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 Une approche historique de l'économie sociale


Michel AUDIGIER Professeur de sciences économiques et sociales ; enseignant d'économie, université du Havre.Auteur deL'économie sociale d'hier à aujourd'hui , Éditions Ellipses, collection Mise au point, octobre 2014.

Économie positive, économie collaborative, économie circulaire, économie de la fonctionnalité, etc. L'époque actuelle est à vouloir inventer de nouvelles formes de production et d'échange échappant à la domination du capitalisme. Pour intéressantes qu'elles soient, ces tentatives semblent pourtant ignorer qu'une partie de l'activité se situe depuis longtemps, et encore aujourd'hui, dans cette perspective. En effet, à côté des entreprises privées, à but essentiellement lucratif, et de la production de services publics figure un troisième secteur. Ce tiers-secteur est celui de l'économie sociale.

Concrètement, il s'agit d'un ensemble formé par les associations, les coopératives et les mutuelles (cf. annexe). Ce secteur, en apparence hétérogène, est en réalité unifié autour d'une finalité, de valeurs et de principes communs.

Les trois composantes de l'économie sociale ont un objectif unique : le service de la personne, de ses besoins et de son épanouissement. Pour atteindre cet objectif, les organisations de l'économie sociale reposent sur trois piliers fondamentaux :

  • l'égalité : chaque membre dispose du même pouvoir (« une personne, une voix ») ;

  • la démocratie : les membres de l'économie sociale prennent collectivement les décisions, nomment leurs dirigeants et en contrôlent l'action ;

  • la solidarité : le but de l'activité est d'améliorer la production et les prestations fournies ainsi que la situation des membres ; dès lors, on applique les règles de « non-lucrativité » dans les associations (l'excédent éventuel est remis dans la structure) ou de « lucrativité partielle » dans les mutuelles et les coopératives (l'excédent est réparti entre sociétaires et coopérateurs, mais aussi réinvesti dans l'organisation).

Bien entendu, l'adhésion aux organisations de l'économie sociale est libre et ses membres peuvent s'en retirer à tout moment. Enfin, l'économie sociale se veut indépendante. Si ses membres peuvent agir dans des organisations syndicales ou politiques, elle n'affiche aucune préférence partisane et préserve son autonomie financière en diversifiant ses ressources (ventes, cotisations, dons, subventions, etc.).

En France, la Charte de l'économie sociale de 1980 consacre officiellement ce tiers-secteur. Pourtant, l'économie sociale a déjà une longue existence puisque l'expression apparaît dès 1830 sous la plume de Charles Dunoyer.

Dans ces conditions, la tendance contemporaine consistant à réinventer ce que l'économie sociale propose et met en œuvre depuis près de deux siècles interpelle. Elle ne doit cependant pas étonner car elle est le reflet d'un phénomène plus profond : l'économie sociale n'est pas encore parvenue à avoir une place et un rôle à la mesure de ses ambitions.

Certes, aujourd'hui, l'économie sociale n'est pas négligeable. En France, elle emploie environ 2,3 millions de salariés dans un peu plus de 220 000 établissements1.

Mais ce tiers-secteur reste peu et mal connu. Il est rare que les adhérents d'une mutuelle d'assurance ou d'une banque coopérative sachent qu'ils sont membres de l'économie sociale.

Au-delà de ce déficit d'information, il apparaît que l'économie sociale est loin d'avoir imposé son modèle.

Ses 2,3 millions de salariés ne représentent que 10 % de l'emploi salarié. En retenant l'hypothèse la plus optimiste, ils fournissent 10 % du PIB. Outre le fait qu'il n'y a rien d'exceptionnel qu'un dixième des salariés assure un dixième de la richesse, cela signifie, en même temps, que l'activité relève encore très largement des secteurs public et privé.

Au-delà de ces données globales, les limites de l'économie sociale apparaissent au travers d'une approche sectorielle. Si les mutuelles ont une place significative dans la banque et l'assurance, l'économie sociale est très largement absente de la construction et de l'industrie (environ 1 % des effectifs de ce secteur). Les 42 000 employés des coopératives ouvrières, bien que deux fois plus nombreux qu'il y a un siècle, ne représentent actuellement qu'environ 2 % des effectifs salariés de l'économie sociale. À l'inverse, aujourd'hui, en France, l'économie sociale est surtout concentrée dans l'activité associative qui occupe près de huit salariés sur dix de ce tiers-secteur.

Ces constats expliquent sans doute la floraison récente d'alternatives où le profit n'est plus la motivation de l'activité et qui tendent à délaisser l'économie sociale. Mais ils posent aussi une question majeure.

Forte de près de deux siècles d'existence et des idéaux qui la façonnent, l'économie sociale devrait être actuellement dominante. Sa finalité, consistant à mettre l'économie, la production, au service de la personne et de ses besoins, est, par nature, fédératrice. Le fonctionnement démocratique et solidaire des structures de l'économie sociale est, a priori, attractif. Pourtant, elle reste aux marges de l'économie contemporaine dominée par la recherche du profit et où le pouvoir échappe aux salariés.

Comment expliquer le contraste entre le projet humaniste et généreux de l'économie sociale et son influence relativement limitée ? La réponse à cette interrogation exige un retour sur l'histoire de l'économie sociale. On y voit que, progressivement, ce mouvement s'éloigne de l'activité productive et se spécialise dans la sphère sociale. Cette évolution permet de mettre en lumière les principaux facteurs qui ont empêché l'économie sociale d'acquérir un statut à la hauteur de son projet.

L'approche historique, puis l'analyse qui la nourrit constituent les deux étapes de notre réflexion.

LA CONSTRUCTION D'UNE SPÉCIALISATION ET D'UNE IDENTITÉ SOCIALE

Schématiquement, la distanciation de l'économie sociale vis-à-vis du champ économique et son orientation préférentielle vers l'activité sociale s'opèrent en quatre périodes.

Dans un premier temps, au xixe siècle, l'économie sociale s'épanouit conformément à ses principes en se développant dans le tissu économique.

Le xixe siècle est celui où le capitalisme comme l'économie sociale prennent leur essor. Cette coïncidence n'est pas fortuite. Les révolutions industrielle et agricole aboutissent à un accroissement des richesses disponibles sans équivalent dans l'histoire. Mais ce mouvement s'accompagne d'inégalités tout aussi considérables et la population, notamment ouvrière, est abandonnée à la pauvreté et à la précarité.

Cette situation provoque des révoltes ouvrières sévèrement réprimées. En même temps, elle suscite des réflexions et des réactions qui cherchent à faire en sorte que le progrès social soit à la mesure du progrès économique.

C'est la période où l'économie sociale affirme son identité initiale. Il s'agit de donner à la production, à l'entreprise, donc à l'économie, une autre finalité que le profit, en les mettant au service prioritaire de la personne.

Deux types d'expériences se dessinent.

D'une part, ce sont des entrepreneurs audacieux qui veulent répartir plus équitablement les profits issus de leur activité. En France, on retiendra ici l'exemple le plus célèbre avec l'action de Jean-Baptiste Godin (1817-1888) dans son entreprise de Guise dans l'Aisne. Cet industriel s'est enrichi dans la fabrication de poêles. À l'appui de cette réussite, il crée un « familistère »2 qui regroupe les salariés et leurs familles. Cet ensemble est constitué de logements salubres et confortables. Le « familistère » offre également une multitude de services comme, par exemple, l'accès gratuit aux soins ou à des produits de consommation courante à bas prix. Jean-Baptiste Godin refuse le travail des enfants et il met en place un enseignement gratuit pour les plus jeunes. Enfin, les membres du « familistère » bénéficient d'équipements de loisirs et culturels. Ce « palais social », autre nom donné au « familistère », est devenu la réalisation la plus emblématique des premiers pas de l'économie sociale en France.

On peut considérer que l'expérience est marquée du sceau du paternalisme. Mais Jean-Baptiste Godin va plus loin et l'usine de Guise est progressivement transformée en coopérative. Ce faisant, le « familistère » s'inscrit dans l'essor du mouvement coopératif, autre volet de l'économie sociale naissante.

Ainsi, on voit apparaître des formes de production qui associent activité économique et changement social en donnant la propriété de l'entreprise et le pouvoir à des travailleurs associés. En 1834, Philippe Buchez (1796-1865) lance ce mouvement en créant la première coopérative ouvrière en France3. Les exemples coopératifs dans l'industrie fleurissent comme, par exemple, la fameuse coopérative ouvrière d'Albi soutenue par Jean Jaurès (1896), l'Association des ouvriers en instruments de précision (AOIP) née en 1896, ou la Fraternelle de Saint-Claude dans le Jura (1899). Le principe coopératif gagne même le secteur bancaire. En Alsace, sous l'impulsion de Friedrich Wilhelm Raiffesen (1818-1888), les premières caisses bancaires coopératives se multiplient dans les années 1880.

Bien sûr l'ordre libéral n'est pas ébranlé. Les entreprises privées, notamment les plus grandes, dominent et la recherche du profit est au cœur de l'expansion économique. Mais le « familistère » de Guise et les coopératives de production montrent que l'activité économique peut se conjuguer avec le progrès social, la solidarité et la participation des producteurs aux décisions.

Surtout, au xixe siècle, l'économie sociale porte bien son appellation. Son terrain est celui de l'activité productive, autrement dit l'entreprise. C'est dans la sphère économique que l'on doit faire émerger une autre motivation que le profit. L'efficacité nécessaire de l'entreprise doit avoir pour objet essentiel la satisfaction de ceux qui produisent et de leurs besoins.

C'est dans l'entre-deux-guerres que l'économie sociale amorce son virage vers la sphère sociale. Certes, dans cette période, des coopératives de production font preuve de vitalité. C'est le cas de l'usine de Guise qui connaît une belle prospérité (près de 1 800 salariés en 1939). On peut aussi rappeler la naissance, en 1932, de l'Association coopérative d'ouvriers en matériels électriques (ACOME) qui est encore aujourd'hui une entreprise internationalement reconnue dans la production de câbles. Mais, globalement, le nombre de sociétés coopératives plafonne (autour de 500).

Le temps est plutôt à l'essor des coopératives de consommation. Sous l'impulsion de Charles Gide (1847-1932), l'oncle du célèbre écrivain, ces associations de consommateurs connaissent un certain succès. En France, en 1930, les coopératives de consommateurs comptent un peu plus de 2,5 millions de membres (contre 880 000 en 1914). Charles Gide, inspiré par l'expérience des « Équitables Pionniers de Rochdale »4, espère même l'avènement d'une « République coopérative » : un modèle économique refusant aussi bien le capitalisme et sa logique de profit que le socialisme et son ordre collectiviste étouffant les libertés individuelles.

On peut considérer que cette forme de coopération emprunte à l'économie puisque la consommation en est un acte majeur. Mais le développement des coopératives de consommation indique également que l'économie sociale se tourne davantage vers la répartition des richesses que vers sa création. En effet, les coopératives de consommation visent à améliorer les niveaux de vie par la baisse des prix issue du regroupement des acheteurs. La préoccupation sociale tend donc à prendre le pas sur la préoccupation économique.

Cette tendance à privilégier le développement social est d'autant plus nette que l'économie sociale y consacre une part croissante de ses activités.

Le mouvement mutualiste œuvre dans le domaine sociosanitaire (par exemple, les créations à Marseille, en 1927, et à Bordeaux, en 1930, de cliniques mutualistes). Le tissu associatif s'implique dans l'activité socioéducative. Les naissances, en 1934, de l'Union française des colonies de vacances (UFCV), puis, en 1937, du Centre d'entraînement aux méthodes d'éducation active (CEMEA) soutiennent l'accès aux loisirs des plus jeunes, notamment issus des catégories populaires. Bref, dès l'entre-deux-guerres, l'économie sociale s'engage dans la voie étroite de l'action sociale.

Les Trente Glorieuses (1945-1975) consacrent clairement la nouvelle identité de l'économie sociale. La dimension sociosanitaire devient la « marque de fabrique » de ce mouvement.

D'une part, les coopératives de production ne participent que très peu à l'essor économique de la période. Elles ne parviennent pas à quitter la stagnation observée précédemment (toujours au nombre d'environ 500 en 1975). Victimes de la progression spectaculaire de la grande distribution, les coopératives de consommation disparaissent progressivement du paysage commercial français. Le commerce associé est le seul véritable îlot de résistance, à l'image bien connue du réseau des hypermarchés Leclerc. Mais on est en présence d'une organisation coopérative particulière puisqu'elle associe des commerçants dont l'objectif lucratif reste fondamental. Son intégration à l'économie sociale suscite donc les plus extrêmes réserves.

D'autre part, cette période est celle de la domination du mouvement mutualiste. En 1975, on dénombre en France 25 millions de mutualistes, soit deux fois plus qu'en 1939. Les mutuelles deviennent l'allié décisif de l'État-providence des Trente Glorieuses.

On ne peut pas contester l'apport du mouvement mutualiste au progrès social. Avec la Sécurité sociale, on lui doit l'amélioration du sort de la population : la vie est maintenant plus sûre et plus longue comme l'attestent l'effondrement de la mortalité infantile et l'élévation de l'espérance de vie en France. Mais la réussite évidente de la mutualité devient hégémonique. L'économie sociale se confond avec sa composante mutualiste. Dans les Trente Glorieuses, elle abandonne la bataille de l'économie pour se placer sous la bannière de la question sociale.

La période contemporaine, quatrième et nouvelle étape de l'histoire de l'économie sociale, est celle du « temps associatif ». L'éloignement de l'économie sociale de l'espace économique est alors à son paroxysme.

Bien entendu, cette réalité souffre des exceptions. Les coopératives de production progressent enfin (un peu plus de 2 000 en 2011). Le commerce associé se consolide (à la réussite du groupe Leclerc s'ajoutent, par exemple, celles d'Optic 2000 ou de Chèque Déjeuner).

Cependant, on rappelle que le mouvement coopératif de production pèse de manière marginale dans les BTP et l'industrie (environ 1 % des salariés de ces secteurs). Si la réussite d'ACOME se prolonge, on doit se souvenir que les coopératives de Guise, celle d'Albi et d'AIOP ont disparu. En outre, on ne doit pas perdre de vue que le lien entre l'économie sociale et le commerce associé est assez contestable. L'économie sociale entretient surtout un rapport à l'activité économique au travers des mutuelles (ou coopératives) d'assurance et bancaires. Mais on doit souligner qu'elles ont aussi adopté des comportements financiers discutables et que leur réussite est de plus en plus menacée par la concurrence du secteur privé.

De toute façon, il y a un constat sans appel. Aujourd'hui, l'économie sociale vit d'abord par sa composante associative. Celle-ci regroupe près de 80 % des salariés de l'économie sociale. Les actions récréative, sanitaire et sociale sont les lieux majeurs d'intervention des associations. L'économie sociale s'affiche aujourd'hui d'abord par son travail associatif à vocation sociale.

La contribution des associations au mieux-être de chacun, à la cohésion sociale et à la lutte contre l'exclusion est évidemment essentielle, surtout dans ces moments de crise. En même temps, elle confirme l'ancrage nettement plus social qu'économique de l'économie sociale.

On résume souvent le projet de l'économie sociale en disant qu'il s'agit de « faire de l'économie autrement ». Le panorama historique que nous venons de dresser montre que c'est plutôt l'économie sociale qui a été conduite à faire autrement.

Au fur et à mesure du temps, elle a porté son attention sur le champ social jusqu'à en faire, aujourd'hui, sa véritable spécialité. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution.

LES LEÇONS D'UNE HISTOIRE

L'économie sociale n'a jamais eu les moyens financiers suffisants pour constituer des entreprises capables de se confronter à la concurrence des grands groupes industriels et de s'imposer sur les marchés (en dehors de quelques exceptions comme ACOME).

Le Crédit coopératif s'est trouvé bien seul à soutenir les coopératives. Paradoxalement, les autres institutions bancaires coopératives n'ont pas prêté un grand intérêt à l'économie sociale.

On comprend que l'économie sociale n'ait pas participé à la « prospérité » des années 1920 ou très peu contribué à l'essor des Trente Glorieuses. On comprend aussi qu'elle n'ait pas, aujourd'hui, comme dans les années 1930, les moyens d'offrir des solutions fortes aux crises du capitalisme. Ne pouvant s'imposer dans l'espace économique, elle a glissé vers l'espace social.

Elle a dû faire face également à un obstacle idéologique majeur. Dans le prolongement de la pensée marxiste, les partisans d'un socialisme révolutionnaire l'ont combattue. Pour eux, l'économie sociale était au mieux un simple aménagement du capitalisme, au pire une utopie illusoire. D'ailleurs, durant l'essentiel du xxe siècle, l'idéal socialiste a bien plus mobilisé et galvanisé que le projet de l'économie sociale. Ce manque de soutien et d'audience dans le monde du travail a isolé l'économie sociale de la production et de l'entreprise.

Du point de vue politique, les pouvoirs publics, après avoir été hostiles, puis plutôt indifférents, n'ont apporté que très tardivement leur appui à l'économie sociale. Jusqu'à la fin du xixe siècle, l'économie sociale, comme les organisations syndicales et politiques, a été étouffée par une législation répressive. Ce n'est qu'avec l'avènement d'une République plus libérale qu'elle a pu être reconnue (Charte sur la mutualité de 1898, loi sur la liberté d'association de 1901, création du statut des coopératives ouvrières en 1915).

Par la suite, seuls quelques dirigeants politiques ont été attentifs à l'économie sociale, comme ce fut le cas de Paul Ramadier (1888-1961) qui fit voter la loi de 1947 pour moderniser et stimuler le mouvement coopératif.

Ce n'est qu'à partir de la décennie 1980 que l'économie sociale est devenue officiellement et durablement un champ d'intervention des pouvoirs publics. Il a fallu cependant attendre encore pour qu'une loi-cadre concerne l'économie sociale5.

Ces freins d'ordre financier, idéologique et politique ont empêché l'économie sociale d'avoir l'expansion que l'on pouvait attendre. Ils l'ont incité à se replier sur la sphère sociale, considérée comme son domaine de réussite.

Plus généralement, le projet initial de l'économie sociale, venue des pionniers du xixe siècle, de généraliser une économie au service de la personne, et non plus au service du profit, s'est surtout heurté à la dynamique du capitalisme.

Ce système a traversé crises et guerres mondiales. Il a su s'accommoder d'une intervention croissante de la puissance publique. Malgré les inégalités qui l'accompagnent et les difficultés qu'il vient de connaître, il reste dominant. La culture économique libérale, fondée sur l'individualisme et la concurrence, imprègne très majoritairement les esprits, les comportements et les politiques des États. Sauf à ce qu'un changement radical s'opère, le travail de l'économie sociale doit intégrer cet état de fait.

Finalement, cette approche historique et analytique de l'économie sociale conduit à suggérer quelques lignes de force pour l'avenir de ce mouvement.

D'abord, au risque de décevoir ou de choquer, l'économie sociale doit limiter, au moins dans le moyen terme, ses ambitions. Elle doit se résoudre à n'avoir qu'une place réduite dans l'activité économique. Son tissu coopératif et mutualiste doit simplement continuer à témoigner que la poursuite d'un objectif collectif et la solidarité peuvent être aussi efficaces que la recherche du profit et l'individualisme.

Ensuite, l'économie sociale doit affirmer son expertise dans l'action sociale. Elle dispose d'une expérience longue et solide dans ce domaine. Elle y joue un rôle reconnu par son travail et sa capacité d'innovation. Elle ne doit plus craindre d'afficher son identité essentiellement sociale.

Par ailleurs, elle doit se préparer à affronter un avenir difficile car la réduction des dépenses publiques va l'affecter durablement. Elle aura donc à trouver des sources de financement de plus en plus diversifiées.

Enfin, la loi votée, en juillet 2014, en France, sur l'économie sociale (et solidaire) peut aider au développement de ce tiers-secteur. Mais l'outil législatif n'est pas forcément un atout décisif. On se souvient des effets limités des lois de 1915 et de 1947 sur le mouvement coopératif. En revanche, les lois de 1898 et de 1901 ont eu un effet stimulant pour les mutuelles et les associations. Il faut souhaiter, pour l'économie sociale, que la nouvelle loi se classe dans la seconde catégorie.


Notes

1 Insee, Clap (Connaissance de l'appareil productif), 2011.
2 Par référence aux travaux de Charles Fourier (1772-1837) prônant la création de « phalanstères » qui sont des communautés dont les habitants partagent leur travail et leur existence.
3 L'Association chrétienne des bijoutiers en doré.
4 Association de tisserands née à Rochdale près de Manchester en 1844 à l'origine d'une coopérative de consommation devenue coopérative de production.
5 Loi relative à l'économie sociale et solidaire, 31 juillet 2014.

Bibliographies

Alternatives économiques (2009), L'économie sociale de A à Z, Hors-série pratique, n° 38 bis, 2èmeédition, mars.
Bisault L. et Deroyon J. (2014), « L'économie sociale, des principes communs et beaucoup de diversité », Insee Première, n° 1522, novembre.
CNLAMCA (Comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives) (1980), Charte de l'économie sociale.
Dunoyer C. (1830), Nouveau traité d'économie sociale.
Observatoirenational de l'ESS-CNCRES (2014), Atlas commenté de l'économie sociale et solidaire 2014, Hors-série, Dalloz, Juris éditions, juin.

Annexe

Les structures de l'économie sociale

I – Association

Structure d'au moins deux personnes, dont l'activité a un autre but que de partager des bénéfices (activité non lucrative).

On peut classer les associations par leur statut :

  • associations non déclarées, licites, mais dépourvues de personnalité juridique ;

  • associations déclarées en préfecture, ou sous-préfecture, ayant une capacité juridique, pouvant percevoir des cotisations et posséder un patrimoine, et ayant droit de recourir à toute forme de financement ;

  • associations reconnues d'utilité publique car jugées, par le Conseil d'État, au service de l'intérêt général. Elles peuvent recevoir des dons et des legs, mais sont soumises à un contrôle rigoureux de l'État.

On peut aussi classer les associations par leur objet et distinguer :

  • les associations sportives, récréatives, culturelles, militantes, qui sont ouvertes à tout public, mais orientées vers la satisfaction de leurs membres ou la réalisation d'un objectif ;

  • les associations produisant un service pour la société (action sociale, santé, formation, insertion, etc.).

II – Coopérative

Groupement de personnes, poursuivant des buts économiques, sociaux ou éducatifs communs, dont les surplus doivent être redistribués aux coopérateurs et réinvestis dans l'entreprise.

Les coopératives peuvent avoir de multiples statuts dont les principaux sont :

  • les sociétés coopératives et participatives (SCOP), anciennement sociétés coopératives ouvrières de production, qui produisent des biens ou des services et où les salariés contrôlent le capital de l'entreprise ;

  • les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), qui exercent une activité à finalité sociale et pouvant associer à la tête de l'entreprise des sociétaires de nature différente (salariés, municipalités, entreprises, usagers, bénévoles, etc.) ;

  • les coopératives d'activité et d'emploi (CAE), où des entrepreneurs, de secteurs différents, mutualisent moyens, compétences et savoir-faire et sont accompagnés dans la réalisation de leurs propres projets.

Les coopératives peuvent également être regroupées en fonction de leur activité, et l'on distingue :

  • les coopératives financières ou banques coopératives, nommées également banques mutualistes (voir « III – Mutuelle ») ;

  • les coopératives de production (agriculture, bâtiment, artisanat, industrie, transport, etc.) ;

  • les coopératives de consommation : association de consommateurs ou de commerçants (le commerce associé) ;

  • les coopératives d'usagers (coopératives scolaires, HLM, etc.).

III – Mutuelle

Regroupement de sociétaires effectuant, sur le principe de la solidarité, des activités d'assurance, de prévoyance et de prévention, notamment dans les domaines de la santé ou des compléments de retraite. Les banques coopératives ont également un statut mutualiste (voir « II – Coopérative »).

On ajoute parfois les fondations : personnes morales, créées par des personnes physiques ou d'autres personnes morales, dont les biens sont affectés à la réalisation d'une œuvre d'intérêt général. Comme elles sont encore relativement faibles en France (3 % des salariés de l'économie sociale), elles ne sont pas intégrées à l'article.