart avance ses pions. En janvier 1927, Jean-Pierre est appelé en renfort. La bataille ne dure qu’une année, la SAAP se félicitant de n’avoir utilisé les fonds SEDIA qu’a minima, sans en devenir dépendante. Le 19 janvier 1928, Rosengart est renvoyé. Crise en perspective ? Un homme de Rosengart explique l’évidence : « L’avenir de la société Peugeot est sans souci. Jean-Pierre Peugeot est un homme actif, intelligent et jeune. Il est au courant des affaires de la société qu’il n’a jamais quittée. Le départ de Rosengart est certes une chose regrettable, mais il ne met pas en péril la SAAP dont la situation financière est meilleure que jamais. »62

Peugeot et la banque Oustric

L’appel à un banquier

Robert et Jean-Pierre Peugeot remodèlent la direction de la SAAP désormais offerte à Maurice Jordan, jeune secrétaire général de vingt-neuf ans63. À leurs côtés se trouve Édouard Arnaud, proche de Jean-Pierre. C’est l’ossature de la SAAP. Pourtant, Jordan doit composer avec un inconnu. Le 13 juin 1928, Robert a appelé « un vrai banquier » promettant de financer la SAAP, non sur le warrantage des stocks, mais par des augmentations de capital et des émissions d’obligations. Une situation d’autant plus aisée que Rosengart a obtenu en 1924 que le titre Peugeot soit enfin coté à la Bourse de Paris64. Or le recours au marché financier ne semble pas affecté par la naissance du franc Poincaré en 1928. C’est du moins l’avis du banquier Albert Oustric et de ses associés, Riccardo Gualino et Paul Dreyfus-Rose. En septembre 1928, la banque Oustric & Cie place sans mal 50 MF d’obligations sur une autorisation de 100 MF, puis les 50 MF restants au début de 1929. Cette même année, elle vend 200 000 nouvelles actions SAAP de 500 francs, permettant de faire passer le capital de 90 MF à 190 MF, mais au prix de la création d’actions à vote plural à laquelle les Fils de Peugeot frères exigent d'être associés65. Pour certains observateurs, « on peut se demander si Peugeot n’est pas en train de passer sous le contrôle de la banque Oustric, celle-ci ayant acquis près de la moitié des nouveaux titres »66. Pour Peugeot, cette opération en appelle d’autres qui feront évoluer le capital. Pour cette raison, les Peugeot imaginent de créer une société financière familiale. Elle serait chargée du développement de l’automobile au sens large, de sa fabrication à sa distribution. Le 19 juillet 1929, Peugeot fonde la Société foncière et financière Peugeot (dite FFP) dont la tâche est de suivre les augmentations de capital qui seront financées par les dividendes tirés des profits de la grande série. Faut-il y voir une mesure défensive face à Oustric ? Probablement car les projets sont énormes et la famille entend les conduire de sa main. Les actionnaires approuvent un plan prévoyant de porter le capital à 250 MF, puis à 500 MF67. Pour devenir ce grand constructeur rêvé, Robert informe Oustric et Gualino le 20 août 1928 qu’il lance « l’étude d’une 6 CV de quatre places à quatre cylindres, légère, rapide, à un prix de revient très serré »68, pour des cadences de 250 voitures par jour. Le projet coûte 200 MF, somme qui explique ces mêmes 200 MF d’obligations et d’actions nouvelles68. Ce sera la 201 Peugeot.

Cette dernière est le plus grand succès de Peugeot depuis sa naissance. Sochaux atteint une productivité inconnue puisqu’une voiture nécessite 500 heures de main-d'œuvre, contre 1 500 heures pour le modèle antérieur69. Jean-Pierre Peugeot pousse l’entreprise : en faisant quatre modèles différents – les 5 CV, 9 CV, 11 CV et une 6 cylindres –, les usines produisaient 76 voitures avec 9 600 ouvriers, soit un rapport de 126 ouvriers par voiture et par jour ; avec deux modèles70, le rapport tombe à 85. « Si nous visons le modèle unique, j’ai la certitude qu’avec 14 500 ouvriers, nous pouvons faire 240 voitures par jour, soit 60 ouvriers par voiture et par jour. »71 Les volumes deviennent impressionnants, avec 60 000 à 75 000 voitures par an, un chiffre d’affaires de plus de 750 MF. Les commerçants sont submergés au point de songer à renforcer le réseau72 : au cours des neuf premiers mois de 1930, les volumes prévisionnels annuels sont dépassés. Les agents manquent de voitures : en septembre 1930, le stock est « à un point bas record, 800 voitures »73, commercialement insuffisant. Mais Peugeot savoure ce succès : celui d’une usine et d’un modèle unique, d’une voiture réputée pour sa solidité, son économie à l’usage, mais aussi de revendeurs qui ont accepté avant le lancement de la 201 Peugeot « de développer leurs installations »73 grâce à l’aide d’une FFP, incontournable.

Une crise bancaire sans précédent

Près d’un an après le krach de Wall Street, la France montre sa différence. « Alors que partout il est question de crise », se risque le directeur commercial, « que nos concurrents ont dû faire des baisses de prix, nous avons pu, grâce à la 201 Peugeot, augmenter nos prix en cours d’année sans ralentir les ventes. »74 L’argent coule à flot dans les caisses de la SAAP qui profite de l’aubaine pour se rapprocher de la Banque de France, celle-ci lui délivrant une ligne de crédit de 15 MF75. L’occasion semble tout aussi excellente pour la banque Oustric qui lance une nouvelle augmentation de capital de 60 MF, afin de le faire passer de 190 MF à 250 MF, opération réservée aux actionnaires, soit 120 000 titres de 500 francs76 vendus 610 francs. L’augmentation est garantie par Oustric, la banque s’engageant à prendre tout ce que les porteurs d’actions A et B77 n’auraient pas souscrit. Qui peut douter que la SAAP a enfin trouvé son banquier de confiance ? Le temps n’est plus à cette jeune affaire Oustric qui se faisait un nom en prenant le contrôle de mines d’argent en Amérique du Sud ou de zinc en Afrique du Nord78, faisant ainsi flamber le cours de ses actions. La valeur des actions de la banque Oustric passe de 40 francs (1926) à 1 145 francs (1928). Depuis juillet 1928, Albert Oustric a constitué la Holding française (Holfra), une société de portefeuilles contrôlant les banques Oustric et Adam, ainsi qu’une part du Comptoir national d’escompte, des firmes textiles79, plusieurs maisons de couture80 et de chaussures81, des cafés et des casinos82, deux firmes automobiles (Peugeot et la filiale française de Ford), sans oublier les ciments de Couzon, les machines à coudre Athos et les teintureries de Thaon. La carte de visite est reluisante. Au Crédit lyonnais, on murmure que Oustric « a peut-être fini par ne s’intéresser qu’à de bonnes valeurs et par abandonner les affaires douteuses ». « Mais la Holfra contient tout ce que l’on veut : du vent, de la fumée, peut-être quelques bonnes valeurs mêlées à un avenir de songes […] Si la Holfra est devenue puissante, il reste à savoir avec quelle approbation l’introduction de cette holding à la Bourse a-t-elle été autorisée. »83 Rivalité bancaire ou volonté de clarification ?

La force tranquille de la famille Peugeot

Le 17 octobre 1930, la Bourse de Paris s’inquiète des méthodes utilisées par la Holfra pour augmenter le capital de ses différentes sociétés. Le 30 octobre 1930, la cotation est arrêtée. Après enquête, il s’avère que Oustric est au centre d’une gigantesque spéculation financière, le système mis en place servant à alimenter des sociétés qui se financent mutuellement, certaines n’existant que pour s’entraider en cas de difficultés. Oustric est acculé à la faillite, entraînant une cascade de mises en liquidation judiciaire. La presse s’interroge sur l’autisme ou la naïveté des chefs d’entreprise, dont Peugeot. Administrateur de la Holfra, Robert Peugeot doit s’expliquer devant les tribunaux, suivi d’autres responsables comme Jean-Pierre et Jules Peugeot, Jordan et les directeurs financiers et juridiques. Robert n’a rien vu venir : surpris de voir sa signature – et celle de son fils – en bas des procès-verbaux des conseils d’administration de la Holfra auxquels il n’a jamais participé, il démissionne de ses fonctions84, poussé par Jean-Pierre. Mais il n’a pas jugé utile d’en alerter la justice, Oustric ayant en garantie des actions Peugeot « en titres au porteur »85. Le recoupement des témoignages est unanime : la SAAP est victime d’une escroquerie, perdant 60 MF à la suite des malversations d’un homme que la justice révèle comme « un fils de cafetier, un homme ambitieux, devenu banquier en 1919 sans en connaître le métier »86.

Après l’aventure Rosengart, la faillite Oustric révèle les difficultés de Robert Peugeot à s’entourer de financiers solides et honnêtes. S’il est incontestable que la SAAP est parvenue à construire le « Grand Sochaux » sur les fonds Rosengart, puis à introduire la 201 Peugeot grâce au financement de Oustric, Peugeot le paie au prix fort. Avec sa trésorerie et ses actions placées dans les caisses d’une banque en faillite, la SAAP est en cessation de paiement et – pire – dépossédée de son affaire. C’est la plus grave crise de l’histoire de Peugeot. Un état-major de crise est constitué autour de Jean-Pierre Peugeot, Arnaud et Jordan, tandis que Oustric, Gualino et Dreyfus-Rose sont congédiés.

Dès les premiers soupçons, Robert et Jean-Pierre Peugeot demandent à Oustric de verser à la SAAP une partie des sommes déposées à la banque. Ce dernier invoque « des difficultés momentanées de trésorerie »87 pour expliquer son empêchement. Jean-Pierre passe à l’offensive et met la banque en demeure de lui restituer la totalité des fonds. Un refus, deux refus, Oustric demande des délais. Jean-Pierre et Louis Rouff mesurent le risque : en exigeant un remboursement global, ils mettraient la banque Oustric en faillite – elle ne l’est pas encore – et perdraient leur argent. Ils proposent un échéancier que la banque signe : 61 387 163 francs en 14 mensualités de 3 MF, 4 MF et 5 MF, avec un début des paiements en avril 1931 et une échéance à la fin de mai 193287. Reste la récupération des actions de la SAAP : les différentes sociétés Peugeot rassemblent les capitaux nécessaires – sur leurs fonds propres et grâce à l’aide de banques suisses – pour financer au plus vite le rachat des 18 000 actions A détenues par Oustric88. Pour réagir au mieux, les Peugeot modifient la raison sociale des Fils de Peugeot frères qui devient la « holding du groupe Peugeot »89, propriété de la famille. Une vraie nouveauté dans la gestion et même le vocabulaire puisque le mot « holding » n’apparaît dans le Larousse qu’en 1937. Épaulée par la FFP, cette holding a une vraie stature financière pour contrôler les affaires familiales, soit une minorité de la SAAP90, le contrôle des Cycles, de Peugeot & Cie, de Peugeot frères et de la riche Diffusion industrielle Peugeot (DIP)91 chargée des ventes à crédit. Le sauvetage de la SAAP s’organise dans la plus forte solidarité familiale, sous la conduite des Fils de Peugeot frères et de la FFP. Le rachat des 18 000 actions est effectué pour l’essentiel par la DIP. Le 4 novembre 1930, la famille annonce publiquement que « le groupe Peugeot vient de reprendre son influence dans la SAAP et possède la totalité des actions à vote plural, indépendamment d’une quantité appréciable d’actions ordinaires »92. Reste à maintenir l’activité industrielle et commerciale de la SAAP, notamment avec des moyens financiers limités. Le directeur financier approche les gros fournisseurs et négocie « des prolongations de paiement pour le règlement de leurs marchés »93. Jean-Pierre visite le réseau : il leur demande de payer les voitures en dépôt dans les garages, d’en commander de nouvelles94, voire de prêter de l’argent. Tous passent par la FFP qui augmente son capital au point de faire du réseau son second actionnaire, derrière les Fils de Peugeot frères. Les agents les plus actifs seront remerciés avec gratitude95 car les ventes continuent. C’est tout le paradoxe de cette crise financière qui survient au moment où Peugeot possède le meilleur outil de production et le modèle le plus prisé. Cet élément explique pourquoi la SAAP ne subit pas de crise de confiance.

Conclusion : Peugeot et sa vision des banques

Dans cette tourmente, les Peugeot parviennent à sauver l’immédiat et préparer l’avenir. L’un des hommes clés est Roger Gadala, un proche de la famille. Il rassemble plusieurs banquiers helvétiques qui s’engagent à colmater les brèches – lui-même y participant sur ses fonds – et acceptent d’assurer les premiers crédits de campagne au taux de 1 %96. On peut y voir cette fois l’image forte de la solidarité du monde économique rhénan et protestant. Pour l’avenir, les choses sont plus complexes car Peugeot a déçu les milieux bancaires français en se liant à Oustric, un établissement détesté de ses pairs. Robert Peugeot rencontre Pierre Fournier, sous-gouverneur de la Banque de France : il lui expose les difficultés de la SAAP, une absence d’appui bancaire à la veille de la saison d’hiver, soit au moment de la baisse saisonnière des ventes. Fournier accepte d’aider Peugeot, convaincu de la santé globale de la SAAP97. Il entérine « le warrantage des voitures en stock dans les entrepôts qui permettra de monnayer ces marchandises et de faciliter la trésorerie pendant la saison morte »98. La SAAP peut poursuivre une production de 3 500 voitures mensuelles. Parallèlement à ce soutien, Jordan prépare le long terme. Il rencontre plusieurs banquiers pour renouer des relations d’affaires, la Société générale, le Crédit lyonnais, le Comptoir national d’escompte et la Banque nationale pour le commerce et l’industrie (BNCI). Seule cette dernière décline l’offre, malgré les arguments de Jordan : « La défaillance de l’un de nos principaux banquiers nous laisse une perte de plus de 61 MF. Or ce même exercice se solde par un bénéfice net de 40,50 MF après des amortissements et des réserves qui s’élèvent à 130 MF, sans compter la réserve spéciale de 61 MF. Autant dire que la SAAP a les moyens de faire face et qu’elle sera à même de rémunérer le capital. »99 Comme annoncé, l’exercice 1930-1931 et les suivants n’afficheront aucune perte financière ! En juin 1931, la Société générale et le Crédit lyonnais donnent leur accord pour une émission obligataire de 70 MF. De quoi rembourser de vieux emprunts coûteux, faire de la trésorerie et lancer un programme de rachats d’actions destiné à mieux contrôler le capital. Le dernier point est essentiel. À la vue de l’effort mené par le réseau commercial, Jordan a imaginé un second plan : les cautionnements de ventes se feront en actions Peugeot, rassemblées au sein de la FFP. La méthode permet de reconquérir les titres perdus tout en s’alliant de nouveaux actionnaires de référence, éminemment stables. Les liens entre la famille Peugeot et son réseau sont scellés. Menée dans l’offensive, la sortie de crise pourrait d’ores et déjà paraître visible si cette crise n’en cachait pas une autre.

Jordan choisit la rigueur financière dès 1930. Le Crédit lyonnais en est étonné : « Dans la période précédente, Rosengart et Oustric avaient orienté la SAAP vers des répartitions croissantes aux actionnaires, aux dépens des dotations aux réserves et aux amortissements. Depuis la reprise du contrôle par la famille, les bénéfices, bien que voisins de ceux des années précédentes, sont entièrement consacrés aux amortissements et aux réserves. Le premier dividende a été distribué à l’assemblée d’avril 1934 et seulement au taux statutaire de 5 %. »100 Les petits actionnaires n’apprécient pas, mais Robert Peugeot ne lâchera rien avant de voir en 1933 les ventes progresser, le chiffre d’affaires augmenter de 120 MF, soit 25 % sur l’année ! La famille s’inscrit dans une pérennisation de son affaire. En 1934, elle multiplie les rachats d’actions « en dessous du pair »101, faisant passer le capital de 250 MF à 220 MF. Elle modifie la règle du vote plural qui lui restitue, du fait de la nouvelle géométrie du capital, un contrôle plus solide. La crise financière l’a rendue si vigilante qu’elle « laisse apparaître une stabilité des résultats alors que la hausse des profits est manifeste »102. La trésorerie est pléthorique. À l’été 1931, Peugeot emprunte 30 MF pour passer la saison hivernale103. Deux ans plus tard, alors que la crise économique est là, Peugeot annonce qu’elle « n’aura pas à envisager de crédits de campagne pendant l’hiver »104. La SAAP règle ses fournisseurs comptant, gagnant une remise de plus de 2 % sur ses factures105. Dans le plus grand secret, elle ouvre en 1933 un coffre à la Banque de France106 pour y déposer 20 millions d’or en lingots, fruit de sa réussite financière depuis deux ans et conséquence des avatars bancaires107 ! Avec un tel client, la Banque de France se met en quatre, escomptant son papier – qui passe de 100 MF à 12 MF ! –, lui apportant les garanties dont elle n’a plus besoin. La SAAP se permet juste de solliciter des émissions d’obligations ou des emprunts à taux faible pour rembourser sa dette obligataire et nettoyer son bilan : « En trois ans, nous avons diminué les exigibilités de 200 MF. Nous allons rembourser avec anticipation le reliquat des obligations à 6 % de 1920 avec de l’argent à 4,75 %. »108 En pleine crise, Peugeot n’a jamais affiché une si belle santé financière. Et cela loin des banques.


Notes

1 André Citroën est un industriel qui a fait fortune entre 1916 et 1918 dans la fabrication en grande série des obus de 75 mm, introduisant le travail à la chaîne.
2 Assemblée générale ordinaire (AGO) de la SAACP, exercices 1911 à 1914.
3 Direction des études économiques et financières (DEEF) du Crédit lyonnais, lettre de l’agence de Belfort à la direction des agences régionales de Lyon, 19 avril 1913.
4 DEEF du Crédit lyonnais, lettre de la direction des agences régionales à la direction générale, 21 avril 1913.
5 DEEF du Crédit lyonnais, note de l’agence de Belfort, 22 août 1913.
6 Il s’agit d’Émile Juillard-Finsch, directeur de la comptabilité générale.
7 DEEF du Crédit lyonnais, lettre de la direction générale au baron Brincourt, 15 septembre 1913.
8 Conseil d’administration (CA) de la SAAP, 26 février 1909.
9 CA de la SAACP, 15 avril 1911.
10 CA de la SAACP, 28 juin 1917.
11 La CSCA (Chambre syndicale des constructeurs d’automobiles).
12 CSCA, « Notre programme », Bulletin officiel, juin 1917.
13 André Citroën, « Pour demain », 11 novembre 1918.
14 CA de la SAACP, 30 mai 1918.
15 Emprunt par traites de trois mois, renouvelables trois fois. Coût de l’opération, intérêts et commissions : 8,3 %.
16 Il faut attendre les élections législatives de décembre 1919.
17 CA de la SAACP, 20 mars 1919.
18 Alexandre Lemoine, lettre à Robert Peugeot, 30 mars 1919.
19 Jules Peugeot, situation financière de la SAACP, 27 octobre 1919.
20 CA de la SAACP, 17 décembre 1920.
21 Émile Juillard-Finsch, note à Jules Peugeot, 5 avril 1920.
22 Jules Peugeot, CA de la SAACP, 12 décembre 1919.
23 Léon Willard, note à Émile Juillard-Finsch, 8 janvier 1920.
24 Henri (1983) et CA de la SAACP, 27 mars 1925.
25 AGO de la SAACP, exercice 1920-1921, 29 avril 1922.
26 Rapport d’Émile Juillard-Finsch, Situation financière de la SAACP, 4 octobre 1920.
27 Vendue sous le nom de Citroën Type A 10 HP, le modèle est en réalité une 7 CV, une catégorie peu commune au point de vue commercial qui pousse Citroën à la hisser artificiellement dans la famille des 10 CV bien plus appréciée de la clientèle.
28 CA de la SAACP, 31 mars 1920.
29 L’augmentation du prix de vente de la Citroën provient de la mévente de la voiture et de l’impossibilité d’atteindre rapidement les cadences industrielles permettant un abaissement aussi drastique des prix de revient.
30 La production Peugeot de 1889 à 1928, document Automobiles Peugeot, 1969, p. 109.
31 DEEF du Crédit lyonnais, 25237, Société anonyme des automobiles et des cycles peugeot, étude n° 5131, octobre 1920.
32 L’usine de Lille a été pillée par les troupes allemandes entre 1914 et 1918 et n’a toujours pas repris ses activités.
33 DEEF du Crédit lyonnais, 25237, op. cit.
34 250 bicyclettes par jour et 10 voiturettes. Les éléments comme les selles et les sacoches pour bicyclettes sont réalisés dans les usines des Fils de Peugeot frères.
35 DEEF du Crédit lyonnais 25237, op. cit.
36 DEEF du Crédit lyonnais, 25237, SAACP, étude n° 5131, août 1921.
37 Ibid.
38 Alexandre Lemoine, note à Robert Peugeot, 10 juillet 1922.
39 Dans les usines d’aviation qui, en 1922, tentent de fabriquer un moteur Peugeot de 600 CV dont les services de l’armée promettent en cas de succès une commande de 100 exemplaires à 80 000 francs l’unité. CA de la SAACP, 12 juin 1922.
40 CA de la SAACP, 6 novembre 1922.
41 Robert Peugeot, note à Pierre Peugeot, 7 mars 1923.
42 Rapport de la direction générale de la SAACP, mars 1923.
43 CA de la SAACP, 12 juin 1922.
44 DEFF du Crédit lyonnais, SAACP, étude n° 3480-5, juillet 1924, p. 6.
45 Ateliers de construction Paris-Anzin, Société des anciens établissements Paul See, Société d’application du béton armé, Société vermandoise de sucreries…
46 CA de la SAACP, 1er juin 1923.
47 Le warrant est un titre de crédit gagé sur des marchandises entreposées. Il est un effet de commerce négociable comme tel.
48 La CFCI et la SAACP devaient créer la Compagnie de construction industrielle Peugeot à parts égales pour un capital de 500 000 francs. Robert Peugeot et Isaac Kkchlin démissionnent de la CFCI en 1925.
49 La SEDIA est le pendant de la SADIF (Société d’auxiliaire d’aide à l’industrie française) créée avec André Citroën en 1921.
50 À partir de 1926 s’ajoutent la Banque d’Alsace-Lorraine, le Crédit du Nord, le Comptoir d’escompte de Mulhouse et le Comptoir national d’escompte. Dossier Rosengart. Archives Peugeot.
51 Alexandre Lemoine, « Organisation de la direction technique », 3 janvier 1924.
52 Ibid., 15 décembre 1927.
53 AGO de la SAACP, 29 mars 1927.
54 Conseil de gérance des Fils de Peugeot frères, 29 mars 1922. Cette somme fait l’objet dans les livres de comptes des Fils de Peugeot frères d’un compte spécial dont les intérêts sont remboursés par la SAACP tous les trimestres.
55 CA de la SAACP, 10 février 1925 et 27 mars 1925.
56 Pierre Peugeot, « Création d’une Société Cycles », 15 mars 1926.
57 CA de la SAACP, 8 juillet 1926.
58 Ancien élève de l’école d’électricité de Grenoble, spécialiste de la comptabilité industrielle.
59 Girardet (1952), p. 131.
60 Ibid., p. 134.
61 Ibid., p. 131.
62 DEEF du Crédit lyonnais, SAACP, entretien avec Liore, fondé de pouvoir de Rosengart, 24 janvier 1928, note n° 3489/0.
63 À la suite d’une décision prise en septembre 1926, la SAACP déménage son siège social de la rue Danton à Levallois-Perret aux 68-104 quai de Passy à Paris en 1928, dans des locaux surplombant les ateliers centraux des réparations Peugeot. Une grande partie de la direction se déploie rue de Berri pour des questions d’espace, le siège social restant localisé quai de Passy. La SAAP conserve ce siège social jusqu’en 1966.
64 CA de la SAACP, 25 novembre 1924.
65 20 000 actions A (1 voix par action) et 180 000 actions B (1 voix pour 10 actions). La souscription de toutes les actions A et 50 % des actions B sont réservés à la banque Oustric. CA de la SAAP, 13 juin 1928. Les Fils de Peugeot frères s’y opposent et exigent de détenir un minimum de 2 000 actions A, même 3 000 si possible. Conseil de gérance des Fils de Peugeot frères, 24 août 1928.
66 DEEF du Crédit lyonnais, 98AH16, Banque Oustric, n° 6823, 8 août 1928. Le dossier comporte plusieurs coupures de presse.
67 Lettre de la SAAP à la banque Oustric, 13 juin 1928.
68 CA de la SAAP, 20 août 1928.
69 CA de la SAAP, 2 juin 1932.
70 5 CV et 6 cylindres.
71 Jean-Pierre Peugeot, CA de la SAAP, 21 mars 1930.
72 Les succursales Peugeot sont installées à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Toulouse, Tours, également Casablanca et Tunis. CA de la SAAP, 2 août 1930.
73 CA de la SAAP, 1er août 1930.
74 Note de la direction commerciale, « Situation commerciale », 9 août 1930.
75 CA de la SAAP, 30 juin et 4 octobre 1930.
76 Le capital est porté à 250 MF. La souscription est réservée à 50 % aux porteurs d’actions A qui reçoivent 3 nouvelles actions contre une ancienne et à 50 % aux porteurs d’actions B qui bénéficient d’une action nouvelle contre 6 anciennes. CA de la SAAP, 8 mai 1930.
77 Les nouvelles actions sont les actions B. Elles sont à vote plural.
78 Sociétés minières de Huanchaca et de Corocoro ainsi que les mines du Djebel Skarna. DEEF du Crédit Lyonnais, 96AH16, op. cit.
79 Textile naturel : Éts Valentin Bloch et les anciens Éts Jules Desurmont. Textile artificiel : la société rémoise de Linoleum, Éts Maréchal et la SNIA Viscosa, spécialiste des cuirs artificiels.
80 Maison Agnès, Maison Germaine Patat et la Maison de gros.
81 Chaussures dressoir, Éts Monteux, Société des chaussures incroyables, Chaussures Fayard, Société générale des chaussures françaises, Chaussures Raoul et Chaussures Binet.
82 Les grands cafés parisiens et la société fermière du casino municipal de Cannes.
83 DEEF du Crédit lyonnais, 37417, Banque Oustric. Extraits de journaux, note n° 6127, sans date.
84 Robert Peugeot, lettre à Albert Oustric et Jean-Pierre Peugeot, 3 novembre 1930.
85 Robert Peugeot, lettre à Albert Oustric, 13 juin 1928 ; Léon Baratte, note à Robert Peugeot, 27 juillet 1928 ; Jules Peugeot, lettre à Jean-Pierre Peugeot, 19 février 1929. Dans ces correspondances, seul Jules Peugeot, le frère de Robert, s’inquiète des titres devenus au porteur.
86 DEEF du Crédit lyonnais, 37417, op. cit.
87 CA de la SAAP, 27 octobre 1930.
88 2 000 actions A sont depuis leur création la propriété de la FFP et des Fils de Peugeot frères.
89 DEEF du Crédit lyonnais, SAAP, étude n° 7770, 18 mai 1930.
90 Une grande part des actions B de la SAAP contrôlée par Peugeot est la propriété personnelle des membres de la famille Peugeot. Ces actions échappent donc encore au contrôle des Fils de Peugeot frères.
91 La DIP est fondée en 1928. Elle devient en 1934 la DIN (Diffusion industrielle nationale).
92 AGE de la SAAP, 4 novembre 1930.
93 Louis Rouff, note à Jean-Pierre Peugeot, 1er mars 1931.
94 CA de la SAAP, 2 mars 1931.
95 Revendeurs et fournisseurs ont également mesuré les conséquences dramatiques pour leurs propres affaires de la fin de la SAAP.
96 CA de la SAAP, 4 avril 1931.
97 L’arrivée de la crise à la fin de 1931 ne permettra pas de réaliser cette hausse. La production plonge au contraire, mais les efforts de productivité maintiennent la rentabilité et les bénéfices de la SAAP.
98 CA de la SAAP, 2 mars 1931.
99 Maurice Jordan, « Situation de la SAAP », février 1931.
100 DEEF du Crédit lyonnais, SAAP, note n° 7770/4, 28 juin 1934.
101 AGE de la SAAP, 27 juin 1934.
102 DEEF du Crédit Lyonnais, op. cit.
103 CA de la SAAP, 22 juin 1931.
104 CA de la SAAP, 7 juin 1933.
105 « Politique aux fournisseurs », note à la direction générale, 20 décembre 1933.
106 Seuls y ont accès Robert et Jean-Pierre Peugeot et Maurice Jordan, puis Édouard Arnaud à partir de 1936.
107 CA de la SAAP, 13 décembre 1933, 1er mars 1934.
108 Robert Peugeot, CA de la SAAP, 15 mai 1935.

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