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 Banque et nouvelles technologies : la nouvelle donne


Olivier KLEIN * Professeur affilié, notamment cours de macroéconomie financière et cours de politique monétaire, co-responsable de la Majeure et du Master de Financial Economics, HEC ; directeur général, BRED. Contact : olivier.klein@bred.fr.

Les nouvelles technologies engendrent pour chacun un nouveau rapport au monde et induisent une série de révolutions en chaîne, dans notre vie quotidienne comme dans l’entreprise. La première est une révolution commerciale, qui bouleverse les rapports entre les producteurs, les distributeurs et les clients, aux bénéfices de ces derniers. La révolution technologique positionne également les collaborateurs au centre de l’entreprise, avec des impacts sur l’organisation. Enfin, le facteur sociétal est désormais prépondérant, car la société devient une véritable partie prenante de l’entreprise, Internet et réseaux sociaux obligent.

L’entreprise-banque, et plus spécifiquement la banque commerciale, n’échappe pas à ces bouleversements, bien au contraire, étant au cœur de l’activité économique. La banque doit donc se réinventer, sans perdre de temps. Les gens n’ont pas moins besoin de banques et la relation intuitu personae reste un élément fondamental du métier de banquier. Selon nous, la seule issue passe par la réinvention de la banque de proximité capable de promouvoir ce que nous pouvons appeler « la banque sans distance » qui offre plus de praticité, de pertinence et de personnalisation du conseil.

Une révolution commerciale

Les nouvelles technologies engendrent pour chacun un nouveau rapport au monde, une nouvelle façon de penser le temps et l’espace, une autre manière de concevoir l’information, les connaissances et l’autonomie d’action. De fait, elles induisent une série de révolutions en chaîne dans notre vie quotidienne, comme dans l’entreprise.

La première est une révolution commerciale qui bouleverse les rapports entre les producteurs, les distributeurs et les clients. Ces derniers voient leur pouvoir très renforcé puisqu’ils sont aujourd’hui plus libres d’agir, plus avertis, disposent de plus d’informations, peuvent comparer les prix et bénéficient ainsi d’une plus grande liberté de choix. C’est ce que nous appelons la « révolution client ». Elle est devenue le centre d’intérêt des entreprises. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre elles développent depuis quelque temps des discours orientés clients, comme si la préoccupation était nouvelle.

Les rapports de pouvoir se trouvent donc inversés au bénéfice du client. Mais, dans nombre de secteurs économiques, ce phénomène est également perceptible dans les rapports entre les producteurs et les distributeurs, la position de ces derniers s’en trouvant potentiellement renforcée. La prise de pouvoir du client met fin à la hiérarchie traditionnelle, née au xxe siècle, reposant sur la capacité du producteur à imposer ses produits aux distributeurs qu’il a choisis et sur celle du distributeur à imposer ces mêmes produits aux consommateurs. Dorénavant, le client a le pouvoir. Ainsi, si le distributeur dispose d’une bonne connaissance de ses clients, s’il sait utiliser ses big data et s’il développe un customer relationship management (CRM) pertinent, s’il parvient ainsi à anticiper les besoins de chacun d’entre eux et à les satisfaire, s’il considère enfin le client comme un « consom’acteur » capable de rechercher avec lui la bonne combinaison de produits et de services, alors il trouve les solutions adéquates pour chaque client et le fidélise. Le service prend d’ailleurs le pas sur le produit lui-même. Nous ne sommes plus dans une économie conduite par la mise en avant du produit, mais dans un monde où l’usage, le service, devient plus important que la détention du produit lui-même. Les applications sont plus importantes que le téléphone lui-même. La bicyclette peut se louer pour le trajet à effectuer et, de plus en plus, l’automobile elle-même suit le même chemin. Le cloud rend progressivement désuet la possession de gros ordinateurs… La qualité de la relation avec son commercial, son conseiller, et la possibilité de trouver les bonnes solutions adaptées à chacun, c’est-à-dire le bon service, prennent donc le pas sur le produit en tant que tel. Ce faisant, le distributeur peut ainsi prendre le pouvoir sur le producteur, en le mettant naturellement en concurrence avec d’autres producteurs pour chercher la meilleure combinaison, en prix comme en qualité, de produits et de services qui correspondent le mieux aux besoins du client individualisé.

Un bouleversement des rapports de force historique est donc en train de voir le jour dans nombre de secteurs entre producteurs, distributeurs et consommateurs. À l’évidence, cela contraint le distributeur à une excellente gestion des clients. Si le distributeur, en revanche, n’est pas capable de comprendre les clients et de les fidéliser, il s’en trouve très fragilisé, d’autant qu’il est aujourd’hui également possible pour le producteur de vendre en direct. Le défaut de qualité du conseil et l’incapacité de proposer les meilleures combinaisons de produits et de services adaptées à chacun conduisent tout droit à la numérisation totale de la relation client-fournisseur et à la disparition du rôle économique du distributeur. Avec l’apparition d’une relation directe producteur-client, lorsque cela s’avère possible, ou avec l’apparition de pure players Internet de la distribution, forme de low cost de la relation client.

Autre conséquence pour l’entreprise, ce sont les changements de comportement des salariés. La révolution technologique positionne les collaborateurs au centre de l’entreprise, avec des impacts sur l’organisation. Aujourd’hui, par exemple, les cadres ne sont plus crédibles – et sont incapables d’entraîner leurs collaborateurs – s’ils ne fondent pas leur autorité sur la valeur ajoutée qu’ils apportent à leurs équipes, et non sur la détention d’informations qui circulent désormais librement et gratuitement dans toute l’entreprise.

D’autant que les collaborateurs expriment un besoin accru d’autonomie, soutenu et renforcé par cette même révolution technologique. Développer l’esprit d’entreprendre est devenu un véritable enjeu pour les grandes entreprises. Aujourd’hui, les individus – et tout particulièrement les salariés des sociétés – aspirent à comprendre le sens de leur contribution à l’entreprise : ils souhaitent en partager la stratégie et le choix du mode d’organisation, pour y adhérer plus naturellement.

Revoir les organisations traditionnelles

Bien évidemment, les organisations très hiérarchisées, verticales, nées des années 1950 et 1960, si elles n’ont pas su se moderniser, sont devenues moins efficaces et plus difficiles à gérer : elles mobilisent moins, car la proximité managériale est plus cruciale que jamais ; plus rigides, moins flexibles, elles ne sont plus en phase avec un monde et un environnement de plus en plus complexes et mouvants. A contrario, les entreprises organisées en réseau – entre les différentes parties de l’entreprise ou entre différentes entreprises – sont plus adaptables, plus agiles, absorbent mieux les chocs et gèrent mieux la complexité.

Le facteur sociétal enfin doit aussi être traité très sérieusement, car la société devient une véritable partie prenante de l’entreprise, Internet et réseaux sociaux obligent. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE), l’engagement sociétal et leur réputation sont devenus des facteurs importants de leur réussite.

Il n’y a donc pas d’autre issue pour se faire entendre dans ce nouveau monde que de suivre ou, plutôt même, d’anticiper les usages des gens. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : il n’y a pas d’un côté le digital et d’un autre côté la vie comme avant. Les nouvelles technologies ont changé nos façons d’agir et notre rapport au monde.

Développer la banque sans distance

L’entreprise-banque – plus spécifiquement la banque commerciale – n’échappe pas à ces bouleversements, bien au contraire, étant au cœur de l’activité économique. D’autant qu’apparaissent de nouveaux acteurs, comme les start-up de la finance digitale, les FinTech qui, en réinventant le parcours client ou en développant des savoir-faire sur certaines des activités historiques des banques, viennent les aiguillonner et les obliger à accélérer leur mutation.

Qu’il s’agisse de la banque en ligne, du mobile banking, du paiement et, plus généralement, de la relation entre la banque et ses clients particuliers, l’accélération de la révolution numérique pousse inévitablement à se demander s’il y a encore de la place pour des agences bancaires au coin de la rue. Selon nous, la réponse est positive.

Il faut bien se rendre à l’évidence : les nouveaux outils numériques ont altéré deux paramètres, le facteur temps et le facteur distance. La relation entre le client et sa banque est devenue immédiate et l’achat de produits ou de services bancaires se fait maintenant à distance. Le client pousse de moins en moins la porte de son agence bancaire, sauf pour traiter de ses projets de vie significatifs. Et c’est bien là, le cœur du réacteur.

Dans un contexte de défiance accrue des consommateurs, les banques doivent répondre aux nouvelles exigences de leurs clients, qui expriment une forte attente de proximité (quel que soit le canal utilisé), de praticité, comme de pertinence et de personnalisation accrues du conseil apporté. Praticité : les clients veulent une banque plus simple, plus pratique à utiliser et à joindre. La praticité se décline tant en termes d’accueil, d’horaires, de canaux de relation avec son conseiller pour, le cas échéant, ne pas avoir à se déplacer, que de disponibilité et de stabilité de leur interlocuteur. Pertinence du conseil : les clients sont également demandeurs de conseils accrus et de plus en plus appropriés ; ils exigent ainsi une vraie personnalisation de la relation, donc, ici encore, une stabilité de leur conseiller.

La banque doit donc se réinventer sans perdre de temps et apporter la nouvelle valeur ajoutée indispensable attendue par le client. Mais il convient de bien faire la distinction entre les pratiques dépassées et les pratiques qui restent indispensables parce qu’elles sont l’essence même du métier.

Deux invariants sont les piliers de la banque commerciale. D’une part, la demande bancaire ne diminue pas en volume : elle s’exprime différemment, avec de nouvelles exigences. Les gens n’ont ainsi pas moins besoin de banques. D’autre part, la relation intuitu personae reste un élément fondamental du métier de banquier de proximité. En effet, la banque n’est pas un métier de production de produits ; elle est un métier de relations humaines, fondé sur la capacité à proposer le bon conseil et le bon service, au bon moment, quel que soit le canal proposé. Elle traite des projets de vie et d’entreprise – du temps long – et ce traitement implique une relation personnalisée et durable avec un conseiller bancaire pertinent. Ce sont les clients qui l’affirment, tant au travers des études réalisées que des réclamations reçues.

Selon nous, la seule issue passe par la réinvention de la banque de proximité. La relation personnelle entre un conseiller et son client n’est pas négociable, surtout dans un groupe bancaire composé de banques régionales de proximité dont la force réside dans la capacité à promouvoir ce que nous pouvons appeler la « banque sans distance », par différence avec la notion de « banque à distance », qui fait l’hypothèse qu’une banque complète peut se passer totalement d’un réseau d’agences.

Que recouvre ce concept ? Tout naturellement, ce qu’exigent les clients avec la révolution technologique, sans couper court avec une relation personnalisée forte, c’est plus de praticité et de valeur ajoutée. Conserver un relationnel fort avec son conseiller bancaire, mais par le canal de son choix, téléphone, email ou rendez-vous physique, en fonction du sujet que l’on veut traiter, du moment de la journée, etc. Mais ce concept recouvre aussi une meilleure réponse au besoin d’un conseil encore plus avisé, plus pertinent, plus approprié. Fini les produits que les banques cherchaient à vendre par le biais d’une succession de campagnes indifférenciées. Il serait en outre particulièrement dangereux de proposer à des clients très informés des conseillers qui en sauraient parfois moins qu’eux-mêmes.

Pourvu qu’elle soit plus agile, plus interconnectée et plus proactive, la banque de réseau a tout en main pour préserver sa relation fondamentale avec ses clients en croisant sa force – la proximité – avec les nouveaux outils – Internet, tablette, smartphone, en combinant au sein de chaque agence le meilleur de la banque traditionnelle et le meilleur de la banque en ligne.

Concrètement, dans chaque agence, chaque conseiller devient ainsi le porteur du multicanal. Ce qui revient, comme nous le disions, à offrir au client la possibilité de traiter, selon son choix, les sujets d’importance avec son conseiller attitré face à face, par téléphone ou par email, sans se déplacer et, surtout, avec toujours le même conseiller. Le reste, c’est-à-dire la banque au quotidien, se traite évidemment sur téléphone mobile ou via les guichets automatiques. On peut en outre parfaitement développer, parallèlement aux agences, des banques en ligne avec des conseillers attitrés pour les clients très mobiles ou très peu disponibles.

Un tel modèle de « banque sans distance » engendre automatiquement des coûts salariaux plus élevés que ceux d’une banque à distance de type low cost. Cela conduit la banque à concentrer ses ressources – à commencer par ses collaborateurs – sur l’apport d’une valeur ajoutée, pour justifier la rémunération du service proposé et, partant, à miser sur le capital humain, seul véritable facteur de différenciation dans la banque. Les produits ne font pas la différence. De par la réglementation et la très grande facilité à être copiés, ils sont le plus souvent très semblables dans toutes les banques. Le vrai facteur d’avantages compétitifs réside dans la qualité de la relation personnalisée, donc dans le facteur humain, d’où le caractère crucial de la capacité de mobilisation et de la pertinence des équipes de conseillers. La compétence, la réactivité et la proactivité sont clés. L’explosion des données, conséquence de la digitalisation, et le développement des technologies permettant de les analyser ouvrent de nouvelles perspectives encore difficiles à appréhender. Il est cependant acquis qu’une utilisation intelligente et non intrusive d’outils de CRM de dernière génération, fondée sur une analyse fine des big data, permet non seulement de faciliter le parcours client, mais aussi de répondre et surtout d’anticiper les besoins de chacun. Les conseillers sont alors en mesure de répondre aux nouvelles attentes de leurs clients, de développer avec eux des solutions parfaitement adaptées et pertinentes ou de les solliciter à bon escient pour leur permettre de mener leurs projets de vie.

Une transformation en profondeur

La banque doit aussi profiler les réseaux pour les rendre plus agiles, en répartissant mieux les expertises et en articulant de façon optimisée le physique et le numérique, en optimisant sans cesse la répartition des forces vives au sein des agences et sur l’ensemble du territoire couvert. Un travail d’industriel de la distribution est ici indispensable. Le réseau d’agences n’est pas mort, loin de là, mais il doit fusionner dorénavant deux concepts, le numérique et le physique, c’est-à-dire le meilleur de la modernité et le meilleur de la tradition. Pour sortir par le haut, le réseau d’agences doit être plus mobile, plus alerte et sans cesse optimisé.

En outre, la numérisation est une chance également pour les banques et non uniquement une contrainte. Cette nouvelle orientation implique ainsi plusieurs autres chantiers de longue haleine : réétudier les outils pour mieux aider les commerciaux ou encore revisiter les process en utilisant le numérique pour revoir les parcours clients, du front-office jusqu’au back-office. Il s’agit, par exemple, de faciliter la vie des clients et des collaborateurs de la banque tout en maîtrisant toujours mieux les coûts, de faire participer les clients, qui y trouveront avantage, à l’élaboration même des contrats, de développer la signature électronique, etc. Une véritable réforme organisationnelle est en marche.

C’est aussi ce que peuvent permettre les nouvelles technologies. Elles ne sont pas qu’une menace car dans un environnement où le revenu bancaire a tendance à baisser indéniablement macroéconomiquement, le défi majeur d’un tel modèle est stratégique. Si nous n’étions pas à la hauteur des attentes du client et si nous ne savions pas utiliser la révolution numérique pour revoir nos propres modes d’organisation, le client irait naturellement vers des pures banques en ligne moins chères, sans état d’âme.