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 Penser la stabilité financière à l'ère des risques écologiques globaux – Vers de nouveaux arbitrages entre efficience et résilience des systèmes complexes


Patrick BOLTON * Professeur, Université de Columbia et Imperial College.
Morgan DESPRÉS ** Directeur adjoint de la stabilité financière, Banque de France.
Luiz Awazu PEREIRA DA SILVA * Directeur général adjoint, Banque des règlements internationaux (BRI).Contact : luiz.apereira@bis.org.Les opinions exprimées ici sont celles de l'auteur et ne peuvent être attribuées à la BRI.
Frédéric SAMAMA **** Chief Responsible Officer, CPR, Amundi Group.
Romain SVARTZMAN ***** Économiste, Banque de France. Contact : romain.svartzman@banque-france.fr. Les auteurs remercient Paul Vignat pour son aide dans la préparation de cet article. Les opinions sont celles des auteurs et n'engagent pas leurs institutions respectives.

Cet article examine les implications pour la stabilité financière de nouveaux risques écologiques globaux et systémiques (« Cygnes Verts »), incluant les risques climatiques et la pandémie de la Covid-19. Plutôt que de proposer une solution unique (par exemple une taxe carbone ou une mesure des risques climatiques supposément optimales) pour faire face à des phénomènes non linéaires et extrêmement complexes, il explore de nouveaux cadres d'analyse capables de mieux prendre en compte l'incertitude radicale et le besoin de transformation structurelle liés aux défis écologiques contemporains. Une coopération sans précédent entre de multiples acteurs, incluant entre autres les banques centrales, devient une condition essentielle à la gestion de ces risques. Cette approche soulève de nouveaux défis, et en particulier celui des arbitrages nécessaires entre la recherche d'une plus grande efficience et le besoin d'une plus grande résilience au sein de systèmes socioécologiques complexes.

Alors que le réchauffement climatique s'accélère et que ses impacts sur les écosystèmes et les sociétés humaines augmentent dramatiquement (IPCC, 2018), les décideurs politiques et la communauté financière (dont les banques centrales) sont de plus en plus conscients des risques potentiellement systémiques liés au climat (NGFS, 2019).

Cependant, le changement climatique ne pourrait être que la « partie émergée de l'iceberg » (Steffen et al., 2011) des problématiques écologiques. Alors que l'activité humaine dépasse ou est proche de dépasser de nombreuses « limites planétaires » (Steffen et al., 2015), dont la perte accélérée de biodiversité est peut-être le signe le plus préoccupant (IPBES, 2019), la communauté scientifique nous alerte sur le fait que le risque de crises écologiques systémiques est désormais significatif (Ripple et al., 2017). Loin d'être une position alarmiste et minoritaire, des milliers de scientifiques n'hésitent plus à joindre leurs forces pour envoyer « un signal d'alerte à l'humanité » (Ripple et al., 2017) et demander une transformation socioéconomique profonde et structurelle. Dans ce contexte, et avec toute la prudence nécessaire, la crise de la Covid-19 est analysée par de nombreux experts comme le symptôme d'un « déni de la crise écologique » (Veuille et al., 2020), étant donné le consensus scientifique existant sur les liens entre perte de biodiversité et développement de zoonoses (FRB, 2020 ; Wolfe et al., 2007).

Devant l'ampleur des enjeux, il n'y aura pas de solution miracle, que ce soit un prix universel du carbone (Hepburn et al., 2020a) ou des services écosystémiques, une mesure financière optimale des risques écologiques ou une prise en charge des coûts de la transition par un acteur technocratique éclairé et bienveillant (Bolton et al., 2020a). La situation invite plutôt à penser les limites des propositions qui peuvent paraître concrètes à première vue (par exemple, une taxe carbone réglant à elle seule le problème climatique) et à les contextualiser à la lumière de la complexité et de la profondeur des crises auxquelles nous faisons face. Ce travail, bien que théorique en apparence, est un préalable nécessaire à la recherche de solutions pragmatiques, coordonnées et structurelles.

Comment penser, alors, ces nouveaux risques écologiques globaux et les réponses à y apporter ? Plus particulièrement, quel cadre d'analyse les banques centrales peuvent-elles développer afin de garantir leur mandat de stabilité financière, et quelles en sont les conséquences et les limites ?

Cet article pose les jalons d'une réflexion émergente sur ces questions, en procédant de la manière suivante. La première partie rappelle les caractéristiques principales des Cygnes Verts, ces événements écologiques à la fois prévisibles et impossibles à mesurer avec précision, et qui peuvent avoir des conséquences systémiques et irréversibles (incluant la perte de vies humaines). Les Cygnes Verts englobent les risques climatiques, mais également d'autres risques écologiques tels que ceux, explorés dans la deuxième partie, liés à la pandémie de la Covid-19. La troisième partie indique que face à de tels risques, on ne peut se satisfaire de solutions uniques, que celles-ci se basent sur un prix du carbone ou sur une gestion des risques financiers liés aux risques écologiques. Nous privilégions alors un cadre d'analyse capable de penser les coopérations nécessaires entre de multiples acteurs et visant à renforcer la résilience du système économique et financier. La quatrième partie analyse l'un des points cruciaux d'un tel cadre d'analyse : celui-ci demande des arbitrages difficiles, et encore relativement peu explorés par la théorie économique et financière, entre efficience et résilience. La cinquième partie conclut.

Les Cygnes Verts : l'ère des risques climatiques
et écologiques globaux

Depuis quelques années, la communauté des banques centrales, des régulateurs et des superviseurs financiers reconnaît la nécessité de faire face à un nouveau type de risques financiers : les risques climatiques (Carney, 2015 ; NGFS, 2019). Deux grands types de risques financiers ont été identifiés : les risques physiques et les risques de transition.

Les risques physiques concernent les pertes économiques et financières liées à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements climatiques extrêmes (tels que les ouragans ou les inondations) ainsi qu'aux changements de long terme des tendances climatiques (telles que l'augmentation du niveau de la mer). Le risque de pertes catastrophiques ne peut être exclu (Weitzman, 2009), surtout si l'augmentation de la température moyenne dépasse les 1,5 °C ou 2 °C.

Les risques de transition concernent les risques qui pourraient se matérialiser en cas de transition rapide vers une économie bas-carbone (par exemple, du fait de politiques publiques soudaines, de ruptures ou freins technologiques, de modifications rapides des normes sociales et des préférences individuelles, etc.). En particulier, limiter l'augmentation de la température moyenne à 1,5 °C ou 2 °C suppose qu'une grande partie des réserves existantes de ressources fossiles ne pourront être extraites. Celles-ci deviendraient alors des « actifs échoués » (stranded assets), des réserves qui pourraient rapidement perdre toute valeur et déclencher des ventes massives et au rabais (fire sale).

Les risques physiques et les risques de transition peuvent se matérialiser de différentes manières et générer de nombreux effets de contagion et de second tour, pouvant générer des risques systémiques (cf. schéma infra).

Schéma
Canaux de transmission et de contagion des risques climatiques

Source : Bolton et al. (2020a).

Les phénomènes donnant lieu à de tels risques systémiques peuvent être qualifiés de « Cygnes Verts » (Bolton et al., 2020a et 2020b). Le concept de Cygne Vert fait référence à celui de Cygne Noir (Taleb, 2007). Les Cygnes Noirs ont trois caractéristiques : (1) ils sont inattendus au regard des événements passés ; (2) leurs impacts sont considérables, voire extrêmes ; (3) ils sont rationalisés par des cadres conceptuels développés ex post (on parle de rationalisation rétrospective). Outre ces trois caractéristiques propres aux Cygnes Noirs, les Cygnes Verts intègrent deux éléments de gravité supplémentaires (cf. tableau infra). Premièrement, la communauté scientifique nous alerte sur le fait qu'il est désormais quasiment certain que ces risques se matérialiseront d'une manière ou d'une autre. Il existe donc une forte certitude quant à l'existence du risque et une forte incertitude quant à la manière dont il se matérialisera. Deuxièmement, les Cygnes Verts peuvent s'avérer encore plus extrêmes que les Cygnes Noirs car ils sont souvent irréversibles (notamment car ils peuvent causer de nombreuses pertes de vies humaines et non humaines), posant dès lors des questions éthiques profondes telles que celle de la valeur actualisée de la vie des générations futures. Cela implique notamment qu'aucun acteur ne peut se protéger individuellement face à de tels risques (unhedgeable risks).

Tableau
Cygnes Blancs, Noirs et Verts

Source : adapté de Pereira da Silva (2020).

Bien que les risques climatiques puissent à eux seuls être de nature systémique, le changement climatique n'est en fait que la « partie émergée de l'iceberg » (Steffen et al., 2011) des problématiques écologiques. De nombreux cycles biogéochimiques autres que celui du carbone, mais tout aussi essentiels à la vie sur Terre, sont affectés par l'activité humaine. Le dépassement de neuf « limites planétaires » (Steffen et al., 2015) pourrait ainsi donner lieu à d'autres crises systémiques qui seraient, par exemple, déclenchées par le déclin massif de la biodiversité (IPBES, 2019) ou l'érosion accélérée des sols (UNCCD, 2019). Les banquiers centraux commencent d'ailleurs à reconnaître la multiplicité de crises écologiques au-delà du climat (NGFS, 2019 ; Schellekens et van Toor, 2019).

Ces perturbations écologiques sans précédent et causées par l'activité humaine ont conduit certains scientifiques à considérer que nous sommes entrés dans l'Anthropocène. Ce terme fait référence à une nouvelle époque de l'histoire de la Terre où les impacts des sociétés humaines (plus précisément, d'une partie d'entre elles) sur les processus planétaires sont devenus si profonds que nous serions sortis de l'Holocène, époque géologique au cours de laquelle se sont développées l'agriculture, les communautés sédentaires et la complexification sociale et technologique des sociétés humaines (Steffen et al., 2011).

Dans ce contexte, les Cygnes Verts font référence à un ensemble de crises écologiques à la fois prévisibles (d'un point de vue scientifique), mais impossibles à anticiper et à mesurer de manière précise, dont les impacts peuvent être systémiques et face auxquels des réponses globales et coordonnées deviennent indispensables.

La crise de la Covid-19 comme Cygne Vert

À ce titre, la crise due à la Covid-19 semble bien correspondre à un Cygne Vert en raison de ses causes, de ses impacts et des réponses nécessaires. Concernant les causes d'abord : bien qu'il convienne d'être prudent sur les origines de la pandémie, de nombreux scientifiques soulignent que la pandémie était largement prévisible et qu'elle est probablement due à une destruction généralisée des habitats naturels (Grandcolas et Justine, 2020). De nombreuses maladies infectieuses récentes ont des origines animales (Wolfe et al., 2007 ; FRB, 2020) et les tendances actuelles laissent présager que « la prochaine pandémie est prévisible » (Veuille et al., 2020). Cette prévisibilité scientifique de la crise est bien une caractéristique du Cygne Vert.

Concernant la matérialisation du risque ensuite : la Covid-19 montre bien qu'il est quasiment impossible pour un agent de se protéger des risques (unhedgeable risk), tant ceux-ci sont profonds, transmis de manière non linéaire à l'ensemble des acteurs de l'économie mondiale à travers des chaînes de valeur globales, et avec des interactions multiples. Dans ce contexte, les modèles traditionnels de gestion des risques financiers et les modèles macroéconomiques sont incapables de capturer avec précision les risques encourus. De plus, cette crise pose des questions éthiques profondes dépassant largement le cadre de l'économie et de la finance, telles que celles de la valorisation d'une vie humaine ; par exemple, face à la Covid-19, certains pays préfèrent mettre la valeur de la vie humaine au-dessus et de la valeur économique et d'autres font le choix inverse. Comment appliquer une analyse économique coût-bénéfice (ou un arbitrage financier rendement-risque) à de telles questions ? Cette incapacité à mesurer objectivement l'ampleur du risque correspond également aux caractéristiques d'un Cygne Vert.

Concernant les réponses enfin : le changement climatique et la Covid-19 posent des questions profondes et systémiques sur le monde « d'après ». La crise a notamment agi comme un puissant révélateur du besoin d'investissements publics et d'une coopération internationale sans précédent afin d'assurer la provision de biens publics globaux tels que la santé et la stabilité climatique (Pereira da Silva, 2020). Ce besoin de réponse coordonnée et systémique correspond également aux caractéristiques d'un Cygne Vert.

Alors que de telles crises sont appelées à se répéter et qu'une action forte et rapide demande un changement si profond qu'il pourrait également causer des crises (liées aux risques de transition), comment penser la stabilité et la résilience du système économique et financier à l'ère des risques écologiques globaux, et quelles peuvent être les conséquences ?

De l'optimisation à la coordination
comme stratégie de gestion
des risques écologiques globaux

Une approche économique standard du problème consisterait à traiter ces risques comme des défaillances de marché produisant des externalités négatives. Ces externalités demanderaient, par définition, à être internalisées via des mécanismes de prix et/ou de marché. En particulier, la théorie économique néoclassique nous indique qu'une taxe carbone créerait les incitations nécessaires pour que les agents économiques réduisent leurs émissions en se détournant vers des modes de production et de consommation moins émetteurs de CO2. La question serait donc de savoir quelle est la valeur optimale de la tonne de carbone émise. En l'absence d'un prix du carbone suffisant, des options « second best » peuvent être envisagées. Par exemple, le système financier pourrait mesurer les risques climatiques, notamment via des analyses de scénario permettant de mieux identifier les risques climatiques pour ainsi mieux les gérer (NGFS, 2019).

Ces deux mesures (taxe carbone et mesure du risque par les acteurs financiers) sont en effet essentielles. Mais, disons-le clairement, elles ne suffiront pas du fait de la complexité et du niveau d'incertitude en présence. Par exemple, en ce qui concerne un prix du carbone (dont le montant ne fait par ailleurs aucun consensus après des décennies de débats) comme instrument unique de la transition, il est de plus en plus reconnu que cette hypothèse tend à ignorer de nombreuses forces sociales et politiques qui peuvent influencer la façon dont le monde évolue (Hepburn et al., 2020a). Deux limites principales peuvent être brièvement soulevées ici.

Premièrement, le changement climatique n'est pas une défaillance de marché comme une autre, mais probablement « la plus grande défaillance de marché que le monde n'ait jamais connue » (Stern, 2006). Compte tenu de l'ampleur du défi, les prix du carbone pourraient devoir monter en flèche dans un laps de temps très court, ce qui déclencherait un large éventail de conséquences imprévues. Par exemple, les inégalités générées par cette taxe pourraient être d'une telle ampleur que même un reversement des revenus aux ménages les plus affectés pourrait ne pas être suffisant (ou annuler l'effet initial de la taxe). Le lien entre inégalités et transition doit alors être pensé de manière plus holistique, par exemple en se posant la question de savoir quel est le niveau d'inégalités préalable à la transition qui rend celle-ci (im)possible socialement (Chancel, 2017).

Deuxièmement, cette défaillance de marché liée au changement climatique est d'une telle ampleur qu'il serait prudent de l'aborder plus comme qu'une simple défaillance. L'atténuation du changement climatique demande en effet de penser des transformations potentiellement profondes de nos modes de vie, de privilégier des choix éthiques à long terme à des considérations économiques à court terme, ou encore de penser de nouvelles formes de coordinations locales et internationales pour gouverner les biens communs (Ostrom, 2010). Une telle tâche demande une approche transdisciplinaire capable de mieux saisir les réalités de la transition.

Dans ce contexte, « des prix du carbone réalistes ne peuvent suffire à déclencher le changement structurel dont nous avons besoin. De nombreux défis structurels, tels que la conception des villes, les chaînes d'approvisionnement industrielles et les réseaux de production, ne répondent que faiblement ou lentement, ou même les deux, aux variations marginales des prix » (Hepburn et al., 2020a). Ce constat semble par ailleurs renforcé par un constat historique : l'évolution des utilisations des sources d'énergie primaire par le passé a répondu à une variété de considérations technologiques, géopolitiques et institutionnelles qui ne peuvent être réduites à une question de prix relatifs, bien que ceux-ci aient également joué un rôle important (Pearson et Foxon, 2012).

Ces limites deviennent encore plus évidentes si l'on s'attèle à penser l'ensemble de nos crises écologiques décrites plus haut. Par exemple, faire face à la perte de biodiversité et aux risques financiers qui y sont liés (OCDE, 2019) peut difficilement se résumer à un mécanisme de prix ou une métrique de risque. En effet, bien qu'il soit possible d'attribuer une valeur monétaire aux services écosystémiques fournis par le capital naturel, les résultats demandent à être interprétés de manière très prudente (Levrel, 2020). La biodiversité est en effet irréductible à un équivalent unique (par exemple, une tonne de CO2 ne peut pas se comparer à une « unité de biodiversité ») et peut plutôt s'apparenter à une condition nécessaire au fonctionnement de toutes les autres activités dans une société, au même titre que la confiance institutionnelle (Dasgupta, 2020). La compréhension des risques liés à la perte de biodiversité demande ainsi une multitude d'indicateurs et, plus largement encore, une compréhension plus poussée des contextes institutionnels spécifiques permettant aux parties prenantes concernées de gouverner durablement les biens communs (Ostrom, 2010 ; Levrel, 2020).

Ainsi, prendre la mesure des risques écologiques globaux auxquels nous sommes exposés et le changement structurel que nous devons mettre en place pour y faire face demandent d'intégrer pleinement le concept d'incertitude radicale (Chenet et al., 2019 ; Svartzman et al., 2019) et de viser à renforcer la résilience et la robustesse du système, plutôt qu'à gérer chaque risque séparément. Confrontés à un ensemble d'événements complexes, soumis à une incertitude radicale et à la possibilité d'impacts catastrophiques, les Cygnes Verts appellent ainsi moins à l'amélioration de la modélisation des risques qu'à une action et une coordination forte et immédiate (Pereira da Silva, 2020).

Dans ce contexte, l'action des banques centrales et du système financier pour faire face aux risques climatiques ne prendra de sens que si elle s'accompagne d'actions multiples. À titre d'exemple et de manière non exhaustive :

  • la recherche de nouveaux policy mix combinant des instruments budgétaires, fiscaux, monétaires et prudentiels (Krogstrup et Oman, 2019). Une politique fiscale et budgétaire ambitieuse peut notamment s'avérer essentielle pour développer des infrastructures qui permettent ensuite aux agents économiques de réagir de manière efficace et efficiente à des signaux prix (par exemple, le financement de chemins de fer permettant aux agents de passer plus facilement de la voiture au train). Face à la crise de la Covid-19 et aux besoins de financement pour la transition écologique, des investissements publics massifs sont nécessaires dans des secteurs tels que la rénovation thermique (Hepburn et al., 2020b) ;

  • un rôle accru pour les banques multilatérales de développement est essentiel pour développer des politiques d'atténuation de manière coordonnée (Aglietta et Espagne, 2016) et pour soutenir les pays les plus pauvres en cas de crises écologiques ou sanitaires ;

  • le développement de cadres comptables « écologiques », que ce soit au niveau national ou des entreprises, peut permettre aux différents acteurs de prendre en compte la dégradation du capital naturel liée à leur activité, et ce dans le cadre d'une « soutenabilité forte » qui n'assume pas de substituabilité entre le capital naturel et d'autres formes de capital (Rambaud et Richard, 2015).

Quels arbitrages entre efficience et résilience ?

Au-delà d'une telle agrégation de mesures, l'amplitude et la gravité des crises écologiques demandent également un cadre théorique approprié. En particulier, les Cygnes Verts nous invitent à nuancer la recherche d'efficience (économique ou financière) à la lumière du principe de résilience. Alors qu'une certaine redondance est nécessaire dans les écosystèmes bien qu'elle implique une réduction de l'efficience (par exemple, la diversité génétique sert de barrière à la propagation de nouveaux virus), la pandémie de la Covid-19 pourrait servir de prise de conscience quant au fait que la redondance est également nécessaire à la résilience de nos systèmes socioéconomiques (Volz et al., 2020).

À titre d'exemple, renforcer la résilience de nos systèmes socio-économiques pourrait demander de revisiter la géographie de la mondialisation. Les progrès de la logistique et la baisse des coûts de transport ont rendu possibles des modèles de production juste à temps, de flux tendus, avec un stock nul. Cela a considérablement augmenté la productivité et permis aux chaînes de production d'être réparties sur toute la planète, en offrant des produits de consommation à bas coût. Mais cela a également rendu nos économies moins résistantes aux chocs et a concentré les dommages écologiques dans certaines zones. Des chaînes d'approvisionnement plus résilientes demanderaient alors un certain niveau de déspécialisation.

Ces redondances engendrent bien entendu des coûts opérationnels, par exemple pour les consommateurs dans le cas de chaînes de production moins spécialisées qu'auparavant. Cela signifie que la gestion des risques systémiques ne peut se faire en partant du principe que les structures ayant contribué à générer ces risques (ou n'ayant pas pu empêcher leur apparition) doivent rester inchangées. Par exemple, une hausse des coûts liée à une déspécialisation géographique de la production demande de penser dans quel contexte ces coûts pourraient être socialement acceptables (quels revenus et filets de sécurité sociale correspondants, quel niveau d'emploi, etc.). Répondre à de telles questions ne pourra ainsi se faire qu'entre économistes ou spécialistes de la gestion des risques, et demandera une forte transdisciplinarité, incluant notamment un dialogue accru avec d'autres sciences sociales et avec les sciences naturelles.

Bien que ces réflexions ne peuvent aboutir à une solution simple et unique, ne pas les intégrer dans la gestion des nouveaux risques écologiques globaux reviendrait à manquer l'occasion de tirer des leçons importantes de la grave crise que nous traversons.

Conclusion : « never waste a crisis »

La crise de la Covid-19 pourrait bien signaler la première crise de l'Anthropocène (Tooze, 2020), renforçant alors l'hypothèse du Cygne Vert. Face à ces nouveaux risques écologiques et globaux dont aucun agent ne peut se protéger individuellement, la recherche de solutions miracles, qu'elles reposent sur une taxe carbone et/ou sur une méthodologie de risque supposément optimale(s), doit laisser la place à des approches plus systémiques. Le rôle de la communauté financière et celui des banques centrales doivent alors être pensés dans un cadre plus large, impliquant une forte coordination entre acteurs et entre mesures (fiscales, budgétaires, réglementaires, monétaires, comptables, etc.).

Cet article contribue à une recherche émergente, mais désormais urgente, visant à proposer un cadre théorique cohérent et capable de penser cette coordination entre les acteurs et les mesures concernés. Ce cadre vise en particulier à renforcer la résilience de nos systèmes socio-économiques face à des chocs de plus en plus probables, et demandant d'opérer de nouveaux arbitrages entre la recherche d'efficience et le besoin de plus de redondance. De tels arbitrages impliquent nécessairement des coûts, mais ceux-ci resteront sans commune mesure à ceux que pourraient causer des crises potentiellement bien plus graves que celle de la Covid-19.