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 Quel rôle pour le secteur financier dans la transition écologique ?


Jean Paul POLLIN

* Professeur émérite, Laboratoire d'économie d'Orléans, Université d'Orléans. Contact : jean-paul.pollin@univ-orleans.fr.

Les textes qui suivent rassemblent les interventions des participants à l'une des sessions de « L'économie aux rendez-vous de l'Histoire » de Blois, en octobre 2020. Elle portait sur le rôle du secteur financier dans la transition écologique. La richesse et la diversité de ces interventions nous ont fait penser qu'il pouvait être utile de leur assurer une plus large audience en les publiant.

Le sujet en question fait l'objet depuis quelque temps de nombreuses réflexions qu'il est intéressant de mettre en perspective. Car pour faire face aux dérèglements environnementaux (climatiques principalement), provoqués par l'activité humaine, les propositions des économistes ont généralement privilégié la taxation des émissions de gaz à effet de serre (disons de CO2), pour corriger l'externalité qui est en cause. Ce qui suppose la détermination d'un prix du carbone censé se fixer sur un marché des droits à polluer émis en fonction des objectifs retenus dans le scénario de transition.

Mais force est de constater que cette solution théoriquement optimale, selon le cadre usuel de l'analyse économique, s'est révélée bien difficile à mettre en œuvre. Notamment parce qu'elle a des conséquences redistributives politiquement peu acceptables. Mais aussi parce que l'organisation et la gestion du marché du carbone n'ont jamais vraiment été maîtrisées, de sorte que le prix qui s'y fixe ne peut jouer le rôle que l'on en attendait. Cela ne condamne pas la solution en question mais, à tout le moins, elle ne peut être la seule réponse au problème. C'est du reste ce qui explique que les États utilisent dans leurs politiques environnementales toute une gamme d'instruments combinant des taxes, des subventions, des normes sur les produits et sur leur fabrication. Et c'est bien en ce sens que le secteur financier devrait pouvoir exercer une action déterminante sur l'évolution souhaitée du système productif.

Encore faut-il bien sûr que ce rôle soit en concordance avec les intérêts bien compris des acteurs de la finance, c'est-à-dire les investisseurs individuels et institutionnels (fonds, sociétés de gestion), les intermédiaires financiers (banques, assurances), les régulateurs et les banques centrales. Or une analyse sommaire suffit à se convaincre que, de fait, les situations de tous ces agents sont susceptibles d'être directement affectées par la montée des risques environnementaux. Ceux-ci sont d'ailleurs de deux ordres. On distingue les « risques physiques » que constituent les dommages que les dégradations de l'environnement peuvent faire subir aux personnes et aux biens (par exemple, les destructions d'actifs dues à des événements climatiques extrêmes) ; quant aux « risques de transition », ils résultent des changements de comportements en réponse aux transformations des activités et de leurs modèles d'affaires, induits par les politiques environnementales. Mais quels qu'ils soient ces risques menacent fatalement la situation, la valeur ajoutée, les résultats du secteur financier pris globalement aussi bien qu'au niveau de ses composantes. Ce qui devrait logiquement le conduire à agir d'une façon ou d'une autre (par la tarification des financements ou par la sélection des projets d'investissement) pour orienter les capitaux vers des emplois conformes aux exigences de la transition.

Ce raisonnement porterait donc à conclure à l'alignement de l'intérêt et de la logique de comportement du secteur financier sur l'intérêt général que concrétisent les objectifs de la transition écologique. Mais on ne peut cependant en rester à cette idée générale, car se posent en pratique un ensemble de questions qui nuancent sérieusement le constat :

  • d'abord, il se trouve que la mesure des risques que l'on vient d'évoquer est un exercice difficile. Parce que la nature des événements dont on parle est bien différente de celle des chocs stochastiques auxquels s'adresse la gestion traditionnelle des portefeuilles d'actifs ou d'activités. On est ici au contraire en présence de risques systémiques, c'est-à-dire de chocs rares, de grande ampleur, non probabilisables et dont les conséquences ne sont pas précisément connues. On devrait d'ailleurs dans ce cas parler d'incertitude (possiblement radicale) plutôt que de risque ;

  • par ailleurs, les différents acteurs de la finance ne sont pas touchés de la même façon par les risques (ou incertitudes) environnementaux. De plus, ils n'ont pas les mêmes objectifs, les mêmes horizons et les mêmes instruments d'action. Par exemple, les institutions financières (aussi bien les fonds, les banques ou les assurances) interviennent par l'offre de produits de placement et de financement, sous la contrainte de comportements souvent trop court-termistes des apporteurs ou demandeurs de capitaux, alors que les banques centrales et les régulateurs cherchent à corriger les comportements en question, dans une perspective de plus long terme, par des refinancements sélectifs, des réglementations, etc. Or il reste beaucoup à faire pour connaître, entre autres choses, la réalité des comportements et l'efficacité des instruments d'intervention, ainsi que leurs extensions possibles. Mais surtout il reste à comprendre comment coordonner les comportements des acteurs ou du moins pour faire en sorte que les initiatives des uns et des autres soient cohérentes par rapport à l'objectif poursuivi : disons le respect des normes suggérées par les accords sur le climat ;

  • au-delà, comment concilier les contributions du secteur financier à la transition avec les autres volets des politiques de l'environnement et notamment la taxe carbone ? Faut-il considérer, comme le proposent certains, que le rôle du secteur en ce domaine doit être celui d'un adjuvant au principe de taxation, ou faut-il au contraire lui reconnaître une « efficacité propre » justifiant l'indépendance de sa conception et de son implémentation ? Et comment aussi articuler tout cela avec des interventions budgétaires telles que celles des plans de relance par l'investissement mis en place à l'occasion de la crise sanitaire ?

Ces diverses questions sont au cœur des présentations qui suivent et des discussions qu'elles ont suscitées. On peut aisément prédire qu'elles seront suivies dans les temps qui viennent par d'autres débats, réflexions et travaux qui permettront d'enrichir les réponses à la question posée.