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 Les obligations vertes : simplegreen washingou changement véritable des comportements ?


Philippe GARRAU Direction des marchés, AMF (Autorité des marchés financiers).
Cécilia MATISSART Direction des émetteurs, AMF.
Olivier ROCAMORA Direction des marchés, AMF.

La prise de conscience croissante dans la plupart des pays de la nécessité de tendre vers des modèles économiques plus respectueux des ressources naturelles s'est traduite au cours des années récentes par l'essor d'initiatives et le développement de mouvements visant à mieux concilier croissance économique et contraintes environnementales, à travers notamment de profonds changements dans les modes de production. Or une telle mutation n'est pas sans poser quelques défis, au premier rang desquels figurent les besoins de financement qu'elle engendre. L'Agence internationale de l'énergie estimait ainsi, à la fin de 2014, à 400 Md$ par an l'effort d'investissement supplémentaire au niveau mondial nécessaire au seul développement des énergies renouvelables d'ici à 20301. Dans un contexte de désintermédiation bancaire des financements et de contraintes accrues sur les finances publiques, le recours aux obligations vertes (green bonds) est rapidement apparu comme une solution possible pour le financement de ce type de projets. Ce segment de marché, qui suscite un intérêt croissant des investisseurs, connaît depuis 2013 un essor rapide, même s'il doit être relativisé compte tenu de la taille encore modeste du marché. Conséquence naturelle de son stade de développement encore précoce, le marché des green bonds se caractérise par un faible degré de standardisation, dont l'illustration sans doute la plus symbolique est l'absence de consensus sur la définition même du concept. Conscients que cette situation ne permettrait pas un développement pérenne et afin d'éviter les risques de green washing, les principaux acteurs du marché s'accordent aujourd'hui sur la nécessité d'élaborer des standards communs, afin de contribuer à la structuration de ce marché.

LES CARACTÉRISTIQUES D'UN MARCHÉ EN FORTE CROISSANCE, MAIS QUI RESTE EMBRYONNAIRE

Les obligations vertes peuvent très schématiquement être définies comme un instrument de financement ayant vocation à financer des projets environnementaux tels qu'une amélioration de l'efficacité énergétique ou encore le développement des énergies renouvelables, à charge pour l'émetteur de préciser l'utilisation des fonds levés, de quantifier l'impact environnemental et d'en informer les investisseurs. Du point de vue de l'investissement responsable, elles présentent ainsi l'intérêt majeur par rapport à une obligation classique d'être transparentes sur l'utilisation des fonds levés, cette dernière devant conduire à un bénéfice environnemental.

La première émission obligataire référencée comme obligation verte date de juin 2007 et a été réalisée par la Banque européenne d'investissement (BEI) pour un montant de 600 M€2. Au départ hésitante, la croissance des obligations vertes s'est accélérée à partir de 2013. En 2014, le montant des émissions mondiales a ainsi avoisiné 40 Md$, soit un triplement par rapport à l'année précédente.

En l'absence d'indicateur historique fiable et de définition reconnue qui permettent de délimiter précisément les contours du marché, les estimations portant sur les montants en circulation font apparaître des écarts significatifs selon les études et les sources utilisées. Pour autant, dans tous les cas, il est clair que le degré de développement du marché doit être relativisé et reste à un stade encore embryonnaire. Ainsi, le marché des green bonds ne représenterait au niveau mondial, selon HSBC, que 0,5 % du marché obligataire3– cette estimation constituant une estimation haute puisqu'elle intègre l'ensemble des obligations pour lesquelles les fonds levés sont destinés à être utilisés à des fins environnementales –, voire moins de 0,1 % en utilisant les données Bloomberg, dont les critères de définition sont plus restrictifs4.

Tableau
Encours des obligations vertes
(en Md$)

AnnéeEstimation HSBCEstimation Bloomberg
20121746
201334619
201450337
201559863

Sources : étude HSBC (2015) pour Climate Bonds Initiative ; Bloomberg.

Graphique 1
Évolution et principales étapes de développement du marché des green bonds au niveau mondial

BIRD : Banque internationale pour la reconstruction et le développement ; ICMA : International Capital Market Association ; S1 : 1er semestre.

Source : Bloomberg.

L'essor récent du marché des green bonds doit être relié à la fois à des facteurs d'offre et de demande. Du côté de l'offre de produits, le périmètre des émetteurs, jusque-là très étroit car circonscrit aux émetteurs supranationaux tels que la Banque mondiale, s'est peu à peu élargi à d'autres acteurs publics tels que des régions5, voire aux acteurs du secteur privé. Cette évolution s'est naturellement accompagnée d'une diversification en termes de risques de crédit. Prépondérantes jusque-là, les émissions notées AAA sont devenues minoritaires en 2014 et ne représentaient plus qu'un quart des montants levés au premier semestre 2015, selon Bloomberg. Dans cette phase de développement récente, le marché des green bondscorporate reste pour l'heure surtout européen. Par ailleurs, à l'instar des émissions réalisées par les émetteurs corporate français dont EDF et GDF Suez (Engie), ce marché reste dominé par le secteur des services collectifs(57 % des capitaux levés répartis sur six émetteurs), suivi par le secteur de l'immobilier (24 % des volumes émis répartis sur cinq émetteurs). Pour les émetteurs, les obligations vertes représentent des gains potentiels en termes de visibilité et d'image, susceptibles de permettre un élargissement de leur base d'investisseurs. Le terme « green bond » est généralement revendiqué par l'émetteur.

Graphique 2
Évolution des montants
émis par zone géographique
(en Md€)
Graphique 3
Évolution des montants
émis par notation
(en Md€)
EEE : Espace économique européen.Source des deux graphiques : Bloomberg.NR : non noté ; HY : high yield.

Source des deux graphiques : Bloomberg.

Du côté de la demande, la base d'investisseurs s'est significativement élargie au cours des années récentes, dépassant le cercle initialement restreint de l'investissement socialement responsable (ISR) pour inclure notamment les investisseurs de long terme. Un autre intérêt pour les investisseurs réside dans l'information plus fournie sur l'utilisation des fonds dans le cas des obligations vertes par rapport à une obligation classique. En revanche, en termes de rendements, les émissions récentes indiquent que le pricing des obligations vertes n'intègre aucune prime particulière et qu'elles sont ensuite négociées en fonction du risque de crédit de l'émetteur et du contexte général des taux d'intérêt. À titre d'illustration, les graphiques 4 et 5 (ci-contre) montrent, dans le cas particulier des obligations émises par EDF ou GDF Suez (Engie), soit respectivement la première société non financière ayant procédé à l'émission d'obligations vertes sur le marché français et celle détenant le record mondial en termes de montants émis, que les prix des obligations sont en ligne avec la courbe de crédit de ces deux émetteurs.

Graphique 4
Prix des obligations EDF,
début septembre 2015
Graphique 5
Prix des obligations GDF,
début septembre 2015

Source des deux graphiques : Bloomberg.

Bien qu'encore embryonnaire, le marché des green bonds bénéficie d'un réel potentiel de développement, comme en témoigne le lancement depuis 2014 d'indices dédiéspar des producteurs d'indices, dont certaines banques (S&P, MSCI/Barclays, Bloomberg, BofA), reflétant à la fois des perspectives de croissance favorables, mais également une certaine maturité atteinte, dans la mesure où la création d'un indice nécessite la présence d'un nombre significatif de titres présentant une liquidité suffisante.

Le marché pourrait également bénéficier de la mise en œuvre du Fonds vert pour le climat, par lequel transitera une partie des 100 Md$ annuels devant être mobilisés par les pays développés pour financer les actions d'adaptation et d'atténuation dans les pays en développement. Au début de novembre 2015, les promesses de contributions au Fonds s'établissaient à 10,2 Md$ pour la période 2015-2018.

VERS UNE STRUCTURATION DU MARCHÉ À L'IMAGE DE L'ISR

Afin de sélectionner les entreprises les plus performantes en matière d'ISR, les investisseurs disposent des notes produites par les agences de notation extra-financière, telles que CoreRatings au Royaume-Uni, qui figure parmi les acteurs les plus importants au niveau mondial, ou encore Innovest aux États-Unis et Vigeo en France. Des labels existent également. Ils sont délivrés après vérification que le processus de gestion prend bien en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ainsi que la composition des fonds. D'après l'European Fund and Asset Management Association (EFAMA), les montants sous gestion incluant un processus de sélection ISR étaient de 237,9 Md€ en Europe à la fin de 2013.

Contrairement aux notations ISR, la notion d'obligation verte est un concept encore flou et aucune règle spécifique à ce marché et contraignante n'existe aujourd'hui : un émetteur peut annoncer qu'il a émis une obligation verte sans qu'aucun contrôle par des tiers n'ait été défini. Conscientes que cette situation ne permettrait pas un développement pérenne de ce segment de marché, plusieurs banques se sont mobilisées pour élaborer des standards communs, condition nécessaire pour parvenir à terme à un marché structuré ayant la confiance des investisseurs. Cette initiative s'est traduite au début de 2014 par la publication de grands principes, les Green Bonds Principles (GBP). Schématiquement, les GBP entendent fixer un cadre général de gouvernance permettant aux émetteurs et aux banques d'être en conformité avec les caractéristiques attendues des obligations vertes, à savoir :

  • une définition de l'utilisation des fonds (use of proceeds) dès l'élaboration de la documentation juridique lors de l'émission, celle-ci devant financer des projets bénéfiques pour l'environnement. Une liste non exhaustive des secteurs concernés est citée, comprenant notamment les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, l'eau, la gestion des déchets, etc. ;

  • un processus formalisé d'évaluation et de sélection des projets éligibles au financement, qui intègre en particulier des études d'impact ;

  • un suivi des fonds : les montants levés doivent être intégrés à un portefeuille dédié afin d'en vérifier l'allocation dans le cadre d'un contrôle interne. Un audit externe relatif au suivi des fonds est également requis ;

  • enfin, l'ensemble de ces éléments doit faire l'objet d'un reporting régulier.

UN CADRE DE GOUVERNANCE ENCORE PERFECTIBLE

Si les GBP ont été adoptés par la plupart des établissements bancaires impliqués dans l'origination des obligations vertes, le degré de conformité par rapport à ces principes reste inégal6, malgré leur caractère peu prescriptif. Cela s'explique essentiellement par le stade de développement encore peu avancé du marché. De fait, les GBP, désormais placés sous l'égide de l'International Capital Market Association (ICMA) et qui ont déjà fait l'objet d'une première révision au début de 2015, devraient être amenés à évoluer, au moins sur la liste indicative des secteurs éligibles. Au-delà, la difficulté principale résidera dans l'équilibre délicat à trouver entre la nécessité d'une standardisation plus aboutie et la préservation à court terme de la dynamique de croissance du marché. Des marges d'amélioration sont en effet possibles, notamment dans la définition des projets éligibles, l'évaluation du bénéfice attendu et l'information donnée au marché à la fois lors de l'émission, mais également tout au long de la vie du produit.

En effet, les critères permettant de qualifier si un projet est ou non « environnemental » restent aujourd'hui encore à la discrétion de l'émetteur et les modalités des processus de contrôle a posteriori au sujet de la bonne allocation des fonds en sont au stade des prémices. Cette situation contribue à accroître le risque de green washing, d'autant plus grand que dans le cas des obligations vertes, les émetteurs devraient faire face à des exigences supplémentaires en matière de reporting par rapport à des obligations classiques, sans pour autant en retirer un avantage monétaire via une prime, c'est-à-dire en émettant à un niveau de rendement inférieur.

UN RÔLE DU RÉGULATEUR DE MARCHÉ POUR L'HEURE LIMITÉ

En l'absence de consensus sur la définition du concept et de règles contraignantes, l'action du régulateur de marché français en termes de surveillance ne revêt pas de dimension spécifique propre aux obligations vertes. Or s'il n'existe pas à l'heure actuelle de structuration « exotique » sur le marché français, il n'est pas à exclure qu'à l'avenir, des titres plus complexes et risqués puissent être émis avec, par exemple, des coupons indexés sur un indice environnemental ou que le remboursement du capital soit fonction de la réussite d'un projet financé par les émissions d'obligations vertes. De plus, l'intérêt de l'utilisation de ces instruments par les émetteurs étant à ce stade de nature essentiellement marketing (meilleure visibilité, accès à de nouveaux gisements de financement), son développement n'est pas sans soulever de questionnements en termes de transparence vis-à-vis des investisseurs.

Jusqu'à présent, les émissions d'obligations vertes réalisées par les sociétés financières ont toutes été réalisées à travers des tirages dans le cadre de leur programme EMTN (Euro Medium Term Notes). Il convient ici de rappeler que lorsqu'un émetteur souhaite admettre ses titres obligataires à la cote dans le cadre d'un programme EMTN, il doit faire viser un prospectus de base, établi annuellement, qui expose les caractéristiques générales des titres à émettre et qui est complété par la suite, lors de chaque émission, par un document sur les conditions définitives de l'offre (c'est-à-dire les caractéristiques détaillées de chaque émission en termes de taux, de nombre de titres émis, de calendrier, etc.), ce dernier n'étant pas soumis au visa du régulateur de marché. Le régulateur constate une fois les conditions définitives déposées et l'émission réalisée que l'émetteur a procédé à une émission d'obligations vertes. Ainsi, le contrôle a priori des conditions définitives apparaît limité. Pour autant, l'Autorité des marchés financiers (AMF) reste attentive à la communication financière qui accompagne ces émissions pour lesquelles l'attrait marketing est important. En particulier, s'agissant des émissions d'obligations vertes des collectivités locales, il a pu être observé que les conditions définitives intégraient une information moins détaillée sur les spécificités de ces produits, mais que ces dernières restaient largement relayées par voie de communiqué de presse notamment par les agents placeurs. À l'inverse, les grands émetteurs comme EDF et Engie, qui communiquent également largement sur ces émissions, ont bien compris l'intérêt d'être le plus transparent possible et ont ainsi introduit les caractéristiques précises de leurs obligations vertes dans le corps des conditions définitives dans la partie « raison de l'offre ». Pour autant, même si certaines variantes peuvent apparaître entre émetteurs, les objectifs renseignés remplissent les critères définis par les agences de notation extra-financière (Vigeo, BMJ Ratings) et couvrent les domaines suivants : efficacité énergétique/énergies renouvelables, protection de l'environnement et /ou de la biodiversité, développement économique et social. Ces informations sont par ailleurs disponibles également sur le site internet de ces émetteurs.

CONCLUSION

Compte tenu de l'intérêt grandissant des investisseurs pour la thématique de l'investissement responsable, des besoins de financement de long terme très élevés dans un contexte marqué par une désintermédiation bancaire et de durcissement des contraintes pesant sur les finances publiques, ainsi que de l'organisation qui se met en place pour structurer ce segment de marché, il est probable que le développement des obligations vertes se poursuive dans les prochains trimestres à un rythme soutenu.

Afin de pérenniser la croissance récente du marché, certains acteurs bancaires majeurs présents sur ce segment ont édicté en 2014 des GBP, document qui synthétise l'ensemble des étapes et présente les critères que tout émetteur devrait idéalement respecter pour que son émission obligataire soit de facto considérée comme une obligation verte et que les investisseurs puissent être confiants sur la nature du produit dans lequel ils souscrivent.

Ces principes portent sur l'objectif en matière d'utilisation des fonds, le processus de contrôle de cette allocation (cabinet d'audit externe), les critères qui permettent de définir si un projet est environnemental ou non et le reporting fait aux investisseurs. Afin de gagner en crédibilité vis-à-vis du marché, certains émetteurs français ont d'ailleurs d'ores et déjà mis en place ce processus lors de leurs émissions et ont fait appel à des auditeurs indépendants chargés, une fois par an, de produire un rapport portant sur la conformité des projets éligibles vis-à-vis des critères préétablis et de s'assurer que les sommes collectées sont allouées de manière cohérente avec les données comptables.

Pour autant, et bien que les principaux acteurs présents sur ce marché se soient engagés à les respecter, les GBP sont appliqués de manière inégale, renforçant ainsi le risque de green washing. Pour l'heure, ces principes ne sont encore que des lignes directrices (guidelines), par ailleurs encore perfectibles. Des progrès sont en effet attendus, en particulier en matière de définition des projets éligibles, de la mise en place de dispositifs de contrôle a posteriori sur l'utilisation des fonds levés et de transparence. Les GBP devraient ainsi nécessairement continuer d'évoluer dans les années qui viennent, en lien avec le développement d'indices obligataires, afin de permettre l'émergence de réels standards, étape indispensable à un développement pérenne du marché.


Notes

1 World Energy Outlook (2015) de l'International Energy Agency.
2 Cette obligation zéro coupon, arrivée à échéance en juin 2012, était un instrument financier participatif dont la performance était basée sur l'évolution de l'indice actions FTSE Good Environmental Leaders Europe 40, avec un capital garanti à échéance. Elle visait à financer des prêts « en faveur de secteurs essentiels à la protection du climat ».
3 La taille du marché obligataire mondial a été estimée à 100 000 Md$ par la Banque des règlements internationaux (BRI) en juin 2013.
4 Dans le cas de la France, ce chiffre serait de l'ordre de 0,2 %, toujours en utilisant des données Bloomberg, soit un encours total de 8,2 Md€, comparé à un encours obligataire de plus de 4 100 Md€ (source : Bloomberg).
5 En France, les premières émissions réalisées par des régions datent de 2008, mais leur essor véritable date de 2012.
6 Voir, par exemple, sur la qualité du reporting, l'étude de Azoulay et al. (2014), « Green & sustainable bonds : une croissance partie pour durer ? », Natixis Cross Expertise Research, décembre.