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 Les remboursements d’emprunts dans l’épargne des ménages


André BABEAU * Professeur des Universités. Contact : andre.babeau@free.fr.
Depuis plus de deux cents ans, les remboursements d’emprunts ont été la composante oubliée de l’épargne des ménages. Récemment cependant, à l’occasion de la « Grande Récession », des interrogations sont apparues quant à l’influence de l’endettement des ménages sur la consommation. Un si long « oubli » est largement dû à l’absence d’informations sur les montants en cause. Les remboursements d’emprunts ne figurent pas en effet dans les Comptes nationaux. Pour un pays comme la France, une nouvelle estimation de ces remboursements au cours des dernières années nous amène à penser que les « vrais » remboursements – ceux qui ne sont pas financés par un nouveau crédit – pourraient se situer aux alentours des deux cinquièmes du flux annuel d’épargne des ménages. La démonstration de cette conjecture demandera de rassembler de nombreuses informations encore manquantes. Tout de même, quand les banques centrales auront publié des séries de nouveaux crédits et de remboursements suffisamment longues et permettant l’indispensable distinction entre les « vrais » et les « faux » remboursements, des travaux économétriques originaux pourront être réalisés, améliorant de façon significative notre connaissance des comportements économiques et financiers des ménages.

Avec la notion de revenu permanent de Milton Friedman (1957) et la référence au taux d’intérêt qu’avait déjà introduite Irving Fisher (1933), la théorie microéconomique des comportements d’épargne-consommation des ménages repose certes sur des bases solides. Mais le modèle d’allocation intertemporelle de la consommation qui y correspond – au demeurant très sommaire – ne peut servir ni à l’analyse conjoncturelle, ni à la prévision de la consommation ou de l’investissement logement.

Pour ce faire, le passage à la macroéconométrie est indispensable et le moins que l’on puisse dire est qu’ici, la démarche est plus qu’hésitante. Au cours du demi-siècle passé, plusieurs dizaines de facteurs susceptibles de jouer un rôle dans la fonction macroéconomique de consommation des ménages ont tour à tour été introduits : ils sont, on le sait, non seulement économiques et financiers, mais aussi démographiques, sociologiques, psychologiques, philosophiques et religieux1. Parmi ces facteurs, le rôle du crédit n’a cependant été qu’entraperçu, au travers du taux d’intérêt. Certes, la contrainte de liquidité, clairement mentionnée par Fisher et reprise par Friedman et Modigliani, montre bien que le crédit joue un rôle dans les comportements d’épargne-consommation, mais, au niveau macroéconomique, ce rôle n’a été montré que tardivement. Il a en effet fallu attendre les années 1990 pour voir apparaître des travaux faisant clairement ressortir l’influence négative du développement du crédit sur le montant du flux d’épargne (par exemple, Jappelli et Pagano, 1994, ou Pecha et Sicsic, 1998). Plus récemment, à l’occasion de la crise que nous connaissons depuis six ans, Carroll et al. (2012) ont montré, à partir de l’estimation d’un modèle structurel, que la plus grande partie de la baisse du taux d’épargne des ménages américains observée entre 1980 et 2007 était due à un accès plus facile au crédit habitat et crédit à la consommation. De même, la remontée notable de ce taux entre 2008 et 2011 peut être mise en relation avec le sensible resserrement de l’offre de crédit par les banques. On pourrait maintenant sans difficulté multiplier les références pour les États-Unis (Glick et Lansing, 2009) et le Royaume-Uni bien sûr (Pettinger, 2014), mais aussi pour l’Afrique du Sud (Prinsloo, 2002), la Corée du Sud (Chung, 2009) et l’Australie (Hartstein, 2013). Ainsi est maintenant bien reconnue la relation de substitution qui existe entre épargne et crédit au moment de sa souscription en période de développement rapide du crédit ou, au contraire, en période de contraction.

Mais l’étude de la période qui suit une forte montée de l’endettement a été, jusqu’à récemment, complètement négligée. Au cours de cette seconde période, la relation entre le crédit et l’épargne n’est plus de substitution, mais bien de complémentarité : les remboursements en capital liés à un endettement élevé viennent peser sur la consommation et tirent donc le taux d’épargne vers le haut. Parmi les contributions encore assez rares, on peut tout de même mentionner certains rapports du FMI2 et les travaux réalisés à la Brookings Institution par Dynan (2012). Cette auteure montre ainsi que la baisse de la consommation entre 2007 et 2009 aux États-Unis a été beaucoup plus forte chez les propriétaires occupants endettés que chez ceux qui ne le sont pas : le poids des remboursements d’emprunts à l’habitat est donc bien apparent. Elle ajoute que la réduction du passif des ménages (deleveraging) en 2012 était encore modeste et qu’elle était donc encore susceptible de peser sur la consommation des Américains pendant un certain temps3. Pour les États-Unis encore, Glick et Lansing (2009) ont calculé que si les ménages, dans leur deleveraging, consacraient les quatre cinquièmes de leur épargne à rembourser leurs dettes, leur taux d’épargne (net de la consommation de capital) devrait passer de 4 % à 10 % en quelques années, avec les conséquences que cela aurait sur la croissance de la consommation et donc sur celle de l’économie.

Plusieurs auteurs insistent enfin sur le « cercle vicieux » dans lequel sont tombés d’assez nombreux pays, mais qui a épargné le nôtre, une phase de surendettement et de surconsommation étant fatalement suivie par une phase de désendettement et de moindre consommation. Mais autant la première phase a fait l’objet de travaux convaincants, autant la seconde est décrite de façon approximative : il ne suffit pas en effet d’associer la remontée du taux d’épargne des ménages à la stabilisation ou au recul de leur passif, il faut encore dire ce que cette remontée doit, d’une part, au reflux du recours au crédit et, d’autre part, au poids que fait peser sur la consommation le remboursement des crédits contractés au cours de la phase précédente.

L’intérêt d’isoler le poids des remboursements dans l’épargne des ménages est ainsi bien mis en évidence. En France, si la baisse du taux d’épargne des ménages entre 1980 et 1987 est maintenant assez largement attribuée au développement du crédit au cours de cette période, on ignore encore si la remontée de ce taux dès le début des années 1990 n’est pas, au moins en partie, le résultat de l’importance des remboursements associés à la montée précédente du passif.

Il convient aussi de mentionner ici les conclusions auxquelles était parvenue, dès 1998, Françoise Charpin au terme d’une analyse économétrique multivariée du comportement des ménages. Cette étude modélisait ce dernier à partir de quatre variables : la consommation, l’investissement logement et les flux de crédits habitat et à la consommation, nets des remboursements (Charpin, 1998). Malgré le système des quatre équations auquel elle parvenait et qui lui paraissait empiriquement satisfaisant, elle déclarait cependant que le contenu économique du travail était au total plus sommaire qu’elle ne l’aurait souhaité « à cause de l’absence de données comptables pourtant élémentaires, comme les remboursements en capital et les crédits nouveaux » (op. cit., p. 223). Ainsi était déjà mis en évidence, il y a plus de quinze ans, l’intérêt de posséder des informations non seulement sur les flux de crédits nets de remboursement, mais aussi, séparément, sur les crédits nouveaux et les remboursements.

Ajoutons enfin que l’information sur chacune de ces deux grandeurs – et plus précisément, comme on le verra plus loin, sur les « vrais » crédits nouveaux et les « vrais » remboursements – est le point de passage obligé d’une connaissance précise de l’affectation du flux annuel d’épargne des ménages tel qu’il figure dans les comptes nationaux, connaissance qui, jusqu’à maintenant, est en réalité restée partout très floue. Ainsi, le recours au crédit et ses conséquences sur la composition de l’épargne ont été partout les grands absents de cette impressionnante littérature consacrée, depuis plus de deux siècles, aux déterminants des comportements d’épargne des ménages.

Si le montant des nouveaux crédits apparaît au moment de la souscription comme un substitut de l’épargne, on vient de voir que, pendant toute la période de remboursement, les montants remboursés – au moins ceux qui correspondent à de « vrais » remboursements – représentent au contraire un élément de cette épargne. Ils constituent donc, dans une seconde étape, des soutiens de l’épargne des ménages et les changements dans leurs comportements de remboursement (accélération ou ralentissement, par exemple) sont dès lors un facteur susceptible d’expliquer certaines des fluctuations du taux d’épargne.

L’article de Babeau et Charpin de juin 2013, dans cette même revue, intitulé « Une nouvelle vision des comportements des ménages » avait déjà fourni une première estimation du montant des remboursements des Français au cours de la période 2004-2012. À cette occasion, certaines conjectures avaient été proposées en ce qui concerne la part occupée par ces remboursements dans le flux annuel d’épargne des ménages. La présente contribution constitue un pas supplémentaire en vue de continuer à explorer le contenu de cette étape au cours de laquelle les remboursements d’emprunts peuvent peser sur la consommation des ménages. On présentera d’abord une nouvelle méthode d’estimation de ces remboursements. Puis, en seconde partie, on introduira la distinction déjà évoquée entre les « vrais » et les « faux » remboursements d’emprunts, ces derniers correspondant à ceux qui sont immédiatement suivis de l’ouverture de crédits de montants comparables : ces « faux » remboursements ne pèsent alors en rien sur l’épargne des ménages puisqu’ils sont financés par les « faux » nouveaux crédits accordés. Enfin, en utilisant les rares sources disponibles en ce domaine, il sera alors possible, pour des années récentes, de présenter certaines conjectures concernant le poids des « vrais » remboursements d’emprunts dans le flux annuel d’épargne des Français.

Une méthode simple de calcul des remboursements d’emprunts

Dans cette partie, après un développement sur l’évolution du passif des ménages et de sa composition, nouveaux crédits et remboursements seront replacés dans leur cadre macroéconomique ; il sera ensuite proposé une méthode de calcul des remboursements autre que celle qui a été utilisée dans la contribution de juin 2013. Les résultats obtenus feront alors l’objet des commentaires qui s’imposent.

L’évolution du passif des Français

L’examen de l’évolution du passif des Français et de sa composition au cours de la décennie passée est une bonne introduction au calcul des remboursements qui y sont liés. Le rapport du passif des ménages à leur revenu disponible connaît une croissance particulièrement forte au cours des années 2003-2007 (+3,9 points de pourcentage en moyenne arithmétique annuelle). Cette croissance ralentit en 2008 (+2,6 points seulement avec, on le sait, un dernier trimestre très difficile, à la suite de la faillite de Lehman Brothers), pour rebondir en 2009 (+3,4 points), ralentir à nouveau en 2010 et 2011 (+2,3 points en moyenne annuelle). Elle cesse en 2012, mais rebondit à nouveau en 2013. On retrouve évidemment là, au cours de ces années, les différentes étapes du déroulement de la crise dans notre pays. Mais cette croissance du passif, aussi importante qu’elle ait été, ne suffit pas à faire figurer notre pays dans le club des pays à surendettement évident, ceux dont le passif des ménages dépasse largement leur revenu disponible.

Tableau 1
France : évolution du rapport du passif des ménages à leur revenu, 2003-2012(en % du RDB ou revenu disponible brut)
Source : comptes nationaux et statistiques monétaires, encours S 14+15 fin d’année – F4/RDB.

Pour ce qui est de la pénétration du crédit dans la population des ménages à la fin de 2013, la proportion de ménages endettés en France s’élevait à 48,6 %, quelque 27 % utilisant du crédit à la consommation (hors découvert bancaire) et 31 % au moins un crédit immobilier (un peu moins de 10 % détenaient donc à la fois au moins un crédit habitat et un crédit à la consommation) (FBF-Sofres, 2014). Au moment de l’entrée dans la crise (automne 2008), la proportion de ménages endettés était de près 53 % : le tassement en six ans est donc net, malgré une certaine reprise en 2013 par rapport à 2012. Il est une des expressions du désendettement des Français au cours de ces cinq années de crise. Mais même après ce recul, les comportements des remboursements d’emprunts ici étudiés concernent donc une très forte proportion de la population française.

S’agissant de la décomposition de ce passif (cf. tableau 2 infra), l’évolution majeure de la période est évidemment la croissance de la part du crédit à l’immobilier qui gagne plus de 12 points de pourcentage. Cette catégorie de crédits regroupe les crédits à l’acquisition de logements neufs et anciens, les prêts relais et les crédits aux travaux réalisés dans ces logements. Les crédits de trésorerie-consommation correspondent à toutes les catégories de crédits accordés dans ce domaine aux ménages stricto sensu et aux entrepreneurs individuels. Parmi ceux-ci, les crédits auto représentent une proportion significative (de l’ordre du tiers). La part de l’ensemble des crédits à la consommation perd, quant à elle, près de 7 points de pourcentage entre 2003 et 2012. En matière de pénétration dans la population, le crédit habitat est resté pratiquement stable de 2008 à 2013 ; c’est celle du crédit à la consommation qui s’est beaucoup tassée.

Les « autres crédits » constituent, quant à eux, un ensemble dont le poids global a également très nettement décru au cours de la période sous revue. Sur les 92,4 Md€ d’encours à la fin de 2012 (soit à peine plus de 8 % du total du passif), 40 % correspondent aux créances douteuses qui font l’objet de provisionnements divers dans les comptes des banques. Les crédits aux investissements des entreprises individuelles atteignent aussi les deux cinquièmes du total, cependant que les crédits aux institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLSM) se situent légèrement au-dessus de 10 %. Les quelque 10 % restant se partagent entre les autres catégories de crédits : crédits-bails, crédits à l’exportation, etc.

Tableau 2
France : structure du passif des ménages, 2003-2014
Source : Banque de France, statistiques monétaires, AF4 des secteurs 14+15.

Macroéconomie des nouveaux crédits et des remboursements

La crise de 2008 a montré, s’il en était besoin, que dans beaucoup de domaines, le rapprochement des variables réelles et des variables financières était indispensable aux progrès de l’analyse et de la prévision économique. Le champ couvert par l’étude des comportements d’épargne des ménages ne fait pas exception.

S’agissant des ménages, pour opérer ce rapprochement, on part en général du compte d’affectation de leur revenu disponible auquel on adjoint le flux net (Fn) de nouveaux crédits contractés, diminué des remboursements effectués en cours d’année. Du côté des emplois, on retrouve alors la consommation, les investissements et les placements financiers4.

RDB + Fn = C + FBCF + Pf     (1)

où RDB est le revenu disponible brut du secteur concerné, ici les secteurs 14 et 15 rassemblent les ménages stricto sensu, les entrepreneurs individuels et les ISBLSM ; ce regroupement a été retenu parce que c’est pour lui que l’on obtient le plus d’informations détaillées aux niveaux national et international. C est la « consommation » du secteur. La formation brute de capital fixe (FBCF) est tirée du compte de capital du secteur considéré ; elle correspond à la rubrique P51 dans les variations d’actifs non financiers (Eurostat, 1996, p. 377)5. Pf est le flux net de placements financiers, somme algébrique des dépôts moins les retraits pour les différents actifs financiers de la nomenclature. Fn est le flux net de nouveaux crédits diminué des remboursements. Dans ce qui suit, nous ne retiendrons que les crédits accordés au secteur considéré par les institutions financières (rubrique AF4) et non par les crédits commerciaux et avances de la rubrique AF7 ; ce flux net n’est qu’un élément de la variation de passif des ménages puisque celle-ci s’écrit (op. cit., pp. 379-380) :

∂P = Fn + ACV + GPD     (2)

où ∂P est la variation de passif entre le début et la fin de l’année considérée ; ACV, « Autres changements en volume », correspond pour l’essentiel aux « défauts » de crédits enregistrés au cours de la période ; GPD correspond aux « gains et pertes de détention » ; il s’agit des gains ou des pertes enregistrés sur les emprunts en devises (principalement en dollars) du fait des fluctuations des changes.

Toutes les grandeurs que nous venons de passer en revue figurent dans les comptes nationaux, pour autant que ceux-ci soient complets ; il n’en est plus de même à partir du moment où nous faisons apparaître les composantes de Fn. On peut en effet écrire :

Fn = NC – Rt     (3)

où NC représente les nouveaux crédits contractés en cours d’année et Rt les remboursements en capital effectués au cours de cette même période6.

Le flux net (Fn) de nouveaux crédits est directement communiqué par les établissements de crédit aux banques centrales de la zone euro dans un formulaire approprié qui ne fait pas de distinctions entre nouveaux crédits et remboursements. Cette pratique résulte d’une convention générale des comptes nationaux selon laquelle les flux financiers sont enregistrés en net : acquisitions moins cessions pour les actifs financiers, nouveaux crédits moins remboursements pour les passifs. Ces comptes ne fournissent donc d’évaluation ni des nouveaux crédits, ni des remboursements.

En intégrant la relation (3) dans la relation (1), on obtient après réarrangement :

RDB + NC = C + Rt + FBCF + Pf     (4)

Relation qui rompt avec les présentations habituelles puisque son membre de gauche fait maintenant apparaître l’ensemble des ressources – revenus et nouveaux crédits – dont dispose le secteur des ménages au cours d’une année donnée. Quant à son membre de droite, les remboursements d’emprunts y figurent à côté des trois autres « emplois » des ménages. Cette relation a le mérite de montrer que, du point de vue macroéconomique, chacune des quatre catégories d'« emplois » financiers et non financiers des ménages peut être a priori financée par ces deux ressources que sont le revenu courant et le flux de nouveaux crédits contractés.

La comptabilité nationale introduit d’ailleurs ici une hypothèse que, malgré son caractère simplificateur, nous retiendrons : elle suppose en effet un autofinancement à 100 % de cette consommation. Elle est conforme à la définition keynésienne de l’épargne « résidu », excédent du revenu sur la consommation. L’épargne brute des ménages (Eb) fait alors son apparition dans la relation tirée de la précédente7 :

Eb + NC = Rt + FBCF + Pf     (5)

L’absence d’informations sur les nouveaux crédits, d’une part, et sur les remboursements, d’autre part, avait conduit jusqu’ici, du côté des ressources, à se contenter d’ajouter au revenu ou à l’épargne le seul flux de nouveaux crédits net des remboursements. C’est cette pratique que nous modifions en introduisant les nouveaux crédits (NC) du côté des ressources et les remboursements en capital du côté des emplois.

Un nouveau mode de calcul des remboursements d’emprunts

Dans notre contribution de juin 2013, nous avons proposé, pour le crédit habitat et le crédit à la consommation, une estimation des remboursements des ménages français égale à la différence entre les nouveaux crédits et la variation de passif. Soit la relation :

Rt = NC – ∂P     (6)

Les flux bruts de nouveaux crédits (NC), bien que ne figurant pas dans les comptes nationaux, font en effet maintenant l’objet, dans la zone euro, à partir des statistiques monétaires (distinctes des statistiques financières), d’une déclaration mensuelle des banques centrales nationales à la Banque centrale européenne (BCE) (règlement de la BCE du 20 décembre 2001). Celle-ci les publie régulièrement et ces informations sont disponibles depuis 2003. Quant à la variation de passif, elle est donnée, en France comme ailleurs, par les comptes nationaux financiers.

Cependant, cette méthode de calcul, qui a aussi été utilisée dans certains rapports de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), n’est pas totalement satisfaisante. De la relation (3) supra, on tire en effet la relation :

Rt = NC – Fn     (7)

Or en remplaçant ∂P dans la relation (6) par son expression dans la relation (2), il vient :

Rt = NC – Fn – ACV – GPD     (8)

Il est donc clair que les relations (7) et (8) ne sont équivalentes pour le calcul des remboursements que si les deux termes correspondant respectivement aux ACV et aux GPD se compensent ou sont, tous deux, nuls ou négligeables. Il est alors plus logique de calculer les remboursements d’emprunts directement à partir de la relation (7). On a vu en effet que les nouveaux crédits habitat et consommation sont maintenant disponibles puisqu’ils sont déclarés chaque mois par les banques centrales nationales à la BCE8. Il nous faut également avoir accès aux flux nets (Fn) de nouveaux crédits diminués des remboursements que les établissements de crédit déclarent également chaque mois aux différentes banques centrales de la zone euro. Ce flux net figure, on l’a vu, dans le compte de passif des ménages, mais avec la seule distinction entre les crédits d’au plus un an et les crédits de plus d’un an, alors que c’est la distinction entre le flux net habitat et le flux net consommation qui est ici pertinente. Mais il existe heureusement des flux nets tirés des statistiques monétaires des banques centrales qui distinguent trois sortes de crédits : crédits de trésorerie, crédits habitat et « autres crédits ». Ces derniers regroupent, on l’a dit, des crédits à l’investissement accordés aux entreprises individuelles, des crédits-bails, des crédits à l’export et enfin des crédits aux ISBLSM. Avec l’obligeance de la Banque de France, nous avons eu accès à ces flux nets tirés des statistiques monétaires qui sont donc cohérents9 avec les flux de nouveaux crédits qui relèvent de ces mêmes statistiques. Cependant, comme les « nouveaux crédits » ne sont, quant à eux, disponibles que pour les crédits habitat et les crédits à la consommation, nous avons dû laisser de côté le poste très hétérogène des « autres crédits ».

Dans ce qui suit, nous couvrirons, pour la France, l’ensemble des crédits de la rubrique AF4 aux secteurs 14 et 15 (ménages, entrepreneurs individuels et ISBLSM). La rubrique retenue comprend alors les crédits habitat (acquisition de logements neufs et anciens, travaux), les crédits de trésorerie (à la consommation, aux entreprises individuelles).

Les résultats obtenus et les réserves qu’ils peuvent susciter

Avant d’en venir aux remboursements eux-mêmes, examinons les séries de nouveaux crédits (« nouveaux contrats ») fournies par la Banque de France. Le tableau 3 fournit des informations sur les nouveaux crédits et leur décomposition entre crédits à la consommation et crédits habitat. Mieux encore que l’évolution du passif, les fluctuations de ces nouveaux crédits scandent les différentes phases de la crise en France : forte ascension jusqu’à 2006, retournement de 2008-2009, reprise au cours des deux années suivantes, suivie d’une rechute en 2012, reprise encore en 2013 et rechute en 2014. En moyenne, la part des crédits à la consommation dans les nouveaux crédits se situe entre le double et le triple de ce qu’elle est dans le passif. Sur la période, elle fluctue assez fortement, de plus de 10 points de pourcentage : c’est quand l’ensemble des nouveaux crédits augmente vivement que cette part baisse (en 2005-2006, puis en 2010-2011 et en 2013) ; l’augmentation au cours de ces phases vient en effet principalement de l’accroissement des nouveaux crédits habitat. Nous aurons à nous demander plus loin si ce gonflement des crédits habitat correspond à de « vrais » nouveaux crédits ou peut résulter de possibles artefacts.

Tableau 3
France : composition du flux annuel de nouveaux crédits (NC) aux ménages, 2003-2014
Source : nos calculs sur les informations communiquées par la Banque de France, cf. tableau 12 en annexe.

Le tableau 4 donne le résultat des calculs effectués pour estimer le montant des remboursements associés aux deux catégories de crédits : immobilier et consommation.

Tableau 4
France : composition du flux annuel de remboursements (Rt) d’emprunts des ménages, 2003-2014
Source : nos calculs sur les informations communiquées par la Banque de France, cf. tableau 12 en annexe.

Globalement, on assiste à une forte progression des remboursements de 2003 à 2007, liée à celle du passif. En 2008 et 2009, épicentre de la crise, le freinage de ces remboursements est très spectaculaire ; il est suivi par une nette reprise en 2010-2011, puis d’une rechute en 2012 et d’une nouvelle reprise en 2013. L’interprétation de ces évolutions est, comme on l’a vu précédemment, très délicate car la liaison avec l’évolution du passif est loin d'être simple. Elle est en effet parasitée par des remboursements non prévus dans les échéanciers qui sont, pour la plupart, aussitôt compensés par l’ouverture de nouveaux crédits d’un montant comparable.

Pour chacune des deux catégories de crédits, le flux net de remboursements vient en déduction des nouveaux crédits pour aboutir aux montants respectifs de remboursements. La part des remboursements de crédits à la consommation – entre 30 % et 45 % – est plus importante que leur part dans les nouveaux crédits ou, a fortiori, dans les encours. Cela résulte évidemment de la maturité relativement courte de ces crédits. Mais, comme au tableau 3 (ci-contre) pour les nouveaux crédits, on observe que les baisses de la part des remboursements au titre des crédits à la consommation interviennent quand le montant global des remboursements augmente vivement (en 2005-2006, puis en 2010 et en 2013). Cette augmentation provient donc principalement de la forte hausse des remboursements liés aux crédits habitat et, là encore, nous devons donc nous demander s’il s’agit bien là de « vrais » remboursements ou d’un gonflement en partie artificiel.

Le rapprochement des remboursements obtenus par cette nouvelle méthode de ceux qui ont été publiés en juin 2013, pour la période 2003-2012, fait apparaître des résultats très proches : qu’il s’agisse des remboursements de crédits habitat ou de crédits à la consommation, les écarts entre les deux séries sont en effet le plus souvent inférieurs à 1 % et jamais supérieurs à 2 %. La raison de cette convergence des deux méthodes n’est pas difficile à trouver. Les deux utilisent les mêmes séries de nouveaux crédits communiquées par la Banque de France. La première en soustrait les variations de passif, la seconde les flux net de crédits. Or les relations (7) et (8) supra montrent que ces deux grandeurs ne diffèrent que par la prise en compte indue dans la variation de passif de la première méthode des « autres changements en volume » (ACV) et des « gains et pertes de détention » (GPD). On a évoqué ce biais précédemment en disant qu’il restait mineur soit si ces deux dernières grandeurs se compensaient, soit si elles restaient, l’une et l’autre, très faibles.

C’est cette seconde hypothèse qui se trouve vérifiée ici. En effet, la variable ACV correspond pour beaucoup, on le sait, aux défauts intervenus dans les remboursements des différentes sortes de crédits ; or, au cours de la période sous revue, qu’il s’agisse des crédits habitat ou des crédits à la consommation, les taux de défaut ont été très faibles dans notre pays. Quant aux gains ou pertes de détention, ils sont dus à la souscription de crédits dans une monnaie autre que l’euro ; cette pratique est en fait exceptionnelle en France. On comprend donc aisément que, dans ces conditions, même si la seconde méthode est la seule correcte, les différences de résultats obtenus à partir de chacune des deux méthodes sont minimes.

Il est cependant une autre raison qui, concernant la première comme la seconde méthode, laisse planer un doute sur la qualité des estimations de remboursements obtenus. Les « nouveaux crédits » communiqués à la BCE par les banques centrales, dans un cas comme dans l’autre, se réfèrent aux crédits « autorisés » dans les nouveaux contrats conclus (crédits « mis en force »). Les flux nets de crédits correspondent, quant à eux, à la différence entre les crédits versés (utilisés) au cours de la période considérée et le montant des remboursements observés au cours de cette même période. La différence entre les crédits « autorisés » et les crédits versés peut être importante, par exemple, pour les crédits habitat dans le cas d’acquisition sur plan d’un logement neuf. Dans ce cas, en effet, l’utilisation des crédits autorisés peut s’étendre sur une période plus ou moins longue. Pour aboutir à des estimations de remboursements indiscutables, il faudrait donc pouvoir disposer de « nouveaux crédits » mesurés sur les crédits versés et non sur les crédits autorisés. Les écarts entre ces deux catégories de crédits devront donc faire l’objet d’études particulières par les banques centrales. Nous pensons cependant que les estimations de remboursements obtenues avec la seconde méthode proposée fournissent pour le moment des ordres de grandeur qui permettent de poursuivre la réflexion sur la place de ces remboursements dans les flux d’épargne des ménages.

En gardant présente à l’esprit la mise en garde qui vient d'être présentée, il n’est pas inintéressant, avant de passer à la seconde partie de cette contribution, de donner, à partir du tableau 12 en annexe, une vue générale, au cours de la période étudiée, de la volatilité respective des nouveaux crédits, des remboursements et des flux nets de remboursements qui y sont associés. Le tableau 5 fournit ainsi le coefficient de variation de chacune de ces trois grandeurs, respectivement pour les crédits à la consommation et pour les crédits habitat. En matière de nouveaux crédits et de remboursements, le crédit habitat a, sans surprise, de loin la plus grande volatilité (coefficients de 0,218 et 0,276, contre 0,080 et 0,095). Ainsi est confirmée cette spécificité du crédit habitat par rapport au crédit à la consommation.

Tableau 5
Coefficients de variation des nouveaux crédits, des remboursements et des flux nets sur la période 2003-2014(écart type/moyenne)
Source : nos calculs à partir des résultats du tableau 12 en annexe.

Ce sont cependant les flux nets – différence de deux flux – qui font ressortir la plus grande volatilité : 0,878 pour le crédit à la consommation (pour 2012 et 2013, le flux net devient même négatif, cf. tableau 12 en annexe), mais 0,276 seulement pour le crédit immobilier, ce qui montre bien que la corrélation positive entre les nouveaux crédits et les remboursements est ici importante (coefficient de 0,8). Nous insisterons longuement plus loin sur les causes de cette corrélation.

Une autre caractéristique des résultats du tableau 12 en annexe est le rapport qui s’établit entre remboursements et nouveaux crédits. Pour les crédits de trésorerie, la moyenne de ce rapport ressort sur la période à 91 %, avec des fluctuations entre 82 % et 102 %. Cela ne surprend pas pour des crédits dont la durée moyenne n’est pas très élevée. En faisant le rapport de l’encours de la fin de l’année n – 1 aux remboursements de l’année n, on trouve en effet une durée moyenne de 3,2 années (avec des fluctuations entre 2,9 et 3,5). Parmi les crédits à la consommation, on sait que les crédits à l’acquisition d’automobiles sont parmi les plus longs et qu’ils occupent une place importante.

Les crédits à l’immobilier font ressortir, quant à eux, un rapport moyen « remboursements/nouveaux crédits » de seulement 58 %, et le rapport moyen de l’encours de la fin de l’année n – 1 aux remboursements de l’année n ressort à 8,8 années, un rapport beaucoup plus élevé évidemment que pour les crédits à la consommation, mais qui est de près de moitié inférieur à la durée de souscription des prêts principaux10.

En tenant compte de l’ensemble des informations qui viennent d'être données, il est temps maintenant de faire progresser notre réflexion pour aboutir à une estimation de la part des remboursements d’emprunts dans l’épargne des Français.

La part des remboursements dans l’épargne des Français

Dans cette seconde partie, nous étudierons d’abord la place des nouveaux crédits et des remboursements dans l’équilibre des ressources et des emplois des ménages. Nous préciserons ensuite la distinction déjà introduite entre « vrais » et « faux » nouveaux crédits et entre « vrais » et « faux » remboursements. Une troisième section sera consacrée à la présentation de conjectures concernant la place des remboursements dans l’épargne des Français et, plus généralement, à l’affectation de ce flux d’épargne au cours des deux années 2012 et 2013. Enfin, dans une dernière section, nous essaierons de tirer les conséquences dans les divers domaines de l’analyse économique des résultats obtenus en ce qui concerne l’estimation de la part qu’occupent les remboursements d’emprunts dans le flux d’épargne des ménages.

Nouveaux crédits et remboursements dans l’équilibre macroéconomique des ressources et emplois des ménages

Le tableau 6 (ci-contre) correspond à la relation (5) donnée supra et rapproche de données tirées des comptes nationaux d’autres données qui n’y figurent pas (nouveaux crédits – NC – et remboursements – Rt). Du côté des ressources, au cours de la période étudiée, si le taux d’épargne fait preuve d’une assez grande stabilité, oscillant seulement entre 14,4 % et 16,1 %, il n’en est pas de même des nouveaux crédits qui, pour diverses raisons, comme on a pu le voir précédemment, sont passés d’un maximum de plus de 17 % du revenu disponible en 2006, veille de la crise, à un minimum inférieur à 11 % en 2009, premier point bas de la crise ; ils retrouvent d’ailleurs ce même niveau en 2012, après deux années apparemment meilleures, ce qui a d’ailleurs été aussi le cas en 2013.

Tableau 6
France : ressources et emplois financiers des ménages, 2003-2014(secteurs 14+15, crédits F 4, en % du RDB)
Sources : comptes nationaux ; Banque de France pour les nouveaux crédits ; nos calculs pour les remboursements.

Du côté des emplois, c’est la FBCF qui, malgré des fluctuations, possède la plus grande stabilité avec, en 2003, un minimum de 8,5 % du RDB et un sommet à 10,2 % en 2007-2008, à la veille de l’entrée dans la phase la plus profonde de la crise. Le montant des remboursements fait apparaître, quant à lui, des fluctuations un peu plus amples, entre 7,8 % seulement en 2008 et près de 12,0 % en 2013. Mais ce sont les placements financiers qui font de loin ressortir les plus fortes variations, du simple au double, passant de 12,6 % en 2007 à seulement 5,9 % en 2013, probablement en liaison, comme on le verra infra, avec la forte contraction des nouveaux crédits habitat et, plus précisément encore, avec celle des crédits aux transactions sur les logements anciens, crédits qui, très majoritairement, ne quittent pas le secteur des ménages. On notera d’ailleurs que ces transactions, pour l’essentiel, ne figurent évidemment pas dans la comptabilité nationale puisqu’il s’agit d’opérations au sein du secteur, alors que les crédits auxquels elles donnent lieu apparaissent bien dans les nouveaux crédits souscrits par les ménages auprès des divers établissements du secteur des entreprises financières. Seules les transactions sur logements anciens avec des secteurs autres (par exemple, les investisseurs institutionnels) apparaissent. Si la relation (5) était établie au niveau des ménages, on verrait au contraire apparaître les transactions sur logements anciens comme un emploi chez les acheteurs et comme une ressource chez les vendeurs. Ces transactions entre ménages sont donc bien visibles en mésoéconomie, mais ne le sont, en macroéconomie, que par les crédits souscrits par les acheteurs de tels biens.

Les tableaux 7 et 8 (ci-contre), toujours exprimés en % du revenu disponible, se réfèrent à la relation (2) et reprennent, de façon plus détaillée, les données du tableau 6 (supra) : du côté des ressources, on a fait apparaître le revenu lui-même et non plus seulement l’épargne et sont distingués les nouveaux crédits habitat et les nouveaux crédits à la consommation. Du côté des emplois apparaît donc la consommation, cependant que sont également distingués les remboursements associés à ces deux sortes de crédits.

Le tableau 7 correspond à l’ensemble des ressources « réelles » et financières dont dispose le secteur des ménages au cours d’une année donnée. De ce tableau ressort bien l’observation, déjà faite supra, de la stabilité relative des nouveaux crédits à la consommation qui contraste avec les fortes fluctuations des nouveaux crédits habitat, victimes de différents « chocs » que nous préciserons plus loin.

Tableau 7
France : ressources totales des ménages, 2003-2014(S14 +15 crédits F4, en % du RDB)
Sources : comptes nationaux ; statistiques monétaires de la Banque de France.

Du tableau 8 concernant les emplois ressort la même constatation en matière de remboursements : une quasi-stabilité du côté des remboursements de crédits à la consommation, des fluctuations nettement plus amples en ce qui a trait à ceux du crédit immobilier.

Tableau 8
France : divers emplois des ménages, 2003-2014(S14 +15, remboursements crédits F4, en % du RDB)
Sources : comptes nationaux ; nos calculs pour les remboursements.

Des tableaux 7 et 8, on conclura que les cinq emplois distingués peuvent a priori être financés par trois ressources : ce n’est en effet, on l’a dit, que de façon conventionnelle que la consommation est considérée dans les comptes nationaux comme étant à 100 % autofinancée. Sans remettre en cause cette convention, il ressort du tableau 6 (supra) que les trois emplois qui y figurent peuvent être financés soit par l’épargne, soit par le crédit. Mais il s’agit d’un cadrage macroéconomique, la réalité microéconomique est en fait plus complexe, comme on a commencé de le voir.

« Vrais » et « faux » remboursements

Le but de notre démarche est d’essayer de préciser la part qu’occupent les « vrais » remboursements d’emprunts dans le flux annuel d’épargne des Français. La distinction entre « vrais » et « faux » remboursements est donc tout à fait centrale dans notre propos.

La frontière entre « vrais » et « faux » nouveaux crédits, entre « vrais » et « faux » remboursements est souvent assez facile à tracer. Le « faux » remboursement est, on l’a dit, un remboursement qui est très rapidement suivi par l’ouverture (dans le même établissement ou dans un autre) d’un nouveau crédit couvrant le remboursement précédent. La totalité ou au moins une partie de ce nouveau crédit correspond donc elle-même à un « faux » nouveau crédit.

Parmi les « faux » remboursements générant de « faux » nouveaux crédits, les principaux correspondent, en période de baisse des taux, aux « renégociations » associées aux crédits habitat à taux fixe. Un nouveau contrat est signé qui porte souvent sur un montant identique, mais avec un taux d’intérêt abaissé et une durée qui peut être modifiée. L’importance de ces renégociations est évidemment très liée aux fluctuations des taux d’intérêt et à la prédominance des taux fixes sur les taux variables. Elle est très faible dans les pays où les crédits sont majoritairement accordés à taux variable (États-Unis et Espagne, par exemple). S’agissant des évolutions de taux, les renégociations sont évidemment d’autant plus importantes que le taux moyen des encours est supérieur à celui du marché.

En matière de crédits habitat, il est peut-être plus difficile à observer le cas de la revente d’un bien, avec remboursement du crédit qui a servi à son acquisition et nouvelle acquisition d’un autre logement en faisant également appel au crédit. Ce cas dépend de la réglementation qui oblige au remboursement du premier crédit dans un pays comme la France, mais qui permet, par exemple aux États-Unis, le report du crédit hypothécaire d’un bien sur un autre, sans aucun remboursement. En France, il s’agit clairement d’un « faux » remboursement et d’un « faux » nouveau crédit. Il faut alors pouvoir chiffrer leur importance. Ce problème trouve chez nous sa solution dans la mesure où la Banque de France semble retenir une acception large des « renégociations », acception qui inclut le cas qui vient d'être évoqué.

Toujours dans les crédits habitat, les remboursements des prêts relais correspondent également à de « faux » remboursements puisqu’ils sont immédiatement suivis de l’ouverture des crédits auxquels ils ont servi de relais. Ces prêts sont faciles à identifier à condition de posséder des informations détaillées sur la nature des différents crédits accordés. Leur montant gonfle indûment celui des nouveaux crédits et celui des remboursements. Leur durée est variable, assez souvent inférieure à douze mois.

En matière de crédits à la consommation ou de crédits habitat, on a vu, depuis une dizaine d’années, apparaître des « regroupements » ou des « rachats » de créances. Ceux-ci peuvent apparaître dans le cadre de l’intervention des commissions départementales de surendettement, mais ils peuvent aussi être pratiqués en dehors de cette procédure, pour des raisons de simplification et d’économies réalisées sur le coût de ce type de passif. En France, pour les crédits à la consommation, c’est souvent un nouveau prêt personnel qui remplace l’ensemble des crédits précédents. L’importance de ce type de « rachats » de crédits ne pourra être précisée qu’en réalisant des études spécifiques.

À part celui des prêts relais, tous les autres cas de « faux » remboursements qui viennent d'être évoqués ont pour conséquence de réduire considérablement les durées réelles de remboursements par rapport à celles qui figurent dans le contrat au moment de la souscription. Il est une autre cause de raccourcissement de ces durées qui, elle, correspond bien à de « vrais » remboursements, car ils ne donnent pas lieu à ouverture de nouveaux crédits. Il s’agit de remboursements anticipés pour convenance personnelle. Ceux-ci concernent très majoritairement les prêts habitat ; suivant les cas, ils comportent ou non certaines pénalités. Un propriétaire de logement endetté, à la suite de circonstances diverses (promotion professionnelle, donations ou héritage, etc.), peut se trouver en possession d’un capital dont il n’a pas d’utilisation meilleure que le remboursement de sa dette. Ce phénomène est assez courant et il s’ajoute aux autres causes évoquées supra pour expliquer que, comme cela a été signalé, la durée réelle moyenne des remboursements du prêt habitat principal est, en France, beaucoup plus courte que celle qui est attachée à ce prêt lors de la souscription.

Conjectures concernant l’affectation de l’épargne des Français en 2012 et 2013

Avant de proposer un chiffrage qui restera malheureusement conjectural, il est indispensable de nous doter d’un cadre de réflexion plus réaliste que celui, forcément très simplificateur, que fournit la comptabilité nationale.

Un cadre de réflexion plus réaliste

Pour progresser dans la connaissance de l’affectation du flux annuel d’épargne des ménages, il nous faut serrer la réalité de plus près. Il ressort ainsi du tableau 6 supra que les trois emplois qui y figurent (remboursements, investissements, placements financiers) peuvent être financés soit par l’épargne, soit par le crédit. Mais il s’agit là d’un cadrage macroéconomique, la réalité est en fait plus complexe. Au sein de l’épargne, au niveau d’un ménage donné, il faut en effet distinguer le rôle du flux d’épargne courante qui apparaît dans le tableau et celui de l’épargne préalable prélevée sur le patrimoine financier existant en début de période11.

La relation (4) sur laquelle sont fondés les tableaux 7 et 8 est bien sûr de nature macroéconomique ; toutes les transactions financières et non financières entre ménages sont donc annulées. Si cette relation était établie pour les seuls ménages acheteurs de logements ou d’autres biens durables, en considérant ceux-ci comme des investissements, le financement de l’achat d’un logement (neuf ou ancien), par exemple, apparaîtrait clairement dans sa complexité : recours au crédit, recours à l’épargne courante (prélèvement sur le compte chèques où est versé le revenu), recours à l’épargne préalable (mobilisation d’un actif financier). Au total, les trois emplois du tableau 6 peuvent donc être financés non par deux, mais par trois ressources.

Au niveau mésoéconomique, il nous faut donc compléter l’équilibre ressources/emplois des ménages : d’un côté, les emplois, au-delà de la FBCF, doivent faire apparaître les acquisitions de logements anciens et le financement des terrains sous-jacents à l’achat de logements neufs, tous éléments qui ne figurent pas dans les comptes nationaux du secteur des ménages ; d’un autre côté, les ressources, outre le flux d’épargne de l’année (épargne courante) et les crédits nouveaux, doivent faire intervenir une épargne préalable logée dans les actifs financiers des acheteurs.

En abandonnant le cadre des comptes nationaux, il est facile de modifier en conséquence la relation (5) en ajoutant au membre de gauche l’épargne préalable (EP) et en remplaçant la FBCF par l’activité immobilière (AI) à laquelle fait référence le compte satellite du logement. Celle-ci regroupe en effet, outre la FBCF (acquisitions de logements neufs hors terrains et travaux réalisés), les terrains sous-jacents aux acquisitions des logements neufs et le montant des transactions portant sur les logements anciens.

Il vient donc finalement :

Eb + NC + EP = Rt + AI + Fp     (9)

Les nouveaux éléments de cette relation seront chiffrés infra12.

À partir de cette relation, il est aisé de fournir une première esquisse du mode de financement des divers types d’opérations envisageables. Ainsi, s’agissant de l’acquisition d’un logement neuf ou ancien (au sein de l’activité immobilière – AI), le recours au crédit pourra être important et l’apport personnel sera pour beaucoup constitué à partir d’une épargne préalable (EP) ; l’épargne courante (Eb) pourrait bien n’y tenir qu’une place marginale. En ce qui concerne les « vrais » remboursements (qu’il faudra avoir identifiés), la part de l’épargne courante y est certainement beaucoup plus importante ; prélevés directement sur les comptes chèques, ces remboursements pourraient bien être, pour beaucoup, l’épargne primordiale aux deux sens du terme : elle apparaît chronologiquement avant tous les autres emplois du revenu et elle constitue à coup sûr, chez bien des foyers, la composante principale (voire unique) de l’épargne de l’année. Mais de « vrais » remboursements – par exemple, les remboursements anticipés par rapport à l’échéancier d’origine – peuvent aussi être réalisés à partir de l’épargne préalable. Enfin, le flux de placements financiers (Pf) est la résultante de toutes les autres opérations réalisées par les ménages : il n’est guère financé directement par le crédit (même si, indirectement, les montants de crédits accordés pour l’acquisition de logements anciens – à la différence de ceux qui financent l’acquisition de logements neufs – se retrouvent presque exclusivement sur les comptes des ménages vendeurs) ; ce flux absorbe donc globalement une part importante de l’épargne courante.

Le moment est maintenant venu d’utiliser ce dernier éclairage et de rassembler l’ensemble des informations disponibles pour fonder certaines conjectures en matière d’affectation du flux courant d’épargne des Français et, plus spécialement, pour en estimer la part consacrée aux « vrais » remboursements d’emprunts.

Une tentative de chiffrage

Dans ce qui suit, nous tenterons d’abord d’estimer, pour des années récentes, la part des « vrais » remboursements dans le total des remboursements d’emprunts par les ménages, puis celle de ces « vrais » remboursements dans leur flux annuel d’épargne, flux dont nous essaierons, plus largement, de préciser les diverses affectations.

Pour suivre ce programme, nous ne disposons malheureusement en France – mais cela serait aussi vrai pour tous les autres pays – que d’informations très parcellaires.

En matière de crédits habitat aux ménages, quatre sources peuvent être mentionnées :

  • le compte satellite du logement établi chaque année par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) – une spécificité française – chiffre l’activité immobilière des ménages à laquelle il a été fait allusion supra et fournit certaines informations sur son financement ;
  • le rapport annuel de l’ACPR sur le financement de l’habitat, publié chaque année au mois de juin, donne des informations sur les rachats externes (entre établissements) de crédits habitat ; il fournit des informations sur le montant des « amortissements » (remboursements) d’emprunts qui ont été d’abord calculés en déduisant la variation de passif du montant des nouveaux crédits et maintenant en en déduisant le flux de crédits net des remboursements ;
  • le Bulletin trimestriel de la Banque de France (2015) a, tout récemment, commencé de communiquer certaines informations sur les renégociations et les rachats externes effectués par les ménages en matière de crédits habitat. Elles sont exprimées en pourcentage des crédits autorisés ;
  • enfin, l’Observatoire du financement des marchés résidentiels des particuliers réalisés par Crédit Logement/CSA et supervisé par Michel Mouillart porte sur un échantillon annuel de plusieurs dizaines de milliers de dossiers de clients de Crédit Logement. Cette enquête fait référence à de nouveaux crédits habitat excluant les rachats, les renégociations et les prêts relais, un concept tout à fait pertinent dans notre optique. Les dernières informations publiées datent du 5 mai 2015 et couvrent près de trente-cinq ans. Elles semblent exprimées en pourcentage des crédits versés.

S’agissant des « faux » nouveaux crédits à la consommation (rachats de crédits), nous manquons totalement de référence et nous serons donc contraints de nous référer aux dires d’experts.

Dans le tableau 10 (ci-contre), nous nous efforçons de distinguer « vrais » et « faux » remboursements d’emprunts pour les années 2012 et 2013 où les montants des remboursements totaux s’élèvent respectivement à 124,7 Md€ et à 159,3 Md€. S’agissant du pourcentage de renégociations et de rachats par rapport aux nouveaux crédits habitat (cf. tableau 12 en annexe), le tableau 9 fournit les informations partielles publiées par la Banque de France dans son Bulletin trimestriel du deuxième trimestre 2015. Les deux années 2012 et 2013 apparaissent comme très contrastées avec peu de rachats et renégociations en 2012 et, au contraire, des montants élevés en 2013 faisant suite à une baisse des taux d’intérêt. Ce contraste apparaît d’ailleurs également dans l’enquête de Crédit Logement/CSA (mai 2015) et dans la série de rachats publiée par l’ACPR. En valeur moyenne, nous retiendrons, pour 2012, 13 % de renégociations, rachats et crédits relais dans les nouveaux crédits habitat (respectivement 4 %, 4 % et 5 %), soit 12,8 Md€, et, pour 2013, 37 % (respectivement 20 %, 12 % et 5 %), soit 52,0 Md€.

Tableau 9
France : renégociations et rachats de créances dans les nouveaux crédits habitat mensuels(en % des nouveaux crédits)
Source : Banque de France (2015).

Les « faux » remboursements de crédits à la consommation sont évidemment d’un autre ordre de grandeur. Il s’agit souvent de regroupements de créances donnant naissance à un nouveau crédit qui peut prendre, par exemple, la forme d’un prêt personnel. Concernant leur importance par rapport aux nouveaux crédits, les experts la considèrent comme assez variable entre des limites qui pourraient aller de 12 % à 20 %. Nous retiendrons, quant à nous, 12 % pour l’année 2012 (soit 6 Md€) et 18 % pour 2013 (soit 8 Md€).

Tableau 10
France : financement des remboursements d’emprunts par les ménages en 2012 et 2013(secteurs 14 et 15, en Md€ et en % du total)
Sources : Banque de France (2015) ; ACPR (2013) ;  Crédit Logement/CSA (2013).

En ce qui a trait aux remboursements habitat financés par de l’épargne préalable, il faut déjà avoir une idée assez précise du montant total de cette épargne mobilisée par les ménages pour faire face, d’une part, à la constitution de l’apport personnel requis par les banques dans les opérations immobilières et, d’autre part, au financement de ces remboursements, qui sont alors le plus souvent des remboursements anticipés par rapport à l’échéancier d’origine. Une estimation assez satisfaisante de cette épargne nous est fournie en utilisant la relation (9) supra. Si l’on fait en effet la somme des trois emplois que comporte le membre de droite de la relation, l’excédent de cette somme sur les deux ressources que sont l’épargne et le crédit doit être couvert par la troisième ressource que constitue l’épargne préalable. Pour 2012, le recours à l’épargne préalable s’élèverait ainsi à 110 Md€13, un montant qui reste évidemment assez modeste si on le rapproche des 3 100 Md€ auxquels s’élevait, à cette date, le patrimoine financier des Français. Pour 2013, on obtiendrait un montant de 91 Md€14.

Il reste alors à ventiler ces deux montants entre les remboursements anticipés d’emprunts habitat et la constitution de l’apport personnel. Il s’agit d’un point tout à fait central dans la démarche que nous entreprenons et de futurs travaux de recherche devraient y être très vite consacrés. Tout de même, il est clair que les montants d’épargne préalable associés à la constitution des apports personnels sont d’un autre ordre de grandeur que ceux qui correspondent aux remboursements anticipés. D’abord parce que ceux-ci ne peuvent représenter qu’une fraction nettement minoritaire du total des remboursements habitat, ensuite parce que le montant de l’apport personnel des ménages concernant l’ensemble de leur « activité immobilière » est fort important (souvent de l’ordre d’une centaine de milliards) et que la contribution de l’épargne courante à la constitution de cet apport ne peut qu'être très minoritaire. Dans ces conditions, nous retiendrons donc des montants de remboursements anticipés égaux à 25 Md€ pour 2012 et 20 Md€ pour 2013.

Par solde, nous parvenons à la part de l’épargne courante finançant les remboursements, soit près de 81 Md€ en 2012 correspondant à près de 65 % de ces remboursements et à plus des trois quarts des seuls « vrais » remboursements. En 2013, année de forte augmentation des nouveaux crédits et des remboursements, la situation du point de vue de la contribution de l’épargne n’est pas très différente puisque celle-ci s’élèverait à plus de 79 Md€, soit certes seulement la moitié du total des remboursements, mais encore les quatre cinquièmes des seuls « vrais » remboursements.

S’agissant maintenant de la part respective dans les « vrais » remboursements des crédits à la consommation et des crédits habitat, le rapprochement des années 2012 et 2013 est intéressant. En effet, à considérer la totalité des remboursements, on a le sentiment que les deux années sont contrastées : 59 % de remboursements habitat en 2012, plus de 70 % en 2013. En réalité, comme le gonflement des remboursements en 2013 est largement dû aux « faux » remboursements habitat, les parts respectives de chacun des deux types de crédits dans les « vrais » remboursements restent assez stables, au moins pour ces deux années : autour de 40 % pour les crédits à la consommation et autour de 60 % pour les crédits habitat.

Sur le tableau 11 sont reportées les différentes affectations du flux annuel d’épargne des ménages en 2012 et 2013. Les remboursements financés sur cette épargne sont repris du tableau 10 (supra). Quant aux placements financiers, l’hypothèse a été faite que la part du crédit dans leur financement pouvait être négligée : les montants figurant au tableau 11 sont donc ceux que donnent les comptes nationaux.

Tableau 11
France : affectation du flux d’épargne courante des ménages en 2012 et 2013(secteurs 14 et 15)
* Comme il a été mentionné plus haut (cf. note 12), on aurait pu faire référence ici à une mesure de l’épargne qui classe dans les investissements les biens durables autres que le logement, mais cette mesure n’est pas habituelle dans notre pays. Elle devra cependant être utilisée à un stade ultérieur de la recherche.
Source : estimations de l’auteur à partir des sources indiquées au tableau 10 (supra).

En matière d’affectation de l’épargne courante des Français en 2012, on constate qu’un peu moins de 40 % de cette épargne ont été consacrés aux « vrais » remboursements d’emprunts. Une part nettement supérieure (47,3 %) correspond aux placements financiers. Quant au financement par l’épargne courante de l’apport personnel lié à l'« activité immobilière », obtenu par solde puisque le montant total du flux d’épargne est naturellement connu, il est seulement de l’ordre de 14,1 %, soit donc une place assez modeste comme on pouvait le penser.

En 2013, la situation n’a pas changé du point de vue de la part des « vrais » remboursements, toujours un peu inférieure à 40 % du total de l’épargne, mais la part des placements financiers a nettement baissé, cependant que celle de l'« apport personnel » aux activités immobilières a crû.

Le rapport sur le Compte du logement, établi par le CGEDD, fournit une estimation de la proportion des apports personnels dans le financement de l’ensemble de l’activité immobilière des ménages (CGEDD, 2015, tableau 12.5, p. 79). Nous pouvons aboutir de notre côté à une estimation de cette proportion en sommant la part de l’épargne préalable et celle de l’épargne courante consacrée à la constitution de ces apports et en rapportant cette somme à l’activité immobilière. Pour 2012 et 2013, nous obtenons des taux d’autofinancement proches de 45 %15, alors que pour ces deux années, le rapport du CGEDD parvient à des taux légèrement supérieurs à 50 %. Mais on observera que, d’une part, les taux d’apport personnels du CGEDD concernent non seulement les ménages, mais aussi les personnes morales, et, d’autre part, qu’ils font référence aux crédits versés, alors que nous avons dû nous contenter d’utiliser de nouveaux crédits qui concernent les crédits autorisés. Il conviendra donc à l’avenir de revenir sur ces hétérogénéités.

On mesure d’ailleurs bien la fragilité des estimations qui viennent d'être détaillées. Pierre Massé encourageait la publication de chiffres médiocres pour réussir à en avoir de meilleurs. Pour aboutir à des chiffres moins contestables, il faudrait que :

  • la Banque de France puisse publier au moins sur un quart de siècle les séries de remboursements associés au crédit habitat, ainsi que les renégociations et les rachats qui y sont liés ; les renégociations et les rachats devraient être rapportés aux crédits versés et non aux crédits autorisés ;
  • les remboursements et les rachats concernant les crédits à la consommation puissent être chiffrés pour des périodes également longues, probablement avec l’aide des sociétés financières et des banques dont certaines ont déjà réalisé des études dans ce domaine ;
  • puissent être précisés, à partir d’enquêtes auprès des ménages et des établissements de crédit, le montant de l’épargne préalable utilisée et sa ventilation entre, d’une part, les remboursements anticipés et, d’autre part, les apports personnels associés à l’activité immobilièreUne approche plus rigoureuse devrait également tenir compte ici des apports personnels liés à l’achat de biens durables autres que le logement. telle qu’elle a été définie supra.

La conclusion qui s’impose tout de même de notre audacieuse tentative de chiffrage est que les « vrais » remboursements d’emprunts dans un pays comme la France – compte tenu de la réglementation financière et des types de prêts utilisés, mais aussi des pratiques des établissements de crédit et de leurs clientèles – pourraient correspondre à une part très significative de l’épargne courante des ménages.

Aujourd’hui, aucun pays avancé ne connaît, de façon précise, l’affectation de cette épargne. Le fait que les remboursements d’emprunts, en France, puissent absorber environ les deux cinquièmes du flux d’épargne annuel des ménages est une observation qui, à notre connaissance, semble bien n’avoir jamais été faite jusqu’ici ; la Direction du Trésor du ministère des Finances produisait jadis, à usage interne, selon Daniel Lebègue, une estimation de cette part autour de 30 %, mais celle-ci concernait, il est vrai, une période (les deux dernières décennies du xxe siècle) où le passif des Français était nettement moins important qu’aujourd’hui.

Si de prochains progrès dans nos connaissances, rendus possibles notamment par les travaux de la Banque de France et ceux du CGEDD, aboutissaient à valider les principales conjectures qui viennent d'être proposées, le champ s’ouvrirait à de nombreuses recherches empiriques débouchant sur de sérieuses remises en question des modélisations utilisées.

Questions soulevées par l’introduction des « vrais » nouveaux crédits et des « vrais » remboursements d’emprunts dans les comportements des ménages

Nous présentons nos excuses au lecteur quant à l’aspect « programme de recherche » que revêtent les développements qui suivent. Les questions soulevées par le rapprochement qui vient d'être fait des variables réelles et des variables financières dans les comportements des ménages sont diverses et relèvent de plusieurs domaines différents de l’analyse économique.

S’agissant d’abord de la microéconomie empirique des comportements d’épargne, d’endettement et de remboursement, les ignorances sont encore nombreuses et ne pourront être supprimées qu’au prix d’un élargissement considérable des enquêtes actuelles dans ce domaine. Quelle est, par exemple, la proportion de ménages dont les « vrais » remboursements d’emprunts constituent la seule épargne ? Comment évolue l’affectation de l’épargne des ménages selon leur âge ? Comment sont précisément financés ces remboursements d’emprunts, en particulier ceux qui sont anticipés ? Les comportements de remboursement des ménages varient-ils, d’une période à l’autre, en fonction de certaines variables associées aux cycles d’activité ou aux cycles financiers ? La Suède s’est, par exemple, dotée dès 2000 d’une importante enquête annuelle auprès des ménages en ce qui concerne leur endettement et les charges qui y correspondent16.

Ces dernières questions nous conduisent naturellement à évoquer l’étude macroéconomique des cycles. Plus précisément, concernant la période de désendettement dans laquelle se trouvent actuellement plusieurs pays avancés, de quelle liberté les ménages disposent-ils réellement pour accélérer ou, au contraire, ralentir le remboursement de leur passif ? La condition principale du deleveraging est évidemment, en laissant de côté les défauts, que le flux nouveau de crédits net des remboursements devienne négatif ; mais est-il, du point de vue de l’activité, équivalant que le désendettement se produise plutôt par réduction du recours au crédit ou plutôt par accélération des remboursements ? L’une et l’autre évolution poussent certes, par des chemins différents, le taux d’épargne à la hausse. Mais, eu égard à l’activité, la réduction du recours au crédit pèse plus directement sur le secteur des biens durables, en y incluant le logement ; l’accélération des remboursements pourrait plutôt, quant à elle, freiner les achats de biens fongibles.

Concernant la macroéconomie comparée, le poids des « vrais » remboursements dans l’épargne des ménages dans les différents pays varie-t-il en proportion du montant de leur passif ? Pourquoi un pays comme les États-Unis où les ménages sont encore lourdement endettés semble-t-il ne faire apparaître que des remboursements d’emprunts relativement modestes ? Toutes choses égales par ailleurs, le taux d’épargne des ménages est-il réellement plus élevé dans les pays où la durée de remboursement des emprunts est la plus courte ? Indépendamment de la durée des crédits, quels sont les facteurs d’ordre réglementaire ou financier qui, à passifs comparables, peuvent faire apparaître d’un pays à l’autre des remboursements différents ?

L’analyse des comportements d’épargne des ménages devra, de son côté, être réorientée pour que, outre les nombreux facteurs déjà identifiés, soient bien marquées les deux phases que nous avons distinguées supra dans les relations entre l’épargne et le crédit. La première phase, rappelons-le, est celle dans laquelle le crédit apparaît comme un substitut de l’épargne ; les travaux initiés dans ce domaine au cours des deux dernières décennies ont jusqu’ici surtout insisté sur le rôle des crédits à la consommation, mais le crédit habitat apparaît lui aussi comme un substitut possible à l’épargne : il réduit en effet d’autant l’apport personnel nécessaire. La seconde phase est celle dans laquelle les « vrais » remboursements poussent le taux d’épargne vers le haut. Ici, tout est à faire : les « vrais » remboursements restant partout inconnus, leur influence sur le taux d’épargne des ménages n’a évidemment pas pu faire l’objet des études économétriques qui s’imposent.

Du point de vue de la prévision des comportements d’épargne, on comprend donc mieux pourquoi, depuis des décennies, aucune inflexion importante du taux d’épargne macroéconomique des ménages n’a, à notre connaissance, jamais pu être anticipée : en France, pas plus la baisse très forte observée entre 1980 et 1987 que la remontée du début des années 1990. Dès que les banques centrales auront publié des séries suffisamment longues de nouveaux crédits et de remboursements dûment analysées pour faire ressortir « vrais » nouveaux crédits et « vrais » remboursements, les modèles trop simples de prévision de l’évolution de la consommation et des investissements des ménages devront céder la place à des formalisations plus complexes accordant aux variables financières la place qui leur revient.

Chaque variable endogène de cette nouvelle architecture – consommation, acquisitions de logements neufs, acquisitions de logements anciens et réalisations de travaux dans le logement – sera associée au type de crédits susceptible de l’influencer. La prévision des remboursements sera évidemment fondée sur l’évolution du passif résultant du développement des différents types de crédits, mais aussi sur les comportements éventuels d’anticipations observés dans ce domaine. Les placements financiers constitueront, quant à eux, la résultante de ces différents comportements. Les variables exogènes dans cette nouvelle modélisation seront des variables de flux (revenus), des variables financières (taux d’intérêt créditeurs et débiteurs) et certains indicateurs comme le taux de chômage ou la charge totale de la dette (« vrais » remboursements en capital et intérêts payés), mais aussi des variables de stocks (patrimoine financier et non financier en début de période).

La référence à la charge de la dette nous amène enfin à préciser ce qu’aurait de trompeur, en matière de surveillance macroprudentielle, l’utilisation d’un indicateur de risque tel que le ratio « service de la dette/revenu » (debt service to income – DSTI)17 si, au sein des remboursements pris en compte, on ne faisait pas la distinction entre « vrais » et « faux » remboursements : en effet, seuls les premiers pèsent directement sur les revenus des ménages et sont donc générateurs de risques.

Conclusion

Le nombre et la diversité des questions soulevées au cours de ces derniers paragraphes montrent suffisamment l’importance tout à fait centrale d’une connaissance précise de l’affectation du flux annuel d’épargne des ménages et, partant, de celle des séries de remboursements faisant la distinction entre « vrais » et « faux » remboursements d’emprunts.

On ne peut cacher la complexité de la tâche à accomplir. Ces nouvelles perspectives d’étude des comportements des ménages ont cependant toute leur place dans le programme à suivre par les économistes au cours des prochaines années, programme de rapprochement, non seulement de la macro et de la microéconomie, mais aussi des flux et des stocks, des grandeurs réelles et financières et de la finance classique et comportementale.


Notes

Cet article a bénéficié d'une relecture très utile de Françoise Charpin, professeur émérite à l'université Paris II.
1 Une synthèse des principaux apports dans ce domaine est présentée au chapitre III de Babeau (2011).
2 Ainsi, au chapitre III de FMI (2012), consacré à l’endettement des ménages, les auteurs soulignent qu’au cours des trois dernières décennies, les pays avancés qui ont connu une forte augmentation du passif des ménages avant le retournement de l’activité font ressortir ensuite une plus forte contraction de la consommation des ménages. En France, dans une étude de la COFACE consacrée aux nouveaux consommateurs asiatiques (21 octobre 2013), les auteurs font remarquer que le niveau très élevé d’endettement des ménages observé à la fin de 2012 dans des pays comme la Malaisie, la Corée du Sud, Singapour et même la Thaïlande est de nature à freiner à l’avenir leur consommation « quand les ménages prendront conscience du poids du service de la dette ». La liaison est en réalité plus mécanique que psychologique et peut être énoncée plus simplement : le poids des remboursements gonfle en comptabilité nationale l’épargne des ménages, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, fait baisser la consommation.
3 Sur l’effet dépressif du désendettement des ménages, on pourra aussi consulter Eggertsson et Krugman (2011).
4 Compte tenu des différentes sources dont sont tirées, en comptabilité nationale, variables réelles et variables financières, le rapprochement de ces deux types de variables comporte toujours un « ajustement » que nous omettrons provisoirement dans la relation (1).
5 Ces variations d’actifs non financiers comprennent également les rubriques P52 (variation de stocks) et P53 (acquisitions nettes d’objets de valeur), mais ces deux dernières rubriques sont, tout spécialement en France, de faible importance par rapport à la FBCF du secteur ; aussi, dans ce qui suit, pour la simplicité de la présentation, les avons-nous omises.
6 On rappellera que les intérêts associés à ces emprunts sont considérés comme une dépense de consommation.
7 Dans cette relation, en toute rigueur, à côté de l’épargne (Eb), il faudrait faire apparaître les transferts nets de capital à recevoir et à payer (Eurostat, 1996, tableau III.1.1, p. 376). Cependant, cette prise en compte n’a généralement qu’une faible influence sur la variable considérée (soit une diminution de 2 % à 3 % de l’épargne brute). Pour plus de simplicité, de même que dans les emplois, nous avons pris en compte la seule FBCF et non la totalité des acquisitions d’actifs non financiers. Dans ce qui suit, nous continuerons de faire référence à la seule épargne en laissant de côté les transferts nets en capital.
8 Il s’agit d’informations communiquées à la BCE par les banques centrales nationales dans le cadre du suivi par la BCE de l’évolution des taux d’intérêt débiteurs et créditeurs. Cette notion de crédits sur les nouveaux contrats est définie avec précision dans BCE (2001). Pour les ménages et ISBLSM, les crédits suivis correspondent aux indicateurs 12 à 22 de l’Appendice 2, pp. 35-36 du Règlement, regroupés en trois rubriques : crédits à la consommation, crédits immobiliers et crédits à d’autres fins.
9 Sous une réserve importante qui apparaîtra infra.
10 Une mesure précise de l’écart entre la durée à la souscription et la durée réelle moyenne de remboursement est fournie par la Banque de France dans son enquête annuelle sur le financement de l’habitat. L’écart qui apparaît entre les deux durées est moindre que celui qui ressort de notre approximation. Pour 2012, par exemple, la durée moyenne à la souscription est de 19,8 années avec une durée réelle moyenne de 13,3 ans (ACPR, 2013, graphique 19, p. 15).
11 Nous avons hésité ici entre l’appellation « épargne préalable » ou « actifs existants ». Cette dernière appellation présente l’avantage d'être employée en comptabilité nationale, mais elle désigne le plus souvent des actifs non financiers non produits dans l’année (logements anciens, équipements de seconde main, etc.) alors qu’ici, cette épargne préalable – quelle qu’en soit l’origine (revente d’un logement, transmissions entre générations ou accumulation personnelle) – concerne les seuls actifs financiers. Nous maintenons donc cette appellation d'« épargne préalable », mais il est bien clair qu’à la différence de l’épargne courante, il s’agit d’une grandeur de stock.
12 L’épargne préalable à laquelle cette relation fait référence est en fait un minorant. En effet, compte tenu du rôle que jouent les achats de biens durables autres que le logement (principalement véhicules et équipements de la maison) dans le recours au crédit à la consommation, on pourrait aussi introduire en emplois, comme investissements, le montant des achats de biens durables (voir pratique des États-Unis) financés en partie par l’épargne préalable. Le recours à l’épargne préalable en serait accru d’autant. Mais la mesure de l’épargne en est alors modifiée et, sous cette forme, elle n’est pas disponible en France. Nous réservons cette utile modification pour une phase ultérieure de notre recherche. On peut cependant aisément montrer que le recours des Français à une épargne préalable concerne cependant très majoritairement leur « activité immobilière ».
13 Pour 2012, le membre de gauche de la relation hors épargne préalable s’élève à 358,7 Md€ (210 Md€ d’épargne et 148,7 Md€ de nouveaux crédits). L’ensemble des emplois s’élève à 468,7 Md€ (124,7 Md€ de remboursements, 257 Md€ d’activité immobilière des ménages selon le Compte du logement et 87 Md€ de placements financiers). Le recours à l’épargne préalable serait donc de 110 Md€.
14 L’activité immobilière des ménages au sens du CGEDD atteint, en 2013, 248 Md€. Sur cette base, le recours à l’épargne préalable s’élèverait à 91,1 Md€.
15 Pour 2012, l’autofinancement s’élève à 114,7 Md€ (85 Md€ d’épargne préalable et 29,7 Md€ d’épargne courante), soir 44,5 % des 258 Md€ d’activité immobilière. Pour 2013, l’autofinancement s’élève à 110,7 Md€ (respectivement 73 Md€ et 37,7 Md€), soit 44,7 % des 247,6 Md€ d’activité immobilière.
16 Voir Persson (2009).
17 Voir, par exemple, Avouyi-Dovi et al. (2014, pp. 272-273).

Bibliographies

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Annexe

Tableau 12
France : remboursements d’emprunts par les ménages, 2003-2014(en M€)
Sources : Banque de France, base de données, statistiques monétaires pour les nouveaux crédits et les flux nets ; nos calculs pour les remboursements.