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 De la première directive bancaire à l'Union bancaire : l'Europe bancaire en construction


Pierre-Henri CASSOU Ancien membre du Comité consultatif bancaire (1984-2001), Group of Experts on Banking Issues (2010-2011). Contact : phcassou@melix.net.

Depuis l'adoption, il y a quarante ans, de la première directive de coordination, trois décisions importantes ont plus particulièrement contribué au projet de construction de l'Europe bancaire : le traité de Luxembourg, qui a permis de garantir la liberté d'établissement et la libre prestation de service à partir de 1993, le traité de Maastricht, qui a fondé l'Union économique et monétaire et servi de base à la création de l'euro en 1999, et enfin le lancement, en 2012, de l'Union bancaire dans la zone euro.

Aujourd'hui, ce projet est en large mesure devenu réalité. Tous les établissements de crédit de l'Union sont ainsi soumis à une réglementation prudentielle unique et peuvent proposer à leurs clients un système commun de paiements scripturaux (le système SEPA). Mais c'est au sein de la zone euro que cette construction est la plus avancée, puisque le refinancement et la surveillance des banques y sont désormais totalement unifiés.

Pour achever l'édification de l'Europe bancaire, de nouveaux progrès demeurent toutefois nécessaires, notamment la mise en œuvre de la proposition d'Union des marchés de capitaux.

L'année 2017 sera marquée par les anniversaires de quatre étapes majeures de la construction de l'Europe bancaire. Cette année verra en effet à la fois le cinquième anniversaire du lancement du projet d'Union bancaire, le vingt-cinquième du Traité de Maastricht fondant l'Union économique et monétaire (UEM), le trentième de l'entrée en vigueur de l'Acte unique créant le marché intérieur des services et le quarantième de la première directive bancaire, adoptée le 12 décembre 1977.

Le chemin parcouru en quarante ans est considérable1. En 1977, soit vingt ans après la signature du Traité de Rome, le marché bancaire européen demeurait totalement fragmenté : législations, modes de surveillance, organisations professionnelles, systèmes de paiement, de placement et de financement demeuraient propres à chaque État membre et toutes sortes d'obstacles restreignaient l'exercice d'activités transfrontalières. Aujourd'hui, ce marché, élément majeur d'une économie contemporaine, est en très large mesure unifié : la libre circulation des capitaux et des services y est partout assurée ; un corps unique de règles y régit les conditions d'exercice des activités bancaires et financières ; en outre, au sein de la zone euro, les caractéristiques des opérations ont été rendues plus homogènes grâce à l'introduction de l'euro et une autorité unique assure la surveillance des établissements de crédit.

Les anniversaires qui marqueront 2017 donnent ainsi l'occasion de rappeler les principales phases de la construction de l'Europe bancaire et d'en dresser un premier bilan. Cette construction n'a en effet été que très progressive. Comme le Conseil des communautés lui-même le constatait en adoptant la première directive bancaire, « il n'est pas possible, compte tenu de l'étendue (des) différences (entre législations des États membres), de créer par une seule directive les conditions réglementaires requises pour un marché commun des établissements de crédit (et) il faut donc procéder par étapes successives »2.

Cinq étapes peuvent être distinguées, correspondant respectivement à :

  • l'harmonisation minimale des législations nationales (1957-1986),

  • la création du marché intérieur (1987-1997),

  • la mise en place de la monnaie unique (1998-2002),

  • l'approfondissement de l'Europe bancaire permis par les effets conjugués de l'UEM et du marché unique (2000-2009),

  • la sauvegarde de la stabilité financière après la crise et la création de l'Union bancaire (2009-2017).

Les effets très limités de l'harmonisation minimale (1957-1986)

Le Traité de Rome se fixait notamment pour objectif la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Soixante ans après sa signature, il faut constater que cet objectif a été atteint dans des délais très différents selon les domaines.

S'agissant des personnes et des biens, leur libre circulation fut une priorité immédiate de l'action de la Commission européenne comme des gouvernements des États membres et de nombreuses initiatives ont été prises dès l'entrée en vigueur du Traité. Les échanges de biens industriels furent ainsi totalement exonérés de droit de douane dès 1968.

En revanche, les États membres prirent bien davantage de temps pour libérer les échanges de services et les mouvements de capitaux. Il convient à cet égard de rappeler que, jusqu'à l'adoption de l'Acte unique en 1986, les États membres avaient convenu que les décisions communautaires devaient être prises à l'unanimité. Il suffisait donc que l'un d'entre eux n'approuve pas une proposition pour qu'elle ne puisse être adoptée.

Or certains États membres estimaient que les règles relatives aux mouvements des capitaux constituaient un élément de la politique monétaire, par suite de leur souveraineté nationale, et interdisaient donc une intervention de la Communauté. Certains considéraient également que la réglementation des dépôts, du crédit et, plus généralement, des services bancaires était indissociable de la politique monétaire, ce qui, pour la même raison, empêchait l'adoption de toute mesure d'harmonisation. Alors que la demande de services n'a cessé de croître au cours de la seconde moitié du xxe siècle et que les États membres auraient donc eu intérêt à en favoriser collectivement le développement, nombre d'entre eux préférèrent ainsi en conserver l'entière maîtrise et s'opposèrent longtemps à leur libéralisation. Cela explique que la libéralisation des mouvements de capitaux ait tant tardé et que, plus de vingt ans après la signature du Traité de Rome, seules trois mesures d'harmonisation du marché des services bancaires aient été approuvées par les États membres.

La première et la plus connue fut la directive du 12 décembre 1977 visant à la coordination des dispositions concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, également appelée première directive bancaire. Même si celle-ci marqua le début de la construction de l'Europe bancaire, sa portée restait assez réduite3. Pour l'essentiel, elle se limitait en effet à imposer à tout établissement de crédit d'obtenir un agrément avant de démarrer ses activités et à définir quelques conditions minimales pour l'octroi d'un tel agrément (fonds propres distincts et suffisants, détermination de l'orientation de l'activité par deux personnes au moins, possédant l'honorabilité nécessaire et l'expérience adéquate).

Les deux autres textes furent adoptés en 1986, soit neuf ans plus tard. Ils visèrent respectivement à harmoniser les règles d'établissement de publicité et de contrôle des comptes annuels et des comptes consolidés des banques (directive 89/635 du 8 décembre 1986) et à rapprocher les dispositions applicables au crédit à la consommation, en imposant, entre autres, un contrat écrit, la mention du taux annuel effectif global et des modes appropriés d'autorisation ou de surveillance des entreprises proposant des crédits ou servant d'intermédiaires (directive 87/102 du 22 décembre 1986).

Très peu de mesures d'harmonisation ayant ainsi été adoptées pendant cette période, l'édification de l'Europe bancaire restait donc encore très limitée au milieu des années 1980.

Le vrai démarrage de l'Europe bancaire : la mise en place du marché intérieur (1987-1997)

Consciente de l'insuffisance des initiatives prises jusqu'alors pour assurer la libre circulation des capitaux et des services, la Commission européenne publia en 1985 un « Livre blanc » sur le marché intérieur, dans lequel elle présentait des propositions résolument novatrices. Les États membres approuvèrent ce projet et adoptèrent à cet effet, les 17 et 28 février 1986, l'« Acte unique » qui entra en vigueur le 1er juillet 1987. Ce traité comprenait notamment une série de dispositions spécialement destinées à assurer la mise en place aussi rapide que possible du marché intérieur. En particulier, pour faciliter l'adoption des directives nécessaires à la réalisation de ce projet, la règle de la majorité se substitua à la règle antérieure de l'unanimité. En outre, au lieu de se limiter à une harmonisation minimale, « la démarche (désormais) retenue consiste en la réalisation de l'harmonisation essentielle, nécessaire et suffisante pour parvenir à une reconnaissance mutuelle des agréments et des systèmes de contrôle prudentiel »4. Ces nouvelles approches permirent l'adoption, entre 1987 et 1997, de plusieurs dizaines de directives spécialement consacrées au marché intérieur des services.

La libre circulation des services bancaires était toutefois subordonnée à celle des mouvements de capitaux. Celle-ci fut décidée le 24 juin 1988, avec l'adoption de la directive 88/361 pour la mise en œuvre de l'article 67 du Traité de Rome, qui imposa la suppression de toute mesure de limitation avant le 1er juillet 1990.

Le Conseil européen ayant fixé au 1er janvier 1993 le début du marché unique des services bancaires et au 1er janvier 1996 le début de celui des services d'investissement, la Commission européenne veilla à soumettre en temps opportun les propositions d'harmonisation nécessaires. Huit directives concernant les services bancaires furent ainsi adoptées entre 1987 et 1992, puis deux autres en 1993 concernant les services d'investissement. Cet ensemble fut complété, entre 1994 et 1997, par quatre autres directives. Ces quatorze textes concernèrent principalement trois domaines : l'accès aux activités bancaires et financières ainsi que les conditions de leur exercice, les normes prudentielles et, enfin, l'identification et la protection de la clientèle.

Parmi les plus importants, deux textes visèrent l'accès aux activités bancaires et financières ainsi que les conditions de leur exercice : il s'agit de la deuxième directive bancaire du 15 décembre 1989 et de la directive du 10 mai 1993 concernant les services d'investissement (dite « DSI »). Ces deux textes présentaient des similitudes, puisqu'ils définissaient l'un et l'autre les conditions minimales d'agrément et de fonctionnement d'une catégorie d'institutions financières, établissements de crédit pour l'un, entreprises d'investissement pour l'autre, et qu'ils soumettaient aux mêmes règles l'exercice d'activités dans un autre État membre, en libre établissement ou en libre prestation de services (procédure dite du « passeport européen »). Les contenus de ces direc tives différaient néanmoins. La directive du 15 décembre 1989 venait en effet compléter et mettre à jour les mesures de coordination adoptées en 1977 pour les services bancaires, tandis que la DSI constituait la première mesure d'harmonisation des services d'investissement. Elle comprenait donc non seulement des dispositions déjà connues dans le domaine bancaire, mais aussi des normes spécifiques aux services d'investissement, en ce qui concerne en particulier l'organisation et la surveillance des marchés financiers.

Deux directives importantes furent également adoptées en matière prudentielle. L'action entreprise visa à la fois à harmoniser le plus possible les normes en vigueur dans les différents États membres et à les conformer aux principes internationaux définis par le Comité de Bâle. Les autorités européennes décidèrent ainsi d'appliquer intégralement les dispositions de l'accord de Bâle de 1988, dont la date d'entrée en vigueur, le 1er janvier 1993, coïncidait avec celle du début du marché unique des services bancaires. La directive proposée à cet effet (directive 89/299 relative à un ratio de solvabilité des établissements de crédit) fut approuvée le 18 décembre 1989, soit trois jours après la deuxième directive bancaire, dont elle constituait le complément prudentiel. Pour assurer une égalité complète des conditions de concurrence, elle imposait les mêmes règles de solvabilité à l'ensemble des établissements de crédit, quels que soient leur statut, leur activité ou leur taille.

Seul le risque de crédit ayant été traité par cette directive, d'autres mesures devaient être prises pour assurer également la maîtrise des risques de marché. C'est à cet objet que répondit la directive 93/6 relative à l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit, qui fut adoptée le 15 mars 1993, soit deux mois avant la DSI qu'elle était destinée à compléter. Cette directive présenta à l'époque une originalité certaine par rapport aux autres textes prudentiels. Il s'est en effet agi de l'une des rares mesures que la Communauté ait adoptée en ce domaine avant que le Comité de Bâle ait lui-même statué sur le sujet. Pour permettre le début du marché unique des services d'investissement le 1er janvier 1996, les autorités européennes tenaient en effet à prendre dès 1993 l'ensemble des dispositions nécessaires. Constatant que le Comité de Bâle ne parvenait pas à l'époque à définir un accord sur les risques de marché, le Conseil européen décida d'adopter ses propres règles, quitte à les amender ultérieurement pour les conformer aux principes qui seraient retenus au plan mondial.

Les trois autres directives les plus déterminantes pour la mise en place du marché intérieur concernèrent enfin l'identification et la protection de la clientèle. Le Conseil et le Parlement européens adoptèrent ainsi, le 10 juin 1991, la première directive relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, qui visait à renforcer les règles d'identification des clients (procédure KYC) en vue de lutter contre le blanchiment de capitaux, conformément aux recommandations formulées en 1990 par le Groupe d'action financière (GAFI) créé par le G7 lors du sommet de l'Arche. En matière de protection de la clientèle, les autorités européennes approuvèrent, le 30 mai 1994, la première directive relative aux systèmes de garantie des dépôts, qui prévoyait les caractéristiques minimales des modes d'indemnisation des déposants en cas de défaillance d'un établissement de crédit. La directive du 3 mars 1997 relative aux systèmes d'indemnisation des investisseurs vint ensuite définir les caractéristiques minimales des dispositifs d'indemnisation des clients en cas de défaillance de l'établissement dépositaire de leurs titres.

Dix ans après le lancement du marché intérieur, l'Union européenne était ainsi dotée d'un important ensemble de règles harmonisées en matière de services bancaires et financiers, notamment dans le domaine prudentiel. Grâce aux multiples mesures prises entre 1987 et 1997, le projet esquissé en 1985 dans le Livre blanc de la Commission européenne a ainsi incontestablement permis un vrai démarrage de la construction de l'Europe bancaire. Mais, en 1997, celle-ci n'était encore que partielle car la libre circulation des services bancaires demeurait freinée par l'existence de monnaies propres à chaque État membre, facteur d'incertitudes et de risques. La poursuite de la construction de l'Europe bancaire restait donc subordonnée aux progrès de l'unification monétaire.

La mise en place de la monnaie unique : élément décisif de nouveaux progrès de l'Europe bancaire (1998-2002)

Après le Traité de Rome et la réalisation du marché commun, après l'Acte unique de 1986 et la mise en place du marché intérieur, le Traité de Maastricht de 1992 créant l'UEM constitue incontestablement la troisième étape majeure de la construction européenne. Si l'UEM concernait d'abord la monnaie, les finances publiques et, plus généralement, la politique économique, elle a aussi joué un rôle déterminant dans l'intégration des marchés, notamment de celui des services bancaires et financiers.

La création de la monnaie unique a d'abord considérablement modifié les comportements des agents économiques, en améliorant la transparence des marchés et en faisant disparaître certains des coûts et des risques liés à l'existence de devises différentes. L'utilisation d'une seule monnaie a en effet permis de comparer directement les niveaux des prix des services ainsi que ceux des taux applicables aux emprunts ou aux placements. Elle a de même permis d'éliminer les commissions et les risques de change. Elle a par suite considérablement facilité le développement d'opérations transfrontalières dans la zone euro. L'adoption du règlement 2560/2001 du 19 décembre 2001 permit ainsi à tous les résidents de la zone euro d'effectuer des opérations transfrontalières telles que des virements ou des retraits à des distributeurs automatiques de billets (DAB) à l'étranger au même coût que dans leur pays.

La mise en œuvre d'une politique monétaire unique a ensuite entraîné l'unification des conditions de refinancement de l'ensemble des établissements de crédit opérant dans la zone euro ainsi que le régime de constitution de réserves obligatoires auprès de la Banque centrale européenne (BCE), conformément au règlement n° 2531/98 du 23 novembre 1998. En ce domaine encore, la création de l'UEM a joué un rôle déterminant dans l'harmonisation des conditions de fonctionnement des établissements de crédit et donc dans l'intégration du marché des services bancaires.

Enfin l'UEM s'est accompagnée de la création, en 1998, d'une nouvelle institution européenne, la BCE. Cette institution, dont l'indépendance est garantie par le Traité de Maastricht et qui bénéficie ainsi d'une légitimité incontestable, a pour mission principale la définition et la conduite de la politique monétaire unique de l'ensemble des États membres de la zone euro et elle dispose de pouvoirs et de moyens très étendus en ce domaine. Mais le Traité de 1992 a également prévu, dans son article 127, que la BCE puisse être chargée par le Conseil d'exercer d'autres missions, notamment en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit. L'existence de cette disposition, peu commentée à l'époque, s'est avérée décisive quand il s'est agi de mettre en place l'Union bancaire.

L'approfondissement continu de la construction de l'Europe bancaire, sous l'effet conjugué du marché unique et de l'UEM (2000-2009)

La mise en place du marché intérieur, puis celle de la monnaie unique ayant fait considérablement progresser l'intégration bancaire et financière au cours des années 1990, il en est résulté un besoin d'harmonisation supplémentaire. La période 2000-2009 a par suite été marquée par une importante série de mesures visant à approfondir la construction de l'Europe bancaire. Ces mesures s'orientèrent dans trois directions.

Elles visèrent en premier lieu à adapter les dispositions existantes aux évolutions des pratiques et à prendre en compte les nouvelles recommandations du Comité de Bâle ou du GAFI ainsi que les enseignements tirés de l'exercice de la surveillance.

Plusieurs textes furent ainsi adoptés concernant les conditions d'accès et d'exercice des activités. Dans le domaine bancaire, le Conseil et le Parlement européens approuvèrent ainsi successivement la directive 2000/12 du 20 mars 2000 qui venait modifier et mettre à jour la deuxième directive du 15 décembre 1989, puis la directive 2006/48 du 14 juin 2006, la quatrième du genre, qui vint refondre complètement l'ensemble des dispositions existantes en leur substituant un texte unique. En matière de services d'investissement, ils adoptèrent, le 21 avril 2004, la directive 2004/39 concernant les marchés d'instruments financiers, dite « directive MIF », qui remplaça la DSI du 10 mai 1993 et qui ouvrit la concurrence entre bourses, entre plateformes de négociations et entre intermédiaires.

S'agissant des normes comptables applicables au secteur bancaire, la directive 2001/65 du 27 septembre 2001 vint actualiser les directives antérieures sur les comptes annuels et les comptes consolidés des banques et autres établissements financiers, puis le règlement n° 1606/2002 du 19 juillet 2002 introduisit des normes comptables internationales dans l'Union européenne et en précisa les conditions d'utilisation.

Dans le domaine prudentiel, le Conseil et le Parlement européens arrêtèrent, le 14 juin 2006, les mesures d'application, dans l'Union européenne, de l'accord de Bâle II de 2004 et décidèrent à cette occasion de refondre en un seul texte, la directive 2006/49, dite « CRD I », l'ensemble des dispositions antérieures concernant l'adéquation des fonds propres des établissements de crédit et des entreprises d'investissement.

Enfin, en matière de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme, la directive du 26 octobre 2005, dite « troisième directive antiblanchiment », visa de son côté à prendre en compte les nouvelles recommandations du GAFI et vint elle aussi remplacer les dispositions antérieures en la matière.

Les mesures nouvelles adoptées entre 2000 et 2009 concernèrent, en second lieu, plusieurs domaines qui n'avaient jusqu'alors pas fait l'objet de mesures d'harmonisation. Ainsi, en matière prudentielle, les autorités européennes adoptèrent, le 4 avril 2001, une nouvelle directive concernant l'assainissement et la liquidation des établissements de crédit. Dans le domaine de la banque de détail, plusieurs textes vinrent de leur côté renforcer l'intégration du marché, sans toutefois l'harmoniser totalement. Ils visèrent notamment l'information et la protection de la clientèle. Ainsi la directive 2002/65 du 23 septembre 2002 fixa un cadre pour la commercialisation à distance des services financiers auprès des consommateurs. De leur côté, les services de paiement, activité en développement continu et particulièrement rapide, furent successivement l'objet de quatre mesures : la directive 2000/46 du 18 septembre 2000 concernant les établissements de monnaie électronique, la directive 2007/64 du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement, le règlement n° 924/2009 du 16 septembre 2009 concernant les paiements transfrontaliers et la directive 2009/110 du même jour concernant les établissements de paiement électronique, qui vint refondre l'ensemble des dispositions antérieures en la matière et remplacer la directive du 18 septembre 2000.

Cette série de textes concernant les activités de paiement servit de base juridique pour le troisième type d'initiatives prises par les autorités européennes au cours de cette période. Afin de renforcer l'intégration, la Commission européenne lança en effet, en 2006, un projet d'un nouveau type. Il ne s'agit plus d'élaborer des règles supplémentaires, mais de mettre en place en quatre ans, en concertation avec l'ensemble des autorités publiques et des organisations professionnelles concernées, un espace unique européen des paiements (en anglais, single european payment area ou SEPA). Ce projet fut réalisé dans les délais prévus et les États membres de l'espace économique européens disposent ainsi aujourd'hui d'un système fiable, rapide et économique pour effectuer des règlements scripturaux, tant domestiques que transfrontaliers.

La sauvegarde de la stabilité financière après la crise et la création de l'Union bancaire (2009-2017)

La crise de 2007 et 2008 obligea toutes les autorités du monde à réviser très profondément l'ensemble des dispositifs de régulation financière. Le G20 créa ainsi, en 2009, le Conseil de stabilité financière pour veiller au bon fonctionnement des marchés et des systèmes financiers, notamment en orientant et en coordonnant les travaux des institutions internationales concernées. En particulier, le Comité de Bâle décida, dès cette année-là, une première série de révisions de l'accord de 2004, que les autorités européennes décidèrent d'appliquer immédiatement. Elles adoptèrent en effet, dès le 16 septembre 2009, la directive 2009/111, dite « CRD II », qui renforça les exigences de fonds propres, en modifiant les dispositions prévues jusqu'alors par les directives 2006/48, 2006/49 et 2007/64.

Plus généralement, pour sauvegarder la stabilité du système financier, les autorités européennes résolurent d'unifier bien davantage la réglementation et la surveillance bancaires, en procédant à une harmonisation maximale des dispositions en vigueur. À cet effet, elles choisirent de plus en plus fréquemment de recourir à des règlements, qui sont d'application directe, plutôt qu'à des directives, qui exigent des mesures nationales de transposition, conduisant à retarder et à rendre hétérogène l'application effective des dispositions européennes. Cette harmonisation maximale fut menée à deux niveaux, celui de l'ensemble de l'Union européenne d'abord, celui de la zone euro ensuite.

S'agissant de l'Union européenne dans son ensemble, le Conseil et le Parlement européens décidèrent ainsi, le 24 novembre 2010, de mettre en place de nouvelles autorités5, plus particulièrement chargées d'améliorer la coopération entre autorités nationales et d'élaborer des « normes techniques », d'application directe, pour préciser les conditions de mise en œuvre des directives et des règlements, ainsi qu'un manuel de procédure unique (single rule book). Le même jour, ils adoptèrent également une nouvelle directive6, dite « CRD III », pour mettre en œuvre une seconde série de révisions de l'accord Bâle II, décidées par le Comité de Bâle.

À la suite des crises bancaires survenues dans plusieurs États membres en 2010 et 2011, le Conseil et le Parlement européens résolurent de renforcer encore davantage le dispositif de stabilité financière commun à l'ensemble de l'Union européenne. Le 26 juin 2013, ils approuvèrent ainsi deux textes, désignés collectivement sous le sigle CRD IV. Il s'agit, d'une part, du règlement n° 575/2013, dit « CRR », concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement, et, d'autre part, de la directive 2013/36 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, qui constitue la cinquième directive bancaire. À ces deux textes s'ajoutèrent ensuite plusieurs autres mesures prudentielles, notamment la directive 2014/49 du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts, qui remplaça celle du 30 mai 1994, puis la directive 2014/59 du 15 mai 2014, dite « BRRD », établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d'investissement visant à éviter le recours aux finances publiques en cas de défaillance bancaire.

Durant cette période, l'Union européenne poursuivit également son action d'harmonisation des activités bancaires et financières en adoptant une série de textes importants concernant la protection de la clientèle et l'organisation des marchés :

  • le 14 mars 2012, le règlement n° 260/2012 établissant des exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros,

  • le 4 février 2014, la directive 2014/17 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel,

  • le 15 mai 2014, la directive 2014/65, dite « MIF 2 », et le règlement n° 600/2014, dit « MIFIR », concernant tous deux les marchés d'instruments financiers,

  • le 26 novembre 2014, le règlement n° 1286/2014 sur les documents d'informations clés relatifs aux produits d'investissement packagés de détail et fondés sur l'assurance (règlement dit « PRIIPs » ou Packaged Retail and Insurance-based Investment Products),

  • le 20 mai 2015, la directive 2015/849 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, la quatrième du genre.

S'agissant de la zone euro, les chefs d'État et de gouvernement décidèrent, le 29 juin 2012, d'unifier encore davantage leur système de prévention des crises, en mettant en place, par voie de règlements, une Union bancaire à partir de 2014. Il s'agit d'un dispositif collectif renforcé de surveillance des établissements de crédit et de résolution de leurs difficultés éventuelles, venant compléter les institutions et les procédures de l'Union européenne et reposant sur trois piliers :

  • le Mécanisme de surveillance unique (MSU) confié à la BCE,

  • le Mécanisme de résolution unique (MRU), placé sous la responsabilité d'un Conseil de résolution unique et s'appuyant sur un nouveau Fonds de résolution bancaire,

  • un processus unifié de garantie des dépôts.

Les deux premiers piliers de l'Union bancaire furent institués par les règlements suivants :

  • le règlement 1024/2013 du 15 octobre 2013 confiant à la BCE des missions spécifiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit, qui attribua à la BCE, sur la base de l'article 107 du Traité, la responsabilité de la surveillance bancaire dans la zone euro et qui entra en vigueur le 4 novembre 2014 ;

  • le règlement 806/2014 du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement, qui permit la mise en place du mécanisme de résolution unique le 1er janvier 2016.

Conclusion

Au terme de cette période de construction longue de quarante ans, l'Europe bancaire est devenue une réalité. La réglementation applicable aux établissements de crédit a été unifiée en ce qui concerne aussi bien les conditions d'accès à leur activité que les modes d'exercice de leurs opérations ou encore que les normes comptables et les exigences prudentielles qu'ils doivent respecter. Dans la zone euro, la surveillance de ces établissements est désormais exercée par une autorité unique, qui garantit ainsi l'application homogène de l'ensemble de ces dispositions. De même, au sein de la zone euro, le refinancement de tous les établissements de crédit qui y ont leur siège s'effectue, depuis maintenant plus de dix-huit ans, dans des conditions totalement identiques. De leur côté, les caractéristiques des services bancaires et financiers offerts aux agents économiques non financiers se sont nettement rapprochées, plus particulièrement dans le cas des entreprises et des autres personnes morales de la zone euro.

L'objectif, fixé en 1985, de la création d'un marché unifié des services bancaires est par suite en large mesure atteint.

Comme l'atteste l'analyse des étapes successives de cette construction, l'intégration actuelle de l'Europe bancaire résulte directement de l'action continue menée depuis 1977 par les autorités européennes et les gouvernements, en concertation constante avec les professionnels concernés. La situation de l'industrie bancaire paraît à cet égard assez unique au sein de l'Union européenne. Hormis l'agriculture, aucun autre secteur économique ne semble en effet y connaître aujourd'hui un tel degré de rapprochement de ses conditions d'exercice. Le chemin parcouru pour l'édification d'un marché unique des services bancaires pourrait ainsi servir d'exemple pour le rapprochement des marchés d'autres types de services, en particulier de ceux qui sont également soumis à un encadrement réglementaire particulier.

Pour autant, l'édification de l'Europe bancaire n'est pas achevée. Pour une part notable, les produits et les services proposés dans un État membre, notamment aux particuliers, demeurent aujourd'hui propres à cet État, du fait des différences importantes existant encore entre les régimes juridiques applicables, spécialement en matière de propriété, de taxation ou de protection sociale. La poursuite de la construction de l'Europe bancaire dépend donc, en large mesure, des progrès qui seront réalisés dans ces domaines. La mise en œuvre du projet d'Union des marchés de capitaux proposée par la Commission européenne le 30 septembre 2015 pourrait apporter en ce domaine une contribution décisive.

Achevé de rédiger le 19 février 2017


Notes

1 Une chronologie des principales mesures prises pour l'édification de l'Europe bancaire est donnée en annexe.
2 3e considérant de la Directive 77/80/CEE du 12 décembre 1977.
3 Cette première directive bancaire ne comprenait que quinze articles et représentait six pages au Journal officiel des communautés. À titre de comparaison, la directive actuellement en vigueur concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, qui a été adoptée le 26 juin 2013, soit trente-six ans plus tard, comprend, hors annexes, cent soixante-cinq articles et quatre-vingt-dix-neuf pages.
4 4e considérant de la directive du 15 décembre 1986.
5 Dans le cas des établissements de crédit, il s'agit de l'Autorité bancaire européenne (ABE/EBA), instituée par le règlement n° 1093/2010.
6 Directive 2010/76 modifiant les directives 2006/48 et 2006/49 en ce qui concerne les exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération.

Annexe

CHRONOLOGIE DES PRINCIPAUX TEXTES EUROPÉENS
RELATIFS AUX SERVICES BANCAIRES ET FINANCIERS