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 Enjeux et débats des politiques du logement en France


Jean-Claude DRIANT École d’urbanisme de Paris, Lab’Urba, université Paris Est. Contact : driant@u-pec.fr.
Souvent accusées d’avoir échoué à répondre à tous les besoins, les politiques du logement en France sont d’une grande complexité, sous l’effet conjugué de la diversité de leurs objectifs (économiques, sociaux et urbains) et de la multiplicité des acteurs en charge de leur conception et de leur mise en œuvre. Cet empilement de légitimités nationales et locales génère à la fois de multiples contradictions et une faible lisibilité des résultats obtenus.Il est toutefois possible d’identifier au moins quatre thèmes de débats nationaux sur les politiques du logement que l’on peut éclairer par quelques regards sur les situations et les politiques des pays de l’Union européenne. Peut-on, par exemple, discuter la pertinence de l’objectif maintes fois rappelé de construire 500 000 logements neufs par an en France ? Qu’attend-on d’une France de propriétaires et s’agit-il vraiment, dans notre pays, d’une priorité absolue ? Pourquoi et comment réguler les marchés du secteur locatif privé ? Le logement social devrait-il être réservé aux plus pauvres ?

Il y a vingt-trois ans, Bruno Lefebvre, Michel Mouillart et Sylvie Occhipinti publièrent un ouvrage qui fit date sous le titre Politique du logement. 50 ans pour un échec (Lefebvre et al., 1991). Ils y soulignaient avec force l’incapacité française à sortir durablement d’une situation de crise. En 2014, le constat a-t-il changé ? Le rapport de la Fondation Abbé Pierre rappelle, année après année, que le « mal-logement » persiste dans notre pays à un niveau élevé et que la conjonction de la hausse des prix immobiliers avec la fragilité de leur situation économique accentue les difficultés d’un nombre croissant de personnes à adapter leur situation de logement. Pourtant, au niveau national, la plupart des indicateurs sur la situation du logement en France indiquent plutôt une pente d’amélioration : quasi-disparition des logements sans confort sanitaire (1,3 % en 2006, près de 50 % en 1970)1, surface par personne en hausse constante (40 m2 en 2006, 22 m2 en 1970), degré élevé de satisfaction (82 % de ménages satisfaits ou très satisfaits de leurs conditions de logement, 60 % en 1970). Sans doute cet écart entre deux diagnostics doit-il beaucoup à la différence entre un bilan globalement satisfaisant sur le stock des situations de logement et les obstacles que peuvent rencontrer les personnes lorsqu’elles doivent en changer. Sans doute ces constats doivent-ils également être nuancés selon la géographie des marchés du logement marquée, depuis le début du siècle, par le très fort creusement des écarts entre les situations tendues et les villes où les prix restent abordables. Toujours est-il que le vocable de « crise du logement » reste très présent dans le discours politique, qu’il sert à justifier d’ambitieux objectifs de construction et qu’il entretient la persistance d’un constat d’échec de l’action publique.

Cet article vise à proposer des pistes de réflexion en la matière à partir de deux questions complémentaires. Dans un premier temps, nous traiterons des enjeux et des objectifs poursuivis par les politiques du logement. Si l’on parle d’échec, il faut en effet en préciser le cadre de référence. Nous verrons qu’il est plus complexe que ne le laissent penser beaucoup d’analyses, ce qui renverra à une interrogation sur la nature des responsabilités politiques qui sont en jeu derrière l’illusion unitaire du terme de « politique du logement » lorsqu’il est énoncé au singulier. Ces éléments étant posés, nous pourrons, dans un second temps, situer certains grands débats qui traversent les politiques françaises du logement sur la construction, la propriété, la régulation des marchés ou le rôle du logement social, et en éclairer les termes par quelques expériences glanées chez nos voisins européens.

Enjeux et acteurs des politiques du logement

Il devrait être d’usage d’employer le pluriel pour évoquer les politiques du logement. En effet, outre la multiplicité des situations locales, ces politiques répondent à une vaste gamme d’enjeux, parfois contradictoires, qui renvoient à des moyens et des responsabilités très différenciés.

Le poids des enjeux économiques

Au premier rang de ces enjeux, le pilotage de l’économie nationale. Le secteur du bâtiment – 1,47 million d’actifs (FFB, 2013), 355 000 entreprises artisanales de moins de dix salariés2 (CAPEB, 2014), et dont 61 % du chiffre d’affaires provient du logement (FFB, 2013) – représente un domaine d’activité stratégique. Doté d’un très faible risque de délocalisation, il joue un rôle clé pour les politiques de l’emploi et la collecte des cotisations sociales.

Le secteur du logement constitue également une assiette fiscale de première grandeur pour tous les niveaux de responsabilité politique. Les prélèvements associés au logement ont représenté en 2012 un total de 60,5 Md€, dont 23,2 Md€ de TVA sur les ventes de logements neufs, 18,9 Md€ de taxes foncières et 9,2 Md€ de droits de mutation3, soulignant ainsi l’importance de l’activité du secteur pour l’équilibre des comptes nationaux.

Enfin, le logement, premier poste de dépense des ménages, est un facteur clé de toute politique axée sur le pouvoir d’achat et visant à influencer les arbitrages entre épargne et consommation, notamment dans la perspective de la retraite.

C’est ainsi qu’en période de crise, il est tentant d’utiliser le logement tantôt pour relancer l’activité, tantôt pour dégager des recettes fiscales ou maîtriser la dépense publique. C’est à cette aune que l’on peut lire nombre de mesures prises dans le secteur au niveau national, particulièrement depuis la fin de 2008, et dont on n’est pas surpris de constater que, pour la plupart, elles se sont exprimées dans des lois de finances initiales ou rectificatives.

On est loin ici des considérations exprimées en termes de besoins en logements, mais aussi d’initiatives sectorielles. Nous sommes dans l’univers des ministères de l’Économie et des Finances et il serait fort utile d’analyser sous cet angle la part des 42 Md€ de dépenses publiques4 affichées comme bénéficiant au logement, mais dont l’usage est en réalité destiné au pilotage macroéconomique du pays.

Une entrée sectorielle : la multiplicité des enjeux sociaux des politiques du logement

Outre son poids économique, le logement est un élément fondamental de la cohésion sociale. En effet, une part des politiques appliquées au secteur repose sur le fait que nous considérons que notre société ne peut fonctionner harmonieusement que si tous ses membres bénéficient de conditions d’habitation acceptables. En découlent la notion de « besoin » et, fait unique s’agissant d’un bien essentiellement marchand, le « droit au logement » instauré par la loi du 6 juillet 1989. Constamment renforcé depuis, ce dernier ne peut toutefois pas rivaliser avec d’autres droits couverts par l’action publique tels que le droit à l’éducation ou à la santé. C’est sur cette base que se construisent des édifices politiques complexes qui allient de grands principes et objectifs énoncés au niveau national à des politiques nécessairement territoriales pour s’adapter à l’extrême diversité des configurations locales.

Ce vaste champ recouvre donc une diversité de référentiels et de compétences formelles, depuis l’action sociale jusqu’à la planification spatiale, de la lutte contre le mal-logement à la réponse aux aspirations à la propriété et à la maison individuelle. C’est cette diversité qui permet de comprendre une part de ce que beaucoup analysent à l’aune du « millefeuille » des responsabilités publiques et des opérateurs impliqués dans ces politiques.

C’est ainsi, par exemple, que la montée des enjeux purement sociaux liés au mal-logement et au lien entre les mécanismes d’exclusion et l’accès à l’habitat a naturellement renforcé la position des départements qui s’étaient vus confier le bloc de compétences de l’action sociale lors de la première vague de décentralisations de 1982-1983. C’est également dans ce cadre que s’est considérablement développée l’action du secteur associatif chargé de remédier, pour les personnes les plus en difficulté, aux lacunes des modes traditionnels d’accès au logement de droit commun.

Dans le même temps, la dimension locale des problématiques nécessite une analyse des situations territoriales, de l’aptitude, ou non, des mécanismes marchands à répondre aux besoins et aux aspirations des ménages et de la programmation des actions de construction ou d’amélioration du parc. Même si les enjeux sont sociaux, il ne s’agit plus là d’action sociale, mais de planification et de stratégies territoriales généralement centrées sur les villes. La montée de l’échelle intercommunale depuis la fin des années 1990 fournit à la formulation de ces problématiques un niveau de responsabilité de plus en plus souvent considéré comme « chef de file » des politiques locales de l’habitat, notamment à travers les outils d’action que sont le programme local de l’habitat (PLH) et la délégation des aides à la pierre. Le renforcement des métropoles avec la loi du 27 janvier 20145 va dans le sens de ce processus qui reste inachevé.

Car l’État n’est lui-même pas absent des responsabilités sociales associées au logement. C’est d’ailleurs ce rôle qui justifie l’existence récurrente d’une fonction ministérielle propre à ce secteur6 qui reste la principale garante de la mise en œuvre du droit au logement, mais aussi de l’universalité de la réglementation du secteur, de la tutelle du logement social et de la mise en place des principales lignes de financement de ces politiques. De fait, et malgré ce qui précède, cette emprise de l’État et de ses agences, telles que l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), dessine un paysage dont le degré de décentralisation reste faible.

Du logement à l’habitat : matière première de toutes les dimensions du fait urbain

Le logement contribue de façon déterminante aux contours de l’espace bâti, aux paysages de nos villes et de leurs périphéries ; il en est aussi la base sociale et le point d’ancrage de la plupart des mobilités. C’est cette extension des enjeux qui se focalisent sur l’objet logement qui justifie que l’on ait recours au terme d’habitat. Elle prend forme dans des objectifs de politiques publiques et des référentiels qui dépassent les approches sectorielles, mais utilisent le logement comme principal outil pour les traiter. La mixité sociale, la politique de la ville, le renouvellement urbain, la revitalisation des centres, la maîtrise de l’urbanisation, le développement rural, la qualité du cadre de vie constituent la dimension urbaine de ces politiques.

Là encore, sous l’égide de grands principes ou de politiques nationales visant généralement à assurer la cohésion et la solidarité des territoires7 et avec l’appui d’administrations et d’agences (Agence nationale pour la rénovation urbaine – ANRU –, Commissariat général à l’égalité des territoires – CGET), c’est aux acteurs locaux, les agglomérations et les communes, mais aussi les départements et parfois les régions, de piloter ces volets de l’action publique territoriale.

En la matière, le partage des rôles entre communes et agglomérations reste un chantier important. Le débat récurrent sur le passage à l’échelle intercommunale de l’élaboration et de l’approbation des plans locaux d’urbanisme (PLU) en fournit une bonne illustration. Après que plusieurs projets de loi ont tenté de l’imposer au nom de la mise en cohérence des politiques urbaines8 en matière de construction de logements, les parlementaires ont trouvé systématiquement les moyens de s’y opposer, soit en supprimant la mesure, soit en l’assortissant d’une minorité de blocage qui la rendra largement inefficace9. Le droit du sol et ses conséquences en matière de délivrance des permis de construire restent une prérogative des maires. L’évolution de la doctrine de l’ANRU fournit un autre exemple de ces ambiguïtés. Alors que les intercommunalités étaient placées au premier rang des politiques de l’habitat par la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU)10, puis avec la mise en œuvre de la délégation des aides à la pierre11, la politique de rénovation urbaine mise en place à partir de 2003 repose sur un appel à projets locaux principalement tourné vers les communes. C’est l’initiative en la matière de quelques agglomérations phares qui fera progressivement glisser le regard de l’ANRU vers les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) comme interlocuteurs.

Le lien entre la question du logement et la constitution du tissu social des territoires a pour conséquence la forte sensibilité des élus locaux à ces politiques, tant en matière de structuration de l’offre que de gestion du peuplement. L’imposition depuis 1991 d’un taux minimum de logements sociaux dans les communes urbaines12, passé à 25 % depuis la loi du 18 janvier 2013, illustre cette sensibilité et montre la méfiance qu’éprouve l’État à l’égard de la bonne volonté des communes aisées à accepter la mixité sociale, même si les politiques de production sont pilotées à une échelle intercommunale censée favoriser la solidarité. La gestion du peuplement du logement social via les procédures d’attribution, mais aussi la tutelle exercée par les villes sur les organismes publics d’HLM, est un autre enjeu de taille où les marges de manœuvre des bailleurs sociaux sont limitées par la teneur de la demande et la faiblesse des flux de libération des logements. Dans ce domaine, les communes restent, dans la plupart des cas, en première ligne au nom de la préservation de ce qu’elles estiment être leurs « équilibres de peuplement », parfois au détriment de la satisfaction des besoins en logements.

Contradictions à tous les étages

La compréhension de la diversité des enjeux poursuivis par les politiques du logement aide à lire la complexité de ces politiques et l’empilement apparent des niveaux de responsabilité qui les assument. Elle aide aussi à en souligner les abondantes contradictions sans mettre en cause la légitimité de chacun des objectifs visés : favoriser l’activité dans l’artisanat fait peser la balance de la production vers la maison individuelle, ce qui peut s’avérer contradictoire avec les objectifs de maîtrise de l’urbanisation. Revaloriser les quartiers d’habitat social peut se traduire par la disparition du parc HLM dont les loyers étaient les plus accessibles aux demandeurs à bas revenus. Une baisse des prix immobiliers facilitant l’accession à la propriété peut menacer les recettes fiscales en droits de mutation ou en TVA. Les exemples de ces contradictions sont nombreux et reflètent davantage la complexité du domaine qu’une supposée incohérence des politiques.

Les régions et l’Europe : des absences provisoires ?

Le rapide tableau des niveaux de responsabilité et de leurs légitimités d’intervention met en relief, en creux, l’absence de deux acteurs fondamentaux des politiques territoriales : les régions et l’Europe.

Le niveau régional est pourtant, dans la plupart des pays d’Europe, celui qui a été historiquement privilégié pour prendre en charge des fonctions décentralisées en matière de politiques du logement. C’est évidemment le cas dans les pays à organisation fédérale tels que l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique ou l’Italie, dans lesquels les règles du jeu nationales sont déclinées et adaptées par les régions et mises en œuvre localement par les villes (c’est-à-dire souvent à des échelles plus proches de nos EPCI que de nos communes). L’apparition tardive des régions en France13 et le choix initial de ne pas leur donner des compétences étendues ont empêché qu’il en soit de même lors des premières lois de décentralisation au début des années 1980. Rien depuis n’est venu renforcer leurs prérogatives sur le domaine, sauf pour l'Île-de-France qui dispose, à travers son schéma directeur, d’une modeste capacité d’encadrement. L’acte deux de la décentralisation en 2004 n’a rien avancé en la matière. Dans sa version initiale, le projet de loi « clarifiant l’organisation territoriale de la République » présenté par le gouvernement en juin 2014 introduit les termes « accès au logement et amélioration de l’habitat » dans la définition des compétences régionales, ouvrant ainsi la porte à une fonction de coordination et de mise en cohérence des politiques menées par les EPCI et les départements. On s’approche de la compétence régionale historique sur l’aménagement du territoire qui trouverait à s’épanouir dans le cas où le projet de suppression des départements arriverait à son terme.

L’absence de l’Europe comme niveau de décision sur les politiques du logement est moins surprenante, mais n’échappe pas à quelques ambiguïtés. Le logement est un enjeu éminemment local et donnant lieu à très peu de perméabilités internationales, sauf dans les régions frontalières. Dans ce cadre, il n’était guère prioritaire de donner à l’Union européenne (UE) une compétence particulière dans ce domaine. Tout juste trouve-t-elle à s’exercer indirectement via les aides du Fonds européen pour le développement régional (FEDER). Par ailleurs, l’UE « reconnaît et respecte » dans l’article 34 de sa charte des droits fondamentaux une aide au logement « afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté ».

Mais c’est dans la mise en œuvre de ses orientations visant à favoriser la libre concurrence que l’UE s’est progressivement immiscée dans les politiques nationales du logement (Ghékière, 2007). L’action de gouvernements libéraux visant à réformer leurs politiques nationales du logement social (tels que la Suède ou les Pays-Bas au cours des années 2000) ou les contentieux soulevés par des acteurs de l’immobilier privé ou des banques s’estimant lésés par les aides publiques ou les circuits financiers privilégiés du logement social conduisent l’UE à préciser progressivement sa doctrine en la matière. C’est tout l’enjeu de la définition des services d’intérêt économique général (SIEG) à caractère social et de la place des systèmes nationaux d’aide au logement dans ce cadre. À ce jour, après l’ouverture du livret A aux banques, les fondamentaux du système français du logement social sont préservés, mais les risques de mise en cause persistent et justifient une présence constante de l’univers du logement social parmi les lobbies installés à Bruxelles.

Quatre sujets de débat

Cet univers de complexité ne favorise pas la clarté des débats fondamentaux qui traversent les politiques du logement en France. Tentons de l’illustrer par quatre exemples en cherchant dans les pays voisins quelques éclairages qui permettent de se dégager du champ des contraintes institutionnelles nationales.

Faut-il construire 500 000 logements par an ?

Il existe un point de consensus entre presque toutes les analyses politiques qui guident les orientations nationales en matière de logement : il existerait en France un déficit compris entre 800 000 et 1 million de logements et, afin de le combler dans les meilleurs délais, il faudrait s’engager dans un ambitieux programme de 500 000 logements mis en chantier chaque année pendant cinq ans. Ce chiffre, qui oriente l’essentiel de la politique du logement en cette première moitié des années 2010, doit être comparé à la réalité de la production des trente dernières années, dont le volume moyen annuel est de 349 000 unités, avec un pic entre 2004 et 2008, au-delà des 400 000, lié à une euphorie de production privée dopée par la défiscalisation de l’investissement locatif. Ensuite, à l’exception de l’année 2011 pendant laquelle le sursaut des mises en chantier doit beaucoup aux opérations lancées à l’occasion du plan de relance de 2009, la production neuve plafonne autour de 350 000 unités annuelles et repassera probablement sous la barre des 300 000 en 2014.

Malgré le niveau historiquement bas des taux d’intérêt, la situation économique n’est pas propice aux projets à long terme des ménages comme l’illustre le fait que la construction de maisons individuelles représente la baisse la plus forte en 2013. Plus que les politiques sectorielles gouvernementales de plus en plus contraintes par la rigueur budgétaire, c’est la conjoncture économique globale qui s’avère plus ou moins favorable à l’investissement immobilier des ménages et à la construction qu’il induit. Seule la production de logements sociaux reste à peu près maîtrisée, à condition que les opérateurs du secteur acceptent l’effort demandé et puissent y participer dans le cadre d’un objectif quantitatif de 150 000 nouveaux logements sociaux par an14. Si, compte tenu de l’engagement des organismes d’HLM, cet objectif-là semble atteignable à moyen terme, il en restera 350 000 à trouver du côté du secteur privé.

La question principale demeure toutefois sur la pertinence même d’un tel objectif quantitatif. Sur quel constat repose-t-il ? Qu’en est-il vraiment de ce supposé déficit de 800 000 logements ? Les analyses statistiques des conditions de logement en France peinent à démontrer l’existence d’un tel déficit. En effet, la taille moyenne des ménages continue de baisser15 et le nombre de personnes sans domicile augmente fortement, mais reste heureusement marginal16.

De fait, la situation française en matière de stock de logements semble assez favorable si on la compare à celle des autres pays d’Europe. En 2010, la France comptait 518 logements pour 1 000 habitants, contre 487 en Allemagne, 457 en Belgique, 438 en Angleterre et 436 en Autriche17. La présence d’un nombre élevé de résidences secondaires en France tire ces chiffres vers le haut18 (le ratio est de 432 résidences principales pour 1 000 habitants, mais il n’est alors plus comparable à ceux des autres pays). En revanche, certains pays sont à des niveaux nettement inférieurs indiquant de probables déficits, comme c’est le cas en Pologne ou en Slovaquie, avec des chiffres inférieurs à 350 logements pour 1 000 habitants.

Il en va de même si l’on observe la construction neuve. Avec une moyenne annuelle de 5,6 logements neufs pour 1 000 habitants entre 1998 et 2013, la France se situe à des niveaux supérieurs à ceux du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, certes caractérisée par une démographie atone, qui plafonnent autour de 4/1 000 pendant la même période. Au cours de la deuxième moitié des années 2000, seuls l’Espagne et le Portugal ont construit plus que la France.

L’agglomération parisienne, où plusieurs indices convergent pour indiquer un problème quantitatif, constitue la principale exception : l’arrêt de la réduction de la taille des ménages, la croissance du nombre de situations de surpeuplement et le recul de la vacance sont liés à un très faible rythme de construction depuis de nombreuses années. En effet, l'Île-de-France est, de loin, la région où la construction neuve a été la plus faible au cours des quinze dernières années avec une moyenne annuelle de 3,4 logements neufs pour 1 000 habitants, ce qui situe la région bien au-dessous de la moyenne nationale et au niveau des pays européens construisant peu. Le parc, avec 462 logements pour 1 000 habitants (361 résidences principales), se situe à un niveau nettement inférieur au total national. C’est donc là que l’enjeu quantitatif s’impose, illustré par l’objectif affiché par la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris d’atteindre une production annuelle de 70 000 logements neufs. Il sera pourtant bien difficile à atteindre quand on songe qu’il faudrait pratiquement doubler le rythme de production récent (entre 1998 et 2012, on n’a dépassé que sept fois les 40 000 logements par an en Île-de-France).

Une France de propriétaires ?

À l’opposé du quasi-consensus sur la nécessité de construire se trouve le débat français récurrent sur l’ampleur de la priorité à donner au développement de la propriété. Le slogan d’une « France de propriétaires », très ancien (on en trouve des traces au xix e siècle), revient régulièrement dans l’actualité des politiques du logement. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy en a fourni une bonne illustration, surtout au cours de ses premières années. Mais qu’en est-il vraiment ?

La nécessité de développer la propriété trouve souvent un argumentaire fort dans l’idée qu’elle constitue une aspiration forte des ménages et que la France serait, en la matière, « en retard » sur la plupart de ses voisins européens. Le premier argument est incontestable et est rappelé par toutes les enquêtes d’opinion.

Le second est plus douteux. Avec 58 % de ménages propriétaires de leur résidence principale19, la France se trouve, en compagnie de l’Autriche et des Pays-Bas20, en position médiane entre des pays ayant des taux assez nettement supérieurs (entre 65 % et 69 %), tels que le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie, la Finlande ou la Pologne, et ceux où les propriétaires restent minoritaires (entre 38 % et 46 %), tels que l’Allemagne, le Danemark, la Suède21 et la Suisse. Il existe certes des pays où le taux de propriétaire est encore nettement supérieur, mais la plupart d’entre eux relèvent de la situation spécifique des ex-pays soviétiques ou du bloc de l’Est qui ont connu des dynamiques de privatisation massive. C’est ainsi qu’il y a plus de 80 %, voire 90 %, de propriétaires en Estonie, en Lituanie, en Slovaquie ou en Roumanie. La péninsule hispanique est également exceptionnelle, avec des taux de propriétaires particulièrement élevés (85 % en Espagne). Toujours est-il que, contrairement à ce que suggèrent parfois les discours politiques, on peine à établir sur cette base une relation claire entre le taux de propriétaires occupants et le niveau du développement économique des pays.

En revanche, il apparaît clairement que, quel que soit leur taux actuel, la plupart des pays européens ont développé des politiques favorisant le statut de propriétaire occupant. Les modalités en sont très diverses : vente des logements sociaux à leurs occupants dans certains pays disposant d’un parc social initialement abondant (Royaume-Uni et, plus récemment, Pays-Bas), développement massif d’une offre neuve en accession à prix maîtrisé (Espagne), mise en place de prêts aidés ou réglementés (Allemagne, France), etc. Dans la plupart des cas, deux types d’argumentaires viennent à l’appui de ces politiques. C’est d’abord la sécurité qu’apporte l’épargne accumulée par l’accession à la propriété du logement dans la perspective des évolutions de la vie, notamment au moment de la retraite, ou pour permettre le financement de la dépendance. Le second argument, moins souvent énoncé mais très prégnant, correspond à l’idée selon laquelle le développement de la propriété résidentielle ferait progressivement sortir le domaine du logement du champ de responsabilité des politiques publiques pour en faire une question strictement privée prise en charge par les solidarités familiales. C’est l’inspiration majeure du modèle espagnol. Ces deux familles d’arguments étaient très présentes dans le propos initial de Nicolas Sarkozy en 2007, comme l’illustre un discours resté célèbre sur le sujet à Vandœuvre-lès-Nancy, le 11 décembre 2007, pour justifier l’objectif d’atteindre un taux de 70 % de propriétaires occupants. La crise américaine des subprimes a freiné les ardeurs en la matière dès l’année suivante, démontrant par l’exemple l’ampleur des risques qu’il peut y avoir à forcer artificiellement l’accession à la propriété des ménages à bas revenus.

Le clivage politique français sur le thème du développement de la propriété n’est pas si fort que ce que suggère une lecture trop rapide des discours politiques. L’observation sur une longue durée des orientations en la matière montre en fait deux constantes qui, à quelques réglages techniques près, traversent toutes les alternances depuis la fin des années 1970. La première est la prudence. L’expérience des difficultés rencontrées par ceux qui, au milieu des années 1980, étaient appelés les « accidentés du PAP »22 a été retenue et, depuis cette date, tous les systèmes aidés ou non d’accession à la propriété ont été assortis d’un haut niveau de garantie et de protection de l’emprunteur. C’est ainsi que, comparée à d’autres pays (États-Unis, Royaume-Uni, Espagne), la France se caractérise par un très faible nombre d’évictions de propriétaires. La seconde constante des politiques françaises est, malgré les discours, d’avoir constamment mené des politiques d’offre diversifiée sans jamais mettre tous ses moyens dans un même secteur. De gouvernement en gouvernement, la France reste l’un des rares pays européens à persévérer dans l’accroissement de son parc social et développe depuis 1985, avec des modalités diverses, des moyens fiscaux efficaces de développement de l’investissement privé dans l’offre locative.

Réguler les marchés locatifs ?

L’attention portée à l’existence d’une offre de logement diversifiée est donc une importante caractéristique des politiques du logement en France. La présence d’un parc locatif privé relativement abondant est une pièce essentielle de cette doctrine, notamment dans le but de faciliter l’accès au logement des jeunes et, plus largement, des personnes les plus mobiles. C’est l’une des principales raisons de la constance avec laquelle l’État favorise l’investissement locatif à l’aide de mesures fiscales depuis le milieu des années 1980. À ce moment-là, tous les indicateurs d’évolution de l’offre locative privée étaient au rouge : sous l’effet de la concurrence de l’épargne financière, le parc perdait plus de 80 000 unités par an, faisant craindre sa disparition pure et simple.

Dans l’esprit des observateurs libéraux des politiques du logement, cette érosion du secteur locatif privé était aussi le résultat d’une réglementation devenue, avec la loi Quilliot de 198223, trop favorable aux locataires. Ce sera l’objet d’un débat politique qui traversera toute la décennie, avec le tournant libéral de la loi Méhaignerie en 198624, avant d’atteindre un équilibre durable en 198925. Derrière ce débat, rouvert en 2013 avec la présentation du projet de loi ALUR (pour l’accès au logement et un urbanisme rénové), qui débouchera notamment sur de nouvelles modalités d’encadrement des loyers du secteur privé, se trouve une confrontation classique entre le point de vue de ceux qui estiment que l’offre locative se développera plus facilement sous une faible réglementation, laissant de grandes marges de manœuvre aux propriétaires, et celui de ceux qui prônent une responsabilité sociale du bailleur privé, laquelle doit se traduire par un ensemble de contraintes, y compris pour la fixation des loyers. Dans l’esprit des premiers, ces libertés favorisant l’accroissement de l’offre, elles auront un effet positif sur les loyers, au bénéfice des locataires. De façon contre-intuitive pour beaucoup d’analystes, les comparaisons internationales donnent plutôt raison aux seconds. L’Angleterre est sans doute l’un des pays les plus libéraux en la matière : pas de durée minimum du contrat (la seule garantie du locataire porte sur les six premiers mois, préavis de deux mois non motivé) et liberté totale de fixation et d’évolution des loyers. L’offre locative privée au Royaume-Uni ne représente pourtant que 11 % du stock global de résidences principales, contre 22 % en France.

À l’inverse, en Allemagne, le secteur est beaucoup plus régulé qu’il ne l’est en France (Vorms, 2012), avec un système de baux à durée indéterminée qui ne peut même pas être résilié en cas de vente du logement et un contrôle des loyers induit par la possibilité pour le locataire de se tourner vers le juge s’il peut montrer que le loyer dépasse de plus de 20 % les prix pratiqués pour des logements équivalents. L’application de cette disposition donne lieu à une grande transparence des loyers pratiqués grâce à un réseau d’observatoires, les « miroirs des loyers », présents dans la plupart des villes allemandes. Pourtant, l’Allemagne est l’un des pays d’Europe où le secteur locatif privé est le plus abondant, avec près de 50 % du parc total. Des pays comme la Suisse, la Suède ou le Danemark peuvent être analysés dans des termes comparables.

Il est donc difficile de soutenir l’hypothèse selon laquelle la réglementation tuerait l’offre, même si un tel raisonnement supposerait d’entrer plus en profondeur dans la mécanique allemande, notamment en matière de fiscalité. C’est ce raisonnement – et l’affirmation d’un « modèle allemand » en la matière – qui constitue l’argumentaire principal d’une remise en cause, à partir de 2012, de l’équilibre acquis en France depuis 1989. La loi ALUR est le principal vecteur de cette remise en cause, notamment avec une mesure d’encadrement des loyers dans les villes à marchés tendus, sur la base d’un réseau d’observatoires créés à cette occasion qui permettront aux préfets de fixer des « loyers de référence » qui feront autorité dans une fourchette allant de –30 % à +20 %. On est donc là très proches du système allemand des « miroirs des loyers » en y ajoutant une conception très française de l’observation, placée sous une coordination méthodologique nationale, alors que les « miroirs » allemands sont autonomes et, de fait, très hétérogènes dans leurs démarches.

Peut-on croire pour autant que la mise en place d’un tel dispositif permettra à terme un alignement sur le caractère très modéré des loyers allemands26 ? Certainement pas, dans la mesure où les contextes de mise en œuvre de ces régulations sont radicalement différents à la fois du fait d’une tension moindre des marchés (meilleure répartition de l’offre sur le territoire national, démographie déclinante), d’un comportement différent des propriétaires et de la présence, en France, d’un secteur social relativement abondant. Les premières données collectées par les observatoires laissent toutefois penser que près d’un logement locatif privé sur quatre à Paris pourrait connaître une baisse dès la mise en place de la mesure de régulation. On peut estimer qu’une fois cette baisse acquise pour les logements les plus anormalement chers, le nouveau système conduira surtout à une stabilisation du marché au niveau déjà élevé que l’on constate aujourd’hui. La question de l’impact de la mesure sur l’intensité et la géographie de l’investissement locatif reste ouverte, mais on peut penser qu’elle ne facilitera pas un retour massif des propriétaires dans les villes les plus tendues.

Réserver le logement social aux plus pauvres ?

Face aux mécanismes d’exclusion générés par les marchés du logement dans les grandes villes françaises et singulièrement en région parisienne, l’offre réglementée de l’habitat social reste l’outil principal de la puissance publique pour apporter des conditions de logement dignes à un prix abordable, là où les marchés sont chers. L’efficacité de cet outil donne toutefois lieu à de nombreuses critiques qui justifient de réinterroger le modèle français du logement social. Les débats européens sur le sujet apportent à ce questionnement un éclairage et des inquiétudes.

L’histoire du logement social français peut être lue en partant de l’évolution des missions qui lui ont été confiées. D’abord destiné aux ouvriers, puis aux salariés à revenus modestes dans leur ensemble, il s’est ensuite vu confier un rôle de contribution au parcours résidentiel des classes moyennes, constituant un « pied à l’étrier » en période de croissance, une étape vers le Graal de l’accession à la propriété. La redécouverte de la pauvreté au cours des années 1980 et l’ouverture d’un front social pour des politiques du « droit au logement » ont renforcé les attentes de la société pour que le parc loge les populations exclues autant de l’emploi stable que du marché du logement décent. Ces trois volets de la mission des HLM cohabitent toujours. Ils alimentent le débat sur la pertinence qu’il y a à concevoir les objectifs de mixité au sein même du parc social et à conserver le principe quasiment intangible du droit au maintien dans les lieux. Ils justifient aussi la gamme des « produits » locatifs et des plafonds de ressources qui s’y appliquent, englobant potentiellement près de 80 % des ménages.

Ce modèle français reste-t-il tenable dans un contexte qui pousserait plutôt les enjeux vers une capacité accrue d’accueil des personnes les plus démunies ? Ce questionnement est renforcé par le constat des principales évolutions à l'œuvre dans les pays d’Europe occidentale. Il est devenu classique de considérer que coexistent en Europe trois modèles d’offre sociale (Ghékière, 2007 ; Houard, 2011). Le premier modèle dit « universaliste », en voie de disparition sous les coups de la doctrine de libre concurrence prônée par l’UE, utilise le parc public comme outil de régulation globale du marché en imposant ses loyers faibles, grâce à une offre abondante et sans conditions d’accès. C’était le schéma dominant dans des pays comme la Suède, les Pays-Bas ou le Danemark. À l’autre extrémité se trouve le modèle dit « résiduel » dans lequel le parc social est réservé aux ménages les plus en difficulté et qui ne peuvent pas accéder au logement privé. Historiquement présent dans les pays du Sud de l’Europe, il s’est également diffusé au Royaume-Uni. Il entérine une approche d’un logement social totalement hors marché, paupérisé et souvent très stigmatisé. C’est ce modèle qui répond le mieux aux injonctions libérales de l’UE ; il tend à gagner les pays d’Europe orientale et l’Allemagne dont le parc social fond à grande vitesse sous l’effet de ventes massives et de sorties des logements de leur statut social à durée limitée.

Entre l’universaliste et le résiduel, le modèle « généraliste », dont la France constitue l’archétype, comporte des conditions d’accès relativement ouvertes et intègre même la possibilité d’une mixité sociale en son sein. Celle-ci repose notamment sur le droit au maintien dans les lieux qui permet à un ménage d’y rester locataire même s’il ne remplit plus les conditions initiales pour y entrer, en matière de ressources ou de composition familiale. Une telle ouverture reste-t-elle acceptable dans un contexte où les listes d’attente ne cessent de s’allonger ? En Île-de-France, par exemple, il y a six fois plus de demandeurs inscrits que d’attributions prononcées chaque année. Le débat sur ce point est ouvert, mais reste difficile tant les organismes de logement social se raidissent dès qu’est évoquée l’hypothèse d’une « résidualisation » des HLM. Trois catégories d’arguments permettent de nourrir le débat.

La première catégorie repose sur le fort accroissement des inégalités territoriales en matière de logement depuis le début des années 2000, sous l’effet de hausses de prix généralisées qui ont creusé les écarts géographiques de capacité d’accès au logement privé. Peut-on encore parler sérieusement d’une acception nationale de la mission sociale des HLM ? La situation de l'Île-de-France diffère radicalement de celle de la plupart des villes moyennes et, de plus en plus, de celle des grandes métropoles régionales. Le rôle du parc social ne peut pas y être identique.

La deuxième catégorie repose sur le constat généralisé de l’écart qui existe entre les grands principes posés par la réglementation en matière de plafonds de ressources et la réalité de la demande de logements sociaux et du profil des ménages qui y accèdent. Les niveaux de revenus et les situations d’emploi des demandeurs et des nouveaux locataires HLM sont très nettement inférieurs aux plafonds réglementaires et devraient donner à réfléchir à la pertinence de la gamme actuelle des produits qui apparaît aujourd’hui largement décalée.

Indépendamment de la doctrine, de la réglementation, des produits et des plafonds, la « résidualisation » du parc social est donc en marche. C’est, sans doute contre le gré de ses acteurs, sous l’effet des mécanismes sociaux et des choix des ménages. La paupérisation des HLM n’est pas nouvelle, mais elle se poursuit malgré les efforts pour la contrer.

La question finale est donc de savoir si elle est acceptable et si elle n’est pas le reflet d’une évolution inexorable de la mission du logement social qu’il faudrait désormais entériner dans la doctrine, à l’image de beaucoup de nos voisins. Mais il faudrait alors en mesurer toutes les conséquences, notamment celles liées à la mauvaise répartition spatiale des HLM27 qui transforme mécaniquement toute paupérisation de son occupation en concentration de pauvreté et d’exclusion à l’échelle de quartiers entiers, voire de communes.

Conclusion : pour une véritable évaluation des politiques du logement

Arrivé au terme de cet article, on ne peut que constater la difficulté à revenir à la question initiale de l’échec ou de la réussite des politiques du logement en France. En effet, la multiplicité des enjeux et des responsabilités soumet la question à rude épreuve.

Ont-elles échoué à maîtriser les marchés immobiliers pour rendre possibles des conditions de logement optimales pour tous nos concitoyens ? Sans doute, mais pas partout, et l’on peut considérer que le niveau élevé des prix, jugé à juste titre responsable de la crise, satisfait à la fois une majorité de propriétaires et les responsables des budgets publics qui y voient une manne fiscale fort opportune.

L’ampleur de la dépense publique en matière de logement a-t-elle l’efficacité attendue ? Sans doute pas, puisque les difficultés pour se loger persistent et s’aggravent parfois. Mais peut-on, s’agissant du montant des dépenses fiscales, en rendre responsable le taux réduit de TVA pratiqué sur les travaux des artisans ? C’est, loin après les aides à la personne, le deuxième poste de dépenses publiques comptabilisé en matière de logement, même si ses objectifs réels (lutter contre le travail non déclaré, canaliser du chiffre d’affaires vers l’artisanat) sont fort éloignés de ce que l’on entend traditionnellement par « politique du logement ». Peut-on considérer, par ailleurs, que les aides à la personne coûtent trop cher pour les bénéfices que les ménages en tirent ou, au contraire, que c’est leur insuffisance qui les rend inefficaces ?

Les considérations qui précèdent sont bien incapables de répondre à ces questions, mais contribuent à en démontrer la complexité et surtout à souligner l’importance qu’il y a à engager une réflexion approfondie sur les modalités d’une véritable évaluation des politiques du logement en fonction de la diversité de leurs enjeux et des temporalités qu’elles visent, du réglage conjoncturel à la transformation urbaine que seul le long terme peut saisir. Une telle réflexion, qui passe aussi par un regard plus précis sur les expériences de nos voisins européens, éclairerait mieux qu’aujourd’hui les grands débats en cours sur la construction, la propriété, la régulation des marchés et le rôle du logement social.


Notes

1 Sources : enquêtes logement de l’Insee.
2 Hors auto-entrepreneurs (81 000).
3 Compte du logement 2012 (publication 2014).
4 Ibid.
5 Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM).
6 Même si ses contours et sa position dans la hiérarchie gouvernementale sont très mouvants, il y a toujours une place pour un ministère ou un secrétariat d’État chargé du logement dont les fonctions se situent quelque part entre le volet économique assuré à Bercy et les volets urbains et environnementaux souvent traités par d’autres portefeuilles.
7 Il est intéressant d’analyser ici l’intitulé du ministère du Logement et de l’Égalité des territoires depuis mai 2012 (même si l’ordre des deux termes a été inversé à l’occasion du remaniement d’avril 2014).
8 Citons notamment le projet initial de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 et celui de la loi ALUR du 24 mars 2014.
9 La loi ALUR consacre le PLU intercommunal, mais rend possible l’opposition d’une minorité composée au moins de 25 % des communes de l’intercommunalité, représentant au moins 20 % de sa population.
10 Loi du 13 décembre 2000.
11 Loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004.
12 La loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991, qui introduit pour la première fois un taux minimum de 20 %, sera réaffirmée et rendue plus efficace par l’article 55 de la loi SRU en décembre 2000.
13 Les régions sont créées comme établissements publics en 1972 ; elles n’acquièrent le statut de collectivités territoriales qu’après la première élection au suffrage universel des conseils régionaux en 1986.
14 Encore ne s’agit-il pas toujours de logements neufs. L’objectif de 150 000 peut comprendre des immeubles acquis dans le parc existant et transformés en logements sociaux par conventionnement.
15 Le nombre moyen de personnes par ménage en France métropolitaine en 1999 était de 2,40, il est descendu à 2,26 en 2010.
16 Selon les enquêtes de l’Insee, on est passé de 89 000 personnes sans domicile en 2001 à 141 500 en 2012. Il s’agit bien d’une croissance très forte et inquiétante, mais elle est sans commune mesure avec l’idée d’un déficit de 800 000 logements (qui concernerait, si on lui appliquait la taille moyenne des ménages, 1,8 million de personnes).
17 L’ensemble des chiffres qui figurent ici sur le stock de logements et la construction neuve proviennent de Dol et Haffner (2010).
18 Cet apport des résidences secondaires est encore plus fort en Espagne et au Portugal, avec des taux respectifs de 544 et 523.
19 Si l’on compte les ménages propriétaires d’une résidence secondaire ou d’un logement qu’ils mettent en location, le taux global de ménages propriétaires d’un logement est en fait plutôt proche de 65 %.
20 Les chiffres portant sur les pays européens datent, pour l’essentiel, de 2008 (Dol et Haffner, 2010).
21 Pour le Danemark et la Suède, ces chiffres sont hors logement coopératif, qui pèse respectivement pour 7 % et 18 % dans le parc de ces deux pays.
22 Les premières générations du prêt accession à la propriété (PAP), créé en 1977, fondées sur une inflation forte et parfois des taux progressifs, ont connu d’importantes difficultés lorsque la conjoncture économique s’est retournée au début des années 1980, entraînant un nombre élevé de sinistres chez les accédants modestes.
23 Loi du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs.
24 Loi du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière.
25 Loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.
26 À la fin de 2013, le loyer moyen de Munich, ville la plus chère d’Allemagne, était de 9,90 euros le m2. Il atteignait 8,70 euros le m2 à Stuttgart et 5,73 euros le m2 à Berlin (source : www.connexion-française.com). Ces loyers, beaucoup plus bas que ceux des grandes villes françaises, sont cependant orientés à la hausse depuis plusieurs années dans les villes les plus chères et à Berlin.
27 Par exemple, en Île-de-France, 90 % des logements sociaux sont situés dans 196 communes sur les 1 281 que compte la région.

Bibliographies

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