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 L’économie bancaire depuis la crise : quelques avancées


Olivier PASTRÉ ** Professeur émérite, Université Paris 8. Contact : opastre@noos.fr.
Jean Paul POLLIN

* Professeur émérite, Laboratoire d'économie d'Orléans, Université d'Orléans. Contact : jean-paul.pollin@univ-orleans.fr.

 Jusqu’au tournant des années 2010, les manuels d’économie bancaire étaient relativement standardisés. Ils traitaient des activités bancaires traditionnelles (dépôts, crédits, gestion de l’épargne), consacraient une part plus ou moins importante aux nouveaux métiers et en particulier aux activités de marché. Pour décrire ces marchés, l’hypothèse implicite ou explicite retenue par la plupart des auteurs était la perfection ou la quasi-perfection de ceux-ci. L’écrasante majorité des ouvrages consacrait une part relativement limitée à l’activité internationale des banques et mettait encore plus rarement en avant l’hétérogénéité des systèmes bancaires selon les pays. Enfin, ces manuels se terminaient presque tous par une partie relativement conséquente consacrée aux relations entre le système bancaire et la politique monétaire.

Les nouveaux manuels d’économie bancaire parus depuis 2010, tel celui de Berger et al. (2014), sont peu nombreux. Est-ce l’effet d’une baisse de la demande ou du manque de recul par rapport à la crise ? Toujours est-il que leur structure diffère assez largement de celle des manuels antérieurs. Une part plus importante est consacrée aux activités de marché, aux dimensions microéconomiques de l’économie bancaire (de l’analyse des théories comportementales à la description des méthodes de contrôle des risques internes aux banques) ainsi qu’aux différentes réformes apportées à la régulation bancaire.

Cette évolution de la structure des manuels d’économie bancaire offre un témoignage parmi d’autres de la curiosité croissante que suscite ce thème. Elle témoigne aussi de la complexification des techniques bancaires ou au moins de la prise en compte par la littérature académique de cette complexification. Dans ces conditions, il paraît inenvisageable de faire dans cet article un survey exhaustif de la littérature consacrée à l’économie bancaire depuis l’éclatement de la crise.

Nous nous contenterons dans ce survey de tirer quelques enseignements de nos lectures d’articles et d’ouvrages récents et de procéder à un coup de projecteur sur deux thématiques (concurrence bancaire et stabilité financière, d’une part, évolution de la gestion d’actifs, d’autre part) qui nous semblent avoir donné lieu à suffisamment de publications pour qu’un point d’étape soit utilement établi.

Principes généraux

Si l’on s’en tient aux remarques générales, ce qui nous semble le plus frappant – et qui constitue en soi une heureuse surprise –, c’est que, « grâce » à la crise, il est un certain nombre de « vieilles lunes » qui semblent s'être enfin évanouies. Ainsi en est-il, par exemple, de la focalisation de nombreuses recherches sur le ratio de concentration de l’industrie bancaire comme sur la taille optimale des banques. Les travaux pionniers d’industrial economics de Joe Bain et Fred Scherer restent sûrement encore utiles pour un certain nombre d’industries. Ils ne le sont plus, en l’état au moins, pour l’industrie bancaire. Un même ratio de concentration peut aujourd’hui plus encore qu’hier recouvrir des réalités concurrentielles très différentes (Ratnovski, 2013). À cette occasion, on peut s’interroger plus généralement sur la pertinence de nombreux indicateurs que collectent, avec autant de rigueur que de conformisme, la plupart des banques centrales et qui, la nature du métier bancaire ayant fondamentalement changé au cours des vingt dernières années, ne présentent plus aujourd’hui qu’un intérêt anecdotique. Cela pose la question plus générale encore et plus théorique de la nécessité, en termes de réformes, de s’interroger davantage sur les incitations à agir que sur les ratios définis de manière globale, sur les motivations des agents économiques plus que sur les niveaux de tel ou tel indicateur (Blinder, 2014). Pour ce qui concerne la taille optimale des banques, la communauté scientifique semble avoir enfin compris que, d’une part (à l’exception de certains marchés très particuliers car encore extrêmement atomisés, comme les États-Unis ou l’Allemagne), les risques menacent toutes les banques quelle que soit leur taille et que, d’autre part, l’efficience se trouve également répartie indépendamment du poids des actifs et des passifs bancaires (Liikanen, 2014).

De manière plus générale, il semble qu’un courant de pensée voit le jour qui tourne le dos aux analyses faisant d’une banque un tout homogène et donc facilement comparable. La banque s’est, au cours des deux dernières décennies, tellement diversifiée et complexifiée que c’est par métier et non plus seulement par institution que l’analyse bancaire peut et doit désormais progresser (Jokivuolle et Vilmunen, 2014). Dans la même direction – celle d’une approche plus précise et plus relativiste de l’analyse bancaire –, un nombre croissant de travaux académiques soulignent l’hétérogénéité des industries bancaires nationales et donc la difficulté qu’il y a à plaquer une grille d’analyse uniforme pour tous les systèmes bancaires (Beck et al., 2013).

Tous ces travaux constituent d’incontestables progrès même si l’on peut déplorer qu’il ait fallu que la crise passe par là pour faire enfin comprendre à certains chercheurs que le monde bancaire était infiniment plus complexe que ne le laissaient entendre certaines approches par trop globalisantes. Dans ce cadre partiellement renouvelé, il est certaines pistes de recherche qui ont été davantage explorées que d’autres et sur lesquelles il est désormais possible de faire un point d’étape, même si celui-ci ne permet pas de tirer des conclusions définitives. Ainsi en est-il, par exemple, du lien entre concurrence bancaire et stabilité financière.

Concurrence bancaire et stabilité financière

Une bonne partie des travaux consacrés à ce thème concluent à l’existence d’un lien positif entre l’intensification de la concurrence et la stabilité financière. C’est le cas notamment de l’étude de Akins et al. (2014). Le raisonnement est généralement le suivant : une intensification de la concurrence conduit les banques à diversifier leurs risques et, ce faisant, à renforcer leur résilience face à une crise éventuelle. Par ailleurs, une concurrence accrue, favorisant l’innovation et la recherche de l’efficience maximale, tout encouragement donné à l’intensification du jeu concurrentiel, favorise la pérennité du système bancaire. Ce qui est vrai pour les industries bancaires à dominante privée (États-Unis, Angleterre) semble se vérifier dans les pays marqués par une domination, relative au moins, des banques coopératives (France, Allemagne, Espagne et Italie), comme le soulignent Fiordelisi et Mare (2014).

Comme bien souvent en économie empirique, la thèse qui domine ne fait pas pour autant l’unanimité. Certains auteurs comme Rungcharoenkitkul (2015) soulignent le fait que l’intensification de la concurrence peut conduire à une moindre prudence en matière d’évaluation des risques et, ce faisant, à une plus grande dangerosité de l’activité de crédit.

Dans le même ordre d’idées, de Jonghe (2010) considère que la diversification des activités des banques n’améliore pas leur efficacité, ni leur exposition aux risques extrêmes. Ce qui peut expliquer que les actions cotées des conglomérats financiers s’échangent sur les marchés avec une décote par rapport aux pure players bancaires. De manière plus ciblée, d’autres auteurs tels que Marques-Ibanez et al. (2014) considèrent que l’intensification de la concurrence agit en faveur de la stabilisation jusqu’à un certain seuil à partir duquel les effets externes négatifs l’emportent. De même, Beck et al. (2013) soulignent que l’impact du jeu concurrentiel peut varier selon les pays en fonction de la structure du marché bancaire de départ. On retrouve ici la nécessité d’une relativisation des conclusions théoriques que l’on peut tirer de l’observation des modèles bancaires nationaux. Cela milite pour une approche de l’économie bancaire à la fois prudente et modeste.

En matière de politique concurrentielle, Ratnovski (2013) souligne avec justesse que les autorités de tutelle bancaire devraient moins se préoccuper que par le passé de structure de marchés, c’est-à-dire de concentration, et devraient accorder davantage d’attention à l’éventail des activités bancaires. En période de crise, cela pourrait avoir pour effet de favoriser la concentration bancaire et (point crucial sur lequel s’interroge l’European Systemic Risk Board ; ESRB, 2014), dans certains cas, la nationalisation des banques.

Il faut ajouter qu’une vision d’ensemble du système financier est nécessaire pour éviter de tomber dans le sophisme de composition qui a dominé jusqu’ici l’analyse des risques bancaires et de leur régulation. La crise nous a en effet rappelé que l’instabilité d’un système ne se réduit pas à la somme des risques individuels de ses composantes. L’instabilité macrofinancière est aussi fonction des interdépendances diverses qui existent entre les institutions. Or ce risque de système est également sensible aux configurations des secteurs ou des modèles bancaires. Certaines contributions, notamment celle de Wagner (2010), ont montré que la diversification des activités a tendance à réduire le risque idiosyncratique, mais qu’elle augmente en même temps la probabilité de crise systémique. Le travail d’Anginer et al. (2014), quant à lui, fait ressortir une relation négative entre le niveau de concurrence et le risque de système. Dans tous les cas, l’environnement institutionnel influence significativement les résultats obtenus. Ce qui peut expliquer les apparentes contradictions entre les différentes études sur le sujet.

Gestion d’actifs et risque systémique

L’élargissement de la perspective à l’ensemble du système financier s’impose aussi parce que l’analyse des mécanismes de la crise et les leçons que l’on a choisi d’en tirer se sont trop concentrées sur le secteur bancaire. Or des travaux menés récemment mettent en évidence certains effets de la gestion d’actifs dans l’amplification des déséquilibres sur les marchés financiers et, au-delà, sur la situation des agents qui en dépendent. Plus précisément, ces travaux soulignent la contribution de ce secteur de l’industrie financière dans le développement du risque systémique. Cette question est d’ailleurs au centre des préoccupations des deux derniers rapports du Fonds monétaire international (FMI) (celui d’octobre 2014 et surtout celui d’avril 2015) sur la stabilité du système financier mondial. Dans leur cartographie des risques, ces rapports notent la montée du risque de liquidité et situent son origine pour une bonne part au niveau de la gestion d’actifs. En d’autres termes, les sources du risque systémique seraient en train de migrer vers ces institutions non bancaires que l’on englobe dans la définition large et ambiguë du shadow banking (fonds de placement en tous genres, dont fonds monétaires, mais aussi hedge funds, compagnies d’assurances, etc.).

En un sens, cette évolution s’explique simplement par le fait que les investisseurs délaissent les placements bancaires au profit de produits de marchés, et plus encore par le fait que ces capitaux sont de plus en plus confiés à des gestionnaires d’actifs. Mais une autre partie de l’explication tient aussi à ce que les comportements des acteurs (gestionnaires et investisseurs finals) peuvent accentuer, selon les circonstances et les périodes, le niveau de risque systémique. C’est-à-dire les connexions entre institutions financières capables d’amplifier des chocs de diverses natures. Bien évidemment, la forme et l’importance de ces connexions sont différentes selon les types de fonds. Le risque systémique porté par des fonds monétaires ou des fonds investis en obligations ne peut être décrit comme celui de hedge funds construits sur des stratégies complexes et utilisant des produits structurés. Mais il n’empêche que dans tous les cas, on retrouve les deux mêmes mécanismes qui génèrent des interdépendances entre agents et peuvent provoquer des emballements cumulatifs.

D’abord les transformations de liquidité et de maturité qu’opèrent les fonds sont susceptibles de donner lieu à des retraits précipités de la part des investisseurs finals et d’engendrer des ventes d’actifs en catastrophe. Ce sera le cas si les investisseurs pensent que des retraits importants (des ventes de parts ou des demandes de remboursement) sont capables d’entraîner une dévalorisation de leurs avoirs. Il en est ainsi notamment lorsque les fonds vendent d’abord les actifs les plus liquides pour faire face aux premières demandes de remboursement, celles qui suivent étant alors servies en mobilisant des actifs dont les prix sont plus sensibles aux flux de ventes. Dans ces conditions, les coûts de liquidation sont supportés par les investisseurs qui se désengagent tardivement, ce qui induit une complémentarité stratégique entre les investisseurs finals, en l’occurrence une incitation à vendre plus vite que les autres, ou en définitive un phénomène classique de run qui peut être déclenché par un quelconque choc observé ou anticipé.

Ensuite, la relation d’agence existant entre les investisseurs finals et les gestionnaires des fonds génère potentiellement des biais de comportement qui sont aussi à l’origine d’autres interactions, principalement parce que les nécessaires mesures et rémunérations des performances se font généralement par référence à des benchmarks utilisés sur des périodes relativement courtes. Cela induit des prises de risque excessives lorsque les choix de portefeuilles opérés ne permettent pas d’atteindre la rentabilité requise, et surtout des comportements mimétiques des gestionnaires (donc des interdépendances de leurs décisions) qui provoquent des phénomènes de contagions. Ces comportements s’observent, en particulier, durant les situations de stress de marché, ce qui tend à accentuer l’ampleur des mouvements de prix. Le rapport 2015 du FMI montre d’ailleurs que ces phénomènes de mimétisme se sont sensiblement accrus depuis le début de la crise.

Les conséquences de ces défaillances de marchés sur les secteurs financiers et réels sont différentes selon les actifs concernés et les caractéristiques des fonds qui les portent. Il apparaît, entre autres, que :

  • les fonds investis dans des actifs peu liquides sont à la fois plus sensibles aux risques de run (du fait de l’avantage au premier sortant qu’ils comportent) et plus susceptibles d’engendrer de fortes variations de prix, ce qui se produit naturellement lorsque ces fonds sont contraints de liquider leurs actifs à prix cassés (fire sales) ;
  • les marchés sur lesquels interviennent un petit nombre de fonds enregistrent également une plus forte volatilité, mais il semble que ce soit ici la taille des fonds qui importe plutôt que leur concentration ;
  • de façon peut-être contre-intuitive, la volatilité sur les marchés des titres à revenus fixes a une incidence plus forte que celle des marchés d’actions car ces titres sont utilisés comme collatéraux, ce qui conditionne la liquidité d’autres marchés. Des baisses de prix dans cette classe d’actifs peuvent donc se propager largement et de façon cumulative. C’est précisément ce que montre l’article de Manconi et al. (2012) qui analyse l’effet de la gestion d’actifs sur les prix des obligations d’entreprises. Il en ressort notamment que les titres dont les prix ont le plus chuté sont ceux qui étaient détenus par des fonds dont le portefeuille comprenait une plus grande quantité d’actifs de mauvaise qualité. Ce sont aussi les fonds dont les flux de dépôts étaient les plus volatils qui ont joué ce rôle d’amplification ;
  • enfin, il faut mentionner que les fonds sont connectés à un ensemble d’autres institutions financières, dont les banques, de sorte que les chocs qu’ils subissent peuvent se répercuter très largement dans l’ensemble du système financier.

Dès lors, contrairement à une idée à la mode, il n’est pas du tout certain que la désintermédiation bancaire, au profit d’une intermédiation de marché, soit favorable à la stabilité financière. Plus précisément, rien ne dit que la production de liquidité, qui reste l’une des fonctions essentielles de tout système financier, s’opère de façon plus sûre par les marchés plutôt que par les banques. À tout le moins, cette proposition mérite d'être sérieusement nuancée. Dans une contribution originale et très stimulante, Davanne (2015) s’efforce de montrer que, au contraire, la transformation de liquidité est sans doute mieux réalisée par les banques, du moins lorsque celles-ci financent par des ressources stables mais liquides (actions, obligations et particulièrement covered bonds, dépôts bénéficiant d’une assurance publique, etc.) des emplois peu ou pas liquides. En effet, certains fonds, et notamment des fonds monétaires, produisent de la liquidité ou plutôt l’illusion de la liquidité, en pratiquant une transformation de maturité : les parts sont disponibles à très court terme alors que les actifs sont investis dans des produits longs. En l’absence d’assurance, cela provoque plus sûrement des runs que dans un système bancaire correctement financé.

Par ailleurs, Davanne (2015) soutient que la désintermédiation, et tout particulièrement la titrisation, est sans doute pour une bonne part la conséquence de distorsions fiscales et réglementaires, en défaveur du secteur bancaire, plutôt que d’une recherche d’efficience. À l’évidence, le développement du shadow banking s’explique par l’incapacité et/ou l’aversion à réguler celui-ci efficacement, et avant tout à le définir et à l’analyser. L’inertie en ce domaine a de multiples causes, mais elle tient pour une bonne part à la difficulté de cerner les frontières de ce système bancaire « parallèle » ainsi que les problèmes qu’il soulève. Par exemple, Elliott (2014) fait remarquer que l’on ne sait pas si les gestionnaires d’actifs ont des comportements mimétiques significativement plus marqués que les investisseurs finals ou, du moins, on ne sait pas dans quelle mesure ils augmentent le phénomène et quels sont les types de fonds qui y contribuent le plus.

Dans ces conditions, il est bien difficile d’esquisser une vision cohérente de la régulation du secteur. Les propositions faites en ce domaine constituent plutôt un ensemble dispersé de solutions ponctuelles. On a suggéré notamment d’opérer une surveillance rigoureuse des risques pris par les fonds ou les sociétés de gestion considérées comme systémiques (la notion restant à définir précisément), d’aligner les conditions de retraits (de rachats des parts) avec les caractéristiques des actifs détenus, d’exclure toute clause de garantie de la valeur de liquidation, d’imposer des réserves d’actifs liquides, etc. Mais ces propositions n’ont guère été suivies d’effet jusqu’à présent. Qui plus est, il s’agit là de dispositions de nature microprudentielle, visant à renforcer la stabilité (surtout la position de liquidité) des institutions concernées. On ne traite donc pas directement de leur interdépendance. En d’autres termes, il ne s’agit pas de mesures macroprudentielles cherchant à maîtriser le risque systémique. Les instruments que l’on évoque aujourd’hui à propos du système bancaire (modulation des fonds propres, des haircuts ou des conditions de crédit, etc.) ne sont pas ici pertinents. Pour mieux faire, il conviendrait :

  • d’agir sur les benchmarks, les conditions de rémunération des gestionnaires de fonds et la gouvernance des sociétés de gestion ;
  • de réguler les conditions de sortie en fonction des conditions de marché ;
  • ou encore d’agir sur les structures de marchés de certains types d’actifs (titres publics notamment), qui jouent un rôle important dans la liquidité globale.

C’est là un point essentiel car si l’on ne trouve pas les solutions appropriées pour résoudre cette question de risque systémique, la politique monétaire s’en trouvera contrainte. Elle devra calibrer ses décisions en fonction des effets déséquilibrants de fonctionnement de ces marchés. Un bon exemple en a été offert par les turbulences de marchés qui se sont produites à l’été 2013 lorsque la Federal Reserve (Fed) américaine a annoncé qu’elle pourrait commencer à mettre un terme au quantitative easing. La volatilité des prix d’actifs, les réallocations de portefeuilles et les flux internationaux de capitaux que l’on a alors observés sont parfaitement conformes aux mécanismes précédemment évoqués. Cet épisode, qui pourrait bien préfigurer les mouvements qui suivront la remontée des taux d’intérêt américains, est décrit et théorisé dans une très intéressante contribution de Feroli et al. (2014).

Les auteurs soulignent, et c’est peut-être l’aspect le plus important de leur travail, que cette instabilité a une incidence cruciale sur la conception de la politique monétaire car elle peut remettre en cause le principe de séparation entre la fonction de régulation macroéconomique (soit la politique monétaire au sens strict) et la fonction de stabilisation financière (soit les politiques micro et macroprudentielles). Les banques centrales ne peuvent en effet ignorer l’impact de leurs décisions sur le niveau et la volatilité des primes de risque et de liquidité, dès lors que celles-ci ne peuvent être traitées par des instruments appropriés. Cela signifie que la politique monétaire, face à des crises conjoncturelles ou des stress de marché, devrait aussi prendre en compte les conséquences anticipées de l’interruption ou de l’inversion à venir des décisions qu’elles prennent aujourd’hui. On conviendra que c’est beaucoup leur demander.

Quelle régulation ?

Certaines avancées en matière de recherche sur l’industrie bancaire ont été ainsi réalisées depuis l’éclatement de la crise. Dans ce registre, il paraît impossible de clore un survey, aussi partiel soit-il, sans faire le point sur la réflexion en cours concernant la réglementation bancaire. Dans ce domaine aussi, les avancées sont incontestables. L’autorégulation par les banques ayant démontré son inefficacité, comme le remarque justement Blinder (2014), un nouveau cadre réglementaire est en train de se mettre en place sous nos yeux sans qu’il soit possible, à ce jour, de juger de sa pertinence et de son efficacité. Si l’on s’efforce de regrouper et d’analyser les principaux travaux de recherche récents consacrés à la régulation bancaire connue, il semble que celle-ci se soit organisée autour de six axes principaux :

  • (1) un effort pour mieux connaître le sujet lui-même. Relèvent de cet objectif aussi bien les stress tests que les « testaments » demandés aux banques, la création de chambres de compensation pour certains produits dérivés ou l’enregistrement des hedge funds ;
  • (2) la redéfinition de certaines règles du jeu. Ainsi en est-il, bien sûr, de Bâle III dans son ensemble, mais aussi des règles comptables au travers des discussions entre l’International Accounting Standards Board (IASB) européen et le Financial Accounting Standards Board (FASB) américain ;
  • (3) de manière plus directement opérationnelle, certaines interventions du régulateur ont eu pour objectif, au début de la crise notamment, de commencer par sauver les banques qui méritaient de l'être. Qu’il s’agisse du FTPR américain, de la nationalisation de certaines banques – celle-ci pouvant être partielle et temporaire – ou de la création de bad banks, l’objectif premier a été, dans ces cas, de « sauver les meubles » ;
  • (4) de manière plus pérenne, l’un des trois axes majeurs des réformes entreprises depuis l’éclatement de la crise concerne la limitation des risques. Compte tenu des risques insensés pris dans les années 2002-2007, il n’y avait que le choix sur les moyens à employer. En commençant par le plus évident, à savoir la limitation ou l’interdiction du trading pour compte propre et la réduction de l’effet de levier. En continuant par le débat sur la séparation entre banque de clientèle et banque d’affaires (c’est-à-dire principalement banque de marché). Retour sur le Glass-Steagall Act de 1933 et le Depository Institutions Deregulation and Monetary Control Act (DIDMCA) de 1999. Sur ce point, on ne peut que regretter que le débat ait été plus politique – voire politicien – que véritablement académique. Et en finissant par deux problématiques non épuisées à ce jour sur le retour de la titrisation et sur le traitement spécifique des banques too big too fail. À ce jour, sur ces deux thèmes, le conformisme semble l’emporter. La pensée « économiquement correcte » ne fait pas dans le détail : comme dans les années 2000-2007, la titrisation constitue, pour de nombreux auteurs et pour les régulateurs bancaires, le plus sûr moyen de « mutualiser » le risque – c’est-à-dire de le « refiler » comme une « patate chaude » – (Marques-Ibanez et al., 2014). Cette obsession des régulateurs bancaires nous paraît absurde. On se rappelle ce que cela a coûté aux États-Unis en 2007-2008. Et, plus important encore, on devrait réfléchir à deux fois avant de remettre en cause le modèle de financement de l’Union européenne, historiquement marqué par l’intermédiation bancaire qui, certes, a montré ses limites, mais qui a aussi témoigné de sa résilience face à la crise. L’autre problématique qui a été mise en avant depuis 2009 est celle du too big too fail. Sur ce point, le diagnostic est très largement partagé : au-delà d’une certaine taille, les banques participent à la montée du risque systémique (Quintana et al., 2014). Si le diagnostic est clairement posé, les solutions proposées diffèrent entre ceux qui prônent une régulation spécifique pour les SIFI (systemically important financial institutions) et ceux qui esquissent la piste d’une déconstruction de ces institutions (Liikanen, 2014) ;
  • (5) le deuxième grand axe de réformes prôné, depuis l’éclatement de la crise, est celui de renforcement des protections et des garde-fous. Relèvent d’une telle problématique, en premier lieu, le renforcement des fonds propres, mais aussi l’amélioration du système de garantie des dépôts, la mise en place de coefficient de liquidité visant à réduire le processus de transformation bancaire ainsi que la réduction de l’effet de levier d’endettement des banques ;
  • (6) troisième et dernier grand axe de réformes, celui de la régulation des régulateurs. Pour disposer de règles plus claires et mieux appliquées, il convient de renforcer le pouvoir et la transparence des autorités qui participent de près ou de loin à la régulation du système financier. C’est ce principe qui a guidé la mise en œuvre de l’Union bancaire européenne, tant attendue et si longtemps repoussée. Mais c’est ce principe aussi qui a présidé aux timides réformes visant à rendre les agences de notation plus efficaces et surtout plus transparentes.

On glose et l’on glosera sur l’amplitude et l’efficacité des réformes mises en œuvre depuis l’éclatement de la crise. Nul ne peut nier l’activisme des autorités de régulation bancaire. Reste à savoir, comme s’interrogent Jokivuolle et Vilmunen (2014) dans un excellent ouvrage collectif de la Suerf, si celui-ci est suffisant face à des comportements bancaires qui, pour certains, depuis peu, rappellent de bien mauvais souvenirs ou si, au contraire, il ne pénalise pas, via l’accumulation de réglementations de plus en plus contraignantes, le financement de l’économie, en Europe continentale notamment. Le débat reste ouvert.

Pistes de recherche

Jamais le débat sur l’équilibre à faire vivre entre efficacité et sécurité du système bancaire n’a été plus nécessaire. Dans ce domaine, si de nombreuses recherches ont été commencées depuis le tournant des années 2010, de nombreuses autres restent encore à amplifier voire, plus urgemment, à initier. Dans le droit fil des réflexions lumineuses de Bhattacharya et Thakor (1993), il nous semble que, sur ce point, six pistes de recherche se devraient d'être priorisées.

Première piste, une réflexion doit être menée sur l’information disponible pour la recherche sur les activités bancaires elles-mêmes. Si l’on peut de bon droit s’interroger sur l’utilité de certaines informations collectées par les autorités de régulation bancaire, compte tenu des très profondes mutations qu’a connues cette industrie, on peut aussi regretter que l’information microéconomique concernant ces agents occupant une place majeure dans la dynamique économique soit distillée avec une telle parcimonie. Un débat sur ce sujet mettant face à face le monde de la recherche, celui de la régulation et la profession elle-même s’avère aujourd’hui plus indispensable que jamais.

Deuxième piste, une meilleure compréhension de la dynamique des marchés financiers s’avère nécessaire compte tenu de l’importance, mais plus encore de la sophistication croissante, de ceux-ci.

Troisième piste, un effort tout particulier devrait être consenti pour améliorer la connaissance – et donc la possible régulation – du shadow banking dont l’hétérogénéité rend le contrôle particulièrement malaisé.

Plus généralement – quatrième piste, particulièrement large –, la réflexion sur les risques bancaires se doit d'être amplifiée. Il n’est pas sûr que l’on ait même dénombré l’ensemble des risques qui découlent de la transformation – permanente – de l’activité bancaire. Mais il est certain que, même pour les risques clairement identifiés, l’analyse des implications de ceux-ci en matière de sécurité du système financier pourrait et devrait être affinée.

Une cinquième et une sixième pistes, d’une importance peut-être moins grande que celle des précédentes, mériteraient aussi de retenir toute l’attention de la communauté scientifique. Il s’agit de l’analyse comparée des systèmes bancaires – à chaque industrie bancaire sa dynamique et donc la nécessaire spécificité de sa régulation – et du débat sur le protectionnisme et la concurrence réglementaire qui pollue de nombreuses discussions visant à définir une régulation bancaire plus globale et plus équitable.

Ces six axes de recherche ne sont pas exclusifs d’autres travaux. Ceux-ci nous semblent toutefois relever d’une priorité de second rang. Commençons déjà à creuser les sillons que nous avons ici tracés. Cela constitue une œuvre d’intérêt public et permettra, dans quelques années, nous l’espérons, de consacrer, dans la Revue d’economie financière, un nouveau survey passionnant à l’économie bancaire.


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