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 Introduction


Jean-Paul BETBÈZE Président, Betbèze Conseil ; ancien chef économiste, Crédit agricole SA. Contact : jpb@betbezeconseil.com.
Carlos PARDO Économiste ; directeur de la stratégie, Vestathena. Contact : carlos.pardo@vestathena.com.

L’industrie financière est en profond changement, d’ici peu elle sera méconnaissable. Ce numéro entend donner divers éclairages sur les forces qui, aujourd’hui, la taraudent pour certaines, la feront revivre pour d’autres.

D’abord, la croissance ne devrait plus être la même. Dans le pire des cas, elle devrait être plus faible pendant de longues années, avec moins d’inflation et des taux plus bas, un taux de chômage plus élevé aussi en Europe. Ensuite, cet environnement plus difficile est celui de l’après-crise, une période que les régulateurs entendent consolider dans la durée, en limitant les possibilités de transformation des banques, leurs prises de risque, en leur demandant de détenir plus de liquidités et de fonds propres, en les surveillant plus et en leur demandant aussi de préparer leur « testament » en cas de difficulté majeure. Avec les différents tests qu’elles ont subis, les banques ont ainsi transféré au régulateur nombre de données sur leurs logiques, leurs points forts et faibles, leurs secrets parfois : elles sont en principe devenues plus transparentes. Bien que n’étant pas directement à l’origine de la crise de 2007, la vague de répression financière s’étend jusqu’aux sociétés d’assurances, qui voient fortement limitées leurs possibilités d’investir en actions et autres titres longs, et aux sociétés de gestion, dont une partie des activités sont pointées du doigt car elles sont accusées de relever du shadow banking, et ce, alors même qu’elles contribuent puissamment au financement de l’économie. En troisième lieu, la technologie devient omniprésente, dans tous les secteurs de la finance et chez les nouveaux entrants qui veulent les déloger de telle ou telle activité, chez les clients aussi et peut-être plus encore, entreprises de toutes tailles, clients moins jeunes et jeunes. La capacité à récupérer et traiter mieux et moins cher l’information devient ainsi décisive, avec les coûts et les risques que cela implique, causes de l’incertitude dans laquelle avancent les professions financières et des concentrations qu’elles connaissent, y compris jusqu’à leur périphérie. Les nouveaux entrants, plus encore, risquent et changent.

Compte tenu de tous ces changements et mutations en cours et en devenir, affectant tous les acteurs de la sphère financière, on assiste à l’émergence et/ou à la consolidation d’un nouveau paradigme consistant à renforcer les canaux de financement direct des agents économiques, privés et publics.

Tout cela dans un contexte qui peut paraître paradoxal, mais qui découle en fait d’un cycle long de croissance forte et qui recèle ainsi un formidable potentiel de développement au gré des innovations. On observe en effet, d’une part, une très forte demande de capitaux pour financer les besoins d’une croissance qui tarde à venir et, d’autre part, du fait de l’accumulation imposante de patrimoines par les ménages au cours de ces dernières décennies, une offre abondante de capitaux à gérer. C’est ce qui explique la concurrence farouche que se livrent les différents acteurs de la finance, anciens et nouveaux entrants.

Quatre parties composent ce numéro.

La première partie de ces mutations de l’industrie financière européenne fait intervenir les nouveaux acteurs de cette activité, liés au digital, les FinTech, à côté des anciens, ainsi que la façon dont les banques tentent de s’adapter aux nouveaux comportements de leurs clients dans la banque de détail et la banque de gros, avec enfin le poids croissant des régulateurs. Dans tous les cas, on verra que l’investissement en capital humain est décisif.

Pour Hubert de Vauplane, la révolution digitale touche plus la finance que les autres industries, parce qu’elle est par excellence le domaine du chiffre, et affecte tous ses métiers, banque et non-banque. Elle en change non seulement les canaux de production et de distribution, mais aussi plus profondément les comportements des clients, des entreprises ou des particuliers. Les FinTech se développent ainsi, avec comme logique la désintermédiation des activités bancaires et de placement traditionnelles, tandis que les règles deviennent plus précises et étroites, les limitant et renchérissant leur fonctionnement. Dans ce contexte, les banques sont évidemment appelées à changer, surtout dans leurs immobilisations (les réseaux), au moment même où elles doivent revoir leurs gammes pour les particuliers et leurs produits pour les entreprises, avec ces taux si bas, ce qui implique plus de formation que jamais. Selon l’auteur, et cela est une thèse centrale que l’on trouvera dans la suite, la banque telle qu’on la connaît va changer, mais pas son esprit. Pour réussir, autrement dit bien faire son métier, il lui faut mieux que jamais étudier les propensions à consommer et investir de ses clients, juger et jauger leur goût du risque et leur capacité à l’endosser.

C’est alors que Julien Fontaine intervient pour reconnaître, en expert de la stratégie, que depuis 2007, les banques « planifient dans le brouillard ». Le cadrage macroéconomique est difficilement prévisible, tant en ce qui concerne les croissances que les taux d’intérêt ou de change. Dans ce contexte, les cadrages prévisionnels ont été mis à mal, d’autant plus que les règles – qui demandent de voir plus loin tant elles sont plus exigeantes en fonds propres et en liquidités – sont souvent imprécises et changeantes (même si elles sont toujours plus exigeantes). Et pourtant, il a bien fallu avancer et c’est le choix des banques de prendre à bras-le-corps ces difficultés pour se donner des objectifs et créer ainsi, en bonne part, leur propre devenir. Mais ce devenir intègre nécessairement nombre d’incertitudes, d’où l’idée de se recentrer, de renforcer les bases locales avant de s’étendre de nouveau. Cette phase de recentrage/préparation de l’extension implique de mieux intégrer divers paramètres d’incertitude et de mieux connaître les lieux de création de valeur. Même si la chose peut paraître paradoxale, intégrer les plans de résolution et de redressement des banques participe aussi d’une « école du pire », qui est aussi celle du plus solide. Après la planification dans le brouillard, puis le recentrage, le nouveau départ implique donc une situation et des règles plus prévisibles, sachant que les techniques de planification, quant à elles, se sont préparées à mieux maîtriser l’incertain, dont celui qui demeurera : les comportements des clients dans le digital.

Jean-Christophe Mieszala poursuit dans cette démarche en l’appliquant à la banque de financement et d’investissement (BFI). C’est ainsi que, selon lui, s’ouvrent de nouveaux champs qui vont mêler plus étroitement le physique et le virtuel pour proposer des produits épousant plus nettement la dynamique économique et financière de l’entreprise, notamment ses moments de choix, en étant le plus proche possible du temps réel. Il ne s’agit plus en fait de réactivité, mais d’une nouvelle interactivité. Elle implique des formes nouvelles de travail collaboratif pour mieux explorer les données et aller au-devant non « des problèmes », car ils ne sont pas perçus ainsi, mais des choix à offrir. Les FinTech apparaissent alors, ces concurrents digitalisés et spécialisés qui ont leur domaine d’expertise. Celui-ci est toujours très limité au départ, mais appelé à s’étendre en cas de succès. Et c’est là qu’il faut être vigilant pour savoir ce qui se passe et suivre par l’attraction et la formation permanentes des talents, tout en choisissant de plus en plus nettement ses terrains d’activité qui doivent être d’excellence.

Guillaume Plantin, dans ce contexte, se demande si toutes ces évolutions, pour une part liées à la crise pour éviter qu’elle ne se reproduise, vont conduire à des situations plus sûres ou moins sûres avec la mise en application des nouvelles contraintes réglementaires. Cruel paradoxe, décrit par les articles précédents, où les banques et les agents financiers corrigent et se corrigent, relèvent des défis et suivent les nouvelles règles, avec le risque que – peut-être – ces règles ont des limites ou pire des effets pervers. Les modèles de gestion de risque peuvent ainsi induire une procyclicité importante, alors que l’inverse est recherché. L’auteur propose alors soit de revenir à des règles plus simples, mais cela facilite (on l’a bien vu) l’arbitrage réglementaire, soit de mieux former encore les régulateurs. Le capital humain, là encore.

La deuxième partie traite des nouveaux paramètres de l’industrie bancaire qui éclairent certaines évolutions et changements qui se présentent. Jean-Baptiste Bellon et Georges Pauget décrivent ainsi comment face à la fois au choc concurrentiel des banques asiatiques et chinoises, au choc réglementaire et au choc technologique, rien n’est écrit, sauf une pression sur les coûts, entre « banques à dominante détail », « banques à métiers globaux » et « banques entre ces deux modèles », sachant que la gestion d’actifs se développe et que le corporate banking peut surtout s’étendre dans les pays émergents. Ajoutons que l’on ne voit pas encore les effets des règles visant à réduire le processus de transformation (avec le net stable funding ratio), ni de celles qui vont augmenter encore les fonds propres entre 16 % et 20 % des actifs pondérés (total loss absorbency capacity ratio). Au total, dans un monde plus complexe et moins lisible, aux conditions de financement plus floues, les banques vont devoir davantage choisir.

Mais pour choisir, il faut mieux savoir, nous dit Pierre Metge. Le big data fait baisser les coûts dans la durée, permettant de traiter plus de données, de les traiter mieux et plus vite. Il va certes permettre d’optimiser les modèles qui existent, mais aussi à certains opérateurs de s’insérer dans les chaînes de valeur… en attendant les nouveaux venus. Le nouveau traitement des données va permettre aux banques de mieux exploiter les données dont elles disposent, de mieux cerner les comportements et les risques, de mieux prévoir aussi. Cela implique des investissements en équipements, en logiciels et en experts. Mais viennent aussi de plus en plus de risques : risque de mauvais investissements, risque d’image et de réputation, risque juridique par rapport aux pouvoirs publics et, peut-être surtout, risque de ne pas oser trancher, autrement dit de ne pas assez faire, ce qui veut dire ne pas assez défaire des pans de l’existant.

Nicolas Lesur illustre, avec le crowdfunding, ce qui est en train de se passer. 152 M€ collectés en 2014 auprès des internautes français, on peut toujours dire que ce n’est rien comparé aux 4 000 Md€ d’épargne financière des ménages français ou aux 800 Md€ de crédits bancaires aux entreprises non financières françaises. Sauf que ce montant a doublé entre 2012 et 2013, puis encore entre 2013 et 2014. Les forces qui poussent au crowdfunding (au sens large) sont en effet nombreuses. C’est l’idée des politiques et des banques centrales de rééquilibrer le financement des entreprises entre finance indirecte et directe. C’est celle de réduire les coûts de transaction en bénéficiant des nouvelles technologies et des économies d’échelle qu’elles permettent. C’est la perspective de financer au plus près des demandes, souvent petites et qui ne peuvent attendre pour des signatures, parfois fragiles, en tout cas difficiles à évaluer, notamment dans un contexte de taux bas qui va durer. Et, du côté des placeurs, c’est la possibilité d’investir dans des placements multiples, fractionnés et au fond assez rentables (avant risques). Le crowdfunding « désintermédie » et « détransforme » à la fois le financement de l’économie. Il y a donc lieu de le suivre et de le surveiller pour des raisons de risque bien sûr, mais aussi pour s’inspirer de sa logique et de ses moyens.

On s’en doute, ce qui se passe hors de la zone euro est très important pour éclairer les futurs qui s’ouvrent. Vincent Jamet et Alexandre-Philippe Vinel éclairent ce qui se passe aux États-Unis dans la banque de détail, à la fois pour les particuliers et les PME. La première force en jeu est bien sûr la régulation. Elle surveille plus, demande plus de liquidités et de fonds propres, et protège davantage le consommateur. La deuxième force est la technologie, mais pas seulement, ni même principalement, de la part des banques comme « offreurs », mais des clients, ces « demandeurs », qui consultent, comparent, changent et poussent aux changements, tandis que les populations non bancarisées vont accéder aussi à des services bancaires. Cela conduit, pour les auteurs, à un système bancaire à deux vitesses : celui des villes et des populations aisées et celui des activités de proximité pour des populations plus modestes, les deux systèmes se concentrant. En même temps, face aux nouveaux entrants, les banques vont vers des logiques alternatives en finançant les FinTech, tandis que certaines logiques alternatives au départ se bancarisent.

Plus près de nous, Patrick Foley nous prévient : le système bancaire anglais va davantage changer dans les dix ans qui viennent que dans les deux cents années qui ont précédé. Le poids de la crise, notamment les pertes qui ont été subies par les grandes banques britanniques et la forte intervention de l’État, ajoutées aux nouvelles régulations, à l’érosion de la confiance des clients, tout cela pousse à changer. Surtout, dans le même temps, les clients changent, passant des crédits aux placements, avec l’âge, utilisant plus et mieux les nouvelles technologies, et ce n’est pas seulement le cas des jeunes. Ces technologies génériques, comme l’électricité en son temps, vont profondément modifier l’industrie dans la durée, avec des baisses des coûts d’entrée. Dans un monde devenu plus compétitif, le taux de rentabilité moyen va baisser, n’offrant plus de profitabilité qu’à ceux qui auront su profiter de ces nouvelles technologies.

Dans la troisième partie, dédiée au rôle renouvelé de la gestion d’actifs, trois articles abordent le problème de l’investissement et du financement des économies dans un contexte de taux pour le moins difficile. Ils montrent surtout que la montée en puissance de la gestion et l’introduction de nouveaux véhicules d’épargne répondant aux besoins de financement des entreprises sont et seront d’autant plus utiles que les effets de la crise et des nouvelles réglementations (Solvabilité II et Bâle III en particulier) ont pour effet de diminuer l’appétit des investisseurs institutionnels pour les actions et pèsent déjà sur l’offre de crédit bancaire.

Pour Carlos Pardo et Thomas Valli, en présence de besoins de financement croissants, les pays de la zone euro sont – et seront de plus en plus – confrontés à un double défi : d’une part, à la réallocation des placements à l’intérieur des patrimoines existants, aujourd’hui trop liquides et peu rémunérés, en faveur des actions et des titres longs en général, et, d’autre part, à la création de véritables véhicules d’épargne longs, plus particulièrement des fonds de pension (Ô sacrilège !) qui, outre compléter les ressources de retraite, sont susceptibles de diversifier et renforcer la base de capital de leurs économies, aujourd’hui en « déficit » à hauteur d’un PIB. Cette étude montre in fine que l’existence d’une industrie domestique de la gestion puissante, en l’occurrence européenne, est un élément stratégique de souveraineté. Elle devrait favoriser entre autres la mobilité des placements de ses clients, investisseurs finals européens et internationaux, vers le financement stable de cette « économie locale élargie ». Les biais domestiques que les auteurs constatent s’avèrent être dans le temps un facteur positif de stabilité économique et une source d’emplois, difficilement attribuables aux investisseurs non résidents.

Christophe Bavière tire la sonnette d’alarme concernant la faiblesse relative des ressources disponibles pour financer les entreprises innovantes, et ce, alors même que l’investissement productif des PME-ETI (entreprises de taille intermédiaire) peine à repartir en Europe. Les levées de capitaux de ces dernières années s’avèrent insuffisantes par rapport à celles d’autres pays en pointe dans ce domaine, tels que les États-Unis. Pour lui, la situation européenne a besoin d’une thérapie de choc, car en dépit des initiatives en cours – création d’un statut de fonds de capital-risque européen (EuVECA), de fonds européens d’investissement de long terme (ELTIF), crowdfunding, etc. –, les montants collectés ces dernières années sont insuffisants pour financer les entreprises innovantes. S’il évalue positivement le projet de création d’une union des marchés des capitaux, il met en évidence le retrait progressif des banques et des sociétés d’assurances de ce marché en raison notamment de contraintes réglementaires (Bâle III et Solvency II), qui rendent dans les faits quasiment impossibles leurs investissements indirects dans les entreprises non cotées et donc dans le capital-risque. Selon l’auteur, un paradoxe caractérise la situation de l’innovation en Europe : de réels besoins reconnus, mais avec un déficit chronique de moyens.

Philippe Weber passe en revue et met en perspective les politiques exceptionnelles des banques centrales (expansion quantitative par achat de titres et guidage prospectif) qui, selon lui, ont eu pour effet, du moins dans la conjoncture actuelle, de tirer vers le bas l’ensemble des rendements obligataires au point que certains taux sont revenus proches de zéro, voire négatifs. Outre la compression des marges, cet environnement postcrise rend plus risquées et complexes les gestions obligataire et monétaire. À la recherche de rendements, les gérants, sous la pression pas toujours avouée des investisseurs, notamment institutionnels, sont obligés de prendre davantage de risques : titres plus longs, émetteurs moins bien notés, titres moins liquides, ou diversification vers les actions ou les actifs réels. Dans ce contexte difficile, avec toutefois des signes allant dans le sens d’une reprise économique, qui devrait permettre de conjuguer remontée des taux et poursuite de la hausse des actions, l’auteur recommande de la patience.

Avec pour pivot la révolution numérique, la notion d’assurabilité et la gestion des risques nouvelle génération sont au centre des trois articles de la quatrième et dernière partie. Sont posées ici la question des frontières futures de l’activité des sociétés d’assurances par rapport à son périmètre actuel ainsi que celle de la redéfinition de leurs stratégies impactées également par les nouvelles réglementations.

Avec une approche très originale, l’article de François-Xavier Albouy explique pourquoi et comment il faudrait réinventer l’assurance. Pour cela il rappelle qu’à l’origine, l’assurance est une technique sociale dont l’objet premier est la réduction de la pauvreté et de la précarité. Avec conviction, il explique qu’une transformation dans ce sens pourrait être l’occasion de généraliser et pérenniser le système et de lui donner plus d’efficacité et de capacité d’évolution. Pour lui, les décennies à venir seront décisives. Les pays à forte croissance sont au sud, ce sont justement ceux dont il faudrait intégrer les populations à démographie dynamique en vue d’élargir les bases de l’assurabilité au niveau planétaire. Dans ce processus de développement de ce que l’auteur appelle « assurance inclusive », les technologies de l’information devraient permettre de s’affranchir de beaucoup de contraintes administratives et de gestion actuellement en vigueur. Au nord, dont la France, il faudrait imposer une règle simple consistant à limiter l’intervention de la protection sociale aux risques systémiques et à mettre en avant les opérateurs de marché pour la gestion des risques accidentels. Cette règle simple se heurte selon lui à deux obstacles : (1) la protection sociale se vit en France et dans les pays développés, en général, comme un système d’assurance, et (2) la perte de crédibilité des opérateurs d’assurance après la crise.

Avec en toile de fond la révolution numérique, tout en analysant le rôle positif d’un surplus d’informations en matière d’assurabilité des risques, et plus généralement de l’allocation des risques dans l’économie, Christian Gollier montre que l’amélioration de la quantité et de la qualité de l’information disponible peut avoir un double effet, plutôt ambigu, sur l’efficacité du partage des risques. En effet, si l’on peut espérer selon cet auteur que la révolution numérique renforce l’assurance par de multiples canaux vertueux (réduction des coûts de marketing et de gestion de sinistres, des problèmes d’antisélection et de risque moral, des difficultés à établir les probabilités), on peut de même craindre que le surplus d’informations et encore plus leur spécificité ne viennent éroder la capacité de mutualisation de l’assurance, en transformant le risque en inégalités. L’une des solutions serait alors une globalisation des produits proposés permettant de préserver la notion de mutualisation.

Michel Dacorogna analyse les changements de fond induits dans l’industrie de l’assurance par l’avènement des nouvelles réglementations basées sur le risque comme Solvency II et le SST (Swiss Solvency Test) en Suisse. Le passage d’une gestion des flux à une gestion intégrée des risques est décrit et discuté à travers la gestion du capital, la valorisation économique et le développement de modèles internes. Il discute les limites et les difficultés de cette approche, ainsi que les adaptations que ce changement implique pour l’organisation des sociétés d’assurances, et notamment le « nouveau » rôle à assumer par les actuaires, qui d’experts dans un domaine technique plutôt étroit deviennent des parties prenantes au niveau des directions générales s’agissant de piloter la gestion des risques et du capital. La mise en relation du rendement et des risques encourus devient désormais un élément central non seulement de la gestion des produits, mais aussi, et surtout, de la stratégie des sociétés d’assurances elles-mêmes. De par la nature même des modèles utilisés, leur approche est profondément bouleversée, avec une vision bien plus probabiliste que dans le passé proche.

Pour conclure, l’industrie bancaire, les sociétés d’assurances, les sociétés de gestion et les professions financières d’une manière générale doivent faire face à de profonds changements, non seulement du fait de la crise, notamment dans les régulations, mais aussi pour s’intégrer au nouveau paysage économique, technologique et social qui s’ouvre. Il ne s’agit évidemment pas ici de prédire ce qui peut se passer, mais de s’ouvrir à ces changements, de s’équiper pour les comprendre, en talents notamment, et d’oser choisir.