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 Compensation par contrepartie centrale et assurance contre le risque systémique sur les marchés dérivés de gré à gré


Thorsten V. KOEPPL Queen’s University.
Cyril MONNET Université de Berne, Study Center Gerzensee.
Les chambres de compensation peuvent-elles gérer les risques présents sur le marché de gré à gré des produits dérivés ? Pour répondre à cette question, nous exposons deux angles d’approche sur les pratiques de gestion des risques des chambres de compensation : l’angle des contrats se concentre sur la question de la gestion des pertes en cas de défaut, alors que sous l’angle des contreparties, on considère la probabilité d’un défaut en premier lieu et donc les incitations à prendre des positions risquées. En appliquant cette dernière approche au marché des contrats dérivés, nous concluons que l’introduction d’une chambre de compensation sur ce marché incitera à une prise de risque plus importante et à l’échec collectif des participants à prendre en compte la concentration du risque systémique sur ce marché. Cette externalité sera magnifiée avec l’introduction d’une chambre de compensation qui concentrera le risque et donc deviendra trop importante pour faire faillite. Afin de corriger ce problème, nous proposons une assurance contre le risque systémique comme composante nécessaire d’une chambre de compensation pour les produits dérivés.

Dans les opérations financières, les obligations sont généralement définies bien avant qu’elles soient réglées. Par conséquent, le risque de contrepartie – le risque qu’une contrepartie manque à ses engagements – constitue une caractéristique omniprésente de la négociation financière. La compensation vise, d’une part, à assurer la validité juridique des obligations découlant des échanges et, d’autre part, à garantir une gestion appropriée du risque de contrepartie lié à ces obligations. Il y a plusieurs façons de mettre en place la compensation en tenant compte de cette seconde notion. Elle peut, par exemple, être organisée sur une base bilatérale : chacune des deux contreparties d’une transaction contrôle alors directement son exposition à l’autre. Elle peut aussi être effectuée en faisant appel à une entité spécialisée, une chambre de compensation, qui assure la compensation comme un service aux contreparties1. Celle-ci propose également d’autres services tels que la détermination du type de collatéral éligible, son montant, le dénouement des opérations en cas de défaut…

La technique de gestion du risque la plus complète est celle permettant le transfert intégral du risque de contrepartie à une chambre de compensation jouant le rôle de contrepartie centrale (CCP – central counterparty). Avec ce transfert du risque, les contreparties d’une transaction ne conservent aucune exposition directe au risque de défaut, la CCP le supportant entièrement. Dans la pratique, ce dispositif est généralement désigné par le concept juridique de novation, au moyen duquel la CCP devient « le vendeur de chaque acheteur et l’acheteur de chaque vendeur » sur un marché financier. Ainsi, la CCP garantit souvent les conditions de l’opération d’origine pour ses membres. Pour rendre cette garantie crédible, elle doit recourir elle-même à des instruments de gestion du risque tels que les marges, les réserves pour faire face au risque de défaut et les règles de participation aux pertes2. Nous souhaitons insister ici sur le fait que d’un point de vue économique, c’est le transfert du risque qui importe pour la compensation centrale : il conduit à un changement des expositions au risque de contrepartie pour les participants au marché, mais n’équivaut pas nécessairement à une garantie complète des opérations.

Dans cet article, nous nous interrogeons sur la façon dont la compensation centrale peut aider à rendre plus sûr le marché des dérivés de gré à gré (OTC – over the counter), un marché qui a été identifié comme étant une source de risque systémique non régulé dans le système financier. Nous commençons par passer en revue deux points de vue possibles en matière de gestion du risque et, donc, de compensation. Le point de vue du contrat envisage principalement la perte en cas de défaut dans les transactions financières, tandis que le point de vue de la contrepartie se penche avant tout sur la probabilité même d’un défaut et, en particulier, sur ce qui incite les contreparties à prendre des risques.

Le débat autour de la compensation centrale en général, et pour les dérivés de gré à gré en particulier, a surtout adopté la première approche et insiste sur les bénéfices de la réduction du risque. Néanmoins, en nous appuyant sur le second point de vue, nous soutenons que ces bénéfices sont discutables, le transfert de risque qui caractérise la compensation centrale ayant pour effet d’encourager une prise de risque individuelle et nécessitant par conséquent des augmentations supplémentaires de collatéral. Si le fait d’exiger une garantie supplémentaire en cas de compensation centrale permet de contrôler les expositions au risque, cette solution omet de prendre en compte l’externalité de risque systémique que les participants au marché des dérivés de gré à gré exercent collectivement sur le système financier. Dès lors que le risque est concentré, la CCP devient tout simplement trop importante pour faire faillite et les participants au marché profiteront de cette situation. Par conséquent, nous défendons l’idée qu’une assurance contre le risque systémique devrait être une composante essentielle de la compensation centrale sur ce marché.

Qu’est-ce qui est le plus important : le contrat ou la contrepartie ?

Le point de vue du contrat

Après avoir défini les obligations juridiquement contraignantes découlant des opérations, la compensation gère le risque associé à une transaction financière. Du point de vue du contrat, la gestion du risque considère la transaction en tant que telle et se concentre essentiellement sur la perte potentielle en cas de défaut. Lorsqu’un défaut survient, il y a une perte financière directe : il convient soit de liquider les positions à des conditions défavorables (ce que l’on appelle souvent risque de marché ou de fluctuation des prix), soit de remplacer certaines transactions pour maintenir une position globale sur les marchés financiers (ce que l’on appelle généralement le risque de coût de remplacement).

Le processus de compensation met en place des mécanismes de contrôle sur les positions globales de transactions et quantifie les pertes qui pourraient en découler. Ainsi, les gestionnaires de risques conçoivent des modèles pour fixer à tout moment le prix d’une position de transactions. Grâce à ces modèles, on calcule les exigences en matière de marge et on les ajuste lorsque des changements dans les prix ou dans les conditions du marché affectent l’ampleur des pertes auxquelles on peut s’attendre avec la transaction. Avec cette approche traditionnelle, on se préoccupe moins de savoir pourquoi l’opération a eu lieu, pourquoi elle a été conduite avec une contrepartie spécifique et quelle serait la probabilité d’un défaut3.

Le point de vue de la contrepartie

Le point de vue de la contrepartie délaisse l’accent mis sur la perte en cas de défaut pour se concentrer sur la probabilité d’un défaut. La gestion du risque prônée par le point de vue de la contrepartie cherche en premier lieu à minimiser la probabilité d’un défaut. C’est seulement ensuite que sont envisagées les pertes potentielles pouvant en résulter. En pratique, une bonne gestion du risque devrait prendre en compte les deux points de vue et concevoir des règles différentes de compensation pour les diverses contreparties.

Avec cette approche, l’évaluation et le contrôle de la qualité d’une contrepartie jusqu’au règlement sont essentiels. Si la probabilité d’un défaut était entièrement exogène et observable, il suffirait tout simplement de décliner tout échange commercial avec une contrepartie très risquée. Cependant, la probabilité d’un défaut ne peut être considérée comme exogène, certaines contreparties ayant plus de chances dese retrouver en défaut de paiement que d’autres : par exemple, une contrepartie pourrait accepter un risque supplémentaire excessif avant qu’une opération soit réglée ou pourrait n’avoir pas toujours intérêt à régler l’opération selon les termes qui avaient été convenus.

Par conséquent, cette approche reconnaît l’importance des incitations. Lorsqu’on envisage le risque de contrepartie, il convient de se préoccuper non seulement de la capacité, mais aussi de la volonté d’une contrepartie à s’acquitter d’une obligation. Malheureusement, l’étude de cette question n’est pas aussi simple que de déterminer le prix d’un contrat dans le but d’évaluer une perte potentielle en cas de défaut. Pourtant, des pratiques idéales de gestion du risque devraient inciter une contrepartie à honorer un engagement en temps voulu et à ne pas se lancer dans une prise de risque supplémentaire.

De la compensation bilatérale à la compensation centrale

En l’absence de dispositions centralisées en matière de compensation, les institutions financières compensent leurs opérations sur une base bilatérale. De ce fait, elles sont directement exposées au risque de défaillance de leur contrepartie et, par conséquent, limitent leur exposition aux contreparties qui ont le plus de chances de faire défaut. Ainsi, avec la compensation bilatérale, elles ont tendance à recourir aux deux points de vue en matière de gestion du risque, adoptant en premier lieu le point de vue de la contrepartie, les considérations du point de vue du contrat n’étant prises en compte qu’en second lieu.

La mise en place de la compensation centrale a grandement modifié cette hiérarchisation. Une CCP centralise les transactions de différentes contreparties et supporte le risque de contrepartie résultant de ces transactions. De ce fait, étant donné un ensemble d’opérations devant faire l’objet d’une compensation, la CCP réduit l’exposition au risque de contrepartie pour toutes les opérations. Mais avec ce transfert de risque, les institutions financières ne supportent plus directement le risque de défaut de leur contrepartie et, par conséquent, sont peu incitées à contrôler ce risque. Indépendamment du marché financier pris en considération, cela implique que la compensation centrale entraîne un équilibrage typique entre les bénéfices directs de la réduction du risque et les motivations des contreparties à internaliser correctement le risque. En matière de gestion du risque, le point de vue du contrat défend principalement les bénéfices liés à la réduction du risque, tandis que le point de vue de la contrepartie remet en question l’ampleur de tels gains.

Réduction du risque de contrepartie

En assumant le risque de défaillance pour un ensemble d’opérations, une CCP est en mesure d’obtenir globalement une réduction de l’exposition au risque de contrepartie. Par conséquent, elle peut abaisser les exigences en matière de collatéral par rapport à ce que ses membres demanderaient en cas de compensation bilatérale. Il y a deux raisons à cette réduction : la centralisation du risque de contrepartie et le netting (compensation des positions) par novation des expositions.

Premièrement, à travers le transfert du risque, la CCP est en mesure de centraliser le risque de contrepartie. Par conséquent, les membres de la CCP sont tous exposés à la probabilité de défaut moyenne, mais davantage au risque idiosyncrasique de défaut d’une contrepartie unique. En considérant que la probabilité de défaillance de chaque membre est exogène, la CCP peut prévoir la probabilité de défaut moyenne. Dans cet exemple, Koeppl et Monnet (2010) ont montré que dès lors que le risque de défaut est centralisé, une diversification du risque de défaut allège les exigences optimales en matière de collatéral dans la compensation centrale.

Deuxièmement, par le biais de la novation, la CCP est responsable des obligations de toutes les opérations. Elle est alors en mesure de compenser les expositions globales entre tous ses participants et, par conséquent, de réduire les expositions avant même que le défaut devienne un problème. Des expositions globales au défaut plus faibles entraînent automatiquement une réduction des exigences en matière de collatéral par rapport à ce que nécessiterait une compensation bilatérale. Plus important encore, des gains sont générés, d’une part, par le netting de contrats financiers similaires au sein d’un large éventail de contreparties et, d’autre part, par le netting de contrats financiers très différents au sein d’un ensemble de contreparties quel qu’il soit4.

Augmentation du risque de contrepartie

Ces arguments en faveur de la réduction du risque de contrepartie sont principalement basés sur le point de vue du contrat. Nous soutenons à présent que la compensation centrale peut également conduire à un renforcement des exigences en matière de collatéral, puisqu’elle modifie l’évaluation de la probabilité de défaillance dans les transactions financières. Cela peut être tout simplement attribuable au fait qu’une CCP possède de meilleures informations sur les positions commerciales. Mais, plus important encore, cela peut aussi résulter d’un changement dans les motivations individuelles des contreparties à prendre des risques dès lors que la compensation centrale a été mise en place. Par conséquent, les CCP pourraient être contraintes d’exiger davantage de collatéral, rendant ainsi la compensation centrale d’opérations plus coûteuse que la compensation bilatérale. Plusieurs arguments formels expliquent pourquoi le risque de contrepartie est perçu comme étant plus élevé avec la compensation centrale.

Premièrement, les opérateurs possèdent une information imparfaite concernant les expositions globales au risque de leurs contreparties et, de ce fait, sous-estiment la probabilité de défaut en cas de compensation bilatérale. La CCP a un avantage en ce qu’elle peut observer toutes les opérations soumises par ses membres (Leitner, 2012). Par conséquent, elle est plus apte à juger l’exposition globale au risque ; elle peut donc ajuster les exigences en matière de collatéral à un niveau plus approprié5. De façon plus générale, les parties contractantes pourraient également ne pas prendre en compte les coûts sociaux associés aux défaillances individuelles et, par conséquent, sous-estimer le prix du risque de défaut relatif à ce qui est socialement optimal.

Deuxièmement, peu d’éléments laissent supposer qu’une CCP soit en mesure d’obtenir plus d’informations au sujet de la qualité d’une contrepartie que ce qui est disponible en cas de compensation bilatérale. Koeppl (2012) défend l’idée que les participants au marché ont un avantage informationnel pour juger les motivations d’une contrepartie à prendre des risques. Si, une fois assurées, les contreparties sont incitées à s’entendre sur la prise de risque6 afin d’augmenter les gains qu’elles attendent de leurs échanges, la compensation centrale devra demander davantage de collatéral sur les opérations afin de contrôler le risque, rendant ainsi la compensation formelle plus coûteuse.

Troisièmement, avec la compensation centrale, les opérateurs sont peu incités à continuer de contrôler la qualité de leurs contreparties. Cela va contraindre la CCP à demander davantage de collatéral, à moins qu’elle soit en mesure d’assurer une grande qualité de contrepartie à travers ses conditions d’accès. Mais des conditions d’accès plus draconiennes réduisent les gains issus de la réduction du risque par le netting.

Quatrièmement, Koeppl et Monnet (2010) montrent que dans le contexte des marchés de gré à gré, le pouvoir de marché peut conduire à une mauvaise répartition du risque entre les opérations. Lorsque les opérateurs sont en position de force sur le marché, ils choisissent leurs opérations de façon à extraire des rentes sans prendre en compte la façon dont elles affectent le risque de contrepartie. Cela conduit à un risque de contrepartie trop élevé comparé aux bénéfices sociaux résultant des transactions sous-jacentes. Par exemple, les opérateurs peuvent être peu incités à satisfaire les besoins des utilisateurs finals en matière de couverture sur les marchés de dérivés puisqu’ils attendent des revenus privés plus importants provenant d’opérations risquées trouvant leur source dans des motivations purement spéculatives.

Enfin, il est important de reconnaître que la mise en place d’une compensation centrale modifie la structure du marché. Les spécialistes ont longtemps reconnu que ce type de compensation pouvait favoriser la liquidité en permettant aux participants au marché de rester anonymes (Kroszner, 1999). Mais la compensation centrale peut aussi porter atteinte à la liquidité lorsque les coûts des opérations augmentent en raison d’exigences plus élevées en matière de collatéral. Des marchés moins liquides peuvent défavorablement affecter la discipline de marché, puisque les participants au marché pourraient être moins incités à rompre les relations avec d’autres contreparties même s’ils estiment que celles-ci prennent trop de risque. Dans un tel scénario, la discipline de marché ne peut plus nécessairement se substituer au collatéral, avec pour conséquence une amplification des exigences en matière de collatéral pour les transactions faisant l’objet d’une compensation centrale7.

Une leçon pour la conception de la compensation centrale

D’après les arguments ci-dessus, nous pouvons conclure qu’une CCP doit s’inquiéter du risque de contrepartie qu’elle accepte lorsqu’elle compense des transactions. Cela implique que la compensation centrale doit suivre un processus en deux étapes. Dans un premier temps, la CCP doit déterminer l’éventail des contreparties qu’elle accepte pour la compensation – à travers ses conditions d’adhésion et les règles relatives à la compensation indirecte où les membres agissent en tant qu’agents de compensation. Ensuite, elle doit décider quels contrats compenser pour ces contreparties et comment gérer les risques de marché ou de prix, ainsi que le risque de coût de remplacement sur ces contrats.

La gestion de ce risque est coûteuse et ce coût devrait être pris en compte lorsqu’il s’agit de décider du champ d’application de la compensation centrale. Lorsqu’elle fait face à des contreparties très risquées, la CCP pourrait couvrir une grande partie de la perte en cas de défaut grâce aux marges et aux réserves contre le risque de défaillance. Au contraire, des contreparties relativement sûres exposent la CCP à un risque de défaut bien moins élevé et, de fait, pourraient offrir une certaine marge de sécurité dans la couverture des pertes. Par conséquent, étant donné les coûts de collatéral additionnels qu’entraîne la compensation centrale, il faut trouver une bonne raison pour justifier la mise en place de la compensation centrale dans un marché financier particulier caractérisé aussi bien par l’ensemble de ses participants que par le produit financier qui est échangé8.

Cela est particulièrement vrai dans le débat concernant la façon de mettre en place la compensation centrale pour le marché des dérivésde gré à gré. Pour ce marché, beaucoup ont soutenu que la compensation devrait être limitée aux contrats standards, étant donné que le netting est le principal bénéfice de la compensation centrale. Par exemple, le Dodd-Frank Act aux États-Unis ou l’EMIR (European Market Infrastructure Regulation) en Europe requièrent que d’ici à la fin de 2012, une grande partie des contrats de dérivés de gré à gré soient transférés sur des Bourses et des plates-formes de négociation électroniques offrant une compensation centrale. Ces propositions se concentrent sur des contrats de dérivés « suffisamment standardisés ». Il y a peu ou pas de débat sur la question de savoir quelles contreparties devraient avoir accès à la compensation centrale ou être contraintes de compenser leurs transactions sur dérivés par ce biais – indépendamment du fait qu’elles échangent des produits dérivés standardisés ou sur mesure9.

De plus, on a cherché à augmenter les exigences en matière de collatéral afin de couvrir les pertes potentielles résultant de transactions sur dérivés de gré à gré après netting, sans prêter une grande attention aux caractéristiques et aux motivations des contreparties importantes sur ce marché. L’ISDA (International Swaps and Derivatives Association) (2012) prévoit dans les grandes lignes une forte augmentation dans les exigences de collatéral d’environ 1 000  Md$ à 2 000  Md$. Cette variation résulte de l’utilisation d’une estimation de l’efficience du netting et d’estimations à la fois pour la fraction de transactions non garanties et pour l’ensemble du collatéral en circulation. Dans un autre exercice qui se base lui aussi sur le point de vue du contrat, Heller et Vause (2012) recourent à une approche bien plus sophistiquée qui s’appuie sur des paramètres typiques de la gestion du risque pour la compensation. Adoptant un modèle de calcul de la marge relativement standard pour la compensation et une volatilité variable dans le temps pour les évolutions de prix, ils concluent que les exigences supplémentaires en matière de marge s’élèvent à peu près à 1 000  Md$10.

Pour les raisons que nous avons passées en revue, ces coûts indiqués pourraient sous-estimer les véritables coûts de la compensation centrale des dérivés de gré à gré. De plus, l’efficience du netting a toutes les chances d'être moins élevée que sur bien d’autres marchés financiers, de nombreux contrats de dérivés étant sur mesure. Cela laisse entendre que les marchés dérivés de gré à gré sont bien moins propices à la compensation centrale, ou que les opérateurs seront réticents à compenser centralement, puisqu’il sera plus rentable de le faire de façon bilatérale11. Mais, comme nous le soutiendrons dans la suite de cet article, les marchés dérivés de gré à gré concentrent le risque systémique et peuvent donc nécessiter la mise en place d’une assurance contre ce risque.

Compensation centrale et assurance contre le risque systémique

De la collecte du risque au risque systémique

La fonction première des marchés dérivés de gré à gré est de répartir le risque économique global cumulé. Les utilisateurs finals des contrats de dérivés se prémunissent généralement contre le risque et le transfèrent aux grands participants qui interviennent sur ce marché, et que nous appellerons « opérateurs » par souci de simplicité. Une fois qu’ils l’ont collecté auprès des utilisateurs finals, les opérateurs stockent ce risque : ils se le répartissent et en conservent une partie dans leurs bilans ou le vendent à d’autres institutions financières importantes qui sont prêtes à l’assumer. Cependant, le risque demeure concentré dans les mains des opérateurs et des autres participants.

L’ensemble des expositions globales de ces participants au marché est très important. Des données récentes basées sur des statistiques de la Banque des règlements internationaux (BRI) montrent une valeur marchande brute de tous les contrats de dérivés d’environ 28 000  Md$12 (BIS, 2012). Si les CCP devaient exploiter la plupart des opportunités de netting, certaines estimations indiquent que le risque de crédit sur ce marché, en données brutes, s’élèverait encore à environ 4 000  Md$, soit environ 25 % du PIB des États-Unis13. En se basant sur ces chiffres, beaucoup ont soutenu que la compensation centrale devrait être rendue obligatoire pour les dérivés afin de réduire le risque résultant du commerce des dérivés de gré à gré.

La compensation centrale ne peut pas éliminer le risque économique global cumulé qui est concentré sur les marchés dérivés de gré à gré. Pourtant, une CCP peut au moins en partie se protéger contre ce risque en adoptant des exigences coûteuses en matière de marge et en prélevant à ses membres des contributions destinées à un fonds de réserve contre le risque de défaut. Mais ce transfert du risque de contrepartie sur le marché des dérivés de gré à gré fait des CCP intervenant sur ce segment de marché les foyers de risque les plus importants de tout le système financier. En d’autres termes, dès lors que le risque a été concentré au sein d’une CCP, il devient systémique : si la défaillance d’un unique participant important sur le marché des dérivés de gré à gré suffisait à mettre en danger tout le système financier avant la mise en place de la compensation centrale14, la défaillance d’une CCP compensant des dérivés suffirait à produire les mêmes effets15. Par conséquent, dans une crise à l’échelle du système, les gouvernements n’auront d’autre choix que de renflouer les CCP. En concentrant le risque global dans leurs bilans, les CCP opérant sur le marché des dérivés de gré à gré deviendront trop importantes pour faire faillite.

Les opérateurs tiendront compte de cette réalité et continueront à n’avoir aucune motivation à évaluer de bonne foi le risque global qu’ils prennent – une réalité que nous appelons externalité de risque systémique. Pire encore, les participants au marché seront véritablement incités, individuellement et collectivement, à concentrer le risque sur les marchés dérivés compensés par le biais de CCP. En d’autres mots, la compensation centrale augmente même l’externalité de risque systémique. Au final, le public fait face à l’éventualité d’un renflouage coûteux, alors que la compensation centrale sur le marché des dérivés de gré à gré avait d’abord pour vocation de réduire ce risque. Deux questions découlent de ces observations : les CCP peuvent-elles rendre le marché des dérivés de gré à gré vraiment plus sûr ? et peuvent-elles permettre d’éviter que les coûts des crises financières soient au final supportés par les contribuables ? En nous basant sur le point de vue de la contrepartie, nous soutenons ensuite que la compensation centrale peut en effet être profitable en fournissant une meilleure assurance contre le risque systémique.

Structure de l’assurance contre le risque systémique

L’idée principale d’une assurance contre le risque systémique est de financer les coûts d’un renflouage en prélevant une taxe sur les opérateurs qui sont la source ultime d’un éventuel renflouage. La CCP serait ainsi tenue de facturer une prime aux opérateurs qui prendraient des positions nettes sur un marché donné. Cette prime augmenterait avec la position nette pour tout participant au marché. Grâce à cette prime supplémentaire, la CCP accumulerait des réserves dans le temps avant qu’une crise ne survienne. Les réserves seraient utilisées pour couvrir une partie du coût résultant des défaillances en cas de crise à l’échelle du système. Se trouvant dans l’obligation de verser cette prime, les membres de la CCP internaliseraient les conséquences systémiques d’une prise de risque supplémentaire. Par conséquent, le montant de la prime devrait être déterminé afin de refléter les coûts associés à des défaillances généralisées dans le système financier, de sorte que ces coûts puissent être réimputés aux opérateurs du marché des dérivés de gré à gré.

Il y a une nette distinction entre les instruments standards de protection contre le risque et cette assurance contre le risque systémique. Les marges étant fixées en fonction des positions nettes réelles afin de couvrir un éventail de pertes, elles sont remboursées une fois que ces positions sont réglées. De la même façon, les contributions au fonds contre le risque de défaut sont définies comme un coût fixe pour les membres d’une CCP, ne varient pas dans le temps et ne reflètent pas la contribution au risque systémique des membres individuelsde la compensation. Au contraire des marges, les primes sur les opérations de dérivés prélevées pour le fonds d’assurance ne sont pas remboursées et doivent être perçues comme une masse de réserves qui s’accroît dans le temps afin de couvrir un événement peu courant et extrême.

Face à des défaillances, une approche « en cascade » s’appliquerait aussi à la compensation centrale. Pour couvrir les pertes liées aux défauts, on utiliserait d’abord les marges déposées par toutes les contreparties défaillantes, puis le fonds contre le risque de défaut auquel participent toutes les autres contreparties à la chambre de compensation et enfin les capitaux propres de la CCP elle-même. Bien sûr, ces instruments de gestion du risque doivent être déterminés selon des principes exemplaires tels qu’esquissés dans les recommandations du CSPR (Comité sur les systèmes de paiement et de règlement) (CPSS et IOSCO, 2012) et doivent être régulièrement contrôlés par une institution de surveillance, afin d’éviter l’arbitrage réglementaire par les propriétaires et/ou les membres compensateurs de la CCP. Ce n’est que dans le cas où les ressources ordinaires de la CCP ne seraient pas suffisantes et où le fonds contre le risque systémique pourrait être utilisé pour couvrir le reste des pertes16.

Comme dans le cas d’autres assurances contre le risque global, on s’interroge encore sur la meilleure façon de constituer des réserves par le biais de primes. Constituer un fonds de réserve est une opération coûteuse17 et il n’est ni optimal, ni probable que la CCP recueille assez de fonds, et suffisamment rapidement, pour couvrir tous les coûts de renflouage dans tous les cas de figure possibles. De fait, dans le cas où elle serait nécessaire, une injection de liquidités publique devrait être mise en place pour aplanir autant que possible dans le temps les coûts de cette assurance contre le risque global. Cette injection devrait prendre la forme d’un prêt temporaire à la CCP aux taux du marché dans le cas où le fonds contre le risque systémique ne serait pas suffisant pour couvrir les coûts d’une défaillance généralisée. Pour rembourser le prêt, la CCP augmenterait les cotisations qu’elle demande à ses membres au-delà des frais de compensation standards et des exigences en matière de marge. De cette façon, le coût d’un renflouage serait également imputé aux opérateurs après la crise.

Pourquoi une CCP compensant des dérivés est-elle l’institution toute désignée pour gérer un tel programme ? L’activité principale de la CCP est de fournir des services : elle sert, par exemple, de lieu aux échanges, compense les transactions par novation, fixe et administre les marges et les fonds contre le risque de défaut… Ces services la placent dans une position unique, où elle combine l’expertise et l’information pour évaluer le risque d’un point de vue systémique. De plus, au travers d’une politique bien conçue en matière de marge et de fonds contre le risque de défaut correctement établis, elle pourra toujours se prémunir contre les défaillances individuelles, réduisant ainsi la probabilité d’une contagion et d’événements systémiques. De fait, administrer un programme d’assurance contre le risque systémique serait un service supplémentaire complémentaire des autres arrangements plus typiques de la CCP.

Les défis à venir

D’après notre analyse précédente, le champ d’intervention du fonds est bien défini lorsqu’on le considère comme une assurance contre le risque systémique. La CCP doit englober tous les intervenants importants du point de vue systémique ainsi que tous les produits dérivés de gré à gré qui sont estimés être d’importance systémique. Bien sûr, il n’est pas simple de définir quelles contreparties sont importantes de ce point de vue puisque ce statut a tout lieu d’évoluer significativement avec le temps. Cependant, une fois que les contreparties concernées ont été déterminées, tous les contrats des intervenants – indépendamment de leur niveau de standardisation – doivent être couverts par le fonds contre le risque systémique de la CCP. Dans le cas contraire, les participants au marché pourraient contourner l’assurance contre le risque systémique en prenant des positions sur des contrats de dérivés ne tombant pas dans le champ d’application de la compensation centrale18.

Les produits dérivés sont très divers et les opérateurs ont tendance à agir internationalement sur de nombreuses places de marché. Cela peut limiter la possibilité que le fonds d’assurance contre le risque systémique soit administré par une CCP unique. Les chambres de compensation ont tendance à être restreintes par la juridiction dont dépendent leurs membres pour leurs opérations,19 par l’unité monétaire des contrats ou par le type de contrats de dérivés dans lesquels elles se spécialisent pour la compensation. D’un point de vue pratique, une idée pourrait être d’introduire une solution hybride où une CCP au sommet de l’infrastructure de compensation surveillerait les nombreuses chambres de compensation spécialisées dans ces différents segments de marché. Cette chambre de compensation – parfois appelée Méta-CCP20 – pourrait se charger de l’administration du fonds. Néanmoins, cette hiérarchisation de l’infrastructure de compensation réintroduirait bon nombre de problèmes et de préoccupations allant d’une information fragmentée sur les marchés à un arbitrage réglementaire entre participants au marché.

L’assurance contre le risque systémique par le biais d’une CCP ne sera pas immunisée contre l’aléa moral, mais les coûts serontprobablement bien plus faibles dans ce contexte qu’en présence de problèmes d’assurance standard. Premièrement, les intervenants n’envisagent pas les conséquences systémiques de leurs opérations en premier lieu, ce que l’assurance contre le risque systémique est destinée à corriger. Les primes d’assurance sont supportées par les opérateurs et devraient augmenter avec la prise de risque de sorte que la conception du fonds d’assurance prenne en compte l’externalité de risque systémique résultant de la constitution des positions dérivées. En d’autres termes, l’assurance contre le risque systémique taxera directement les transactions sur dérivés de gré à gré pour avoir augmenté le risque systémique et, donc, neutralisera – sans l’éliminer – la concentration du risque sur ce secteur. Deuxièmement, pour se comporter en cavalier libre vis-à-vis des autres membres compensateurs, une institution devrait prendre une position extrême, une position tellement importante qu’elle finirait par affecter la viabilité de la CCP elle-même. Il est peu probable qu’une CCP ne puisse pas obtenir rapidement des informations sur de telles intentions et qu’elle ne réagisse pas de façon appropriée en limitant les positions prises par tel ou tel membre. Troisièmement, l’assurance ne protège que le système dans son intégralité et pas les contreparties individuelles. Cela implique que les membres compensateurs devraient coordonner leurs actions afin d’accroître activement le risque à l’échelle du système au-delà de ce qui est couvert par la prime facturée. En d’autres termes, le fonds contre le risque systémique serait principalement sujet à l’aléa moral collectif21. Pour ces raisons, l’aléa moral sera probablement moins préoccupant dans le contexte de ce fonds.

Lien vers des propositions similaires

Il est d’abord intéressant de tirer un parallèle avec l’assurance contre le risque de catastrophe, au vu des nombreuses similarités22. L’idée est d’assurer en partie contre les pertes dues à un désastre naturel (ou du fait de l’homme) en constituant des réserves dans le temps. Encore une fois, le principal problème est de déterminer à quelle vitesse et dans quelle mesure les réserves devraient être constituées pour permettre une telle assurance, étant donné la nature et l’ampleur imprévisibles d’un événement catastrophique. Il est aussi probable qu’il faille recouvrer certaines des pertes associées à une catastrophe dans le temps après que l’événement est survenu. Une fois de plus, le gouvernement est la seule institution qui soit en mesure d’assurer un tel arrangement, puisqu’il peut répartir les coûts entre les générations actuelles et futures à travers l’emprunt. Mais les similarités s’arrêtent là. La capacité des fournisseurs privés d’assurance à supporter le risque est très limitée lorsqu’il s’agitd’assurance contre les catastrophes, de sorte que le gouvernement (et donc les contribuables) doit assumer une portion significative du risque. Avec l’assurance contre le risque systémique, on essaie de corriger une externalité qui survient lorsque les opérateurs assument un risque global. Ainsi, l’objectif principal est de déterminer correctement le prix de ce risque et de réimputer les coûts de la prise de risque aux opérateurs23.

Kashyap et al. (2008) ont été les premiers à proposer un programme d’assurance pour les situations où le secteur bancaire dans son intégralité nécessiterait d'être recapitalisé. Cette assurance rembourserait précisément lorsque le secteur bancaire tout entier aurait besoin d'être renfloué, sans tenir compte de la santé de telle ou telle banque donnée24. Archaya et al. (2010) sont plus précis dans leur analyse et reconnaissent que le risque systémique est une externalité du même type que celles que nous avons présentées ici. Les institutions financières ne prennent pas en compte le fait que leur défaillance aura des conséquences pour tout le système. Les crises systémiques surviennent lorsque l’ensemble du système financier est sous-capitalisé et nécessite une injection de fonds extérieurs. L’idée de base des auteurs est de fixer le prix de ce risque et de contraindre les banques à l’assurer auprès de fournisseurs privés d’assurance couvrant la recapitalisation en cas de survenue d’un tel événement25.

Nous complétons ces propositions par deux idées fondamentales. Premièrement, nous avons fait remarquer que dans le système financier moderne, les transactions sur dérivés constituent la principale source de risque systémique, puisqu’elles concentrent le risque global cumulé. La mise en place de la compensation centrale peut aider à atténuer les expositions au risque sur ce marché, mais cela peut aggraver le risque systémique. Par conséquent, les efforts en matière de réglementation doivent s’attaquer au problème directement sur ce marché. La taxe, ou la prime, serait imputée sur la position nette des dérivés et devrait couvrir tous les participants au marché qui prennent part à l’augmentation du risque systémique afin d’internaliser les coûts associés à l’externalité. Malgré tout, une CCP semble être l’institution toute désignée pour gérer l’assurance contre le risque systémique pour les raisons que nous avons mises en avant ci-dessus.

Deuxièmement, nous considérons réellement le fonds comme une assurance contre un choc global rare qui ne peut être complètement évité. La clé de notre proposition est de constituer dans le temps des ressources suffisantes au sein du système pour couvrir les pertes associées à ce choc global. Cela nécessite un soutien sous forme de fonds publics afin d’atteindre une répartition intertemporelle optimale descoûts d’assurance. Pourtant, on doit également fixer le prix de ce soutien, afin que les coûts soient réimputés aux participants du marché financier avant et après une crise.

Le point de vue traditionnel du contrat en matière de gestion du risque domine le débat sur la compensation centrale. D’après ce point de vue, le contrat et ses propriétés sont essentiels pour la faisabilité et l’organisation de la compensation centrale des transactions sur les marchés financiers. Cependant, lorsqu’on considère les marchés dérivés de gré à gré, il y a beaucoup à gagner en adoptant le point de vue de la contrepartie. Selon ce point de vue, les régulateurs devraient se préoccuper du risque global cumulé sur les marchés dérivés de gré à gré où des pertes extrêmes, mais peu fréquentes, entre opérateurs peuvent survenir. La compensation centrale des dérivés concentre un peu plus le risque et génère la quintessence du problème too big to fail. Notre proposition est de compléter la compensation centrale traditionnelle sur ce marché par un fonds d’assurance contre le risque systémique financé par une taxe sur les positions dérivées nettes sur dérivés des opérateurs. Ce fonds internaliserait les coûts de défaillance en termes de risque systémique et agirait en même temps comme une assurance contre le risque systémique.


Notes

1 Voir Monnet (2010) pour d’autres formes d’accords de compensation que nous n’abordons pas ici.
2 Pour une bonne description des aspects plus techniques de ces instruments, voir Duffie (2011).
3 Voir, par exemple, Haene et Sturm (2009) et Nahai-Williamson et al. (2012) qui suivent cette approche dans le contexte de la compensation centrale.
4 Duffie et Zhu (2011) font valoir que le degré d’efficience du netting (par rapport au netting bilatéral) dépend de la façon dont sera organisée la compensation centrale entre les différents segments et participants du marché financier. En particulier, l’efficience du netting peut être sérieusement limitée chaque fois que la compensation centrale est suffisamment fragmentée entre les pays et les produits. Une compensation plus fragmentée nécessite ainsi un fort degré d’interopérabilité entre les CCP afin d’augmenter l’efficience du netting et d’économiser davantage de collatéral.
5 Carappella et Mills (2012) trouvent un autre bénéfice à la compensation centrale basé sur cette asymétrie d’information. Leur idée principale est en fait que les participants à une CCP, étant assurés par le biais de la novation, soient moins incités à acquérir des informations sur le risque de défaut lorsque les marchés sont soumis à des tensions. De ce fait, les décisions commerciales deviennent moins sensibles à l’information, ce qui stabilise le commerce à l’équilibre.
6 Pour les transactions sur dérivés de gré à gré, une telle prise de risque collusoire a plus de chances d'être un problème pour les échanges entre opérateurs que pour les opérations impliquant des utilisateurs finals de dérivés ayant pour intention de se prémunir contre un certain risque de base.
7 Voir Koeppl (2012) pour une dérivation formelle de cet argument.
8 En pratique, une grande attention est portée au type de contrats qu’une CCP devrait compenser et à la façon dont pourrait être conçu un modèle quantitatif permettant de fixer des marges de variation afin de couvrir en partie les pertes en cas de défaut. La question de savoir si les caractéristiques et les motivations des participants au marché rendent un marché, quel qu’il soit, propice à la compensation centrale semble être secondaire.
9 La compensation de produits sur mesure n’est pas chose facile. Hull (2010) indique néanmoins que les produits dérivés sur mesure peuvent faire l’objet d’une compensation centrale, lorsque des modèles internes de détermination des prix sont fournis à la CCP par les parties contractantes. Cela nécessiterait, bien sûr, que la CCP ait l’expertise suffisante pour évaluer de tels modèles. Plus important encore, Hull (2010) soutient également que les contrats sur mesure devraient faire l’objet d’une compensation centrale puisque, dans le cas contraire, ils ont le potentiel de faire échouer tous les efforts entrepris pour rendre plus sûrs les marchés de dérivés.
10 Heller et Vause (2012) indiquent également que les fonds contre le risque de défaut n’auraient pas besoin d'être augmentés de façon spectaculaire pour assurer pleinement contre les coûts liés au défaut de deux opérateurs au plus, à condition de s’appuyer sur un ajustement rapide des marges de variation.
11 Cela sera également le cas si la compensation centrale devait mener à un marché fortement fragmenté, où certains opérateurs pourraient éventuellement obtenir une efficience de netting bilatérale plus élevée.
12 Les statistiques de la BRI (Banque des règlements internationaux) sur les dérivés de gré à gré couvrent les principaux opérateurs opérant dans les pays du G10, la Suisse et, depuis peu, également quelques autres pays.
13 Voir, par exemple, ISDA (2012). Cette source, néanmoins, surestime probablement les bénéfices du netting, surtout si l’on s’attend à ce que la compensation soit fragmentée entre différentes CCP.
14 Le cas d’AIG constitue un excellent exemple dans la crise actuelle. Même si le groupe n’était pas un opérateur majeur pour les dérivés de CDS (credit default swaps), en tant que détenteur ultime du risque, il a accumulé des expositions unilatérales pour un montant de 540 000  Md$, principalement liées à des produits de titres adossés à des actifs. Une défaillance d’AIG aurait eu des répercussions sur le marché tout entier, causant des pertes généralisées aux autres opérateurs et institutions financières. Ce problème est également désigné par certains commentateurs par le concept de « trop interconnecté pour faire faillite ».
15 Comme l’a montré l’histoire, les CCP ne sont pas immunisées contre la faillite. Pour une rapide description des faillites et quasi-faillites des CCP, voir IMF (2010). Bernanke (1990) décrit en détail les problèmes auxquels ont fait face les chambres de compensation à la suite de la débâcle de 1987.
16 Il est possible d’imaginer qu’une institution de surveillance donne son accord formel pour l’utilisation du fonds. Le choix du moment ne sera pas un problème puisque l’injection temporaire de liquidités pourrait être apportée à la CCP, sachant que le fonds serait utilisé ex post pour couvrir les coûts d’une telle injection. On peut également imaginer que le fonds pourrait être utilisé comme un prêt-relais pour la reconstitution du capital de la CCP.
17 La question connexe de l’investissement des primes se pose également. En particulier, les retours sur investissement des réserves risquent d'être faibles, précisément au moment où ces réserves doivent être remboursées. Cela pourrait compromettre le portefeuille de titres pour le fonds.
18 Imposer aux banques des capitaux supplémentaires pour les dérivés sur mesure ne faisant pas l’objet d’une compensation centrale ne serait pas nécessairement une alternative. De telles obligations ne touchent pas tous les intervenants importants du point de vue systémique. Elles ne reflètent pas non plus le fait que les ressources contre des événements systémiques rares sont idéalement constituées dans le temps.
19 Des considérations de surveillance nationale et des préoccupations concernant l’abandon de la surveillance réglementaire pourraient être un obstacle supplémentaire à la gestion d’un fonds commun à plusieurs pays ou même à différents segments de marché.
20 Voir Maegerle et Nellen (2011) pour une description de cette idée dans le contexte du netting entre CCP segmentées.
21 Ici, l’assurance contre le risque systémique pourrait être complétée par d’autres instruments macroprudentiels qui limiteraient ce problème.
22 Voir Gollier (2005) pour une analyse de l’assurance contre le risque de catastrophe.
23 Il y a aussi de grosses différences avec l’assurance-dépôt pour les banques qui a été mise en place pour constituer un fonds destiné à assurer les déposants contre les pertes. Le fonds est loin d'être suffisamment important pour couvrir dans une large proportion les dépôts dans le secteur bancaire. Cela peut être compris par le fait que la principale fonction de ce fonds est de prévenir les paniques bancaires basées sur de simples rumeurs concernant la santé des banques individuelles.
24 Kocherlakota (2010) esquisse une proposition apparentée qui internalise les coûts découlant du fait d'être trop important pour faire faillite – et, de ce fait, important du point de vue systémique – en taxant les institutions financières individuelles.
25 Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce qu’une assurance, quelle qu’elle soit, puisse être fournie par des institutions privées du marché financier. Il est probable que l’offre potentielle de cette assurance provienne justement des institutions contraintes d’y souscrire. De fait, le problème devient un cas de : « Mais qui assure l’assureur ? ».

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