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 Déficits extérieurs et déclin de l’épargne intérieure sont des obstacles au financement du développement de l’Inde


Philippe FERREIRA
Le creusement des déficits courants en Inde implique des besoins de financement externe et pose actuellement des défis importants. Dans cet article, nous étudions les causes de cette dégradation et observons que les chocs externes ont joué un rôle important, notamment la hausse du prix des matières premières. Sur le plan interne, la contrepartie des déséquilibres externes est une baisse de l’épargne, due à des taux d’intérêts réels négatifs et au manque de réformes structurelles pour réduire l’inflation et les déficits budgétaires. Par ailleurs, les déficits courants ont été de plus en plus financés par des flux de dette, en particulier à court terme, ce qui implique la vulnérabilité externe croissante de l’Inde. Les investisseurs étrangers sont à présent de plus en plus réticents à investir dans les pays émergents et les banques européennes réduisent leur exposition à des régions comme l’Asie où leur activité requiert des besoins de financement en dollar. Le lien entre épargne et croissance suggère que le ralentissement actuel de l’activité économique est lié à la baisse de l’épargne et à la plus forte contrainte financière externe. Le renforcement de l’épargne est donc fondamental pour que l’Inde atteigne son potentiel de croissance et nous suggérons des choix de politiques économiques pour atteindre cet objectif.

Alors que l’environnement extérieur est devenu de plus en plus difficile ces deux dernières années, la détérioration du solde courant de l’Inde mérite une attention particulière car elle a coïncidé avec un recul de la croissance économique et une pause dans le programme de réformes. Le déficit courant semble désormais être une caractéristique structurelle de l’économie indienne, alors que les sources de financement externe sont plus aléatoires en raison d’un fort niveau d’aversion au risque de la part des investisseurs extérieurs et du démarrage lent des investissements directs étrangers (IDE). Cela signifie que l’Inde est de plus en plus dépendante des flux de portefeuilles, lesquels se sont avérés extrêmement instables en raison d’une situation financière mondiale très perturbée. Il en résulte que le pays est plus vulnérable aux chocs externes et que, à moins que la tendance ne s’inverse, il pourrait faire face à une crise de la balance des paiements similaire à celle qu’il a connue en 1991.

La dégradation des comptes extérieurs est la conséquence d’une perte de compétitivité et d’une baisse de l’épargne des ménages. S’il est certain que des facteurs internationaux, comme le renchérissement de l’énergie et la crise financière mondiale, ont indéniablement joué un rôle dans la chute du taux d’épargne, des facteurs nationaux, comme un faible taux d’intérêt réel dans un contexte inflationniste, permettent eux aussi d’expliquer cette chute. Nous soutenons qu’actuellement, cela pèse lourdement sur la croissance et des données économiques récemment publiées confortent notre opinion.

L’article s’organise comme suit : dans une première partie, nous nous penchons sur les faits stylisés caractérisant la balance courante ainsi que sur la structure de l’épargne agrégée. Dans une deuxième partie, nous étudions les sources de financement du déficit courant et constatons la pénurie de sources de financement stables. Enfin, dans la dernière partie, nous réexaminons le lien entre épargne et croissance et proposons des pistes pour stimuler l’épargne.

Nous sommes convaincus que lutter contre les pressions inflationnistes et développer les marchés financiers, en particulier le marché des obligations de sociétés, contribueraient de façon significative à stimuler l’épargne, réduire les déséquilibres extérieurs et réengager le pays dans un cycle vertueux d’investissement et de croissance, tout en limitant les déficits extérieurs.

Détérioration des comptes extérieurs et baisse des taux d’épargne agrégée

Depuis le début des années 2000, l’Inde a connu un renversement significatif de son solde courant, reflétant de profonds changements internes dans l’équilibre épargne/investissement. Cette période coïncide également avec des changements spectaculaires survenus dans l’environnement extérieur. Nous avons identifié les trois étapes suivantes.

Tout d’abord, pendant la première moitié de la décennie, jusqu’en 2004-2005 (en Inde, l’exercice fiscal démarre au 1er avril), l’Inde a réussi à équilibrer sa balance courante et même à enregistrer des excédents. Au cours de cette période, le pays a connu une forte impulsion du secteur privé qui s’est trouvé en mesure d’élever à la fois, et au même rythme, son taux d’investissement et son taux d’épargne. La formation privée de capital fixe est passée de 16 % à 22 % du PIB et l’épargne privée a connu une hausse de 25 % à 30 % du PIB. Il convient de noter que l’épargne privée des sociétés a presque doublé pour atteindre 6,6 % du PIB en 2004-2005. En parallèle, l’augmentation de l’épargne publique, qui est passée de –1 % à 2 % du PIB, a également joué un rôle déterminant dans l’amélioration du compte courant. En ce qui concerne l’environnement extérieur, le prix de l’énergie est resté modéré à la suite d’une croissance morose dans les économies développées. L’appétit des investisseurs internationaux pour les marchés émergents demeurait faible, conséquemment à la crise des marchés émergents de la fin des années 1990. L’environnement extérieur a en fait été dominé par l’éclatement de la bulle Internet aux États-Unis.

Ensuite, entre 2004-2005 et 2007-2008, le déficit courant s’est légèrement creusé en raison d’une hausse plus rapide de la formation de capital que de l’épargne intérieure. L’épargne des ménages a atteint son plus haut niveau en 2004-2005, tandis que l’épargne privée des sociétés et l’épargne publique continuaient de croître. L’environnement extérieur a connu une hausse spectaculaire des prix des matières premières et un intérêt renouvelé de la part des investisseurs internationaux pour les actifs des marchés émergents. Pourtant, les déséquilibres extérieurs de l’Inde sont restés très modérés au cours de cette période, avec un déficit courant atteignant un maximum de 1,3 % du PIB en 2007-2008.

Enfin, depuis le milieu de 2008, le déficit courant s’est fortement dégradé. La prévision officielle est de 3,6 % du PIB pour 2011-2012, mais nous pensons qu’il pourrait plutôt avoisiner 4 % en raison de déficits records associés à un fort ralentissement de la croissance économique. Un tel niveau devrait tirer la sonnette d’alarme car il implique d’énormes besoins en financements extérieurs et au final, une plus forte volatilité de la monnaie. Au cours des deux prochaines années, l’Inde va devoir inverser cette tendance et réduire ses déficits courants. Dans le cas contraire, elle s’exposerait à une crise de la balance des paiements.

Une partie de cette détérioration est liée à des facteurs externes : la crise financière mondiale s’est traduite par une forte contraction des exportations de l’Inde et la hausse des prix du pétrole et des denrées alimentaires a contribué à l’augmentation de la valeur des importations. Selon la Reserve Bank of India (RBI), en 2010-2011, les importations de pétrole ont représenté 87 % des besoins nationaux et les importations nettes de pétrole ont représenté 65 % du déficit commercial. La forte hausse du prix du pétrole du premier trimestre 2012 a probablement accentué les pressions externes.

Graphique 1a Déficit commercial et déficit de la balance courante (en Md$)
Source : Bureau central des statistiques, RBI.
Graphique 1b Déficit commercial et déficit de la balance courante (en % du PIB)
Note : données cumulées de quatre trimestres.
Source : Bureau central des statistiques, RBI.

La dernière étape de la dégradation des comptes extérieurs soulève de sérieuses interrogations. La formation brute de capital a atteint son plus haut niveau en 2007-2008, ce qui implique que l’aggravation du déficit courant est due à une baisse de l’épargne intérieure. Lorsqu’on étudie les composants de l’épargne, on constate que l’épargne du secteur public et l’épargne privée des sociétés ont sensiblement diminué. Plus récemment, nous observons également une diminution de l’épargne des ménages, phénomène inquiétant dans la mesure où elle avait tendance à être plutôt stable depuis de nombreuses années.

La baisse de l’épargne publique depuis 2007-2008 est due à trois facteurs. Premièrement, une relance budgétaire a eu lieu dans le contexte de la crise financière mondiale. Deuxièmement, les pressions inflationnistes et le ralentissement de la demande qui en a résulté ont impliqué des recettes budgétaires plus faibles en termes d’impôt sur les sociétés et de taxe d’accise centrale. Troisièmement, les prix élevés des matières premières ont aussi impliqué des dépenses supplémentaires sous forme de subventions aux prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais. Ces subventions ont atteint plus de 2 % du PIB entre 2008-2009 et 2010-2011.

La baisse de l’épargne des ménages enregistrée en 2010-2011 est principalement liée à une contraction de l’épargne financière qui a atteint son plus bas niveau depuis treize ans en termes nets. Cette contraction s’explique par une croissance plus lente de l’épargne des ménages sous la forme de dépôts bancaires et de placements dans les fonds d’assurance-vie, ainsi que par un déclin absolu des placements en actions et en titres de dettes. Ce déclin a principalement été provoqué par des rachats de parts de fonds communs de placement, en partie imputables aux pressions inflationnistes qui ont favorisé une croissance de la consommation privée plus forte que celle du revenu disponible. La RBI a également attiré l’attention sur la hausse des engagements financiers des ménages, qui reflète une augmentation des emprunts auprès des banques commerciales (RBI, 2011).

Les données sur l’épargne pour 2011-2012 n’étaient pas encore disponibles au moment de rédiger cet article. Mais nous déduisons du déficit record de la balance courante atteint entre juillet et décembre 2011 (38 Md$, soit une hausse annuelle de 40 %) que l’épargne agrégée n’a cessé de diminuer. En fait, la baisse continue de la formation brute de capital fixe au cours de cette période, comme le suggèrent les chiffres des comptes nationaux, suppose que la brusque détérioration de la balance courante est liée à une baisse de l’épargne. Nous nous demandons si l’instabilité des marchés financiers mondiaux en 2011, qui s’est traduite en Inde par une baisse de 25 % du marché des actions, ne s’est pas traduite par une nouvelle baisse de l’épargne financière des ménages.

Graphique 2a Épargne agrégée et investissement (en % du PIB)
e = estimation ; p = prévision.
Source : Bureau central des statistiques, RBI.
Graphique 2b Épargne intérieure (en % du PIB)
Source : Bureau central des statistiques, RBI.
Graphique 3a Épargne des ménages (en % du PIB)
Source : Bureau central des statistiques, RBI.
Graphique 3b Épargne financière brute des ménages en 2010-2011
Source : Bureau central des statistiques, RBI.

Les comptes extérieurs se sont détériorés à la suite d’une perte de compétitivité extérieure et d’une baisse de l’épargne provoquée en partie par la hausse des prix de l’énergie. Ces deux éléments méritent une attention soutenue de la part des pouvoirs politiques. D’un côté, l’épargne publique a diminué en raison d’une situation économique fragile et des prix élevés des matières premières. D’un autre côté, l’épargne des ménages a chuté en raison de pressions inflationnistes plus fortes et de taux d’intérêt réels négatifs qui en ont résulté.

Ces deux facteurs ont découragé l’épargne et pourraient causer des déséquilibres extérieurs plus importants qui augmenteraient la vulnérabilité de l’Inde aux flux de capitaux externes. La dépendance à l’épargne extérieure est de plus en plus forte à un moment où les marchés financiers mondiaux sont extrêmement instables. Il y a eu en effet de fortes fluctuations sur les marchés financiers à la suite de difficultés insolubles rencontrées dans la résolution de la crise de la zone euro. En parallèle, une régulation accrue et/ou des restrictions sur les mouvements de capitaux internationaux ont entraîné un processus de démondialisation financière et la réapparition d’une préférence nationale en matière de finance (Reinhart, 2012) qui pourraient limiter les flux de capitaux en direction des marchés émergents. Dans la deuxième partie, nous nous penchons sur les sources de financement des déficits extérieurs de l’Inde et examinons les tendances récentes dans le compte de capital de la balance des paiements.

Financement des déficits extérieurs et pénurie de sources stables de financement

La contrepartie de cette augmentation des déficits extérieurs est une hausse des dettes envers l’étranger. Dans cette partie, nous étudions la composition des passifs étrangers et nous nous penchons sur les enjeux sous-jacents en termes de vulnérabilités extérieures et de risques de volatilité du taux de change.

La position externe nette de l’Inde est devenue négative à la fin de 2009, ce qui signifie que le stock de passifs étrangers a dépassé celui des actifs étrangers. En parallèle, la composition des entrées de capitaux a évolué au profit de la dette, avec une augmentation de la proportion des flux à court terme.

Graphique 4 Position d’investissements internationaux (PII) (en Md$)
Note : la PII représente le stock d’actifs et de passifs financiers extérieurs d’une économie. Ce stock est le résultat de transactions extérieures passées, mesurées en valeur de marché courante (prix du marché actuels et taux de change) et selon d’autres facteurs (par exemple, les dépréciations et les reclassements).
Source : RBI.
Graphique 5 Dette à court terme (en % de la dette extérieure)
Source : RBI.

Comme évoqué précédemment, la détérioration de la balance courante de l’Inde au cours des deux dernières années a eu lieu dans un contexte où les investisseurs internationaux se sont montrés plus réticents à investir dans les marchés émergents. L’Institut pour la finance internationale (IIF – Institute of International Finance) estime que les flux de capitaux en direction des trente principaux marchés émergents (y compris l’Inde) ont atteint leur plus haut niveau en 2010 et n’ont depuis cessé de diminuer (IIF, 2012). Les investissements de portefeuille ont enregistré la plus forte baisse en 2011. Pour 2012, l’IIF prévoit que les flux émanant des banques commerciales connaîtront un repli significatif.

En effet, les banques européennes représentent une part significative de l’ensemble des prêts bancaires internationaux accordés à l’Inde. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), les banques européennes représentent plus de 50 % du total des créances bancaires étrangères en Inde. Étant donné que les banques européennes ont entamé un processus de désendettement qu’elles devraient poursuivre (IMF, 2012), l’Inde pourrait faire face à un assèchement de ces sources extérieures de financement. Des chiffres récents suggèrent que les banques européennes ont déjà commencé à réduire leur exposition. Entre juin et décembre 2011, elles ont réduit leur exposition vis-à-vis de l’Inde de plus de 10 Md$ (8 %). Le secteur public indien et le secteur privé non bancaire indien ont été les plus touchés par la baisse des prêts bancaires européens, avec des expositions réduites respectivement de 17 % et 9 % entre juin et décembre 2011.

En nous penchant sur les détails de l’exposition et du désendettement des banques internationales, nous observons qu’il n’y a pas de différence majeure entre le retrait des banques de la zone euro et celui des banques britanniques. Toutes ont diminué leur exposition globale sur l’Inde de près de 10 % au second semestre 2011. Les banques britanniques ont réduit de façon plus significative leur exposition au secteur public indien (–19 %), ce qui est préoccupant dans la mesure où elles représentent une part significative (25 %) des prêts bancaires internationaux à ce secteur.

La plus grande dépendance de l’Inde vis-à-vis des investissements de portefeuille et des prêts extérieurs soulève plusieurs incertitudes quant à la vulnérabilité du pays. En effet, au cours du dernier trimestre 2011, l’Inde a connu une baisse de 15 Md$ de ses réserves de change. Un déclin aussi rapide n’a pas été observé dans le pays depuis le moment le plus fort de la crise financière, lorsque ces réserves ont chuté de 20 Md$ au troisième trimestre 2008 et de 37 Md$ au quatrième trimestre 2008.

Tableau 1 Créances étrangères consolidées des banques européennes en Inde
* Les expositions en Inde des banques de la zone euro sont calculées en effectuant la différence entre les expositions des banques européennes et celles des banques britanniques et suisses.Note : les créances étrangères consolidées comprennent les flux transfrontaliers et les prêts accordés en monnaie nationale par les succursales locales de banques étrangères. Les données sont présentées sur la base du risque ultime.
Source : BRI.

Certaines mesures ont été adoptées au second semestre 2011 afin d’encourager les entrées de capitaux. Les taux d’intérêt sur les dépôts en roupies des « Indiens non-résidents » ont été dérégulés et le plafond pour les emprunts commerciaux extérieurs d’échéance de trois ans à cinq ans a été relevé. Pour les investisseurs institutionnels étrangers, la période de lock-up des obligations d’infrastructures à long terme a été réduite à un an (jusqu’à 5 Md$ dans le cadre du plafond global de 25 Md$) et les plafonds des titres d’État et des obligations de sociétés ont été levés de 5 Md$ chacun.

Les autorités ont indiqué que les flux de capitaux répondaient positivement aux mesures ci-dessus (RBI, 2012). Les apports des investisseurs institutionnels étrangers sont en effet sensiblement remontés en janvier et février 2012 à la fois en actions et en obligations, les entrées d’IDE demeurant stables. Mais nous pensons que cette amélioration est due à de meilleures conditions de marché au niveau global, consécutives au soutien apporté par la Banque centrale européenne (BCE). Cette dernière a fourni aux banques européennes un montant brut de 1 000 Md€ sous forme de prêts sécurisés dans le cadre des opérations de refinancement à long terme. Cela a grandement apaisé les craintes liées à la liquidité et à la solvabilité des banques européennes. Mais en dépit de cette amélioration, qui s’est traduite au premier trimestre 2012 par une progression significative des indices boursiers mondiaux et un resserrement important des écarts de taux, les réserves de change de l’Inde ont diminué de plus de 2 Md$ au cours du premier trimestre 2012.

Même si une crise imminente de la balance des paiements n’est pas à l’ordre du jour à court terme en raison du stock important des réserves de change (290 Md$ au milieu de mai 2012, soit sept mois d’importations de biens et de services), nous considérons que l’augmentation du déficit de la balance courante n’est pas durable compte tenu des perturbations observées dans l’environnement financier extérieur. Si les incertitudes quant à la viabilité de l’Union monétaire européenne devaient s’amplifier, un arrêt brutal des flux de capitaux étrangers pourrait déclencher une dépréciation significative de la monnaie (Edwards, 2005 ; Calvo, Izquierdo et Mejia, 2004 pour les mécanismes des arrêts brutaux des flux de capitaux étrangers). De fait, nous observons que la volatilité de la roupie indienne contre le dollar a augmenté, tandis que le risque systémique dans la zone euro atteignait des sommets.

Graphiques 6a et 6b Hausse de la dépendance aux flux de capitaux étrangers (en Md$)  Graphique 6a
Source : RBI.
Graphique 6b
Remarque : données cumulées de quatre trimestres. Les prêts incluent les emprunts commerciaux extérieurs, l’aide extérieure et la dette à court terme.
Source : RBI.
Graphique 7 Tensions systémiques dans la zone euro et volatilité USD/INR
Remarque : volatilité USD/INR annualisée, sur la base de données hebdomadaires. L’indicateur composite de tensions systémiques comprend les segments les plus importants du système financier de la zone euro : les intermédiaires financiers, les marchés monétaires, les marchés des actions et des obligations (émetteurs non bancaires) ainsi que les marchés des changes.
Source : Hollo, Kremer et Lo Duca (2012).

Si la menace d’une crise imminente de la balance des paiements n’est pas à l’ordre du jour, le creusement des déficits extérieurs de l’Inde entrave le financement du développement et les perspectives de croissance. Dans la dernière partie, nous examinons le lien entre épargne et croissance et identifions les contraintes qui pèsent sur l’épargne de l’Inde.

Implications de la baisse de l’épargne sur la croissance et le financement du développement

Les crises ayant touché les marchés émergents dans les années 1990 ont démontré que les déficits extérieurs, en particulier lorsqu’ils sont associés à une hausse de la dette à court terme, augmentent sensiblement le risque de crise financière. La littérature économique considère en effet que le déficit de la balance courante est l’un des meilleurs indicateurs avancés de crise (Reinhart, Goldstein et Kaminsky, 2000).

Lien entre épargne et croissance

Plusieurs auteurs ont démontré que les pays à faible revenu qui dépendent moins des capitaux étrangers connaissent une croissance plus rapide. Prasad, Rajan et Subramanian (2007) montrent une forte corrélation positive entre balance courante et croissance dans les pays non industrialisés. Les pays qui ont des taux d’investissement élevés et une dépendance plus faible aux capitaux étrangers connaissent une croissance plus rapide (en moyenne, 1 % par an) que les pays qui ont des taux d’investissement élevés financés par des capitaux étrangers. Ces auteurs soulignent également que les pays avec des systèmes financiers sous-développés ont particulièrement peu de chance d'être en mesure de tirer parti des capitaux étrangers pour financer la croissance.

Aghion, Comin et Howitt (2009) ont établi que le lien entre épargne et croissance est plus fort dans les pays pauvres où l’épargne nationale est positivement associée à la croissance de la productivité. Ils ont montré que l’épargne affecte positivement la croissance dans les pays qui sont éloignés de la frontière technologique. Cela est dû au fait qu’une épargne plus élevée dans une économie émergente augmente le nombre de projets qui peuvent être cofinancés par les entrepreneurs locaux de façon à suffisamment atténuer le problème d’agence pour qu’un investisseur étranger y participe.

Dans les pays assez proches de la frontière technologique, les entreprises locales ont plus de chances d'être elles-mêmes familiarisées avec la frontière technologique et, par conséquent, elles n’ont pas besoin d’attirer des financements étrangers afin d’entreprendre un projet d’innovation. La distance à la frontière technologique et le développement des marchés financiers sont donc essentiels pour expliquer pourquoi le lien entre épargne et croissance diffère entre pays riches et pays pauvres. La différence de croissance depuis 1960 entre l’Asie de l’Est (forte croissance, fort taux d’épargne intérieure) et l’Amérique latine (faible croissance, faible taux d’épargne) apporte une preuve supplémentaire que la croissance est positivement liée à l’épargne intérieure.

Pourtant, le sens de la causalité entre épargne et croissance est controversé. Les modèles de croissance traditionnels (Lewis, 1955 ; Solow, 1956) suggèrent qu’une augmentation de l’épargne accélérerait la croissance économique. Jappelli et Pagano (1994) ont démontré empiriquement cette théorie, mais d’autres auteurs soutiennent que l’épargne est endogène à la croissance. Le lien de causalité est important (Carroll et Weil, 1994, soutiennent que ce n’est pas l’épargne qui crée la croissance, mais la croissance qui crée l’épargne) et les implications de politique économique sont radicalement différentes.

Jangili (2011) a étudié la relation entre épargne, investissement et croissance en Inde pendant la période allant de 1950 à 2008. Il a conclu que dans le cas de l’Inde, il existait un lien causal entre épargne et croissance ainsi qu’entre investissement et croissance. Il a constaté que l’épargne du secteur privé génère une croissance plus forte, tandis que l’investissement du secteur privé ne suffit pas nécessairement à stimuler la croissance économique. Les données empiriques suggèrent également que l’épargne des entreprises privées n’est pas associée à la croissance. La combinaison de ces résultats et de ceux obtenus par Aghion, Comin et Howitt (2009) laisse entendre que l’Inde reste éloignée de la frontière technologique et que, par conséquent, la croissance n’est pas liée aux innovations qui voient le jour ailleurs dans le monde.

Dans l’ensemble, le lien entre épargne et croissance demeure sujet à controverse, mais les études portant sur les pays en développement ont généralement conclu qu’une épargne plus importante conduisait à une croissance plus forte (Loayza, Schmidt-Hebbel et Servén, 2000). En Inde, l’amplification des déficits courants et la baisse de l’épargne qui en a résulté depuis le milieu de 2008 se sont accompagnées d’un ralentissement de la croissance économique. Nous pensons que lutter contre les pressions inflationnistes et favoriser le développement financier contribueront à mettre un terme à la baisse de l’épargne et, par conséquent, réduiront les vulnérabilités extérieures tout en encourageant la croissance économique.

Lutter contre les pressions inflationnistes pour encourager l’épargne

Les pressions inflationnistes ont conduit à une chute des taux d’intérêt réels et ont eu un effet dissuasif sur l’épargne. Les causes de l’inflation sont multiples et l’Inde a longtemps souffert d’un taux d’inflation plus élevé que bon nombre de pays émergents. Cela suggère que la forte inflation en Inde est un problème structurel qui ne peut être résolu au travers de la seule politique monétaire (l’inflation et la politique monétaire sont abordées dans un autre chapitre). Nous pensons que des réformes structurelles sont nécessaires pour lutter contre l’inflation.

Un premier pilier suppose d’équilibrer les finances publiques afin de réduire les pressions du côté de la demande. Beaucoup reste à faire dans ce domaine. Le budget du gouvernement central pour 2012-2013 prévoit seulement une réduction modeste du déficit au travers d’efforts pour élargir la base d’imposition et freiner les subventions sur les produits non alimentaires. Le budget prévoit une baisse du déficit du gouvernement central qui tomberait à 5,6 % du PIB en 2012-2013, contre 5,9 % en 2011-2012 et 6,5 % en 2010-2011. Le déficit public consolidé, qui devrait rester proche de 8 % du PIB en 2012-2013, reste bien trop élevé pour contribuer à juguler les pressions inflationnistes. Parmi les réformes attendues du côté des recettes, celle concernant la taxe sur les biens et les services a été reportée en raison de la nécessité d’obtenir la ratification de quinze des vingt-huit États en plus d’une majorité des deux tiers au Parlement. Si elle est finalement mise en œuvre, l’instauration de plusieurs de ses dispositions contribuera à stimuler les recettes. L’élargissement de l’assiette fiscale vise à augmenter les recettes sur les services de 31 % en 2012-2013, à la suite d’une hausse prometteuse de 34 % en 2011-2012. Mais la mise en œuvre de cette réforme demeure difficile car elle a déjà été retardée de plusieurs années. Du côté des dépenses, le gouvernement cherche à limiter les subventions et augmenter l’investissement public. Le budget pour 2012-2013 prévoit de limiter l’ensemble des subventions à 1,9 % du PIB, mais la crédibilité est limitée (l’objectif n’a pas été atteint en 2011-2012). Les subventions pour les carburants et les engrais devraient être réduites respectivement de 36 % et 9 % et les subventions pour les denrées alimentaires devraient augmenter de 3 %.

Un second pilier suppose que des politiques énergétiques soient mises en place pour réduire la dépendance au pétrole importé. La RBI (2011) estime qu’une hausse de 10 % du prix du pétrole, si elle est intégralement répercutée, augmenterait directement l’indice des prix d’environ 1 %. L’impact total après un nouveau cycle de répercussions est estimé à environ 2 %. En parallèle, une hausse de 10 % du prix du pétrole conduirait à une réduction de la croissance réelle du PIB d’environ 0,3 %. Et du fait d’une relation non linéaire, l’impact négatif est encore plus grand si la hausse du prix du pétrole est supérieure au seuil des 10 %.

Un troisième pilier suppose une amélioration des infrastructures et des secteurs de la vente au détail et de la distribution afin de contenir l’inflation par les coûts. Mais en raison de fortes oppositions, les autorités ont renoncé à des réformes telles que la libéralisation du secteur de la vente au détail. Simultanément, les estimations des besoins financiers pour le développement des infrastructures ont été doublées dans le 12e plan quinquennal (2012-2017) pour atteindre 1 000 Md$, la moitié de ce montant devant provenir du secteur privé. Atteindre cet objectif constitue un défi et suppose un développement significatif du marché financier.

Développement du marché financier : un marché des obligations de sociétés pour fournir des instruments d’épargne supplémentaires

Le système financier de l’Inde a connu un développement déséquilibré : la capitalisation boursière est supérieure à 60 % du PIB, alors que la capitalisation du marché des obligations de sociétés est inférieure à 8 % du PIB. De plus, le marché des obligations est largement dominé par les émetteurs gouvernementaux qui représentent la grande majorité du marché obligataire (cf. graphique 8 infra).

Graphique 8 Capitalisation du marché obligataire (septembre 2011)
Source : NSE (National Stock Exchange of India).

Les tendances sur le marché primaire sont également représentatives d’un marché des capitaux sous-développé. Les émissions publiques d’obligations de sociétés sont extrêmement faibles (cf. graphiques 9 et 10 ci-contre) et les placements privés prédominent. Ces derniers prennent généralement la forme d’opérations sur blocs de titres destinés aux dirigeants des entreprises, aux souscripteurs privés ou aux banques et autres institutions financières. Ils impliquent très peu de transactions sur le marché secondaire et rendent le processus de détermination des prix peu efficace (le processus qui consiste à déterminer le prix d’un actif sur le marché en fonction des interactions entre acheteurs et vendeurs). Ainsi, la structure du marché des obligations entraîne un certain degré de répression financière. Les taux d’intérêt ne reflètent pas la réalité des conditions économiques et du marché et nous pensons que cela accentue l’effet dissuasif sur l’épargne, puisque les taux d’intérêt sont maintenus artificiellement bas.

La prépondérance des placements privés est attribuée à plusieurs facteurs comme une procédure d’émission complexe pour les placements publics, des coûts d’émissions considérablement plus élevés et une souscription beaucoup plus importante en cas de placements privés. Même si la littérature fait état de remises considérables sur les prix d’offres et d’effets d’annonce positifs pour les placements privés, l’impact des restrictions à la revente et l’illiquidité qui leur est associée sont loin d'être suffisamment étudiés et fournissent des pistes intéressantes de recherche future (Maynes et Pandes, 2008).

Graphique 9 Mobilisation des ressources par le biais du marché primaire (en %)
* Au 31 décembre 2011.** Placements privés combinant actions/obligations.
Source : NSE.
Graphique 10 Ressources provenant des marchés obligataires (en Md$)
Source : NSE.

Le développement du secteur financier est essentiel pour la mobilisation de ressources externes et réduit la dépendance de la croissance à l’épargne interne (autofinancement). Le fait que les entreprises aient de plus en plus souvent recours à des financements externes (cf. graphique 11) plutôt qu’à des financements internes (générés par l’activité des entreprises elles-mêmes) suppose que l’accès à un système financier efficace est primordial pour maintenir des niveaux d’investissement élevés. Rajan et Zingales (1998) ont d’ailleurs montré qu’un système financier sous-développé réduit le taux de croissance d’un secteur en raison du coût plus élevé de l’accès aux sources de financement externes à l’entreprise.

Graphiques 11 Financement des grandes sociétés anonymes non gouvernementales et non financières
Source : RBI.

Le développement du marché des obligations de sociétés est donc important pour développer les marchés financiers en Inde, encourager l’épargne et réduire le déficit courant. Plusieurs obstacles ont été identifiés, tels que la prédominance des emprunts bancaires et l’effet d’éviction des obligations d’État. Mais la création en 2011 d’une commission consultative pour les obligations de sociétés et la titrisation (Corporate Bonds & Securitisation Advisory Committee), dans le cadre des recommandations de la Commission Patil, indique que les autorités commencent à s’atteler à ce problème. Il est néanmoins urgent d’accélérer le rythme des réformes afin d’engager le cercle vertueux d’investissement et de croissance tout en limitant les déséquilibres externes. En effet, le premier rapport publié par une commission d’experts de haut niveau sur les obligations de sociétés et la titrisation a été présenté en décembre 2005.

Conclusion

Dans cet article, nous avons souligné la brusque détérioration des comptes externes de l’Inde et la vulnérabilité croissante du pays résultant d’un accroissement des entrées de capitaux générateurs de dette. Tandis que le niveau des réserves de change ne présage pas une crise imminente de la balance des paiements, l’augmentation du déficit courant au cours des deux dernières années reflète une tendance préoccupante dans un contexte de forte instabilité des marchés financiers mondiaux.

Le facteur sous-jacent derrière la détérioration des comptes extérieurs est une chute des taux d’épargne, à la fois publique et privée, qui est elle-même causée par plusieurs facteurs : un renchérissement de l’énergie, une politique de relance budgétaire à la suite de la crise financière mondiale et de faibles taux d’intérêt réels.

Dans un contexte où l’épargne étrangère est de plus en plus difficile à mobiliser en raison d’une forte aversion au risque sur les marchés financiers mondiaux, le fait que les sociétés indiennes soient de plus en plus dépendantes des financements extérieurs signifie que la chute du taux d’épargne en Inde a une lourde incidence sur la croissance. Nous pensons que pour soutenir l’épargne intérieure, il faudra lutter contre l’inflation, réduire les déficits budgétaires et développer les marchés financiers (en particulier le marché des obligations de sociétés). Ce dernier fournirait des véhicules d’épargne supplémentaires et des rendements plus attractifs que le marché des obligations d’État qui maintient des taux d’intérêt artificiellement bas grâce au ratio réglementaire de liquidité qui oblige les banques commerciales à investir dans des titres d’État.


Notes

Stratégiste, Corporate and Investment Banking, Société générale.

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