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 Préparer les banques indiennes à la mondialisation : perspectives stratégiques et politiques


Subir GOKARN
Dans la perspective de l’après-crise financière, les banques indiennes repensent leurs modèles stratégiques et leur compétitivité. Quatre composantes essentielles doivent être intégrées dans leur stratégie concurrentielle : la taille, le périmètre d’activité, la prudence et la connaissance. Chaque organisation devra trouver le bon équilibre entre ces différents paramètres. Ceci a des implications en termes de politique économique pour obtenir la stabilité financière, et les autorités monétaires doivent dresser un cadre qui tienne compte des risques systémiques, des arbitrages nécessaires entre taille et concurrence et des moyens de parvenir à l’inclusion financière de manière viable.

L’insertion de l’économie indienne dans l’économie globalisée et la crise financière de 2008 ont conduit la banque centrale indienne (Reserve Bank of India – RBI) à se confronter à deux questions essentielles : comment les banques du pays résistent-elles à travers la crise ? comment les préparer à la concurrence mondiale dans une période de crise mondiale ? Il ne serait pas exagéré d’affirmer que le monde financier est très différent après la crise. De nombreuses assertions jusque-là évidentes sont mises en doute dans son sillage. Certaines d’entre elles concernent les facteurs qui rendent les banques compétitives à l’échelle mondiale. La visibilité et la dominance croissantes des corporations financières multinationales dans les années précédant la crise ont contribué à la perception que la formule du succès dans ce secteur avait été découverte et maîtrisée. Une taille massive, une importante diversification sur le spectre entier des activités financières – intermédiation, investissement et assurance – et une présence globale, combinées avec des incitations monétaires importantes, constituaient apparemment le meilleur moyen d’atteindre et de conserver un avantage compétitif.

La crise a clairement soulevé des questions à propos de la durabilité de ce modèle, à la fois au niveau micro et macroéconomique. L’application de ce business model associant une croissance rapide et une large diversification apparaît comme ayant contribué de manière relativement centrale à la fois à la crise elle-même et à la façon dont les gouvernements ont été contraints de la gérer. À première vue, il semble que l’accumulation des risques – figurant au bilan ou non – qui a accompagné la croissance et la diversification des plus grandes banques américaines et européennes n’a pas été suivie par la capacité de les identifier et de les tempérer. Ensuite, l’expression too big to fail parle d’elle-même. Quand les institutions financières se développent au-delà d’un certain seuil, leur chute peut avoir de graves conséquences sur le reste du système financier tout comme sur l’économie, à la fois à l’échelle domestique et mondiale. Aucun gouvernement ne peut se permettre ce genre de retombées et tous sont par conséquent forcés de sauver ces institutions, allant ainsi à l’encontre des règles élémentaires de la discipline de marché.

À l’évidence, la crise et sa résolution en cours fournissent de nombreuses leçons sur les combinaisons de facteurs qui rendent les banques compétitives. Elles illustrent également les compromis inhérents entre la dimension « privée » ou stratégique de la concurrence et sa dimension « publique » ou politique. Dans cet article, je propose de dessiner un modèle simple pour la compétitivité bancaire et d’en explorer les implications en termes de stratégie et de politique économique.

Les déterminants de la compétitivité

La taille est généralement considérée comme le déterminant le plus important, sinon dominant, de la compétitivité bancaire. Dans le cas de l’Inde, aucune discussion concernant le secteur bancaire ne peut être complète sans faire référence à la consolidation, c’est-à-dire généralement à la fusion de deux banques relativement petites ou d’une banque plus importante, supposée forte, et d’une autre de taille inférieure, supposée faible. Alors qu’il peut être tentant de considérer qu’atteindre une certaine échelle constitue la solution par excellence de la compétitivité, des exemples à la fois domestiques et globaux rendent l’affirmation ambiguë. Pour revenir à mes commentaires d’introduction, les banques de grande taille peuvent devenir extrêmement vulnérables si leurs stratégies d’expansion se sont basées sur la prise de risques multiples et variées. Dans le contexte indien, on trouve de nombreuses preuves, dont certaines fournies par mes collègues dans leurs activités de recherche, qu’il n’existe pas de relation dépourvue d’ambiguïté entre taille, efficience et performance. En considérant différents pays, une simple comparaison des cinq plus grandes banques de Chine avec celles de l’Inde suggère que si les premières sont bien plus importantes que les secondes en termes de bilan, cela ne mène apparemment pas à des différences significatives dans leurs indicateurs d’efficacité et de performance.

Je ne peux pas considérer ici en détail toutes les preuves, mais il me semble qu’elles soulèvent des questions sur une approche unidimensionnelle de la compétitivité. La taille peut compter, mais elle n’est pas suffisante pour garantir le résultat désiré. La prise en considération d’autres facteurs significatifs permet d’assembler les composants d’une stratégie de compétitivité.

Je postule l’existence de trois autres facteurs. Premier facteur, il y a la question du champ d’action. La crise a remis au goût du jour le débat lancinant sur les mérites de la « banque éclatée » contre ceux de la banque universelle. La question est celle de la taille et du périmètre du domaine d’activités. Pratiquement toutes les banques, à la fois sur le marché domestique et à l’étranger, se sont diversifiées bien au-delà des frontières traditionnelles de la banque. On peut accorder à cette stratégie un mérite clair du point de vue de ce que j’appellerais une approche du « cycle de vie » de la satisfaction des besoins du consommateur. Comme les demandes d’un segment particulier de consommateurs deviennent plus complexes, agrandir la gamme de services proposés apporte de la valeur aux deux parties. Cet argument justifie clairement le franchissement des frontières de la banque traditionnelle qui aurait sinon fait fuir les consommateurs dont les besoins les dépassaient.

Cependant, comme la crise l’a démontré, les choses peuvent aller trop loin. Alors que la gamme d’activités dans laquelle les banques se sont engagées s’est déplacée dans le domaine des services bancaires d’investissement, où elles combinaient leurs hypothèses traditionnelles de risques de défaut ou de crédit avec la nouvelle inconnue du risque de marché, les mécanismes internes et externes créés pour contrôler et protéger des risques se sont clairement révélés insuffisants. Cette problématique provoque également de nombreux débats. Je fais deux hypothèses avant de poursuivre. La première est que le fait d’atteindre une certaine taille en accroissant fortement le caractère risqué des actifs détenus peut se révéler contre-productif. Cette règle bancaire élémentaire semble avoir été quelque peu oubliée. La seconde est que les moteurs du développement de la taille doivent être assortis d’une augmentation correspondante des capacités de gestion du risque. Scrupuleusement suivie, cette règle peut rendre certaines stratégies de développement plus coûteuses et, par conséquent, moins attractives, ce qui est positif du point de vue de la régulation prudentielle.

Cela me mène au second facteur que je nommerai « prudence ». De façon très claire, la capacité des banques à identifier, mesurer et contrer les risques en tout genre devrait désormais être considérée comme un facteur critique de survie. Bien sûr, il n’y a que peu d’intérêt à développer une stratégie compétitive avant même d’avoir une stratégie de survie ! Cette dimension doit être traitée de deux manières. Premièrement, il pourrait y avoir des restrictions, imposées par les banques elles-mêmes ou la législation, sur le type d’exposition auquel les banques peuvent se soumettre. Ensuite, revenant au point précédent des capacités de gestion du risque, celles-ci doivent être considérées comme un composant indispensable et, par conséquent, un pôle de dépense dans toute stratégie. Évalué correctement, cet élément réduira la distorsion des calculs de taux de rentabilité dans l’évaluation des différentes alternatives de stratégies commerciales ou d’expansion. Si cette distorsion est conséquente, la crise prouve qu’elle peut s’avérer très dangereuse.

Le troisième facteur est celui de la « connaissance ». Différentes interprétations peuvent être faites de ce large concept et il est possible que toutes soient pertinentes quand on regarde la connaissance comme une source d’avantages compétitifs dans le secteur bancaire. L’un de ses aspects est clairement lié à l’utilisation de la technologie ; un autre serait la mise en place des meilleures pratiques pour l’évaluation du crédit, la gestion des risques et les autres activités, particulièrement en ce qui concerne la qualité de l’information et du jugement sur laquelle repose l’allocation des fonds.

Une dimension importante de la connaissance porte sur le débat relatif à la taille. Au début des années 1990, le premier Narasimham Committee visualisait le secteur bancaire domestique comme une structure à trois niveaux, le plus bas comprenant les banques régionales relativement petites. La logique sous-jacente est que ces banques compensent leur absence d’envergure par leur connaissance précise des conditions locales. Ce qui les aide à s’adapter aux besoins de leurs clients tout en gérant plus efficacement leur risque. Plus récemment, le Comité sur les réformes du secteur financier, présidé par le professeur Raghuram Rajan, a recommandé de favoriser les banques locales pour les mêmes raisons, c’est-à-dire une meilleure compréhension du contexte local en compensation des inconvénients en termes de coûts d’opérer sur une échelle relativement réduite. Bien sûr, ces deux rapports considéraient ces banques de taille inférieure comme devant être totalement liées au système financier, ce qui les aiderait à la fois à lever des fonds et à se débarrasser des risques. Cependant, l’importance de la connaissance « locale » en tant que déterminant de la compétitivité était soulignée.

Si l’on interprète cet argument de façon plus générale comme l’équilibre entre la compréhension des besoins des clients et celle de l’environnement économique, la mondialisation croissante des entreprises indiennes fournit clairement un vecteur pour la mondialisation croissante des banques indiennes – en gardant à l’esprit, bien sûr, les barrières réglementaires transfrontalières. Suivre leurs clients à l’étranger constituait la stratégie de base des banques des économies en développement ; une fois leur présence établie, elles ont cherché des moyens pour étendre leurs activités à une nouvelle gamme de clients. Dans le contexte mondial actuel, les restrictions en place sont de toute évidence plus nombreuses qu’avant, rendant la reproduction de cette stratégie difficile, mais le principe de base est toujours valable. Les connaissances concernant les exigences des clients doivent être rapidement complétées par des connaissances sur l’environnement opérationnel.

En résumé, je considérerais qu’une stratégie compétitive doit être composée de ces quatre éléments : taille, périmètre d’activité, prudence et connaissance. L’importance relative de chacun et l’équilibre entre eux dépendront évidemment des objectifs et des contraintes de ressources de chaque organisation. Cependant, je pense que ce modèle fournit une manière utile de penser de façon stratégique, enracinée à la fois dans le concept et la réalité.

Considérations de politique économique

Étant donné l’importance des externalités que le système financier en général et le système bancaire en particulier génèrent, on ne peut parler de stratégies compétitives sans considérer leurs implications de politique économique. Trois ensembles de problématiques sont importants.

Le premier concerne l’ensemble des problématiques réglementaires liées à la prudence. J’ai déjà fait référence à sa présence obligatoire dans toute stratégie privée compétitive viable. Cependant, cela ne suffit clairement pas dans une situation où les relations entre institutions – chacune présentant sa propre petite quantité de risques – peuvent faire boule de neige et menacer le système entier. Le risque macroprudentiel ou systémique est une réelle menace et à cause de son inhérente absence de linéarité – sa totalité est plus importante que la somme de ses composants –, il ne peut être uniquement traité par des mesures privées ou spécifiques à différentes institutions. Tout comme les capacités internes de gestion du risque doivent être développées et soutenues, les capacités à comprendre ces relations, à les contrôler et à protéger l’économie contre la matérialisation de leur menace doivent être améliorées dans les mêmes proportions. En ce sens, la marge de réalisation des stratégies concurrentielles spécifiques sera potentielle-ment réduite par les mécanismes disponibles pour identifier, mesurer et tempérer les risques systémiques inhérents.

Le deuxième est lié à la concurrence et au compromis nécessaire entre l’objectif de taille et le besoin de conserver un secteur bancaire compétitif. Il est possible que dans un environnement où le potentiel du marché est encore à exploiter, les deux forces ne se trouvent pas en sérieux conflit. La concurrence peut agir comme une force positive, conduisant les banques individuelles à se concentrer sur leurs domaines de compétences et, ce faisant, à atteindre des tailles d’opération efficientes dans chacun d’eux. Mais il s’agit là d’une description idéalisée des conditions du marché. En réalité, le marché est fortement segmenté, ce qui augmente la potentialité d’une concurrence dissuasive sur certains segments, alors que d’autres sont sous-exploités. D’un point de vue politique, il ne s’agit pas d’un résultat particulièrement souhaitable. Des arguments pourraient être avancés en faveur de l’introduction de mesures incitatives et dissuasives qui auraient bien sûr un impact sur les choix stratégiques, ce qui conduirait le système bancaire vers cette association bénéfique entre concurrence et taille.

Le troisième est étroitement lié au deuxième, mais possède également des aspects spécifiques. L’inclusion financière est un point central de l’agenda législatif. Les perspectives sur ce point sont largement motivées par les circonstances décrites ci-dessus, à savoir les réticences des banques à servir certains segments de clientèle parce qu’ils ne sont pas commercialement viables. Une association de réglementations, de subventions implicites ou explicites et de persuasion morale a été mise en œuvre pour influencer le système financier vers la poursuite de cet objectif. Cependant, des réflexions et des preuves plus récentes sur le sujet suggèrent que la viabilité commerciale n’est pas impossible à atteindre, avec un mélange approprié de structure organisationnelle, de ressources humaines et de technologies. Il s’agit encore d’un paysage en évolution, mais à mesure que les signes distinctifs entre bons et mauvais modèles s’éclaircissent, des instruments réglementaires peuvent être utilisés pour exercer une influence sur l’alignement des choix stratégiques avec les objectifs politiques.

En conclusion, je reprends le schéma simple de compétitivité que j’ai essayé de dessiner. D’un point de vue stratégique, la compétitivité peut être atteinte en équilibrant quatre facteurs : échelle, périmètre d’activité, prudence et connaissance. Tous sont importants de façon générale, mais chaque institution devra décider du poids à leur donner en fonction de ses propres objectifs stratégiques.

Du point de vue de la politique économique, trois facteurs sont susceptibles d’influencer les interventions qui vont piloter les choix stratégiques des banques pour les aligner avec les objectifs poursuivis. Le premier est la question du risque macroprudentiel. Le deuxième est celle du compromis potentiel à trouver entre concurrence et taille. Enfin, et en troisième lieu, se pose la question du bon dosage des ingrédients nécessaires pour atteindre l’inclusion financière d’une manière commercialement viable.


Notes

Vice-gouverneur, Reserve Bank of India (RBI).Cet article est tiré d’un discours prononcé par l’auteur le 9 septembre 2010 pour l’ouverture de la conférence FICCI-IBA « Global Banking: Paradigm Shift ». L’auteur remercie B. M. Misra, Himanshu Joshi, Sarat Dhal et Dhirendra Gajbhiye pour leur contribution à la préparation de ce discours.