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 La contrainte cachée du collatéral


Vivien LEVY-GARBOUA * Professeur affilié à Sciences Po. Contact : vlevyg@yahoo.com.
Gérard MAAREK ** Économiste et consultant. Contact : gerard.mrk1@yahoo.fr.Les auteurs remercient Pierre Lahbabi et Christian Pfister pour leur aide dans l'amélioration du texte. Les erreurs qui subsistent ne leur sont pas imputables, évidemment.

La contrainte du collatéral d’une banque est vue le plus souvent comme la conséquence d’une rareté « physique » : l’insuffisance de papiers ou d’actifs qu’elle peut utiliser pour garantir son financement. Le point de vue adopté ici est différent. En gageant ses meilleurs actifs pour obtenir un financement de la Banque centrale ou d’agents privés, une banque crée une externalité : elle prive les déposants et les prêteurs non garantis de ce qui constitue une sécurité implicite du prêt qu’ils font à la banque. C’est la « contrainte cachée du collatéral ». Nous proposons un modèle de banque qui prend en compte cette nouvelle contrainte, et montrons que celle-ci peut être plus forte que les autres contraintes usuelles de solvabilité et de liquidité. Mesurée pour la zone euro, cette contrainte joue d’ores et déjà. Elle a pour conséquences une contraction de l’offre de crédit et une hausse des spreads, d’où sans doute une dégradation de la situation macroéconomique.

Les banquiers ont pris l’habitude de vivre avec la contrainte de solvabilité, dont ils vont connaître la troisième version (avec Bâle III). Ils s’apprêtent à découvrir la contrainte de liquidité, sous des variantes multiples (le LCR – liquidity coverage ratio – et le NSFR – net stable funding ratio). Mais peu sont encore conscients qu’ils doivent d’ores et déjà se préoccuper d’une contrainte d’un type nouveau : la contrainte du collatéral. Et, mauvaise nouvelle, celle-ci va se surajouter aux contraintes précédentes, et en aucun cas s’y substituer. Quelles sont la nature et la réalité de cette contrainte ? Quels effets peut-elle avoir sur le système bancaire, la politique monétaire et l’économie dans son ensemble ?

Telles sont les questions qui vont être abordées dans cet article, avec une approche différente de celle qui est habituellement retenue lorsqu’on traite de ce sujet.

La préoccupation du collatéral a certes pris une place croissante dans la littérature économique. La théorie de l’accélérateur financier développée par Bernanke et al. (1996) et les travaux de Kiyotaki et Moore (1997) sur le cycle financier ont fait des actifs pouvant être offerts en gage par les entreprises à leur prêteur un moyen désormais privilégié par les économistes pour rendre compte de la transmission des effets de la politique monétaire. Le « canal du crédit » opère ainsi au travers de variables qui ne se limitent pas au seul taux d’intérêt du marché ou de la banque centrale. Mais ces avancées visent à faire le lien entre la sphère financière et l’investissement des entreprises ou des ménages, non à rendre compte de la situation des banques. Sur ce sujet, les travaux de Song Shin (2009), Shleifer et Vishny (2010) et Gorton et Ordonez (2012) ont mis en avant les effets de contagion générés par les fire sales (ventes de détresse) des banques obligées de liquider les actifs mis en gage contre des dépôts volatils, quand ces derniers sont retirés, lors des crises financières. Plus récemment encore, Singh et Sella (2012) ont insisté sur les chaînes de collatéral et sur le risque pris par les régulateurs lorsqu’ils encouragent le deleveraging et risquent de « bloquer » le système financier. La rareté du collatéral dont il est question chez tous ces économistes et dans d’autres travaux (par exemple, Cœuré, 2012) est provoquée soit par l’insuffisance physique de papier pouvant servir de collatéral, soit par l’interdiction de réutiliser plusieurs fois le même papier. Notre approche est très différente et la contrainte de collatéral dont il est question est tout autre. Elle résulte d’une externalité : l’octroi de garanties, au fur et à mesure qu’il se généralise, affaiblit la qualité des autres dettes (notamment des dépôts), celles qui n’en disposent pas1. D’une certaine manière, elle provient de l’excès de collatéralisation et de sa conséquence pour les crédits non gagés. Ainsi apparaît une contrainte implicite, la contrainte « cachée » du collatéral.

Est-on allé trop loin dans la collatéralisation ? Et d’abord, jusqu’où peut-on aller ? C’est la question que nous voulons maintenant explorer.

De quoi s’agit-il ?

En présence de forte incertitude, il est naturel de chercher à protéger ses avoirs. Dans l’univers financier, la forme de protection privilégiée ces dernières années a été la « collatéralisation » des actifs. Derrière ce mot compliqué, transcrit de l’anglais, se cachent plusieurs pratiques ou modalités juridiques : cession avec engagement de rachat, nantissement, escompte, mise en pension… Mais toutes impliquent, pour le prêteur, de recevoir un gage pour sécuriser son apport et de lui permettre de céder ce gage, si nécessaire. Cette pratique s’est largement répandue au sein du système financier depuis une dizaine d’années et la crise financière l’a exacerbée.

Pour clarifier les concepts, il nous faut introduire une double distinction, (1) entre la dette secured et unsecured et (2) entre les deux variantes de collatéralisation :

  • (1) une dette ou une créance sera considérée comme secured lorsqu’elle donne au prêteur le droit à un gage, unsecured dans le cas contraire ;
  • (2) au sein de la catégorie qui bénéficie d’une base sécurisée, il est utile de faire le partage entre les créances qui permettent au prêteur de bénéficier d’un double recours, contre l’emprunteur et contre le gage, et celles qui ne permettent que la liquidation de l’actif donné en gage. Dans cette dernière catégorie figurent les ABS (asset-backed securities) et les titres émis par les fonds communs de créances lors de titrisations. Dans la première catégorie, l’essentiel est constitué par les repurchase agreements ou repos, mais il faut y inclure les prises en pension de la banque centrale et les covered bonds émis par les banques, avec le nantissement d’un portefeuille de créances du bilan de la banque.

Bien entendu, les créances ne se caractérisent pas uniquement par les critères précédents. L’ordre de priorité pour le remboursement en cas de faillite (la « séniorité ») est, par exemple, un élément essentiel. Au sein même des dettes unsecured, une catégorie, les dépôts de la clientèle, jouit d’un statut très particulier. En effet, les dépôts retail (comptes à vue ou à terme, livrets et plans d’épargne divers) bénéficient d’une garantie de remboursement ad nutum, organisée à travers un fonds dédié. Mais, comme la crise l’a montré, il s’agit d’une garantie quasi explicite de l’État. Comme les dépôts représentent une fraction importante de l’épargne financière des agents privés du secteur non financier, cette garantie est un « bien public » très précieux. C’est d’ailleurs autour d’elle que la préoccupation née de la collatéralisation s’est fait jour.

La crainte est double : du côté des emprunteurs, celle de ne pas avoir assez d’actifs propres à servir de gage, les prêteurs devenant de plus en plus exigeants quant à la qualité de ce gage ; la collectivité, quant à elle, est en droit de s’alarmer d’une insuffisance des crédits et autres titres, libres de tout engagement, venant en contrepartie des dépôts de la clientèle. Cette préoccupation n’est pas une préoccupation de liquidité, mais s’apparente davantage à une considération de solvabilité. Expliquons la différence.

Il est vital que face à des retraits de la clientèle, quelle qu’en soit l’origine, la banque soit en mesure d’y faire face par la cession d’actifs ou le recours à une facilité d’emprunt alternative : c’est son problème de liquidité. Mais indépendamment de tout retrait intempestif ou d’une quelconque panique bancaire, il est non moins fondamental que les dépôts de la clientèle soient supportés (backés, dans le jargon financier) par des actifs qui assurent qu’à long terme, les déposants n’ont rien à craindre et que la banque est « solvable » (sa valeur, nette de toutes les garanties données, est positive).

Un modèle élémentaire de banque

Avant d’aborder le sujet au niveau de l’ensemble des banques dans un contexte qui corresponde à la réalité institutionnelle actuelle, il est utile de formaliser le problème à l’échelle microéconomique d’une banque, et dans un cadre très simple, faisant abstraction de nombre de facteurs de complexité de la vie réelle. Le mécanisme ainsi mis en évidence est celui qui va nous préoccuper par la suite.

Imaginons une banque dont le bilan se présente ainsi : à l’actif, des crédits et des réserves obligatoires sur les dépôts collectés ; au passif, en contrepartie de ces engagements, des fonds propres, des dépôts et le recours au refinancement auprès de la banque centrale. Nous allons introduire successivement deux aléas, l’un sur les crédits, l’autre sur les dépôts, puis ensuite les combiner. Cette première étape, classique, permet de mettre en évidence de manière simple les risques de solvabilité et de liquidité, et d’analyser leur interaction. Mais plutôt que d’en rester là comme on le fait en général, nous allons, dans une deuxième étape, examiner les conséquences de chacune des trois situations (choc sur la solvabilité, choc sur la liquidité et combinaison des deux) sur ce que l’on peut appeler la « contrainte de collatéral ». En décomposant ainsi le raisonnement, le but est de convaincre le lecteur de la réalité de la menace qu’elle fait peser sur le système bancaire.

Pour illustrer la notion de solvabilité, on va supposer que la valeur de l’actif de la banque suit une marche au hasard. Si cette valeur tombe au-dessous de l’encours de dette, la banque est insolvable. Ses fonds propres sont négatifs. En pratique, elle doit être recapitalisée dès que ses fonds propres tombent au-dessous du montant exigé par la réglementation.

La notion de liquidité renvoie ici aux fluctuations du passif. Si une banque fait des crédits, collecte des dépôts (dont le montant suit une marche au hasard) et se refinance auprès de la banque centrale pour la différence, et si le besoin de refinancement dépasse le montant autorisé par la banque centrale, elle connaît un problème de trésorerie.

Pour simplifier la présentation, contentons-nous désormais d’observer la banque à deux dates différentes. Dans la situation de départ, elle est dans l’état 0. Au cours de la période, elle aura subi deux aléas, l’un sur la valeur de son actif, l’autre sur le montant de ses dépôts. Ces aléas sont soit favorables, en fin de période, la banque se trouve dans l’état U (pour up), soit défavorables, la banque est dans l’état D (pour down).

Dans le cas du choc de solvabilité (cf. tableau 1 ci-contre), la valeur de l’encours de crédits passe de 120 à 125 dans l’état U et baisse à 115 dans l’état D. Comme les dépôts sont constants (par construction de notre exemple), l’ajustement se fait sur les fonds propres (de 10 dans l’état initial à 15 pour U, ou à 5 pour D). Le levier (rapport du total du bilan aux fonds propres) fluctue violemment : de 12 à 8 (cas U) ou à 23 (cas D). Si, comme dans notre exemple, les fonds propres doivent être au minimum d’une fraction (ici, 1/12e) de l’encours de crédits, la banque devient donc « insolvable » après un choc défavorable.

 
Tableau 1 - Choc de solvabilité

Examinons maintenant le cas d’un choc sur les dépôts, ce que nous appelons le choc de liquidité (cf. tableau 2). Dans ce scénario, la valeur de l’actif est constante à travers les deux états U et D, ici égale à 120, sa valeur de départ. Ce sont les ressources qui fluctuent, les dépôts augmentant de 80 à 90 dans l’état favorable (U) et se réduisant symétriquement (de 80 à 70) dans la situation défavorable (D). Comme les fonds propres n’ont pas de raison d'être impactés (la variation des résultats de la banque est du second ordre), l’ajustement doit s’opérer sur le refinancement auprès de la banque centrale. Dans la situation D, le besoin de refinancement est tel (40) que la banque dépasse les limites acceptables pour la politique monétaire et prudentielle et se trouve en état de faillite.

 
Tableau 2 - Choc de liquidité

Comme on a des raisons de penser que les deux aléas, sur les crédits et sur les dépôts, sont corrélés, on va « mixer » les deux situations.

Notre troisième exemple (cf. tableau 3 infra) fait donc l’hypothèse que (1) l’actif fluctue de 120 dans l’état initial à 125 dans l’état U et 115 dans l’état D et que (2) les dépôts sont gonflés par le succès (de 80 à 90) lorsque les crédits sont réévalués (cas U), ou retirés (ils baissent de 80 à 70) pour aller vers des banques réputées plus sûres lorsque les risques d’insolvabilité augmentent (cas D). La manière dont les entrées des tableaux qui suivent sont calculées en découle : les crédits fluctuent au gré du choc de solvabilité, avec leurs conséquences sur les fonds propres, les dépôts varient selon le choc de liquidité et l’ajustement se fait sur le refinancement.

 
Tableau 3 - Superposition des deux aléas

Le résultat correspond à une double crise d’insolvabilité et de liquidité. Mais, jusque-là, nous n’avons pas examiné l’impact sur le collatéral de ces différents scénarios.

Prise en compte du collatéral

Même pour cette banque très simple, le collatéral joue un rôle, qu’il nous faut maintenant explorer. Certes, les crédits sont en blanc, mais le refinancement auprès de la banque centrale se fait toujours contre une garantie. Les crédits éligibles au refinancement sont une fraction, dûment spécifiée, des crédits consentis par la banque. Par ailleurs, pour ces crédits acceptés par la banque centrale comme gage, un haircut est exigé pour donner une marge de sécurité au prêteur. Si, dans notre exemple, on fait l’hypothèse que 30 % des crédits sont éligibles et que l’abattement exigé est de 1/6, alors, comme indiqué sur le tableau 4, dans notre situation de départ, le refinancement maximum est de 30.

Par conséquent, puisque, dans la situation de départ (état 0), le refinancement est pleinement utilisé, on peut détacher du bilan de la banque un sous-bilan retraçant le sous-ensemble des opérations entièrement gagées (cf. tableau 4) : la banque immobilise 36 de crédits éligibles (30 % de 120) et doit mettre en face 6 de fonds propres et 30 de financement par la banque centrale.

 
Tableau 4 - Sous-bilan des actifs gagés

Comme la banque utilise à plein ses possibilités de refinancement, on peut alors, par soustraction, calculer un bilan net des opérations « en blanc » dans les trois scénarios examinés plus haut : choc de solvabilité, choc de liquidité, choc combiné des deux risques. Il fait apparaître une situation de liquidité et de solvabilité nettement fragilisée.

Examinons d’abord le choc de solvabilité seul (cf. tableau 5). La valeur des actifs non gagés est au départ : 120 – 36 = 84. Puisque le refinancement est nécessairement gagé, le bilan net (non gagé) ne comprend pas de recours à la banque centrale et la contrepartie des actifs est constituée des dépôts et, pour le solde, des fonds propres. Le principal résultat qui ressort du tableau 5 est que dans l’état défavorable (D), la banque est dans un état de faillite : ses fonds propres sont négatifs et elle ne peut avoir recours à la banque centrale, ayant épuisé ses capacités de tirage.

 
Tableau 5 - Choc de solvabilité (bilan net)

La situation est meilleure dans le cas d’un choc de liquidité (cf. tableau 6) parce que les fonds propres ne sont pas affectés. Mais l’état défavorable est néanmoins problématique, puisque la banque n’a pas assez de dépôts pour financer les prêts non gagés et a impérativement besoin d’un supplément de refinancement à la banque centrale. Ici encore, le défaut n’est pas loin.

 
Tableau 6 - Choc de liquidité (bilan net)

Si l’on superpose les deux aléas (cf. tableau 7 infra), les effets précédents se cumulent.

 
Tableau 7 - Superposition des deux aléas (bilan net)

Le résultat qui ressort de notre exemple se résume ainsi : la contrainte de collatéralisation affaiblit la partie non gagée du bilan. Les dépôts ne sont plus correctement couverts par des actifs rentables et, toutes choses égales par ailleurs, la fragilité des banques est accrue. Et ce qui est vrai dans cet exemple simple l’est encore plus dans un monde où le recours au gage va bien au-delà des seuls repos de la banque centrale.

La contrainte globale explicitée

Nous allons maintenant transposer le petit modèle présenté plus haut à la réalité du système bancaire tel qu’il est aujourd’hui. Le raisonnement n’en est pas altéré.

Partons du bilan des banques prises dans leur ensemble2. À l’actif, on trouve :

  • les encours de crédits (du moins ceux qui leur restent après avoir distribué les crédits « titrisés » qu’elles ont « originés »), dont une fraction est éligible auprès de la banque centrale, comme dans les paragraphes précédents ;
  • des titres qui leur servent à la fois de coussin de sécurité, de réserve pour le refinancement auprès de la banque centrale (qui les admet comme collatéral, en plus des crédits), de portefeuille de trading, de couverture pour leurs positions de dérivés, et de gage pour les repos ;
  • des réserves auprès de la banque centrale ;
  • enfin, le « net » des valorisations de leurs dérivés (swaps, options et autres produits plus sophistiqués).

Au passif, figurent :

  • leurs fonds propres nets (des goodwills et des immobilisations) ;
  • les dépôts retail ;
  • les repos (qui sont le net des repos et des reverse repos, mais, dans le cas des banques prises dans leur ensemble, les repos sont toujours supérieurs aux reverse repos et leur servent désormais de financement usuel) ;
  • la dette de marché, elle-même composée de dette secured (covered bonds) et unsecured (certificats de dépôt, obligations, crédits en blanc) ;
  • et enfin, le refinancement (qui est une forme particulière de repo) auprès de la banque centrale.

C’est ce bilan qui est présenté dans le tableau 8, pour l’ensemble des banques de la zone euro au milieu de 2011, après un retraitement qui, moyennant quelques hypothèses, permet de faire apparaître ces agrégats.

 
Tableau 8 - Bilan des banques de la zone euro (en Md€)
Source : BCE.

Quels sont les éléments de ce bilan qui engendrent un besoin de collatéral ? À l’actif, la titrisation est une « destruction de collatéral » du point de vue des banques : les crédits vendus par la banque disparaissent de son bilan et ne peuvent plus servir de support pour un refinancement (mais, en parallèle, le financement correspondant peut être remboursé). Au passif, hormis la dette en blanc et les fonds propres, tous les postes génèrent un besoin de collatéral : les repos ont pour contrepartie des titres ; les covered bonds mobilisent des crédits octroyés par la banque, le refinancement à la banque centrale doit être couvert par des titres de bonne qualité ou des crédits éligibles à cet effet. Et il faut compter que, par précaution, les banques vont devoir garder en réserve pour d’éventuels besoins supplémentaires des titres et des crédits réputés éligibles à la banque centrale. Pour chacun de ces usages, le besoin de collatéral est supérieur au financement auquel il sert de gage : un haircut approprié est requis au passage pour donner une assurance au prêteur contre une dépréciation éventuelle du prix de l’actif donné en garantie. Ce haircut a souvent été faible, de l’ordre de quelques pourcents, avant la crise financière. Il est couramment de 20 % à 30 % aujourd’hui. Et la Banque centrale européenne (BCE) n’est pas en reste : elle introduit désormais des marges de précaution de 40 % à 60 % !

Cette présentation par le bilan est très en deçà de la réalité : les dérivés, dont le solde est insignifiant, mais dont les montants bruts sont gigantesques, génèrent une demande de collatéral et des appels de marge qui sont ici négligés ; les opérations entre banques, qui sont ici éliminées du fait de l’agrégation de l’ensemble des banques en un seul agent, sont également gourmandes en collatéral et, en cas de difficulté, peuvent engendrer des demandes supplémentaires qui n’apparaissent pas non plus.

De ce qui précède, il résulte qu’une fraction non négligeable de l’actif des banques est hypothéquée pour sécuriser les financements gagés dont elles bénéficient. La question est alors la suivante : ce qui reste à l’actif du bilan des banques (les réserves à la banque centrale et les crédits ou les titres « libres » de tout engagement des banques vis-à-vis de leurs créanciers) suffit-il à garantir aux prêteurs en blanc (les déposants retail et les prêteurs unsecured sur le marché) la bonne fin de leurs créances ? En outre, comme les meilleurs actifs ont déjà été mis en gage, il serait normal que ces prêteurs, lorsqu’ils confient leurs ressources aux banques, soient au moins aussi prudents que les autres prêteurs (banque centrale et prêteurs secured) et, au moins dans leur analyse du risque, comptent sur une marge de sécurité, un haircut au moins égal à celui qui a été accordé aux autres. Telle est la « contrainte du collatéral ».

Lorsqu’on évalue la somme de ces dépôts et financements non garantis, on trouve qu’ils représentent environ 13 500 Md€ : 10 335 Md€ de dépôts plus 3 160 Md€ de financements unsecured. Et le refinancement (538 Md€), les repos (440 Md€) et les covered bonds (1 587 Md€) exigent environ 2 600 Md€ de collatéral, avant haircut, soit plus de 3 000 Md€ après une prise en compte de cette marge. Si l’on fait l’hypothèse que les banques souhaitent conserver 50 % de leur refinancement en actifs éligibles, au cas où elles en auraient besoin, soit, après haircut, environ 250 Md€, alors il reste 16 679 – 3 250 = 13 429 Md€ pour couvrir les 13 500 Md€ qui, normalement, devraient être couverts à 120 % au minimum, soit à hauteur de 16 200 Md€. On est loin du compte. La « contrainte du collatéral » est à l'œuvre, et elle mord.

Est-on trop pessimiste ?

On pourrait objecter l’existence même d’une « contrainte de collatéral » que seule la contrainte de solvabilité devrait importer aux déposants et aux prêteurs en blanc, puisqu’elle exprime que l’actif net des banques est supérieur à l’exigence de fonds propres imposée par le régulateur. Si une banque est solvable au sens qui vient d'être indiqué, c’est qu’après tout, elle est en mesure de rembourser ses dettes sans entamer ses fonds propres. Pourquoi lui en imposer davantage ? Ce qui vaut pour les dépôts ou les crédits unsecured vaut aussi bien pour les dépôts ou les crédits gagés. Pourquoi les prêteurs exigent-ils, plus que par le passé, des garanties ou du collatéral si la banque est « solvable » ? La réponse à cette question est simple : dans un monde devenu éminemment risqué depuis la crise de 2008, il est prudent de se couvrir au cas par cas pour ne pas avoir à dépendre en cas de malheur du sauvetage de la banque défaillante par l’État ou du bon vouloir d’un repreneur. Les haircuts sont donc un substitut à une analyse détaillée de la solvabilité dans un monde d’information imparfaite et asymétrique. Pourquoi la règle qui prévaut pour les prêteurs qui prennent des garanties ne s’appliquerait-elle pas aux prêteurs en blanc qui prennent davantage de risque ?

Si l’on admet par conséquent qu’il existe une « contrainte du collatéral » à l’échelle macroéconomique, distincte des contraintes de liquidité et de solvabilité qui nous sont désormais – Bâle III oblige – familières et qui résulte de la pratique qui s’est développée de gager de plus en plus d’actifs pour sécuriser les crédits faits par les acteurs du système financier, la question suivante est de savoir à quelles conditions les banques de la zone euro pourraient s’en affranchir.

Les principales variables d’ajustement conjoncturelles sont (1) le niveau des haircuts, (2) l’importance des fonds propres et (3) la marge de manœuvre que les banques veulent se réserver pour faire appel au refinancement de la banque centrale.

Il faudrait des haircuts beaucoup plus faibles que ceux que l’on observe aujourd’hui pour que cette contrainte cesse d’agir. Compte tenu des réglementations qui se mettent en place et de la volatilité de l’environnement de marché, il est peu probable que cette contrainte s’affaiblisse dans le nouveau contexte financier.

Plus les fonds propres sont élevés, plus il existe une marge entre l’actif des banques et le passif exigible par leurs créanciers et plus, par conséquent, les banques peuvent s’accommoder d’un haircut élevé. Dans le cas où une banque ne serait financée que par des repos et des fonds propres, ceux-ci devraient être égaux aux haircuts des prêteurs de repos. Avec les niveaux des haircuts mentionnés, on comprend que l’on parle ici de ratios de solvabilité bien supérieurs à ceux qui prévalent aujourd’hui, ou même qui sont envisagés par les réformes en cours.

Miser sur la réserve d’actifs nécessaire aux banques pour être parées en cas de besoin imprévu de refinancement, du fait de retraits inopinés ou de non-renouvellement de repos ou même d’une poussée de la distribution du crédit n’est guère envisageable : ce serait prendre un risque de liquidité inacceptable. Au contraire, l’analyse faite ici a plutôt minimisé la gestion de la liquidité et ne prend pas en compte, par exemple, le besoin de high quality liquid assets, libres de tout engagement. Par conséquent, il y a peu de voies de sortie de ce côté-là.

Restent alors des évolutions plus structurelles. Elles passent par la réintermédiation et la réduction de la part des fonds ou en tout cas de ce désormais très vaste secteur – connu sous le nom de shadow banking system – qui collecte de l’épargne du secteur non financier et la replace dans les marchés primaires (en actions et obligations), mais aussi auprès des banques.

Quel équilibre entre les banques et les fonds ?

Le monde financier contemporain ne peut plus être décrit comme celui d’une intermédiation bancaire qui assure toute seule la canalisation de l’épargne des ménages vers les entreprises. Il ne peut pas non plus être réduit à une juxtaposition de banques et du « marché » financier. Il faut désormais prendre en compte un autre acteur, celui que nous désignons ici par l’expression « les fonds ». Il regroupe tous les investisseurs (institutionnels) : les assureurs, les fonds souverains et les fonds de pension, les OPCVM et les fonds mutuels, les hedge funds et le private equity. Tous collectent de l’épargne du secteur non financier et la réinvestissent pour l’essentiel dans des instruments de marché, mais aussi dans les banques. Et c’est précisément de ce canal de financement des banques que nous parlons ici.

On peut donner une idée de l’importance de ce secteur à partir des statistiques de la BCE. Pour la même date du milieu de 2011, le bilan reconstitué de ces « fonds », vus comme un tout agrégé, se présente comme indiqué dans le tableau 9.

 
Tableau 9 - Bilan des fonds (en Md€)
Source : BCE.

Le bilan ainsi reconstitué comprend plusieurs imperfections, mais il fait ressortir ce fait désormais incontournable : la collecte des fonds (12 953 Md€) est supérieure à celle des banques (10 335 Md€). À l’actif, l’ensemble des avoirs gagés (repos, covered bonds et titrisations) représentent 3 577 Md€, soit près de 28 % des fonds collectés. Avec les dépôts (3 160 Md€), c’est presque la moitié des fonds qui est injectée dans le système bancaire, le reste (7 654 Md€) étant directement investi sur les marchés.

La vitesse de circulation du collatéral

Il y a pour le collatéral un équivalent de la théorie quantitative de la monnaie, dont on sait qu’elle affirme que si M est le stock de monnaie dans l’économie et T le montant des transactions (en valeur) pendant une période (trois mois, un an), alors MV = T, où V est la vitesse de circulation de la monnaie. Pour que la monnaie émise permette d’effectuer les transactions T, il faut que le stock d’encaisses « tourne » V fois dans la période. Cette égalité est en fait une identité : elle définit V. Pour le collatéral, on peut introduire de la même manière une vitesse de circulation v. Étant donné un stock de collatéral C et un montant de transactions θ, on aura : Cv = θ. Pour permettre la réalisation d’un montant θ de transactions pendant une période, il faut que le collatéral tourne v fois. Les seules estimations disponibles de v ont été faites par Singh (2011) et ont abouti à des valeurs de 2 à 3 en moyenne, en prenant pour θ une estimation de l’encours des crédits collatéralisés à une date donnée. Notre point de vue est ici différent. Il s’agit de partir des opérations des banques et de considérer θ comme le volume de crédits gagés, non seulement à une date donnée, mais aussi sur une période donnée (disons une année) et de confronter cet agrégat à l’encours de collatéral disponible. Cela va nous permettre de calculer de manière beaucoup plus précise v et de révéler les deux dangers qui sous-tendent la pratique de la collatéralisation.

Il nous faut pour cela faire quelques hypothèses.

(1) La « demande » de collatéral correspond à deux types de besoins, un besoin prudentiel, principalement pour le refinancement auprès des banques centrales, et un besoin opérationnel, pour l’activité de marché génératrice de revenus des banques. Supposons que ces deux volets soient équivalents et représentent chacun 50 % du besoin.

(2) Faisons ensuite une hypothèse sur le rythme de rotation qui corresponde à chacune de ces composantes :

  • les 50 % de besoins « prudentiels » ne tournent qu’une fois dans l’année (une hypothèse plutôt conservatrice, faute de mieux). Pour 1 Md€ de financement, il faut donc, avec un haircut de 20 %, 1,2 Md€ de collatéral ;
  • les 50 % restants tournent très vite, et plus vite encore du côté du financement (les repos) que de celui des prêts (les reverse repos) : du côté des repos, 50 % sont des repos overnight et 50 % ont une maturité d’une semaine. En supposant qu’il y a 220 jours ouvrés et que l’on pratique les emprunts à une semaine seulement pendant 40 semaines dans l’année et en prenant un taux de haircut de 20 % en moyenne, pour 1 Md€ de financement, il faudrait sur une année : 0,5 Β 220 Β 1,2 + 0,5 Β 40 Β 1,2 = 156 Md€ de « transactions utilisant du collatéral ». Face à 1 Md€ de financement total pour les deux motifs, prudentiel et opérationnel, il faudra donc (1,2 + 156)/2 = 78,6 Md€ de collatéral et on aura v = 78,6 ;
  • face à ce milliard d’euros de repos, au moins dans l’activité commerciale (soit 0,5 Md€ dans notre exemple), il y a des reverse repos. Faisons l’hypothèse qu’ils sont en moyenne à un mois (la banque fait de la « transformation ») et qu’ils représentent 80 % des repos. Si l’on suppose des haircuts identiques (à 20 %), cela signifie que l’on « emprunte » à un mois 0,48 Md€ de titres (80 % Β 500 Β 1,2), qui s’ajoutent en quelque sorte au collatéral disponible pour les activités opérationnelles et les repos. La vitesse de circulation v devient : v' = 78 Β 6/1,48 = 53,1.

Peu importe que la vitesse de circulation soit 78 ou 53, sa valeur est en tout cas énorme. Pour donner un ordre de grandeur, la vitesse de circulation de la monnaie est de l’ordre de 1 sur une année.

Bien sûr, cela n’est qu’un exemple et l’on peut imaginer des hypothèses qui réduisent cette vitesse de circulation, mais si l’on réduit v ou v' à 20 ou 30, le résultat est le même : c’est d’un ordre de grandeur différent de 2 ou 3, qui sont les chiffres avancés par les économistes du Fonds monétaire international (FMI). Avec ces ordres de grandeur, le risque opérationnel est réel. Connaissant la taille du marché des repos, un multiple de 50 à 78 conduit à une manipulation de titres vertiginale sur une année. Mais les banques sont habituées à manipuler des flux gigantesques et des procédures de contrôle et de sécurité peuvent être mises en place. Le plus gros danger est ailleurs. Il vient de ce que, dans ce processus, le même titre peut servir de gage pour deux prêts différents et deux bénéficiaires différents. Imaginons qu’une banque B prête sur une durée de trois mois 100 M€ à une banque A sous forme de reverse repos et obtienne en contrepartie pour une valeur de 120 M€ de titres, comme garantie, avec le droit de réutiliser ces titres. Si B utilise ces titres pour emprunter à un mois 100 M€ à une banque C, que peut-il se passer ? Si tout va bien et que les banques respectent leur engagement, tout se déboucle parfaitement et, dans un mois, B peut recommencer la même opération avec C ou un autre établissement. C’est une mécanique bien huilée qui peut fonctionner très efficacement. Mais si, au bout de quinze jours, A tombe en faillite, B ne dispose plus du gage puisqu’il a été cédé à C et si B n’est pas capable de remplacer les 100 M€ pendant les quinze jours qui le séparent de l’échéance de son repo auprès de C, il risque d'être à son tour défaillant : un effet de contagion est enclenché. Il n’y a pas de miracle : utiliser 100 M€ de gage pour garantir 200 M€ de crédit, cela ne fait pas le compte.

Se fait-on peur pour rien avec cette présentation ? Après tout, ce qui est décrit ici suit la logique de rotation des stocks d’un supermarché. La différence, outre le risque qui accompagne le produit (qu’il s’agisse de crédit ou de titre), c’est qu’il y a ici une chaîne de supermarchés qui s’achètent et se vendent les produits sur les rayons et que cela lui confère son caractère systémique.

Implications macroéconomiques

Quels enseignements tirer de cette analyse pour la politique monétaire et la régulation macroéconomique ?

1– L’offre de crédit par les banques est, bien sûr, soumise à l’impératif de solvabilité et de liquidité, et ce, même en l’absence d’effets bilanciels du collatéral. Pour un encours donné de crédits, les indicateurs de solvabilité et de liquidité se détériorent lorsque le niveau de stress financier augmente. Aussi, la banque doit-elle s’assurer que la probabilité de voir ses indicateurs passer dans le rouge reste inférieure à un seuil donné à l’avance, disons 1 % ou 5 %.

Lorsqu’on fait varier cet encours, il est aisé de montrer (cf. annexe) que la probabilité de défaut (ici, l’insuffisance de fonds propres au regard de ceux exigés par la réglementation) augmente très faiblement avec l’offre de crédit. En revanche, la probabilité d’une crise de trésorerie (ou de liquidité, au sens où il est impossible de trouver les refinancements nécessaires) est une fonction croissante de l’offre de crédit.

Cela résulte de ce que le premier risque est modulé, à moyen terme, par le ratio de fonds propres réglementaire, tandis que le second est sous la dépendance étroite de paramètres fixés par la banque centrale : la part des crédits éligibles à son refinancement et la décote (haircut) qu’elle leur applique. Ainsi, l’arsenal dont dispose la politique monétaire ne se réduit pas, comme on le dit souvent, aux seuls taux d’intérêt (taux du refinancement et rémunération des dépôts). La banque centrale peut mener une politique de rationnement de son refinancement, qui va « mordre » dans certaines circonstances.

2– Que se passe-t-il lorsqu’on tient compte de surcroît de la « contrainte » du collatéral pour définir les indicateurs de liquidité et de solvabilité ?

Premièrement, la solvabilité des banques est affectée par la politique quantitative de refinancement, ce qui n’était pas le cas auparavant. Les fonds propres sont amputés de sommes soustraites du bilan du fait de cette contrainte, qui correspondent aux exigences de haircut.

Deuxièmement, la liquidité de la banque est sensiblement affaiblie, la banque ne pourra désormais faire face à d’éventuels besoins de refinancement qu’avec des moyens réduits, puisqu’une partie des crédits éligibles auront déjà été consommés et qu’il est légitime de garantir les dépôts de la clientèle avec une autre masse de crédits (un haircut serait là aussi nécessaire) et sans doute aussi de conserver un matelas de sécurité pour faire face aux aléas.

Pour une offre de crédit donnée, solvabilité et liquidité sont donc dégradées par la contrainte du collatéral.

En sens inverse, si la banque s’impose une limite supérieure aux risques de défaut ou d’illiquidité, son offre de crédit sera plus faible lorsque l’usage du collatéral est généralisé que si tous les refinancements étaient consentis en blanc.

3– La conséquence de ce déplacement de l’offre de crédit est, pour une demande inchangée, une hausse des taux d’intérêt débiteurs, ou des spreads sur les crédits. Le credit crunch ne se matérialisera pas nécessairement par un rationnement, mais par une hausse des taux à payer par les emprunteurs. L’effet dépressif n’en est pas moins réel.

4– Mais il y a plus préoccupant. La demande de garanties sous forme de collatéral se fera d’autant plus pressante que les acteurs du système financier seront devenus plus sensibles au risque (que leur aversion au risque aura augmenté) ou qu’ils percevront une montée de l’incertitude. La contraction de l’offre de crédit qui s’ensuit sera ainsi aggravée. Une boucle négative s’amorce, qui peut conduire à la paralysie du marché interbancaire, comme on l’a observé durant la crise de 2008. Dans ces circonstances, le rôle de la banque centrale est précisément de faciliter l’accès à son guichet de refinancement, en accueillant des « papiers » moins sûrs et en plus grande quantité. Ce que la Federal Reserve et la BCE ont fait, avec plus ou moins de détermination selon les moments.

5– La collatéralisation n’est pas une pratique nouvelle. Elle était de règle en France au temps de l’escompte et du réescompte. Mais son extension crée un problème nouveau et devrait nous interroger sur l’efficacité des règles prudentielles de Bâle. Celles-ci n’ont en aucune manière réussi à prévenir ou à limiter la crise. Le « marché » s’est substitué à ces règles en réactivant un mode ancien de gestion des risques. Durcir un peu plus la réglementation, comme le prévoit Bâle III, aura pour effet de corseter inutilement les banques, à un moment où elles ont appris à s’autodiscipliner.

6– La pratique de la réutilisation d’un même gage pour plusieurs opérations qui s’emboîtent conduit à des vitesses de circulation du collatéral considérables et pose aux régulateurs un délicat problème : y mettre fin brutalement créerait du désordre et contribuerait à « gripper » le système. Ne rien faire serait une politique de l’autruche. Un suivi et une politique de risque adaptés doivent sans doute être imaginés pour dégonfler progressivement le sujet et permettre aux marchés de continuer à fonctionner de manière fluide.

7– Enfin, ce constat nous suggère que la principale manière de rétablir une structure plus saine dans le financement de l’économie est soit de réduire la part des fonds par rapport à celle des banques, de manière que le rapport « dépôts/collecte de fonds » augmente, soit d’inciter les fonds à réduire la part des actifs secured dans leur bilan. Le problème structurel du système financier est aussi celui-là.


Notes

1 De ce point de vue, notre approche renvoie aux travaux de Holmtrom et Tirole (1997).
2 Les statistiques présentées ici sont tirées du Bulletin mensuel de statistiques de la BCE, de décembre 2011. Une annexe méthodologique, disponible auprès des auteurs, explicite les regroupements faits et les simplifications opérées.
3 iLes tableaux présentent successivement l’intitulé de chaque poste, la notation utilisée dans le modèle (RO : réserves obligatoires, L : crédit à la clientèle...) et la valeur numérique retenue dans les simulations. Parfois, une colonne supplémentaire donne l’équation qui permet de calculer cette valeur numérique.

Bibliographies

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Shleifer A. et Vishny R. (2010), « Unstable Banking », Journal of Financial Economics, septembre, pp. 306-318.
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Song Shin H. (2009), Risk and Liquidity, Clarendon Lectures, Oxford University Press.

Annexe

ANNEXE

Cette annexe a pour objet d’évaluer à l’aide d’une maquette chiffrée l’influence de la « contrainte du collatéral » sur la liquidité et la solvabilité des banques. Notre modélisation incorpore davantage de détails que l’exemple à visée pédagogique présenté dans le corps du texte. Mais elle ne reflète qu’imparfaitement la complexité des banques d’aujourd’hui.

Le bilan d’ouverture de l’établissement représentatif est décrit dans le tableau 10i3.

Tableau 10 Bilan de la banque (début de période)

Au terme du premier exercice, certains clients n’auront pas pu rembourser la banque, ou certains titres se seront dépréciés. Cet effet est pris en compte à l’aide de la variable CDL, le montant des créances douteuses et litigieuses. Ces créances donnent lieu à provisions (définitives et à 100 %) venant amputer le résultat. De même, la banque aura pu assister à un retrait des dépôts, de nature à déséquilibrer son bilan. Ces deux types de désagréments sont supposés « gouvernés » par une même variable représentative du niveau de « stress » financier notée α.

Le tableau 11 montre comment varient les dépôts et les CDL (rapportés à l’encours de crédits initial) lorsqueα prend des valeurs de plus en plus élevées.

Tableau 11 CDL et dépôts en fonction du stress

Les tableaux suivants fixent la valeur des paramètres et des variables exogènes permettant d’établir le bilan de fin de période et de calculer des indicateurs de rentabilité de la banque.

Tableau 12 Notations et calibrage
Note : ce premier scénario correspond à une situation « normale » dans laquelle la variable α vaut 0.
Tableau 13 Équations

On peut associer à ce compte des indicateurs de solvabilité et de liquidité calculés selon le principe suivant :

  • la banque est d’autant plus solvable que ses fonds propres dépassent les exigences de la réglementation. Le ratio minimum « fonds propres/crédits » est ici fixé à 7 %. C’est l’écart relatif à cette norme qui est mesuré ;
  • de même, on dira que la banque est d’autant plus liquide qu’elle dispose de suffisamment de crédits éligibles à la banque centrale pour faire face à un besoin de refinancement inopiné. Or la banque centrale va imposer une décote h (haircut) de l’actif apporté en gage et, de plus, elle n’acceptera que des crédits ou des titres de qualité suffisante, en proportion e de leur encours.

Les valeurs retenues ici sont :

  • fraction éligible des crédits (e) : 16,70 % ;
  • haircut (h) : 30 %.

Les indicateurs de solvabilité et de liquidité sont donnés ci-dessous, en situation « normale » (α = 0).

L’écart entre le potentiel de refinancement RFmax et le refinancement effectif est normé par le total de l’actif.

On voit que pour ces valeurs de paramètres, la banque jouit d’une certaine aisance. Sa situation va se gâter dans un environnement de « stress financier ».

Prise en compte du collatéral

Ayant admis que le refinancement auprès de la banque centrale donne lieu pour sa totalité à la mise en gage de créances, nous pouvons retracer cette opération à l’aide du « sous-bilan » figurant dans le tableau 14.

Tableau 14 Sous-bilan de l’opération de collatéralisation

Ce sous-bilan vient en soustraction du bilan de fin de période pour donner une image plus exacte de la situation de la banque.

Tableau 15 Bilan de la banque corrigé du collatéral

De ce tableau 15, on va dériver des indicateurs de solvabilité et de liquidité qui tiendront compte de l’existence de gages.

L’indicateur de solvabilité ISCC met en regard les fonds propres qui restent disponibles et les fonds propres exigés par la réglementation (soit k = 7 % des crédits non gagés).

Les données suivantes sont retenues :

  • indicateur de solvabilité corrigé du collatéral (ISCC) : 20,7 % ;
  • ISCC = (FP – (h/(1 – h)) Β RF)/(k(Lng – CDL)) – 1 ; signe attendu : +.

On constate une nette dégradation de l’indicateur de solvabilité, soit ISCC = 20,7 %, contre IS = 37,7 % précédemment.

L’indicateur de liquidité retenu maintenant mesure la possibilité de mobiliser suffisamment de crédits éligibles (en supposant, ce qui est optimiste, que la proportion des crédits éligibles dans le portefeuille restant est inchangée) pour obtenir le refinancement correspondant à la marge de sécurité s.

On met en regard :

  • e (L – CDL) – (RF/(1 – h)) – (D/(1 – H)), soit le total des crédits éligibles amputé de ceux déjà consommés à garantir le refinancement initial et les dépôts. Pour ces derniers, l’hypothèse faite est que pour chaque euro de dépôts, l’exigence normale est de disposer de 1/(1 – H) de crédits, H étant le haircut demandé. Comme les meilleurs crédits ont déjà été appréhendés par la banque centrale, H sera sans doute supérieur à h ;
  • un besoin éventuel de refinancement s : RF/(1 – h) ;
  • l’écart entre ces deux grandeurs est ici aussi normé par le total du bilan.

La dégradation est encore plus nette. L’indicateur est maintenant passé dans le rouge, en prenant la valeur –1,1 %.

Les données suivantes sont retenues :

  • indicateur de liquidité corrigé du collatéral (ILCC) ;
  • ILCC = – 1,1 % = (1/totalA) Β (e[(L – CDL) – (RF/(1 – h)) – (D/(1 – H))] – [s Β RF/(1 – h)]).

Le taux de haircut influence ISCC, mais il est sans effet sur IS. On démontre simplement que ISCC devient inférieur à IS dès lors que h < FP/(L – CDL). Ce qui se produit dans notre exemple numérique pour h = 9,6 % (au niveau de stress = 0).

On notera également que ILCC a de bonnes chances d'être inférieur à IL. Dans notre exemple, c’est le cas pour toutes les valeurs de l’haircut.

Tableau 16 Variation des indicateurs en fonction du haircut (en %)

Cette variable a donc un rôle déterminant pour le fonctionnement de la banque. Le même raisonnement vaudrait pour le taux d’éligibilité.

Effet sur l’offre de crédit

On a ensuite testé un scénario dans lequel l’offre de crédit est portée de 115 à 130. Les conséquences sur les indicateurs de solvabilité et de liquidité sont sans surprises.

Le graphique 1 (infra) indique que la solvabilité est, en temps normal, modérément affectée, probablement parce que les profits de la banque viennent compenser la montée des provisions (CDL). La prise en compte du collatéral amplifie les effets.

Graphique 1 Indicateurs de solvabilité en fonction du stress (en %)

La sensibilité des indicateurs de liquidité à l’offre de crédit est sensiblement plus forte, comme le montre le graphique 2. Mais l’impact de la contrainte de collatéral s’affaiblit du fait de l’abondance relative de crédits éligibles au refinancement.

Graphique 2 Indicateurs de liquidité en fonction du stress (en %)

On a tenté de probabiliser les situations de stress financier en faisant l’hypothèse que la variable α suit une loi normale de moyenne nulle et d’écart type égal à 1.

Tous calculs faits, on constate que la probabilité que les indicateurs de solvabilité deviennent négatifs augmente avec l’offre de crédit et est plus élevée lorsque la contrainte du collatéral est explicitée.