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 Introduction


Hans-Helmut KOTZ ** Senior Fellow, Center for European Studies, Harvard University; Senior Fellow, Leibniz Institute SAFE. Contact : kotz@fas.harvard.edu.Cet article présente le point de vue des auteurs et n'engage pas les institutions dont ils font partie.
Catherine LUBOCHINSKY * Professeur, Université Paris-Panthéon-Assas & EconomiX. Contact : catherine.lubochinsky@u-paris2.fr.

À l'automne 2013, le débat autour de l'union bancaire s'intensifie. À la mi-octobre, la Banque centrale européenne (BCE) dévoile sa méthodologie pour évaluer la sécurité et la solidité des banques de la zone euro. Des mécanismes de restructuration et de cessation d'activités sont en projet. L'européanisation paraissant irréalisable sur le plan politique, c'est la coordination étroite des systèmes de garantie des dépôts qui est actuellement à l'étude. Du point de vue de l'investisseur ou du déposant, il est crucial de disposer d'un mécanisme de soutien budgétaire fiable. On ne peut espérer une (ré)intégration plus poussée des marchés financiers et bancaires en Europe qu'à condition que le lien entre États et banques soit rompu. Ce lien critique a été abordé dans le numéro précédent de la Revue d'économie financière (REF) qui proposait également plusieurs analyses des marchés bancaires, des modèles bancaires, des marchés monétaires interbancaires et des systèmes de paiement de différents pays.

Dans un tel contexte, ce numéro de la REF s'organise autour de quatre thèmes. Nous nous intéressons en premier lieu au Mécanisme de surveillance unique (MSU), à ses modalités de gouvernance ainsi qu'aux conséquences de la mise en œuvre de la directive sur les exigences de fonds propres (CRD IV) pour les banques européennes et plus particulièrement françaises. Ensuite, sur un plan plus conceptuel, nous étudions la gestion et la maîtrise du risque bancaire par le biais de dispositions réglementaires, dans un environnement concurrentiel et du point de vue des dirigeants bancaires. En réponse aux énormes coûts directs et indirects engendrés par la grande crise financière, des réformes structurelles ont été proposées et sont sur le point d'être mises en œuvre. Nous décrivons enfin les changements qui ont été rendus nécessaires du côté des institutions financières et les conséquences sur leur modèle économique ainsi que sur les activités transfrontalières, sans oublier les opérations bancaires avec la petite clientèle.

Dans un article de synthèse, Franklin Allen (Wharton School), Thorsten Beck (Cass Business School et Tilburg University) et Elena Carletti (Institut universitaire européen) exposent dans les grandes lignes et évaluent l'impact des réformes réglementaires sur les banques européennes – exigences plus élevées en matière de fonds propres, de ratios de liquidité et de financement, restrictions éventuelles des activités (cantonnement, séparation des activités de négociation pour compte propre et des activités de prêt et dépôt) – ainsi que la mise en œuvre de leur surveillance, avec notamment la gestion des conflits potentiels (par exemple, entre la mission de surveillance de la BCE et le cadre de résolution et de restructuration encore à définir). L'impact à court terme de la grande crise financière ainsi que la réponse apportée en matière de réglementation et de surveillance sont mis en évidence : la désintégration du marché bancaire commun ne peut être enrayée que par le biais d'actions fortes sur le plan de la politique monétaire (opérations de refinancement à long terme et opérations monétaires sur titres, conditionnées à des programmes de remaniement structurel). À plus long terme, l'accent est mis sur les procédures de renflouement interne des banques (bail in consistant à faire participer des créanciers privés aux opérations de sauvetage) qui pourraient atténuer l'avantage de la taille. Parallèlement, l'augmentation des coûts de mise en conformité favorise évidemment les économies d'échelle. Concernant le champ des opérations bancaires, les auteurs préconisent le plafonnement des activités de négociation. Néanmoins, il importe plus encore d'évaluer le périmètre de réglementation et de surveillance à la lumière des conséquences sur un éventuel déplacement des activités vers le secteur financier non bancaire.

Dans son article sur l'union bancaire et la surveillance prudentielle, Jörg Asmussen (BCE) souligne que le nouvel ensemble de règles et d'institutions doit être envisagé comme une réponse aux leçons de la crise. En effet, l'intensification et l'aggravation de la crise ont indéniablement mis en évidence le fait qu'une approche nationale ne permet pas de faire face à ces difficultés. Sur le plan macroprudentiel autant que microréglementaire, c'est plutôt une approche harmonisée qu'il fallait adopter d'urgence. Ces leçons ont été tirées dès la première phase de la crise, c'est-à-dire avant que les problèmes de dette souveraine n'apparaissent et n'accentuent considérablement les tensions. Il était nécessaire de procéder à un remaniement global de l'architecture financière de la zone euro. De fait, le Mécanisme de surveillance unique (MSU) doit être considéré comme partie intégrante d'un plan d'action plus ambitieux, exposé dans le rapport des quatre présidents (Conseil européen, Commission européenne, Eurogroupe, BCE) « Vers une véritable union économique et monétaire » (Barroso et al., 2012). La dimension institutionnelle et fonctionnelle du MSU est universelle, sinon il ne pourrait pas remplir son objectif : garantir un système bancaire sûr et solide au sein de la zone euro. Il est également nécessaire d'instaurer une coopération efficace avec la fonction macroprudentielle, qui est en réalité renforcée grâce au rôle de la BCE au sein du MSU. À court terme, le principal défi du MSU sera de gérer la préférence nationale (home bias). À moyen terme, cependant, il permettra une application cohérente et homogène des règles dans l'ensemble de la zone euro. Enfin, en tant que partie intégrante d'un ensemble d'institutions et de fonctions complémentaires, il ne peut fonctionner correctement qu'à condition que soient mis en place des mécanismes résistants de résolution, de restructuration et de garantie des dépôts.

Donato Masciandaro (université Bocconi) et María J. Nieto (Banque d'Espagne) observent en premier lieu que les écarts sur le plan de l'efficacité, dans un contexte où l'élaboration et l'application des règles sont décentralisées, ont entre-temps été pris en considération. Il a pourtant fallu une double crise – bancaire et souveraine – pour parvenir à la conclusion que l'européanisation, à savoir une surveillance centralisée de type MSU, était nécessaire. Ce changement de mentalité s'accompagnait également d'une nouvelle vision de la répartition appropriée des fonctions de politique monétaire et de surveillance. Si, en particulier pendant la « Grande Modération », une délimitation claire des fonctions primait, notamment pour des questions de gestion du risque présumé d'aléa moral, l'intégration des deux fonctions au sein d'une seule entité a regagné du terrain dans le contexte de la crise. Alors que les résultats des études empiriques n'étaient pas concluants, pour de nombreux responsables politiques, la nécessité de maîtriser et de gérer la crise avait indéniablement démontré que les avantages liés à l'information et aux économies d'échelle permettaient une approche plus efficace. Ce plaidoyer en faveur de la complémentarité de la politique monétaire et de la surveillance avait en fait déjà été formulé (Peek et al., 1999). Aujourd'hui, si l'on accepte que politique monétaire et surveillance sont, dans une certaine mesure, des éléments conjoints qui se soutiennent mutuellement, il faut néanmoins prendre soin de concevoir une institution adéquate. En Europe, cette tâche est évidemment plus complexe étant donné l'importance de la coordination avec les autorités de surveillance bancaire hors UEM (Espace économique européen). L'article traite en particulier des questions de gouvernance, à savoir l'indépendance (opérationnelle et budgétaire) et la transparence envers les autorités politiques concernées (Conseil de l'Union européenne et Parlement européen, mais également corps législatifs nationaux et Cour de justice de l'Union européenne). Le concept de transparence (tel que nous le connaissons au sein du débat sur la politique monétaire) doit être ajusté au regard de la nature de la surveillance et des implications éventuelles pour les contribuables.

Les règles de Bâle III et leur transposition en Europe (CRD IV) sont souvent vues sous un angle assez critique, en particulier vis-à-vis du handicap qu'elles imposent aux banques européennes et, par conséquent, aux clients qui en dépendent. Christian Noyer (Banque de France) examine de manière détaillée les faits et explique comment il parvient à la conclusion inverse. Il souligne qu'en optant pour une harmonisation maximale, les Européens ont choisi de renforcer le marché commun non seulement par le biais de règles communes, mais également par le biais d'une mise en œuvre commune. Trois mesures devraient notamment soutenir le système bancaire européen, le rendre plus résistant et plus apte à absorber les chocs : le niveau et la qualité du capital, l'amélioration du périmètre de surveillance (renforçant la capacité d'intervention discrétionnaire des autorités de surveillance) et l'application harmonisée, homogène et cohérente des règles (par le biais de CRD IV et CRR), y compris les nouvelles règles en matière de liquidité. En réalité, le degré d'homogénéité est plus élevé en Europe qu'aux États-Unis. Les banques européennes font donc preuve d'une meilleure capacité à faire face aux environnements difficiles. Celle-ci se manifeste en effet dans les structures de leur bilan (capital, actifs pondérés par le risque, ratios de levier) ainsi que dans leur situation financière (ratio « prêt/dépôt », par exemple). Les banques se recentrent sur leurs missions essentielles, obtenant par ailleurs des rendements des capitaux propres (et des capitaux employés plus généralement) plus stables, mais en moyenne potentiellement plus faibles. À l'avenir, le principal défi sera de rompre le lien entre risque souverain et risque bancaire. Ici, la politique monétaire (via les opérations de refinancement à très long terme) peut uniquement accorder du temps pour procéder à l'ajustement qui permettra une utilisation efficace. Le MSU est la réponse institutionnelle adéquate. L'objectif de ce nouveau mécanisme est évidemment de permettre au système bancaire de remplir son objectif essentiel : disposer d'une capacité suffisante à financer les projets de l'économie réelle et gérer les risques lorsqu'ils se présentent.

Depuis le réexamen des règles de Bâle I sur la gestion du risque bancaire, l'approche réglementaire est devenue plus différenciée et, par conséquent, considérablement plus complexe. Selon Andrew G. Haldane et Vasileios Madouros (tous les deux de la Banque d'Angleterre), cette granularité est source de bénéfices, mais surtout de coûts importants. En réalité, ils observent qu'il est difficile de déterminer de quel côté penche la balance. Le coût lié à la complexité, qui génère de l'incertitude chez les acteurs du marché, tient en particulier aux modèles internes des banques (éléments caractéristiques de Bâle II). Les évaluations du risque sont considérablement différentes d'une institution à l'autre pour des portefeuilles assez similaires. Ce manque de cohérence des actifs pondérés par le risque nuit à la transparence en compliquant la comparaison des institutions et conduit, du côté des entités surveillées, à des activités d'arbitrage parfaitement légales, mais sources de gaspillage (optimisation des actifs pondérés par le risque). Par ailleurs, les mesures d'incitation à l'innovation sont restreintes. Même si l'approche par la VaR (value at risk, l'évaluation des pertes potentielles) a des faiblesses bien connues (hypothèses sur la distribution du risque, exogénéité du risque, erreurs de composition), elle perdure en l'état parce que les autorités de réglementation l'ont prescrite. C'est d'autant plus gênant que les règles plus simples et moins granulaires (ratios de levier) sont plus performantes que les ratios basés sur le risque pour la détection des problèmes (voir également Estrella et al., 2000). Les conclusions politiques sont évidentes : il faut moins insister sur le premier pilier (règles en matière de fonds propres) et renforcer la discipline des marchés par le biais d'une transparence accrue. À condition de ne pas opter pour des solutions plus radicales, standardiser la pondération des risques et fixer des seuils pour les actifs pondérés par le risque pourraient y contribuer. Enfin, au vu de son avantage prédictif, on pourrait envisager de renforcer et de remanier le ratio de levier (coussins de fonds propres dynamiques).

Thomas P. Gehrig (université de Vienne) souligne également les faiblesses de la réglementation en matière de fonds propres qui s'appuie actuellement sur les modèles internes des banques basés sur le risque. Après avoir démontré comment la confiance dans les marchés monétaires interbancaires s'est en grande partie évaporée, il explique comment et pourquoi les innovations institutionnelles (Bâle II) ont amoindri les mesures incitant les banques à être bien capitalisées. Au vu de ce cadre réglementaire ainsi que du renflouement implicite par les États des grandes institutions, les banques étaient également incitées à atteindre un meilleur taux (apparent) de rendement des fonds propres, quelles que soient les éventuelles conséquences systémiques. D'un point de vue analytique, il est difficile de comprendre pourquoi la structure du passif est prétendument (bien) plus importante dans le secteur bancaire qu'ailleurs. Ayant beaucoup de capitaux en jeu, les banques bien capitalisées devraient également exercer un contrôle et une surveillance accrus. Au regard d'une étude empirique mettant en évidence les avantages du relèvement des exigences en matière de fonds propres, une réévaluation fondamentale de l'approche de Bâle (versions II et III en particulier) est nécessaire. Quelles sont les faiblesses du marché à corriger ? Comment améliorer la concurrence et la résistance du système ? Un coussin de capital plus solide, constituant une externalité positive, pourrait conduire à des comportements de sous-provisionnement. Tout cela plaide en faveur d'un relèvement des exigences en matière de fonds propres mises en œuvre par les autorités de réglementation. L'autre option, à savoir laisser entre les mains des forces du marché la détermination du coussin de capital (et donc accepter l'argument de l'utilisation de la connaissance), est probablement irréalisable. Néanmoins, étant donné que les banques bien capitalisées favorisent la stabilité financière, leur exemple (tout comme les prescriptions suisses, ou Swiss finish, pour le relèvement des exigences en matière de fonds propres) constitue une option attrayante pour renforcer aussi bien la résistance que la confiance, un facteur de production fondamental pour les banques.

Les incitations mal conçues ainsi que les performances médiocres des systèmes de gouvernance, en particulier en matière de risque, sont considérées comme les causes de la grande crise financière et sont également abordées dans de nombreuses analyses et déclarations publiques comme, par exemple, celles du G20 (Conseil de stabilité financière). Jean Dermine (INSEAD) insiste, dans sa contribution, sur le fait que des principes de haut niveau doivent néanmoins être concrétisés et adaptés à l'environnement concerné. Ici, la perspective adoptée est particulièrement importante : partie prenante (stakeholder) ou actionnaire (shareholder). Le point de vue de la partie prenante s'accompagne d'une multiplicité d'objectifs. Celui de l'actionnaire n'exclut pas, par définition, la prise en compte d'intérêts plus larges. En outre, les problèmes de gouvernance et d'incitation se posent également au sein des institutions de surveillance. L'application insuffisante des règles existantes est considérée par beaucoup comme une cause partielle de la crise et plaide en faveur de la nécessité d'un deuxième avis pour évaluer les performances et les décisions en matière de risque des autorités de surveillance (primes de CDS, spreads de la dette subordonnée ou panel d'experts indépendants). La gouvernance pourrait également être renforcée par des instruments de renflouement interne ou des « dispositions testamentaires » applicables en cas de soudaine disparition, qui permettent d'agir en situation d'urgence. En fin de compte, la perspective éclairée de l'actionnaire donnerait de meilleurs résultats. Cette gestion basée sur la valeur, avec un horizon à long terme, doit prendre en compte les intérêts des parties prenantes. En réalité, la diversification pourrait constituer une méthode efficace de gestion des risques. Cela nous amène au deuxième argument clé : ce n'est pas la même chose de gérer le risque et de l'éviter. Les dirigeants des banques doivent en fait décider quel volume de risque ils sont prêts à accepter. En outre, il faut faire la différence entre les décisions qui peuvent être modifiées et celles qui sont contraignantes sur le long terme et impliquent éventuellement d'importants coûts irrécupérables.

Dans toutes les régions touchées par la crise financière nord-atlantique, l'une des principales leçons à retenir est la nécessité de procéder à des réformes structurelles, à savoir à un remaniement de la taille et des activités des banques. Erkki Liikanen (Banque de Finlande et Groupe d'experts de haut niveau de la Commission européenne) rappelle brièvement les leçons tirées au fur et à mesure de l'évolution de la crise. Des faiblesses ont été identifiées dans les principes directeurs à la fois de la politique monétaire et de la réglementation bancaire. Il est devenu évident que le ciblage d'inflation flexible ne lutterait pas nécessairement contre l'instabilité financière. La stabilité des prix est très importante, mais ne constitue pas une condition suffisante pour garantir la résistance du système financier. En réalité, l'accumulation de risques sous la surface dans le contexte de la « Grande Modération » pouvait potentiellement compromettre la capacité des banques centrales à remplir leur principal objectif, à cause de la domination de la politique financière. Les coûts directs et indirects de la grande crise financière ont été si considérables que le concept qui prévalait avant la crise, à savoir réparer les pots cassés après les dégâts, est devenu insatisfaisant. Les contraintes financières ont également forcé les banques centrales à faire preuve d'innovation avec des mécanismes de soutien renforcé du crédit, et ce dans le contexte de la BCE dominé par les banques. À l'avenir, il faudra opter pour une approche microprudentielle européanisée et renforcée, de taille à affronter les difficultés systémiques ou macroprudentielles. Cela se traduit par un nouvel ensemble d'outils (ratios « prêt/valeur », exigences de marge, ratios « prêt/dépôt » – rien de bien nouveau en réalité). Une réponse structurelle est tout particulièrement attendue : séparation des activités de négociation pour compte propre, au-delà d'un certain seuil, dans une entité juridique financée et capitalisée séparément, émission d'un instrument de renflouement interne, exigences plus strictes en matière de fonds propres et renforcement de la gouvernance interne des banques (indépendance – et rémunération – de la fonction de gestion du risque en particulier). Cette réforme structurelle doit être envisagée comme un complément effectif (et non comme une mesure de remplacement) des améliorations réglementaires.

Pendant environ cent cinquante ans, le secteur bancaire européen a été dominé par les banques universelles proposant tout un éventail de services. Jan Schildbach et Bernhard Speyer (tous les deux de la Deutsche Bank) retracent l'évolution historique de ces institutions et soulignent par la même occasion leur importance économique. Ils mentionnent le cas particulier du « rattrapage » rapide de l'Allemagne (de l'Ouest) après la Seconde Guerre mondiale et sa consolidation au sein d'une économie concurrentielle. Les banques universelles tirent profit des économies d'échelle et de gamme. Elles économisent sur les frais de prospection et de transaction et permettent un accès à moindre coût et plus fiable au financement, en particulier pour les PME. Elles peuvent tout autant pourvoir aux besoins complexes de financement et de couverture des clients préférant des relations solides, non opportunistes et à guichet unique. Sur le plan de la stabilité financière, les avantages de la diversification, liés à la fois à la structure des actifs et à la diversité des sources de financement, garantissent une plus grande résistance. Depuis 2000, les taux de rendement moyens (après impôts) sont satisfaisants avec un faible niveau de variance. Les banques universelles contribuent ainsi à la stabilité financière. Les risques ou les problèmes – institutions « trop grosses pour faire faillite ou too big too fail », croissance excessive du crédit ou garanties implicites – doivent, le cas échéant, être correctement évalués et directement corrigés. Les propositions de réformes structurelles (limiter la taille et les activités) sont considérées comme de sérieuses menaces pour ce modèle efficace. Les propositions visant à limiter les capacités de négociation des banques universelles nuisent notamment aux économies d'échelle, avantageuses pour les clients car elles réduisent les coûts de financement, mais elles affaibliront aussi la liquidité des marchés, augmenteront les écarts entre prix vendeur et prix acheteur et enfin, de manière contre-productive, porteront atteinte à la stabilité.

Le nouvel ensemble de règles crée un nouveau paysage pour les banques et implique, comme l'explique de manière convaincante Sylvie Matherat (Banque de France), un repositionnement stratégique pour de nombreuses institutions. Les anciennes méthodes (dont certaines sont en fait relativement récentes, mais assez éphémères, comme le modèle d'octroi, puis la cession du crédit) n'ont pas tenu leurs promesses, comme l'a largement montré la crise. Pour de bonnes raisons, les nouvelles exigences réglementaires sont perturbatrices : elles imposent, par exemple, des changements aux modèles de financement qui se sont révélés être des sources d'instabilité massive (inadéquation des financements, risque de refinancement). Les marchés et les positions de liquidité vulnérables ont engendré des problèmes systémiques qui ont finalement entraîné d'importants coûts d'opportunité, mettant notamment à rude épreuve un certain nombre d'États de la zone euro. Le processus de réformes mis en place à la suite de la crise était donc guidé par un principe de base : fournir un cadre permettant aux institutions financières, en particulier aux banques, de mener à bien leur fonction essentielle de façon rentable, à savoir être au service de l'économie réelle. Le renforcement des exigences de solvabilité, l'introduction de plafonds pour les ratios actifs (non pondérés par le risque) sur fonds propres ainsi que les contraintes sur les profils de liquidité et d'actifs (inadéquation des maturités, financement) amèneront les banques à alléger leur bilan. Les réformes structurelles prévues (rapport Liikanen) susciteront également un besoin de repositionnement. Au final, bien entendu, les nouvelles règles ne doivent pas constituer une entrave au financement sain de projets économiques solides. Par conséquent, il est primordial de procéder à une macroévaluation de tous les projets de réglementation en cours. En outre, la mise en place de nouvelles et solides procédures de titrisation (pooling, diversification standardisée, transparence des droits sur les flux de trésorerie) ainsi que de nouvelles initiatives dans le secteur du placement privé sont des pistes à explorer. Dans tous les cas, tout en prenant en compte les contraintes liées à la stabilité financière, le rôle d'intermédiaire des banques doit être préservé et entretenu.

L'intégration des marchés financiers européens a toujours eu pour vocation d'inclure le marché des opérations bancaires avec la petite clientèle, afin de ne pas être uniquement le domaine réservé des investisseurs institutionnels, mais également de servir les clients privés. En effet, comme le montrent Stefanie Kleimeier (université de Maastricht) et Harald Sander (université de sciences appliquées de Cologne et Maastricht School of Management), les activités bancaires transfrontalières avec la petite clientèle (dépôts et emprunts) ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies. Il est encore plus intéressant de noter que ces activités sont restées plutôt stables pendant la crise. Les prêts transfrontaliers à la petite clientèle ont même gagné des parts de marché. Toutefois, les activités bancaires transfrontalières ne sont pas uniformément réparties et se limitent à un petit nombre de pays. Les facteurs de proximité et de taille (modèle de gravitation) favorisent (ou, selon le cas, entravent) les activités transfrontalières. La distance engendre des coûts, tout comme les asymétries d'information, impliquant des frais de prospection ou de sélection plus élevés. Par conséquent, une intégration poussée comme dans le cas de l'Union européenne devrait favoriser les activités transfrontalières – l'augmentation du risque idiosyncratique impliquant une resegmentation. L'arbitrage réglementaire et la fraude fiscale font bien entendu également partie de l'équation. De ce point de vue, la crise n'a fondamentalement rien changé dans la mesure où si les acteurs du marché pressentent l'apparition de problèmes, ils ont la possibilité de s'engager davantage dans des activités transfrontalières. Parallèlement, au vu des lacunes évidentes de l'Union monétaire européenne, la préférence nationale a fait son retour au sein des économies financièrement stables (disposant d'un mécanisme de soutien budgétaire jugé fiable).

Cette série d'articles offrent un aperçu complet du remaniement institutionnel des marchés bancaires et financiers en Europe et indiquent dans quels secteurs des progrès ont été réalisés et quelles réponses sont à attendre de la part des banques et des marchés. On y retrouve par ailleurs un thème commun : les banques et les institutions financières ne peuvent justifier leur activité uniquement en référence à elles-mêmes (voir également Friedman, 2010). Il reste toutefois un certain nombre de questions en suspens concernant entre autres le sujet crucial de la nature adéquate du cadre relatif aux exigences de fonds propres face aux divergences de points de vue et, par conséquent, face à des propositions politiques assez différentes. En d'autres termes, les responsables politiques européens ont du pain sur la planche, notamment dans le domaine de la surveillance où la mise en place d'un mécanisme fonctionnel est un défi de taille. La création d'une autorité de restructuration crédible ainsi que la mise en place d'une garantie des dépôts à l'épreuve des ruées bancaires sont également en projet. L'aboutissement à un marché européen unique et intégré à la fois dynamique, résistant et efficace ne peut bel et bien se faire qu'à ces conditions.

Note de la rédaction

Comme cela a été signalé dans le numéro précédent, certains articles de ce numéro ne sont pas spécifiquement centrés sur des problématiques européennes et sont de portée plus générale. Nous avons donc fait le choix de les regrouper en fin de thème sous la rubrique « Compléments ». Il n'en reste pas moins que ces articles apportent des éléments de réflexion et des éclairages utiles, mis en valeur dans l'introduction de ce deuxième numéro consacré aux systèmes bancaires européens.


Bibliographies

Barroso J. M., Draghi M., Juncker J.-C. et Van Rompuy H. (2012), « Vers une véritable union économique et monétaire ». Disponible sur le site : www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/134186.pdf.
Estrella A., Park S. et Peristiani S. (2000), « Capital Ratios as Predictors of Bank Failures », Federal Reserve Bank of New York, Economic Policy Review, juillet, pp. 33-52.
Friedman B. (2010), « Notre système financier nous sert-il bien ? », Revue d'économie financière, vol. 100, décembre, pp. 123-140.
Goodhart C. (1989), Money, Information and Uncertainty, 2e édition, MIT Press.
Peek J., Rosengren E. et Tootell G. (1999), «  Is Bank Supervision Central to Central Banking?  », Quarterly Journal of Economics, vol. 114, n° 2, mai, pp. 629-653.