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 Fonds de pension au Chili : un système en pleine évolution après un tiers de siècle de vie


Carlos PARDO Économiste ; directeur de la stratégie, Vestathena. Contact : carlos.pardo@vestathena.com.
Jaime PARDO MBA, enseignant, Universidad Católica de Valparaíso et Universidad Santa Maria de Valparaíso (Chili). Contact : jaimepardosoto@yahoo.com.ar.

Les fonds de pension constituent un sujet passionnel par excellence et ceci quel que soit le pays. Le Chili n'est pas une exception. Au point de représenter un véritable paradigme, l'expérience chilienne en matière de réforme du mode de financement des retraites a ceci de singulier que ce pays a été pionnier dans ce domaine, en substituant de manière radicale des fonds de pension à cotisations définies individuelles obligatoires à son ancien système en répartition. Construit sur trois sections, cet article met tout d'abord en évidence les vertus d'une épargne longue, en lien avec l'existence de fonds de pension, générant des externalités positives, qui contribuent, entre autres, au financement et à la modernisation de l'économie. Puis il décrit et analyse de façon spécifique le mode de fonctionnement des fonds de pension chiliens ainsi que leurs performances. Enfin il présente et analyse les principaux projets de réformes actuellement en débat, qui ont l'objectif déclaré de corriger les insuffisances constatées dans le système actuel de financement des retraités.

Les enjeux étant considérables, les fonds de pension constituent un sujet passionnel par excellence, mais surtout un défi à relever par tous les pays, y compris la France, soumis au vieillissement tendanciel de leurs populations. Cela dans une perspective de financement à long terme des personnes âgées et, par ricochet, des économies. Cela a été le cas au Chili. En effet, l'expérience chilienne en matière de réforme du mode de financement des retraites a ceci de singulier que ce pays a été pionnier dans ce domaine en substituant (rapidement et, disons-le, dans des conditions particulières d'absence de contre-pouvoirs) des fonds de pension obligatoires à cotisations définies individuelles à son ancien système de répartition1. De par son caractère radical et au point de constituer un véritable paradigme, cette réforme a soulevé, et soulève encore aujourd'hui, autant de critiques que d'admiration au Chili même comme à l'étranger.

Dans cet article, nous partons du principe de base selon lequel l'épargne des ménages – du moins dans sa partie longue – doit servir en priorité à la constitution de ressources pour les vieux jours, notamment sous forme de retraite complémentaire. Pourtant nous considérons que via des fonds de pension, bien entendu parallèlement à d'autres conditions dont la discipline budgétaire, cette épargne cumulée, utilisée à bon escient, génère par ricochet des externalités positives qui contribuent au renforcement du financement de l'économie2. C'est justement l'objet de la première partie : dresser un bilan de l'impact des fonds de pension chiliens sur la création d'un marché des capitaux conséquent, et concomitamment sa contribution à la modernisation de l'économie et des marchés financiers. La deuxième partie décrit et analyse de façon spécifique le mode de fonctionnement de ces fonds de pension et, au passage, les mécanismes budgétaires mis en place afin de mitiger les inégalités, les prestations monétaires que perçoivent les affiliés au système, les performances des fonds sur le long terme, etc. Enfin la troisième partie présente et analyse les principaux projets de réformes actuellement en débat, avancés par le gouvernement de gauche en place, avec notamment pour objectif déclaré de corriger les insuffisances constatées dans le système actuel de financement des retraités et, de manière plus générale, des personnes âgées. Ces débats sont menés dans un contexte préélectoral (élection présidentielle de novembre 2017) quelque peu paradoxal, caractérisé, d'un côté, par une grande tension en raison de multiples manifestations politiques et sociales et, d'un autre côté, par une certaine prudence de la part des partis politiques du centre de l'échiquier. En effet, le gouvernement en place défend son programme et ses réalisations, et l'opposition modérée prépare son retour au pouvoir. Malgré tout, en dehors des positions extrêmes, un certain consensus se dégage, les acteurs étant plutôt conscients et d'accord sur la nécessité de réformer, sans détricoter, le système actuel.

Les fonds de pension ont contribué à l'accumulation de capitaux, à l'émergence d'un marché des capitaux efficace, à la modernisation de l'économie et de l'État

Sans polémiquer sur l'arrière-fond politique qui sous-tend la réforme des retraites amorcée en 19803, il faut souligner d'emblée l'état critique dans lequel se trouvait l'économie chilienne depuis la fin des années 1940 (Caputo et Saravia, 2014) : des déficits budgétaires chroniques, une dette publique substantielle et surtout extérieure, une inflation endémique à au moins deux chiffres et un système de sécurité sociale très fragmenté, hétérogène et en déficit permanent et croissant4.

La transformation radicale du système de sécurité sociale chilien en 1981, dont son principal élément les retraites, n'a pas été une mesure isolée. Elle s'est insérée dans un ensemble de réformes de fond en vue de moderniser l'économie et les finances, ainsi que le fonctionnement du secteur public dont l'appareil d'État. Les efforts ont porté en substance sur la libéralisation du commerce, la régulation des infrastructures, la supervision du système bancaire, le toilettage de la législation relative au marché du travail et le désengagement de l'État en tant qu'acteur économique via des privatisations5. Celles-ci, outre leur contribution au programme de désendettement à terme de l'État, ont surtout permis, du moins en partie, d'apporter progressivement les ressources nécessaires à la mise en place, au déroulement et à la consolidation des réformes introduites. Cela a été d'autant plus important que le financement de la transition vers un système en capitalisation (avec un coût budgétaire de l'ordre de 7 % du produit intérieur brut – PIB – dans les années 1980 et qui, depuis, diminue progressivement pour atteindre environ 2 % aujourd'hui6) a pu être en partie soutenu par des ressources supplémentaires issues des privatisations ainsi qu'un allégement et une rationalisation significatifs des dépenses générales de l'État7. La forte croissance économique dès la deuxième moitié des années 1980 y a également contribué.

Si elle n'est pas le seul facteur explicatif, l'introduction de fonds de pension obligatoires à cotisations définies a contribué largement à une rapide accumulation de capitaux ayant servi à créer un marché domestique structuré et efficace d'obligations publiques et de titres privés, ainsi que des actions cotées, renforçant en conséquence l'économie nationale et l'emploi. En effet, en cohérence avec les objectifs des réformes, à ses débuts, la régulation était telle que les fonds de pension ne pouvaient investir que dans des titres nationaux (d'abord dans les seules obligations d'État, puis dans les autres titres privés émis par des acteurs locaux). Ce processus a en somme conduit à la mise à disposition des émetteurs chiliens d'un volume d'épargne considérable (un flux annuel équivalent à 3 % ou 4 % du PIB les dix premières années). Depuis les montants à gérer devenant conséquents et l'économie ayant atteint un bon niveau de développement et en cohérence avec l'objectif premier des fonds de pension, à savoir la recherche de rendements en ligne avec les besoins futurs affiliés au système, la structure des placements a fortement évolué vers une diversification accrue des portefeuilles des fonds de pension, devenue progressivement internationale à partir de 1995, comme le montre le graphique 1 (infra).

En dépit de cette diversification et dénotant un pragmatisme persistant encore aujourd'hui, le portefeuille global reste caractérisé par un fort biais domestique, avec près de 55 % des titres en portefeuille émis par des acteurs locaux.

Sous un autre angle, la structure des placements est globalement impactée par des règles d'investissement plus ou moins contraignantes selon le profil de risque choisi par les cotisants8. Pour le profil le plus risqué, ces règles tiennent par ailleurs compte de l'âge des adhérents pour désensibiliser les portefeuilles avant le départ en retraite. Le tableau illustre les règles d'investissement et de dispersion des risques actuellement en vigueur et relatives aux titres à revenu variable selon le profil de risque choisi (la dernière colonne de ce tableau renseigne sur le poids de chaque profil de risque par rapport au montant total des réserves des fonds de pension en février 2016 : 156 Md$).

Graphique 1
Évolution du portefeuille global des fonds de pension selon la nature des actifs

Source : Superintendencia de Pensiones.

Tableau
Règles d'investissement en actifs à revenu variable*

* Actions cotées et fonds d'investissement.

Lecture : les fonds de type « A » doivent investir 40 % minimum et 80 % maximum en actifs à revenu variable (actions et fonds d'investissement actions) ; les fonds de type « E », les plus prudents, ne peuvent pas investir plus de 5 % en titres à revenu variable.

Source : Superintendencia de Pensiones.

La montée en puissance des fonds de pension a transformé le volume et la structure des patrimoines financiers des ménages, estimés à 350 Md$ à la fin de 20159, soit une fois et demi le PIB du Chili (environ 2,4 fois le revenu disponible brut des ménages). Aujourd'hui les fonds de pension représentent 45 % de ces actifs financiers, contre un poids inférieur à 3 % en 1980. Ces fonds ont également contribué à élargir rapidement la base de capital du pays : dix à quinze ans après leur création, les réserves des fonds de pension avaient un poids proche d'un tiers du PIB, contre 70 % au milieu de 2016 (cf. graphique 2).

Graphique 2
Actifs des fonds de pension/PIB

Source : Superintendencia de Pensiones.

Parmi d'autres effets positifs de ces évolutions, l'existence des fonds de pension, devenus des investisseurs institutionnels de poids sur les marchés, a été à la base d'une amélioration notable de la régulation financière, de la promotion des innovations dans l'appareil productif et d'une meilleure gouvernance des entreprises et, en non moindre mesure, de l'État en tant qu'émetteur de dette et donc placeur de titres10.

Des prestations de retraite qui évoluent au gré des réformes, mais qui restent relativement faibles dans un système encore en transition

L'actuel système de retraite chilien offre des prestations en matière de pensions de vieillesse, d'invalidité et de survie (pensions de réversion au conjoint ou aux ayants droit survivants). Depuis la réforme de 1980, complétée par celle de 2008, le système de retraite pour les travailleurs salariés est composé, selon leurs niveaux de revenus, de trois piliers :

  • le pilier 1 de solidarité, introduit en 2008, financé par l'impôt et administré par l'État11. Ce mécanisme comprend deux modalités : un apport solidaire dénommé APS (aporte previsional solidario) qui complète les pensions de ceux ayant cotisé, mais n'atteignant pas une pension équivalente au salaire minimum, et le financement d'une pension de base solidaire nommée PBS (pensión básica solidaria) de 91 K$Cl (peso) (soit environ 135 USD)12 pour ceux n'ayant pas cotisé et donc constitué une épargne à cet effet. Les femmes recevant des prestations de ce pilier (APS ou PBS) ont également droit à un bonus qui varie selon le nombre d'enfants né-vivants ou adoptés13 ;

  • sujet principal de cet article, le pilier 2 obligatoire en capitalisation pour les salariés est entièrement préfinancé par les cotisations directes du futur retraité sur un compte individuel. Les capitaux cumulés pendant la période d'activité sont gérés par l'une des six institutions privées, les AFP (administradoras de fondos de pensiones), autorisées par le régulateur (Superintendencia de pensiones) ;

  • le pilier 3 facultatif en capitalisation individuelle (ou collective dépendant des accords d'entreprise), administré par les AFP ou d'autres institutions autorisées (sociétés d'assurances, etc.)14.

Concernant le pilier 2, de manière synthétique, sur une population de 18 millions d'habitants, en juin 2016, les AFP ont 10,07 millions d'affiliés, dont 5,2 millions sont des cotisants actifs. Ces derniers ont un revenu moyen de 710 000 $Cl par mois (soit 1 000 USD), le revenu moyen des hommes étant de 16 % plus élevé que celui des femmes.

Ensemble les six AFP aujourd'hui existantes gèrent des réserves pour un encours total de 163 Md$ (août 2016), ce qui équivaut à 70,6 % du PIB du Chili15.

En ne considérant que la composante autofinancée, plus de 1 million de pensions de retraite sont servies par les AFP, avec un montant moyen de 204 000 $Cl par mois (304 USD), ce qui équivaut à 82 % du salaire minimum en vigueur dans le pays (250 000 $Cl). Le graphique 3 (infra) illustre l'évolution (hors inflation, en pesos de 2015) du montant moyen des pensions versées par le régime entre 2006 et 2015. Outre une diminution, en termes réels, des pensions entre 2009 et 2012, principalement en raison de la crise des subprimes, on observe sur dix ans, hors inflation, une certaine faiblesse et inertie du montant moyen des prestations.

De manière plus spécifique, on constate un écart substantiel entre le montant moyen et la médiane (autour de 90 000 $Cl) des pensions versées, ce qui dénote une forte inégalité à l'intérieur de la population ayant cotisé aux fonds de pension. Par ailleurs, cela se reflète également dans l'écart significatif entre genres : alors que la moitié des hommes perçoivent une pension inférieure à 112 000 $Cl par mois, les femmes obtiennent moins de 42 000 $Cl. Cet écart très significatif est dû en partie à la différence dans l'âge légal de départ à la retraite (65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes), ainsi qu'à l'utilisation de tables de mortalité d'expérience16 selon le sexe pour le calcul des pensions (l'espérance de vie à la naissance étant de 76 ans pour les hommes et 81 ans pour les femmes17). Sur la base de ces deux seuls facteurs, les femmes ont en moyenne une vie plus longue et une période d'accumulation beaucoup plus courte que celles des hommes. À cela il faut ajouter le bien plus faible taux d'emploi des femmes (48 %, contre 72 % pour les hommes), avec des périodes d'arrêt d'activité plus récurrentes et longues pendant leurs carrières, des conditions plus précaires sur le marché du travail, etc. L'ensemble de ces facteurs impactent lourdement la densité des cotisations18 de la population féminine.

Graphique 3
Montant moyen réel des pensions mensuelles réglées par les AFP
(hors inflation, en milliers de pesos de 2015)

Source : Superintendencia de Pensiones.

Le système des AFP fonctionne sur une base actuarielle. Pour l'essentiel, le montant des pensions dépend d'une série de paramètres techniques classiques : niveau et densité des cotisations, modalités de sortie, rentabilité des investissements, etc.

À cet égard, parmi les principales raisons de la faiblesse absolue et relative des pensions figure le niveau des cotisations. En effet, depuis le lancement des fonds de pension, le taux de cotisation obligatoire pour la retraite est resté inchangé à 10 % du revenu imposable19. Ce niveau de cotisation est nettement inférieur (20 % en moyenne) à celui pratiqué dans la plupart des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). De plus, au Chili, cette cotisation est à la charge exclusive du salarié, alors que dans la plupart des pays de l'OCDE, la contribution pour la retraite est supportée presque à égalité par l'employeur et l'employé.

En raison du faible taux de couverture du système (69 %), à savoir la proportion du total des actifs qui cotisent régulièrement, combinée avec des années d'inactivité pour cause de chômage ou pour d'autres motifs, la densité moyenne de cotisations est inférieure à 50 %, et ce, par rapport à ce que les futurs retraités devraient effectivement verser pendant leur vie en âge de travailler20. Cette couverture partielle est due à l'importance de la population ayant une activité indépendante ou bien dans le secteur informel, qui dans le système actuel n'est pas obligée de verser des cotisations de retraite.

À souligner également une particularité des fonds de pension au Chili où les futurs pensionnés sont libres de choisir entre deux modalités de versements21 : un revenu mensuel payé à vie sous forme de rente viagère ou bien des versements programmés, dont l'échéancier et les montants sont déterminés par le retraité lui-même, la pension étant calculée et mise à jour chaque année en fonction du solde de l'épargne constitutive de la rente, du rendement du fonds, de l'espérance de vie et du taux de rente effectif au moment des versements programmés.

Actuellement 53 % des retraités optent pour des versements programmés, qui représentent 40 % du montant des pensions versées. On en déduit qu'il s'agit là de ceux ayant en moyenne cumulé moins de réserves pendant leur vie active. Si globalement cette modalité n'affecte pas le niveau moyen des pensions, elle peut poser de sérieux problèmes en raison d'un risque de mauvais calcul (ou tout simplement d'ignorance et/ou de myopie) conduisant le retraité à sous-évaluer son risque de longévité, avec au niveau agrégé de graves conséquences en matière de coût social. En effet, un tel comportement découlant d'un « effet de richesse soudaine » se traduit souvent dans les faits par des montants de pensions fortement décroissants dans le temps, voire des pensions qui peuvent rapidement être réduites à néant du fait de l'épuisement des réserves individuelles cumulées pendant la vie active.

Si l'on considère le taux de remplacement net, défini comme le rapport entre le montant de la pension perçue par le cotisant et son salaire pendant sa vie active, le Chili se place dans une position de faiblesse relative par rapport aux pays de l'OCDE. Il est de 37,7 % pour les hommes et de 33,1 % pour les femmes, alors que celui de l'OCDE serait globalement de 63 %.

La rentabilité réelle brute annualisée des fonds de pension chiliens, depuis l'origine du système, a été de 8,4 %22. Le graphique 4 (infra) présente les rentabilités annuelles moyennes depuis le début du système de multifonds en 2003. On observe une volatilité qui varie fortement, dépendant du profil de risque des portefeuilles. Pourtant, bien que plus volatils sur le long terme, ce sont les fonds à plus fort contenu en actions (ceux de type « A ») qui performent le mieux avec une moyenne de 8,6 % sur la période examinée. Les fonds les moins risqués proposés (ceux de type « E ») ont servi une rentabilité de moitié moins importante (4,1 %).

Graphique 4
Rentabilité réelle des multifonds de fonds de pension chiliens
(avant commissions versées par les affiliés au système)

Source : Superintendencia de Pensiones.

Objet de polémique, les commissions prélevées par les AFP sont incluses dans les taux de rentabilité affichés par les AFP et publiés par le régulateur. Pendant la période d'accumulation, elles sont de deux types : commissions acquises à l'AFP qui gère les fonds (en moyenne de l'ordre de 1,4 % de chaque cotisation) et frais de courtage sur transactions en portefeuille, non acquises aux AFP. Selon une étude réalisée en 2014 par le sous-secrétariat de la Sécurité sociale, ces deux commissions totalisent au global environ 0,93 % par an du total des actifs gérés par les fonds de pension23. Bien qu'ayant été pratiquement divisées par deux depuis le lancement des fonds en 1981, une forte pression s'exerce sur les AFP pour les diminuer davantage.

Pour résumer cette partie, la capacité des fonds de pension à fournir un niveau de revenus satisfaisant pour les retraités dépend d'un nombre important de facteurs. Nous en retenons au moins quatre dont certains sont de nature exogène :

  • compte tenu entre autres que seul le futur retraité y contribue, le taux de cotisation est faible, et ce, alors que l'espérance de vie est élevée et continue d'augmenter, ce qui impacte à la baisse les taux des rentes ;

  • le maintien de taux moyens de rentabilité réels élevés et qui l'étaient davantage avant 2007 ne semble pas une tâche facile dans le contexte actuel des marchés, du moins dans le moyen terme ;

  • la maîtrise des commissions et des frais de transactions constitue également un facteur qui peut contribuer à renforcer la capacité d'accumulation des comptes individuels ;

  • la viabilité sociale du système repose en partie sur l'augmentation du taux de couverture du système, qui a son tour est tributaire d'une meilleure intégration de la population sur le marché du travail.

Quo vadis ou, problème classique, comment financer des réformes à caractère social ?

Au Chili, le thème des fonds de pension était jusqu'à récemment du domaine des experts. Avec leur arrivée graduelle à maturité, il est devenu depuis peu de temps un sujet de contestation sociale et un enjeu politique électoral, fortement teinté d'idéologie.

La situation actuelle apparaît d'autant plus comme un défi à relever qu'elle se caractérise par un taux moyen de remplacement qui reste bien en deçà de son benchmark, celui de l'OCDE dont le Chili est membre depuis 2010. Et pour cause, sans changements de fond dans le système actuel, vers 2025-2035, le taux de remplacement devrait rester inférieur à 40 %. On l'a vu, cet état de fait est dû à au moins trois facteurs : un taux de cotisation faible et à la seule charge des cotisants, une densité des contributions insuffisante et un vieillissement rapide de la population.

Publié en septembre 2015, un rapport de la Commission consultative présidentielle sur les retraites fait un diagnostic sur le fonctionnement du système dans sa globalité et propose des pistes spécifiques pour remédier aux carences relevées. Il recommande d'étudier en profondeur deux propositions globales pour la réforme du système de retraite chilien. La première consiste à maintenir le système actuel, tout en renforçant le pilier solidaire (pilier 1) et en améliorant le volet contributif (pilier 2). La deuxième vise à transformer le régime actuel de retraite solidaire en une assurance sociale à part entière, qui devrait être placée au centre d'un système de retraite basé sur une double solidarité entre affiliés et entre générations, et venant faire contrepoids aux fonds de pension à cotisations définies individuelles.

En complément de ces deux propositions pour le moins radicales, qui en définitive cherchent de manière implicite à renforcer le volet redistributif au détriment, de facto, du système actuel à caractère contributif et qui de ce fait suscitent déjà des réactions quant à leur financement, un certain nombre de recommandations spécifiques (cinquante-huit au total), pas moins controversées, sont proposées. Parmi celles-ci, nous en relevons sept qui se fixent pour objectif, en principe, de corriger les faiblesses et les carences de l'actuel système de financement des retraites :

  • introduction d'une cotisation complémentaire à la charge des employeurs, à hauteur de 4 % à 5 %, dont une fraction, qui reste à déterminer, serait destinée en majorité à un fonds de solidarité (pilier 1). Pour les détracteurs de cette mesure, si complément de cotisation il venait à y avoir, il devrait alimenter en priorité les pensions en capitalisation aujourd'hui considérées faibles, et non le pilier solidaire non contributif par nature ;

  • augmentation du taux de couverture de la population active en intégrant à titre obligatoire les professions indépendantes, ainsi que les travailleurs du secteur informel. Si l'intégration des indépendants semble économiquement et techniquement possible et viable, celle des travailleurs informels apparaît comme un vœu pieux de par la nature même de ce secteur d'activité. Il s'agit là d'un problème économique structurel de taille que les gouvernements successifs n'ont pas réussi jusqu'ici à résoudre ;

  • égalisation de l'âge légal de départ à la retraite pour les hommes et les femmes (passant de 60 ans à 65 ans pour celles-ci) et révision régulière de ce paramètre en fonction de l'évolution de l'espérance de vie. Cette mesure d'égalisation est de toute évidence parmi celles qui soulèvent le plus de protestations, notamment de la part de la population féminine ;

  • utilisation d'une table de mortalité commune aux hommes et aux femmes pour le calcul des rentes. Par rapport à la mesure précédente, en raison des fortes différences d'espérance de vie, l'utilisation d'une table mixte aura un effet compensatoire favorable aux femmes, dont le taux de rente devrait mécaniquement augmenter, et négatif pour les hommes, qui verront leurs taux de rente diminuer et de même le montant de leurs pensions ;

  • mise en œuvre d'un mécanisme par lequel les commissions de courtage sur les transactions seraient entièrement prises en charge par l'AFP et non par les affiliés. Cette mesure est discutable dans la mesure où les transactions en question, si elles sont réalisées à bon escient dans le cadre d'une gestion dynamique, contribuent à la valorisation des portefeuilles et donc à un renforcement du capital constitutif des rentes à verser aux retraités. Faire porter ces commissions par les AFP pourrait avoir un effet désincitatif sur les gestions susceptible de nuire à la performance des fonds24 ;

  • suppression des retraits programmés afin de réduire le risque de longévité, notamment pour les pensionnés les plus fragiles. Si cette mesure semble de notre point de vue sensée, elle ne constitue pas moins une entorse à la liberté de choix des futurs retraités ;

  • création d'une AFP d'État venant concurrencer les six AFP privées existantes. Financée sur des deniers publics, cette initiative est susceptible de poser des problèmes de gouvernance et, surtout, un risque de dumping étatique.

Si le besoin de réformes semble avéré, certaines des mesures proposées posent à leur tour de nouveaux défis et d'autres soulèvent de sérieux problèmes, entre autres un risque de déstabilisation via le « détricotage » des fondements mêmes du système de fonds de pension à cotisations définies, en vigueur depuis plus d'un tiers de siècle.

Ainsi les réformes proposées étant de taille et constituant pour le gouvernement pratiquement une entrée en matière avant les élections de novembre 2017, la concertation risque d'être malaisée. Calendrier politique oblige, leur introduction devrait échoir au(x) prochain(s) gouvernement(s). Toutefois quelques-unes des mesures et des recommandations sont déjà dans les procédures législatives comme la création d'une AFP d'État. Les autres, bien plus complexes, auront un temps de maturation extrêmement long : il en sera ainsi de la mise en œuvre des mesures concernant les métiers à risque et/ou à pénibilité renforcée, de même que, sujet sensible, celles relatives à l'augmentation de l'âge de la retraite pour les femmes de 60 ans à 65 ans, et l'utilisation de tables de mortalité mixtes qui défavorisent la population masculine25.

Conclusion

Au Chili, les craintes relatives à la viabilité du système de retraite n'ont rien de particulier. Elles s'appuient sur un double constat très proche de celui des pays européens. Le premier constat, commun à tous les pays développés ou émergents, est le vieillissement tendanciel de la population qui résulte de deux phénomènes qui se renforcent mutuellement : l'augmentation de l'espérance de vie et la baisse du taux de fécondité. L'accroissement du poids des retraités par rapport à la population active en est la conséquence. Le second constat, d'ordre économique et social, a lui deux signes opposés. L'effet positif réside dans le relativement faible taux d'activité des femmes et, dans une moindre mesure, des hommes, ce qui laisse miroiter un réservoir de cotisants pouvant contribuer dans le futur à améliorer l'équilibre du système. Du côté négatif, on retrouve la diminution de la durée de la vie active qui s'explique par une entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail. La charge négative de ce phénomène est toutefois à relativiser, du fait de l'entrée sur le marché d'une main-d'œuvre plus qualifiée et donc plus productive.

Pour conclure, il ressort des idées exprimées dans cet article l'impact bénéfique de la capitalisation sur l'investissement à long terme des économies. L'existence de fonds de pension constitue à ce titre un véritable atout dans un monde ouvert à la concurrence internationale. À l'inverse, leur inexistence nous prive d'une puissante source de financement de la croissance et de l'innovation.

Pourtant au centre du débat sur la nouvelle vague de réformes proposées au Chili se profile actuellement le double problème de savoir comment développer le modèle actuel – techniquement et financièrement basé sur des fonds de pension obligatoires à cotisations définies et individuelles, et qui en somme a fait ses preuves – vers un système encore plus performant et juste, selon les promoteurs des réformes proposées, et, question encore plus ardue, qui va financer, d'où va-t-on tirer les ressources nécessaires pour atteindre cet objectif.

L'équation est complexe car si des réformes semblent nécessaires, il s'agit surtout de ne pas mettre en danger les fondamentaux d'une économie et d'une société globalement prospères, mais qui, comme tout pays relativement développé, reste somme toute fragile du fait de son vieillissement tendanciel… et en partie de ses inégalités.


Notes

Cet article a bénéficié de la lecture critique et des suggestions amicales de : André Babeau (professeur émérite, université de Paris-Dauphine), Didier Blanchet (économiste à l'Insee et spécialiste des retraites), Gérard de La Martinière (président, Groupe de travail sur le long terme de la Place de Paris), Jacques de Larosière (ancien directeur général du FMI), Anne Lavigne (professeur des universités-COR) et Thomas Valli (directeur des études économiques, AFG). Nous les remercions tous. Pourtant les opinions exprimées, les erreurs et les omissions restent bien entendu les nôtres.
1 Seul le régime de retraite des militaires et des policiers est resté en répartition et financé par le budget de l'État. La littérature existante est peu explicite, voire muette, concernant ce point important sur les fondements d'une telle décision (Edwards, 1996 ; Acuna et Iglesias, 2001).
2 Sauf indication contraire, toutes les statistiques et informations utilisées dans cet article ont pour source des rapports officiels et des bases de données de la Superintendencia de Pensiones (organisme de régulation des AFP) ou du Banco Central de Chile.
3 Les gouvernements successifs, depuis la transition du pays vers la démocratie en 1989, n'ont pas remis en cause les fondements de l'existence des fonds de pension. Si des réformes ont été proposées et introduites, notamment celles de 2008, elles avaient surtout un caractère technique et social consistant à introduire un pilier de solidarité pour les plus démunis.
4 L'ancien système de sécurité sociale au Chili comprenait plus de cent régimes différents, chacun avec ses règles et ses statuts, des réglementations et des autorités de tutelle spécifiques et multiples. Outre l'histoire, ce système traduisait également des enjeux de pouvoir et d'influence aussi bien pour les partis politiques que pour les syndicats.
5 Le désengagement de l'État est allé bien au-delà de l'économie. Il concerne également l'éducation et la santé, deux secteurs d'activité aujourd'hui au centre de la contestation sociale.
6 Le coût budgétaire en question s'explique par le passage massif à la capitalisation (à hauteur de 97  % des personnes concernées). Après 1981, il est resté très peu, voire pas du tout, de cotisants dans les caisses gérées en répartition. L'État a dû prendre en charge le financement de deux populations différentes : la population déjà retraitée dans l'ancien système financée presque en totalité et celle partant à la retraite après la réforme et possédant des droits mixtes. Afin de compléter les carrières de cette deuxième catégorie, l'État s'est engagé, et le fait, à verser ce que l'on appelle un « bonus de reconnaissance » (montant de capital correspondant aux droits acquis dans l'ancien système) qui se rajoute aux comptes individuels en capitalisation. Le financement de la transition devrait s'éteindre progressivement avec la disparition des derniers retraités ayant été concernés par la répartition.
7 Les premières années qui ont suivi l'introduction des fonds de pension, l'État chilien a été toutefois contraint de recourir au financement de ses réformes par la dette en émettant et plaçant ses titres via le marché intérieur des capitaux. Ce mode de financement des projets a été encore plus intense de la part des acteurs privés, notamment des banques et d'autres institutions financières, ainsi que des entreprises industrielles et de services.
8 De par la loi, les AFP existantes doivent proposer à leurs affiliés cinq profils de risque qui vont des fonds de type « A » « plus risqués » aux fonds de type « E » « plus prudents ».
9 Voir Boston Consulting Group (2016).
10 Signe d'une certaine discipline budgétaire, la dette publique brute du Chili a diminué graduellement de 44 % du PIB en 1990 à environ 4 % en 2007. Depuis, en raison de la crise, elle a augmenté pour atteindre 17,5 % en 2015. Cette dette se décompose en 14,5 % de dette interne et 3 % de dette extérieure. Les investissements publics en actifs financiers étant de l'ordre de 21 %, le secteur public a une créance nette équivalente à 3,5 % du PIB.
11 Ce pilier « solidaire » a eu en 2015 un coût budgétaire de l'ordre de 0,75 % du PIB. Les montants versés à ce titre se font sous conditions d'âge (minimum de 65 ans pour les pensions de vieillesse et entre 18 ans et 65 ans pour celles d'invalidité), de ressources (appartenance aux 60 % les plus pauvres de la population) et de résidence au pays.
12 Les conversions ont été faites sur la base de 670 pesos chiliens ($Cl) pour 1 dollar.
13 Ce bonus n'est pas payé à la naissance des enfants, mais avec la pension. Le montant de ce bonus, qui correspond à 10 % de dix-huit salaires minimum (soit environ 650 dollars de 2015), est placé et génère une rentabilité à partir de la date de naissance des enfants. Il peut être versé lors du départ à la retraite en une fois ou en plusieurs versements.
14 Ce pilier 3 facultatif gère au total des actifs de l'ordre de 8,5 Md$.
15 Site internet Superintendencia de Pensiones.
16 Des tables de mortalité d'expérience – c'est-à-dire spécifiques aux populations couvertes pour un risque déterminé – sont établies de manière spécifique à partir du portefeuille d'assurés. Dans le cas des rentes viagères, l'utilisation de tables d'expérience pour le calcul des taux de rente est moins favorable que celle des tables de la population générale qui, par nature, a une espérance de vie plus faible, donc des taux de rente plus élevés.
17 Word Population Data Sheet, Population Reference Bureau, pour les données de 2015. Pour mémoire, en 1980, l'espérance de vie à la naissance était de 64,7 ans pour les hommes et de 71,3 pour les femmes (cf. Instituto Nacional de Estadisticas de Chile). Sous un autre angle, selon les tables d'expérience utilisées pour calculer les pensions de vieillesse, en 2016, l'espérance de vie à 65 ans est de 20 ans pour les hommes ; pour les femmes de 60 ans, elle est de 30,4 ans (Superintendencia de Pensiones).
18 La densité des cotisations exprime la proportion de cotisations réelles d'un affilié par rapport à ce qu'il aurait dû cotiser tout au long de sa vie active. Cet indicateur est important car il met en évidence les périodes d'inactivité ou tout simplement les irrégularités dans le versement des cotisations.
19 Ce revenu imposable a un plafond équivalent à huit fois le salaire minimum en vigueur.
20 Cette densité est plus faible chez les femmes, mais nous n'avons pas trouvé de données précises à cet égard.
21 Les pensionnés disposent d'une grande liberté en la matière et peuvent également combiner ces deux modalités.
22 Ces rentabilités sont brutes de frais et de commissions. Par ailleurs, des prélèvements sont également effectués sur les comptes individuels au titre des prestations de retraite, leur niveau dépendant de la nature et la structure de ces prestations.
23 Sachant que les comparaisons dans ce domaine sont délicates, la moyenne pour les pays de l'OCDE serait de 0,85 %, ce qui n'est pas forcément significatif par rapport aux 0,93 % estimés pour les AFP. Par ailleurs, nous avons de sérieux doutes sur la pertinence de ce chiffre de l'OCDE dans la mesure où dans des pays comme la France, l'Italie ou l'Allemagne où la répartition a un poids prépondérant, les coûts de gestion et de fonctionnement de ces régimes sont pratiquement inconnus.
24 Soulignons au passage qu'en raison d'un mécanisme imposé aux AFP par la régulation (dénommé « encaje »), qui consiste à ce que les AFP doivent détenir en propre au moins 1 % du montant total des actifs gérés par les fonds, ces institutions n'ont pas intérêt à faire tourner les portefeuilles, car un turnover excessif vient grever leur propre rentabilité. Outre inciter les AFP à une bonne gestion, l'encaje a été mis en place pour garantir une rentabilité minimum mensuelle.
25 Dans un discours prononcé en août 2016, à l'approche des échéances électorales, Mme Bachelet radicalise et politise encore plus sa position. Ainsi elle suggère que le complément de cotisation à la charge des employeurs ne devrait servir qu'à conforter le pilier solidaire. Pas un mot sur le relèvement de l'âge de la retraite des femmes de 60 ans à 65 ans… Elle propose, par ailleurs, la révision des autres systèmes de pension, sans pourtant les nommer, afin d'éviter des distorsions, référence implicite aux retraites en répartition des militaires.

Bibliographies

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Superintendencia de Pensiones, site internet www.safp.cl/portal/institucional/578/w3-channel.html (véritable mine d'or concernant toutes les informations et statistiques relatives aux fonds de pension chiliens).