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 Introduction


Patricia CRIFO * Professeure, École Polytechnique ; chercheuse, CREST ; directrice adjointe, Centre Energy4Climate. Contact : patricia.crifo@polytechnique.edu.
Antoine REBÉRIOUX ** Professeur d'économie, Université de Paris, Ladyss.Contact : antoine.reberioux@gmail.com.

L'année 2018 aura été marquée par des débats intenses autour du Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) dont l'objectif affiché est une réforme ambitieuse de l'entreprise et de sa gouvernance, comme le suggérait le président de la République dans une interview du 15 octobre 2017 : « L'entreprise, ça ne peut pas être simplement un rassemblement des actionnaires – notre Code civil la définit comme ça. […]. Je souhaite que l'année prochaine, on ouvre une vraie discussion sur ce qu'est l'entreprise [...]. Et donc, je veux qu'on réforme profondément la philosophie, qui est la nôtre, de ce qu'est l'entreprise. » Deux rapports ont notamment alimenté ces débats : le rapport Notat et Senard (2018), d'une part, et le rapport Frérot et Hurstel (2018), d'autre part, avec comme point central la question de la réécriture des articles 1832 et 1833 du Code civil, définissant la société (comme personne morale).

L'Europe également n'est pas en reste avec la publication en mars 2018 par la Commission européenne d'un plan d'action sur la finance durable. S'appuyant sur les recommandations du groupe d'experts sur la finance durable (HLEG – High Level Expert Group) créé en décembre 2016, ce plan d'action vise à développer la finance verte et faire de la finance durable le fer de lance du système financier européen. Il s'agit de l'une des principales mesures visant à mettre en œuvre l'accord de Paris de 2015 et le programme de développement durable de l'Union européenne.

Ces deux niveaux d'initiatives, français et européen, montrent un changement important d'orientation : le rôle sociétal de l'entreprise et des acteurs financiers est mis en avant, de manière à ce que l'entreprise et la finance répondent aux besoins spécifiques de l'économie, mais aussi aux attentes de leurs parties prenantes, dans l'intérêt de la planète et de notre société. La gouvernance plutôt verticale, donnant primauté à la création de valeur actionnariale, pourrait laisser place à une gouvernance plus horizontale centrée sur un meilleur équilibre des relations entre les différentes parties prenantes de l'entreprise.

Mais comment la gouvernance des entreprises peut-elle mieux prendre en compte ces enjeux sociétaux, tout en préservant les intérêts des investisseurs ? Sur quels leviers doit-elle s'appuyer ? Cette introduction propose un éclairage sur ces débats, tout en replaçant la thématique du gouvernement d'entreprise dans une perspective historique.

Bref historique
du gouvernement d'entreprise

En 1992, le rapport Cadbury, premier code de gouvernance (à destination des sociétés cotées britanniques), est publié. En 1993, la revue Corporate Governance; an International Review est créée, première revue académique spécifiquement consacrée au thème de la gouvernance d'entreprise. La même année paraît également un numéro spécial de la Revue d'économie financière (REF) intitulé « Gouvernement d'entreprise », suivi d'un deuxième huit ans plus tard, en 2001. Cette montée en puissance du thème de la gouvernance d'entreprise, au cours des années 1980 et 1990, vient entériner un mouvement profond : le poids croissant des fonds d'investissement et autres investisseurs institutionnels sur les marchés boursiers, qui remet sur le devant de la scène les exigences des actionnaires minoritaires – après plusieurs décennies d'effacement.

L'idée force derrière ce nouvel activisme actionnarial est la suivante : le respect d'un certain nombre de principes doit permettre une prise de décision responsable et lisible, garante à terme d'un meilleur retour sur investissement. Parmi ces principes, on trouve la séparation des rôles de directeur général et de présidence du conseil, l'indépendance des administrateurs ou la transparence informationnelle. Ces préoccupations sont renforcées par la survenance, en 2001-2002, d'une série de scandales de gestion, des deux côtés de l'Atlantique (Enron, WorldCom, Parmalat). À chaque fois, des défaillances évidentes en matière de gouvernance sont observables.

Dans le monde académique, les études sur ce thème se multiplient au cours des années 1990-2000. Deux grandes questions se dégagent.

La première question est celle de la relation entre gouvernance et performance des entreprises, mesurée le plus souvent par la rentabilité (économique ou financière) ou la performance boursière. Cette branche de la littérature se nourrit des progrès concomitants de la microéconométrie ainsi que de la disponibilité croissante de données sur les entreprises. Une synthèse est tout simplement impossible, compte tenu de la variété des dispositifs de gouvernance examinés (staggered boards états-uniens1, composition du conseil d'administration, dispositifs anti-OPA, modalités de vote en assemblée générale (AG), droits de vote multiples, etc.) et de l'hétérogénéité des conclusions, liée à la diversité des contextes nationaux, à l'échantillonnage, aux techniques d'estimation, etc. En revanche, un point est clair, sur lequel s'accorde aujourd'hui la totalité des praticiens et des chercheurs : la qualité de la gouvernance n'est pas neutre en termes de performance.

La seconde question est celle de la convergence du modèle continental-européen vers le modèle anglo-saxon. De fait, les évolutions en Europe sont très marquées – la France illustrant au mieux les tendances alors en cours. Entre le début et la fin des années 1990, le poids des marchés boursiers (mesuré par la capitalisation boursière de l'ensemble des sociétés domestiques) quadruple, passant de 25 % à plus de 100 % du PIB. De même, la détention de titres par des actionnaires non résidents explose, d'environ 15 % à près de 40 % des actions de sociétés cotées domestiques. La dispersion du capital s'accroît, tandis que s'améliorent les droits des actionnaires minoritaires (Aglietta et Rebérioux, 2004). Néanmoins un certain nombre de facteurs de résistance du modèle européen sont identifiables – par exemple, la persistance d'un actionnariat familial même parmi les grandes sociétés cotées.

Les numéros spéciaux de 1993 et 2001 de la Revue d'économie financière reflètent bien ces préoccupations, notamment un intérêt marqué pour la comparaison internationale avec en toile de fond la question de la convergence. Par ailleurs, les thèmes du conseil d'administration et des investisseurs institutionnels sont, logiquement, les plus discutés.

L'Objet social de l'entreprise

En creux, les débats sur la convergence soulèvent la question de la responsabilité des entreprises ou de leur « objet social » (disons, leur raison d'être). Le modèle anglo-saxon, caractérisé par une grande dispersion du capital social, se distingue également par la prégnance de la doctrine de la souveraineté actionnariale (shareholder sovereignty) – au niveau des représentations des acteurs comme du droit. Selon cette doctrine, la seule responsabilité des dirigeants et des administrateurs est de servir l'intérêt des porteurs de fonds propres. Le diagnostic d'une convergence des modèles au niveau international se double ainsi souvent d'un jugement plus normatif quant à la responsabilité des entreprises2. Le modèle de l'agence, développé dans le champ de la finance d'entreprise et de la théorie de la firme à partir des années 1970, a constitué un soutien de poids à la doctrine de la souveraineté actionnariale (Jensen et Meckling, 1976), qui domine alors largement les débats académiques. Les actionnaires sont décrits comme les principaux et les dirigeants comme les agents. Les seconds sont alors embauchés par les premiers, afin de gérer au mieux le patrimoine qui leur est confié. Le Code britannique, au moins dans sa version précrise (des subprimes) reflète bien cette approche, lorsqu'il cherche à définir les finalités ou l'objet de la gouvernance. Le premier paragraphe du Code de 2008 note ainsi : « Good corporate governance should contribute to better company performance by helping a board discharge its duties in the best interests of shareholders. […] Good governance should facilitate efficient, effective and entrepreneurial management that can deliver shareholder value over the longer term. » (p. 1).

En Europe (continentale), il est alors communément admis que la question de la responsabilité se pose différemment – renvoyant plus volontiers à l'intérêt des actionnaires et des parties non actionnariales, ou à l'intérêt de l'entreprise (comme organisation productive, à la différence de la société comme personne morale). La codétermination (présence de représentants des salariés au conseil d'administration ou de surveillance), caractéristique du modèle allemand (mais pas seulement, on le verra), va bien dans ce sens. Le Code de gouvernance français emprunte lui aussi, d'une certaine manière, à cette doctrine de la responsabilité sociétale (social responsibility) lorsqu'il fait référence à « l'intérêt social de l'entreprise » (cf. Code AFEP-MEDEF de 2008)3. On notera pourtant que cette doctrine semble entrer en dissonance avec l'article 1833 alinéa 1er du Code civil, article inchangé depuis sa rédaction en 1804, précisant que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés ».

À partir du milieu des années 2000, une inflexion significative est observable, dans le champ de la recherche aussi bien que dans les préoccupations et les débats des investisseurs et des régulateurs. Cette inflexion, prenant la forme d'un renouvellement de la réflexion sur l'objet social de l'entreprise, est imputable à deux éléments fondamentaux, quoique de nature différente. D'une part, la crise de 2008 a nourri une réflexion – des deux côtés de l'Atlantique – sur les excès de la finance de marché. D'autre part, et plus encore, l'épuisement de notre modèle de développement a accéléré la prise de conscience du besoin d'une transition énergétique et écologique profonde, limitant les externalités négatives de l'activité économique sur l'environnement. Cette transition, si elle engage bien évidemment les États, peut difficilement se penser sans la participation directe des acteurs privés – à commencer par les grandes sociétés de capitaux (Crifo et Forget, 2015). La question de la gouvernance de ces sociétés est posée.

Plus qu'en termes d'opposition entre deux doctrines (Souveraineté actionnariale versus Responsabilité sociétale), le débat contemporain peut se résumer de la manière suivante : comment concilier les intérêts des différentes parties prenantes à l'entreprise ? Le rôle fondamental des actionnaires, qui investissent à risque dans la société et contribuent à contrôler les dirigeants, ne saurait être minimisé. Mais il convient de réfléchir aux modalités permettant que leurs prérogatives ne s'exercent pas au détriment de celles des parties prenantes « proches » ou constituantes (les salariés notamment) ou plus éloignées (les communautés, l'environnement). Aucune évidence n'existe en la matière, mais une profusion de réflexions sur ce thème se laisse voir aujourd'hui.

Même le Code britannique, à sa manière, a impulsé un discret mais réel changement de philosophie. Dans la version de 2014, l'objectif de la gouvernance n'est plus défini en référence immédiate à l'intérêt des actionnaires, mais dans les termes suivants : « The purpose of corporate governance is to facilitate effective, entrepreneurial and prudent management that can deliver the long term success of the company. » (p. 1). Bien évidemment, les droits des actionnaires à l'égard de la société (the company) sont tels qu'il ne saurait être question d'ignorer leurs intérêts. Mais ces intérêts ne définissent plus une finalité en soi : ils doivent s'exprimer et s'imposer dans la mesure où ceci bénéficie à un intérêt distinct – celui de la personne morale. Dans les pays (européens) où les salariés disposent en vertu du droit des sociétés de représentants au sein des conseils, la défense de l'intérêt de la personne morale passe in fine par une subtile articulation entre les voix des uns et des autres. C'est dans cet esprit qu'ont été initiées, en France, les réflexions devant mener, au cours de 2018, à l'élaboration du PACTE.

La subordination de l'intérêt des actionnaires à l'égard d'un collectif plus large (la société, l'entreprise) se heurte, on l'a vu, à un obstacle : l'article 1833 du Code civil. Cet obstacle, pour vénérable qu'il soit, n'est pourtant pas si contraignant : la Cour de cassation a, au fil de ses arrêtés, écarté une interprétation étroite de l'intérêt social, considérant que celui-ci ne saurait se confondre avec le seul intérêt des associés (Frérot et Hurstel, 2018, pp. 56-57). Les entreprises souhaitant intégrer des considérations environnementales ou sociales dans leur stratégie (au risque de diminuer le profit comptable sur un exercice) ne pourraient donc en être empêchées par l'article 1833. Au niveau des pratiques, on notera d'ailleurs qu'elles font de plus en plus référence à ce type de considérations lorsqu'elles invoquent leur responsabilité sociale et environnementale (RSE) – incitées en cela par les obligations de reporting extra-financier mises en place depuis plus d'une décennie par le législateur.

Finalité(s), réglementation(s)
et histoire de la gouvernance

La première partie de ce numéro de la REF reprend précisément ces questions, avec deux interviews d'acteurs qui ont directement contribué au débat français : Antoine Frérot et Nicole Notat. De fait, en préparation du PACTE, deux missions distinctes ont été mandatées pour faire des propositions dans le sens indiqué par le président : la Mission « entreprise et intérêt général » (EIG) sous la présidence de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard et la Mission « contrat de société » (CS) sous la présidence d'Antoine Frérot et de Daniel Hurstel. Les deux rapports proposent notamment une réécriture de l'article 1833 du Code civil, de manière à aligner ce texte sur la réalité du droit positif et des pratiques des entreprises – avec l'espoir de conforter le rôle sociétal des entreprises face aux enjeux contemporains. Parallèlement à ces deux interviews, la première partie du numéro permet de porter un regard juridique et historique sur les questions de gouvernance. Sophie Harnay et Tatiana Sachs soulignent combien les enjeux de gouvernance sont liés à des enjeux de régulation. Au final, la question est bien celle du juste équilibre entre soft law – promue par les codes de gouvernance à travers le principe du comply or explain – et hard law (droit des sociétés) : la question de la diversité homme/femme au sein des conseils en fournit un parfait exemple, un nombre substantiel d'États membres de l'Union européenne ayant adopté une voix réglementaire (quota), les autres préférant introduire de nouvelles dispositions au sein des codes. À travers l'histoire des moulins d'Occitanie depuis le xive siècle, David Lebris, William N. Goetzmann et Sébastien Pouget permettent, quant à eux, d'apprécier la profondeur historique du thème : si le terme de gouvernance d'entreprise est bien apparu dans les années 1980-1990, les enjeux qu'il recouvre – la protection de l'intérêt des investisseurs et la réparation des droits et des devoirs entre les différentes parties prenantes – sont bien plus anciens.

Au niveau académique, la gouvernance est aujourd'hui un champ de recherche confirmé, intéressant aussi bien la finance que les spécialistes de l'économie industrielle ou du travail. Dans ce dernier cas, il apparaît, par exemple, de plus en plus évident que la manière dont les entreprises sont gouvernées impacte directement la relation d'emploi : différentes études montrent que les pratiques de gestion de l'emploi et de rémunération du travail se distinguent nettement et, toute chose égale par ailleurs, selon que l'actionnariat soit de type familial (Sraer et Thesmar, 2007 ; Bassanini et al., 2013) ou prioritairement détenu par un fonds de private equity (Goergen et al., 2014). L'observation, banale, d'une forte hétérogénéité des entreprises en matière d'emploi et de travail, même à un niveau sectoriel fin (Haltiwanger et al., 2007), trouve là une explication potentielle.

Le paysage de la recherche s'est d'ailleurs singulièrement complexifié, depuis le milieu des années 2000. On observe ainsi un nombre croissant d'études s'intéressant non plus seulement à la performance financière, mais également à la performance extra-financière (Crifo et Forget, 2015) – en ligne avec la montée en puissance de la thématique de la RSE. Plus largement, avec la multiplication des études, ce sont des questions de plus en plus pointues et nouvelles qui surgissent.

La détention du capital

Au niveau de la détention du capital (de l'actionnariat), la question de la convergence est quelque peu passée de mode. On observe plutôt, dans chaque pays, la cohabitation de différents types d'actionnaires au sein même des entreprises – cohabitation dont on est encore loin de comprendre les ressorts exacts. Ainsi, et dans le cas de la France, la croissance très nette des fonds d'investissement dans le capital des sociétés cotées (voir les articles de Tristan Auvray et de Dominique Plihon et Sandra Rigot) n'a pas défait le capitalisme familial (voir l'article de Édith Ginglinger), ni remis en cause la structure de groupe si typique du capitalisme continental-européen. Depuis les années 2000, de nouveaux types d'acteurs sont par ailleurs apparus en Europe, les fonds de private equity notamment dans le cadre d'opération de rachat à fort effet de levier (leverage buy-out) (voir l'article de Nicolas Bédu et Caroline Granier) et les exchange traded funds, adeptes de la gestion passive (voir l'article de Bertrand Jacquillat). La deuxième partie de ce numéro s'attache à mieux comprendre ces différents éléments – pour l'univers du coté principalement, mais également pour le non-coté à l'occasion (voir l'article de Tristan Auvray).

Les dispositifs de gouvernance

La troisième partie de ce numéro s'intéresse aux organes de gouvernance à proprement parler : assemblée générale des actionnaires, conseil d'administration et direction. Le conseil d'administration, on l'a déjà souligné, a longtemps constitué le principal sujet de préoccupation des codes de gouvernance. Là aussi, on peut observer un mouvement de complexification, à tous égards (voir l'article de Antoine Rebérioux et Gwenael Roudaut). Au niveau de son fonctionnement, on assiste à une division croissante du travail entre différents comités (audit, nomina tion, RSE, etc.), sans que la manière dont se coordonne l'ensemble ne soit bien comprise. Au niveau de sa composition, la question de l'indépendance, si elle n'a pas disparu, fait maintenant jeu égal avec la question de la diversité. Cette diversité se décline elle-même de multiples manières : il peut s'agir d'une diversité d'expertise, d'une diversité genrée ou, enfin, d'une diversité de représentation des parties prenantes. Sur ce dernier point, Christophe Clerc traite spécifiquement de la codétermination, qui connaît un regain d'intérêt tant qu'elle est susceptible d'accroître la capacité des entreprises à intégrer les externalités environnementales et sociales. Si les recherches sur le conseil sont toujours abondantes, on note un intérêt croissant pour l'assemblée générale, seul dispositif de gouvernance où s'expriment directement les actionnaires. Comment expliquer les taux de participation et d'approbation des résolutions ? Cela a-t-il une incidence sur les entreprises et leur performance ? Patricia Charléty propose un tour d'horizon des recherches en la matière. Au niveau de la direction, c'est l'évolution de la rémunération des dirigeants qui est examinée par Lionel Almeida, compte tenu de la nature sensible de cette question dans le débat public. Des statistiques originales, pour le cas français, y sont présentées. Enfin Olivier Bailly et Pascal Durand-Barthez s'intéressent à la gouvernance des groupes et à la nécessaire conciliation entre les intérêts de la maison-mère et ceux de chacune de ses filiales.

La gouvernance dans le secteur bancaire

La quatrième partie de ce numéro se penche sur un secteur en particulier : la banque. Les banques occupent une place centrale dans nos économies et leur gouvernance fait face à des enjeux majeurs, notamment en termes de conflits d'intérêts, d'éthique des affaires et de systèmes de contrôle interne. La crise a en effet démontré les externalités dont l'activité bancaire peut être porteuse, et plusieurs acteurs majeurs du secteur bancaire ont défrayé la chronique ces dernières années par leurs nombreuses condamnations et leurs amendes records. Les contributions de Laurence Scialom, de Esther Jeffers et Asma Abidi, et de Fouad Benseddik examinent ces questions de la spécificité de la gouvernance bancaire, de la nature des conflits d'intérêts et de la responsabilité sociale et environnementale des acteurs bancaires.

En conclusion, ce numéro de la Revue d'économie financière passe en revue les grandes évolutions de la gouvernance d'entreprise et contribue à la recherche sur des dimensions complexes et complémentaires de la gouvernance : ses finalités, les différentes formes ou organes, la propriété et certains acteurs ou secteurs clés. Au-delà des articles de ce numéro, il en ressort l'importance du chemin parcouru ces dernières décennies, mais aussi la nécessité non de la convergence, mais plus plutôt de la mise en cohérence de ses différents dispositifs et organes au service d'un intérêt général et commun.


Notes

1 Il s'agit de conseils qui, du fait des statuts de la société, ne sont renouvelables que par tranche : il est ainsi impossible pour les actionnaires de révoquer en totalité les administrateurs.
2 Hansmann et Kraakman (2001) ont proposé la formulation la plus classique en la matière : « Le triomphe du modèle actionnarial de gouvernance sur ses principaux concurrents est maintenant assuré, même si des doutes pouvaient encore subsister il y a de cela à peine 25 ans. La logique seule n'a pas établie la supériorité de ce modèle et des règles qui y sont associés […]. Bien plutôt, ce modèle de gouvernance l'a emporté sur ses compétiteurs “à la dure”, en surclassant dans les décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale les trois modèles alternatifs de gouvernance : le « modèle managérialiste » [caractéristique des États-Unis des années 1950 et 1960], le « modèle travailliste » [caractéristique de l'Allemagne] et le « modèle étatique » [caractéristique de la France et de la « plupart des pays asiatiques »]. » (p. 32). L'orientation pro-actionnariale du droit des sociétés aux États-Unis est toutefois contestée (voir, par exemple, Blair et Stout (1999) pour une analyse qui fait référence.
3 Cette expression d'« intérêt social de l'entreprise » traverse les éditions du code français depuis la première (rapport Viénot I de 1995) jusqu'à la dernière (en date de 2016). On se souvient que le rapport Viénot I marquait de manière plus nette la différence avec une conception de la gouvernance associée à la souveraineté actionnariale : « Dans les pays anglo-saxons, l'accent est principalement mis sur l'objectif de maximisation rapide de la valeur de l'action, alors que, sur le continent européen et en particulier en France, il est plutôt mis sur l'intérêt social de l'entreprise. » (p. 1). Cette formulation peut sembler un peu abrupte, aucun juriste ou économiste « anglo-saxon » ne défendant réellement aujourd'hui la maximisation « rapide » (ou à court terme) de la valeur des actions (voir sur ce point Hart et Zingales, 2017).

Bibliographies

Aglietta M. et Rebérioux A. (2004), Dérives du capitalisme financier, Albin Michel.
Bassanini A., Breda T., Caroli E. et Rebérioux A. (2013), « Working in Family Firms: Paid Less but More Secure? Evidence from Matched Employer-Employee Data », Industrial and Labor Relations Review, vol. 66, n° 2, pp. 433-466.
Berle A. A. (1932), « For Whom Corporate Managers Are Trustees: a Note », Harvard Law Review, vol. 45, n° 8, pp. 1365-1372.
Blair M. et Stout L. (1999), « A Team Production Theory of Corporate Law », Virginia Law Review, vol. 85, n° 2, pp. 247-328.
Crifo P. et Forget V. D. (2015), « The Economics of Corporate Social Responsibility: a Firm-Level Perspective Survey », Journal of Economic Surveys, vol. 29, n° 1, pp. 112-130.
Frérot A. et Hurstel D. (éd.) (2018), « Le rôle sociétal de l'entreprise : éléments de réflexion pour une réforme », Rapport de la Mission « contrat de société », Le Club des juristes, 126 p.
Goergen M., O'Sullivan N. et Wood G. (2014), « The Consequences of Private Equity Acquisitions for Employees: New Evidence on the Impact on Wages, Employment and Productivity », Human Resource Management Journal, vol. 24, n° 2, pp. 145-158.
Haltiwanger J., Lane J. et Spletzer J. (2007), « Wages, Productivity and the Dynamic Interaction of Businesses and Workers », Labour Economics, vol. 14, n° 3, pp. 575-602.
Hansmann H. et Kraakman R. (2001), « The End of History for Corporate Law », Georgetown Law Journal, vol. 89, pp. 439-468.
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