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 Présentation

Nos modèles économiques connaissent aujourd'hui une évolution radicale sous le triple effet de la révolution technologique, de l'apparition de nouveaux comportements et des contraintes environnementales.

L'économie collaborative en est un premier exemple. Notion polysémique et multiforme, il convenait de la définir et de la replacer dans son cadre conceptuel. Bien qu'elle touche de nombreux secteurs (logement, agriculture, échanges intellectuels, transports, financements, etc.), c'est un objet d'étude en sciences sociales encore émergent. Simon Borel, Damien Demailly et David Massé décrivent les champs théoriques dans lesquels s'inscrivent les divers modèles d'économie collaborative. Le premier est lié à la mouvance des formes libres et gratuites de diffusion et accès sur Internet. Elles ont contribué au passage d'une logique propriétaire basée sur des droits exclusifs à celle d'une distribution et d'une consommation libre et sans coût aux connaissances, ainsi qu'aux ressources naturelles. Dans ce cadre, le consommateur auparavant passif est devenu acteur. Le deuxième champ est celui du don qui permet de rompre avec l'hégémonie de l'échange marchand en redonnant une dimension symbolique aux liens sociaux et en renforçant la qualité des relations interpersonnelles. Cette approche suppose une rupture théorique avec l'utilitarisme dominant dans la pensée économique. Le troisième champ est formé par l'économie de la fonctionnalité et permet d'analyser la logique d'usage, caractéristique d'une économie de service ou le bien, y compris physique, n'est plus considéré comme un objet consommable, mais comme une immobilisation. Cet ensemble bien/service est fortement générateur d'externalités. Les auteurs prennent toutefois du recul par rapport à ces analyses et mettent en lumière leurs limites empiriques.

La régulation de l'économie numérique est l'objet de la réflexion de Bertrand du Marais. Il convient, selon l'auteur, de donner la priorité aux buts de la régulation plutôt qu'à ses modalités. Pour cela, une bonne compréhension de la révolution du Web 2.0 est nécessaire. Elle constitue une rupture par rapport à la première génération d'Internet (années 1990) qui malgré ses percées évidentes (diffusion de données à coût marginal nul...) restait dépendante d'une architecture hiérarchisée, d'une utilisation unilatérale et a conduit à des situations de quasi-monopole. Le Web 2.0 se caractérise par la convergence des médias sur un seul terminal, la participation des destinataires au contenu et à la définition des services, l'impression 3D. Il en résulte d'importants changements de modèle économique et social : revenus de substitution, marchés bifaces, etc. Face à une situation qui crée des tensions et des inquiétudes, trois attitudes sont envisageables pour la régulation : maintien de l'ordre existant par l'interdiction pure et simple ; régulation des seuls effets pathologiques par leur encadrement, leur contrôle et leurs sanctions ; émergence d'un droit spécifique, par exemple en matière de création d'entreprise et de relations sociales. L'auteur note que notre pays hésite entre ces trois approches, mais reste confiant quant à l'équilibre qu'il saura trouver, sachant qu'aucune solution ne saurait rester purement nationale.

Jean-Baptiste Soufron s'attache à démontrer que le contexte juridique dans lequel s'est développée l'économie collaborative n'est pas neutre. Il est le reflet de pratiques et de rapports de force. Sans doute s'agit-il d'une constatation propre au cadre légal de toute activité. L'auteur montre cependant que dans les nombreux domaines de l'économie collaborative, du logiciel libre à l'échange d'appartement, ce sont les acteurs les plus puissants du secteur qui ont forgé les nouveaux concepts juridiques et les ont imposés comme instruments des nouvelles régulations par un mélange de lobbying et de combat idéologique. Les acteurs les plus traditionnels sont ainsi sur la défensive face à un discours qui se pare des vertus de l'innovation et de la liberté. Mais la même stratégie peut et doit être utilisée par l'ensemble des intervenants pour protéger les piliers de la justice sociale.

Pierre de Lauzun reprend la question du don qui a connu au xxe siècle de nombreux développements anthropologiques et à la frontière de l'économie. Il montre que le don, loin d'être un acte extérieur à la logique économique et au calcul, constitue un ciment du lien social dont toute société a besoin pour se constituer. Le premier cercle d'application est, de loin, la famille. Mais la gratuité et le don irriguent plus largement la vie économique. La logique du don s'insère dans l'activité économique normale, chacun donnant toujours davantage que ce que le simple calcul et l'engagement contractuel exigeraient. Sans cela, l'économie ne fonctionnerait pas. Tout acte économique est hybride, mélange de don et de calcul ; aucun n'est purement utilitariste ou purement altruiste. C'est le cas de la finance, laquelle permet de reporter dans le temps la contrainte de financement en mettant face à face excédents d'épargne et besoins d'investissement. La décision financière peut intégrer des considérations éthiques, même si elle reste dominée par l'échange et la réciprocité, loin du don pur. Mais l'élément de don qui subsiste mérite d'être pris en considération, la transaction n'excluant pas la relation, en particulier la relation de longue durée. Fidélité et loyauté peuvent trouver leur place dans une finance bien comprise. Associations, mutuelles, coopératives en sont la preuve, ainsi que la finance solidaire. Cette dernière est en fait un investissement classique avec un élément de don plus ou moins important selon les cas. Au total, il n'y a pas de rupture radicale entre altruisme et calcul économique. La finance, comme toute activité marchande, résulte d'actes relevant à des degrés divers des deux logiques.

Pour Patrice Geoffron, la révolution numérique et les nouveaux modèles qu'elle génère atteignent également le monde énergétique, grand secteur sous contrainte environnementale. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'évaluer les services énergétiques par leur seule valeur intrinsèque pour le consommateur final, mais à l'aune de la valeur extrinsèque, c'est-à-dire après prise en compte de leurs effets externes. Domaine d'activité caractérisé par des investissements à cycle de vie généralement très long, l'énergie est affectée par un triple choc : le premier, la libéralisation de secteurs qui obéissaient jusqu'ici à la logique du monopole intégré et qui vise à remplacer les tarifs intégrés par des prix de marché ; le second, une transition vers le bas carbone ; et le troisième, l'utilisation de systèmes d'information alimentés par les big data pour optimiser un pilotage en réseaux des choix économiques. L'essentiel de futurs changements dans l'organisation des systèmes, la nature des services offerts et les modèles économiques associés se jouent dans la convergence en cours entre technologies électriques et technologies de l'information, au sein de smart grids. Les acteurs traditionnels verront leurs fonctions modifiées par les évolutions technologiques et connaîtront de nouvelles formes d'organisation des systèmes. La transition énergétique s'annonce donc comme une série de défis technologiques et sociétaux. La capacité, au cœur de cette révolution copernicienne, à faire naître des modèles économiques innovants (en rupture avec le modèle traditionnel indexant la création de valeur sur le volume de l'énergie vendue) ne sera pas le moindre des défis.

Parmi ces défis posés par la mutation, les besoins de financement qu'elle engendre figurent au premier rang. Philippe Garrau, Cécilia Matissart et Olivier Rocamora (AMF) montrent que dans un contexte de désintermédiation bancaire des financements et de contraintes accrues sur les finances publiques, le recours aux obligations vertes (green bonds) est rapidement apparu comme une solution possible pour le financement de ce type de projets. Leur développement a été rapide, la base d'investisseurs s'étant significativement élargie au cours des années récentes, au-delà du cercle initialement restreint de l'investissement socialement responsable (ISR) pour inclure notamment les investisseurs de long terme. Mais les green bonds relèvent d'un concept encore flou et aucune règle contraignante spécifique à ce marché n'existe aujourd'hui : un émetteur peut annoncer qu'il a émis une obligation green bonds sans qu'aucun contrôle par des tiers n'ait été défini. Cette situation caractérisée par un faible degré de standardisation ne permet pas un développement pérenne et les principaux acteurs du marché s'accordent aujourd'hui sur la nécessité d'élaborer des standards communs afin de contribuer à la structuration de ce marché.