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 Le contexte économique global et les défis du 12e plan quinquennal


Saumitra CHAUDHURI
La part des pays en développement dans le PIB mondial va croissant et pourrait atteindre 42 % d’ici 2017. Si la croissance de ces pays repose en partie sur une dynamique qui leur est propre, il n’en reste pas moins qu’elles évoluent dans un contexte globalisé, caractérisé par les difficultés des États-Unis et de l’Union européenne. Ce contexte global auquel est soumise l’économie indienne est analysé dans des perspectives de court, moyen et long terme. Dans une seconde partie, l’article procède à une analyse des caractéristiques de l’économie indienne du point de vue de l’investissement et de l’épargne, avant de préconiser une série de mesures destinées à lui permettre de relever les défis auxquels elle est soumise, en particulier dans le domaine des infrastructures et de la production agroalimentaire.

1. Cet article se décompose en trois parties. La première présente les changements qui ont marqué et marquent encore l’environnement international, ainsi qu’une évaluation des perspectives, la deuxième aborde la situation économique de l’Inde et la troisième décrit les défis qui attendent l’Inde.

Le contexte international

2. Examinons tout d’abord les profonds changements qui ont modifié l’économie mondiale et la place de chaque pays et de chaque région dans ce contexte. L’économiste britannique Angus Maddison a effectué des estimations inédites de la taille de nombreuses économies au cours des deux derniers millénaires. Il a évalué qu’en 1700, l’Asie représentait plus de 60 % de la production économique mondiale, l’Inde et la Chine comptant pour environ un quart chacune1. À la fin de l’époque coloniale, en 1950, la part de l’Inde dans la production mondiale était de 5,1 %, celle de la Chine de 4,8 % et celle du reste de l’Asie (à l’exception du Japon) de 3,6 %2.

3. Toutefois, la majeure partie de ces changements s’est produite récemment. En 1980, la part des économies avancées dans la production économique mondiale était de 73 %, contre 27 % pour les pays en développement (y compris l’ancien bloc de l’Est). Au cours des deux décennies suivantes, la plupart des économies occidentales avancées ont su apporter des modifications fondamentales à leur environnement politique et réglementaire. Cela leur a permis de bénéficier pendant plusieurs années d’une croissance économique rapide. La situation des pays en développement s’est elle aussi améliorée. Toutefois, en termes nets, les économies avancées représentaient en 2000 une part encore plus importante de la production mondiale de 80 %, contre 20 % seulement pour les pays émergents et en développement (y compris les pays de l’ancien bloc de l’Est). Nous utilisons dans cet article les taux de change du marché et non les parités de pouvoir d’achat (PPA) ou toute autre référence.

4. Cependant, entre 2000 et 2011, un changement radical est survenu. La part des économies avancées dans la production mondiale est tombée à 64 %, alors que celle des pays émergents et en développement est montée à 36 %. La Chine a connu l’expansion la plus prononcée, à la fois en termes relatifs et absolus, passant en seulement onze ans de 3,7 % à 10,5 % de la production mondiale. Les pays en développement d’Asie, à l’exception de la Chine, ont vu leur part croître de 3,3 % à 5,8 % dans le même laps de temps. L’Inde a progressé de 1,5 % à 2,4 %. Les économies en développement d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne, d’Asie de l’Ouest et d’Afrique du Nord ont également vu leur part relative augmenter. Si l’on se fie aux projections proposées par le FMI (Fonds monétaire international) dans ses Perspectives de l’économie mondiale, publiées en avril 2012, la part des économies avancées dans la production mondiale continuera de baisser et atteindra 58 % en 2017, contre 42 % pour les pays en développement. Si l’on regarde un peu plus loin, il semble qu’en 2025, les parts respectives des pays développés et en développement seront identiques.

5. Le passage d’un ratio de 80/20 à 50/50 en seulement un quart de siècle constitue un changement considérable et capital. C’est incontestable, nous sommes aujourd’hui aux portes du changement le plus important des trois cents dernières années en matière de polarité économique mondiale. C’est assurément le cas pour la Chine, l’Inde, ainsi que le reste de l’Asie, et l’Afrique. Toutefois, cette issue n’est pas inéluctable. On parle parfois du « siècle de l’Asie », mais rien n’est préétabli. C’est grâce à leurs propres efforts que les économies en développement en sont arrivées là. Si des opportunités existent, c’est parce que les efforts des pays en développement ont permis leur apparition. Cependant, il est toujours possible de ne pas réussir à tirer le meilleur parti d’une opportunité. S’ils tiennent le résultat pour acquis, ces pays risquent de manquer des opportunités.

6. Les pays en développement doivent également rester conscients du fait que même si au cours de la prochaine décennie, ils exploitent au mieux leur potentiel économique, ils n’en deviendront pas pour autant des économies riches. Prenons la Chine, par exemple, l’économie qui a enregistré la progression la plus importante en termes de revenus et de production. Jusqu’à aujourd’hui, elle a connu trente-quatre années de croissance économique rapide qui l’ont propulsée au rang de deuxième économie mondiale, alors qu’elle était au sixième rang en 2000. Elle représente 48 % du poids économique des États-Unis, contre 12 % il y a onze ans. Toutefois, en 2011, en termes de revenus par habitant, elle était à la traîne à la 89e place avec un revenu par habitant de 5 400 dollars, loin devant l’Inde (1 400 dollars), mais toujours loin derrière les pays à revenus intermédiaires d’Europe de l’Est et d’Amérique latine. Même si elle est capable de supporter un rythme d’expansion soutenu, d’ici à 2025, elle pourra dans le meilleur des cas se positionner parmi les 60-65 premières économies, tout en restant toujours derrière de nombreuses économies en développement d’Europe de l’Est, d’Amérique latine et d’Asie.

7. Il en résulte plusieurs conséquences. Premièrement, une fenêtre d’opportunité existe : les conditions intérieures ont permis et peuvent donc encore permettre un rythme accéléré d’expansion. Deuxièmement, les conditions initiales sont tellement disparates que plusieurs décennies de croissance économique forte et soutenue ne pourront que combler une partie de l’écart. Troisièmement, étant donné que les économies en développement ont presque toutes un rythme élevé d’expansion, même avec un rythme rapide et soutenu, un pays peut obtenir des performances inférieures à nombre de ses pairs. Enfin, une sorte d’ordre final émergera d’ici à quelques décennies et il y a de fortes probabilités pour que cet ordre constitue d’une certaine façon la nouvelle hiérarchie économique, avec tout ce qui l’accompagne, et notamment un environnement moins propice à de nouveaux changements. L’Inde doit donc passer à la vitesse supérieure.

8. Par ailleurs, il convient de mentionner la fin de l’accord multifibres en 2004 et ses conséquences. Au cours des années précédant la fin de l’accord, on pensait que l’Inde et la Chine allaient récolter l’ensemble des bénéfices et que les économies les moins développées n’auraient donc pas grand-chose à gagner. Cette inquiétude s’est révélée fondée, mais seulement en partie. En 2000, la part de l’Inde et de la Chine dans le total des exportations de textile était respectivement de 3,0 % et 18,3 %. En 2010, si la part de l’Inde a seulement atteint 3,2 %, celle de la Chine a bondi jusqu’à 36,9 %. Les pays les moins développés comme le Bangladesh et le Vietnam ont sensiblement progressé3 conformément à l’effet désiré, mais contrairement aux dernières prévisions.

9. La dynamique de changement qui anime l’économie mondiale comporte de nombreuses implications majeures. Il est évident que le marché des biens a évolué et changera encore dans les années à venir. La hausse de la part des importations mondiales de marchandises la plus spectaculaire concerne l’Asie (à l’exception du Japon) : elle est passée de 17,3 % à 25,3 % entre 1993 et 2010. D’autres économies en développement ont également vu leurs marchés progresser. Si l’on considère ensemble l’Asie (à l’exception du Japon), l’Amérique latine, l’Afrique et le Moyen-Orient, nous remarquons que leur part dans les importations mondiales de marchandises est passée de 28 % à 38 % entre 1993 et 2010. La part des économies occidentales développées et du Japon a chuté, passant de 71 % à 59 % entre 1993 et 2010. Ce phénomène ne peut que s’accentuer au cours des décennies à venir. Le marché des services, incluant les transports, les voyages, la finance et les télécommunications, en plus des activités en lien avec l’informatique, est en réalité réparti de façon plus homogène que celui des marchandises. Les économies en développement y comptent pour près de la moitié du marché des importations. Toutefois, même dans ce secteur, l’expansion des activités en lien avec l’informatique sera proportionnellement plus rapide dans les économies en développement.

10. Enfin, la géographie de la finance mondiale va évoluer. La prépondérance des centres classiques (New York, Londres et Francfort) va basculer vers les pays en développement, en Asie en particulier. Aujourd’hui, Hong Kong et Singapour prennent un rôle de plus en plus important en tant que centres de mobilisation financière et collecte de fonds. L’Asie est également une source importante pour l’épargne et la demande de financement des investissements. Les compétences acquises en interne, la réglementation et les structures du marché semblent contribuer à la forte croissance de ces deux centres insulaires. On ne sait pas exactement dans quelle mesure les centres continentaux comme Shanghai, ou encore Mumbai, arriveront à suivre le rythme. Quoi qu’il en soit, il existe aujourd’hui un réseau financier en Asie dont le rôle ne va cesser de s’élargir. De plus en plus, une part croissante du stock d’épargne des économies développées intègre ce réseau, phénomène qui va lui aussi se poursuivre et s’accentuer.

11. Les économies avancées évoluent actuellement dans une ambiance très morose. La crise de 2008 a été profonde et il reste de nombreux problèmes à résoudre. Entre 2008 et 2011, les États-Unis et la zone euro ont quasiment stagné, y compris en valeur nominale. Si l’économie américaine se ressaisit, sa reprise sera plus faible que ce que beaucoup avaient prévu et disproportionnée par rapport à l’ampleur des dispositifs budgétaires et monétaires mis en œuvre. Ce point peut bien entendu être discuté et il a en effet été affirmé que la situation aurait pu être plus grave sans l’application de ces dispositifs, mais ce n’est qu’une maigre consolation. Les problèmes inhérents à l’Union monétaire européenne et au poids trop élevé des dépenses de ses gouvernements (ainsi qu’à leurs engagements sociaux) ont été révélés au grand jour à la suite de la crise mondiale. Si pour l’heure, les problèmes ont été ponctuellement résolus, même avec un peu de chance, il faudra évidemment plusieurs années à l’économie européenne pour se remettre.

12. Aujourd’hui, il est vrai que les économies en développement (et le petit nombre de solides économies développées) bénéficient dans une large mesure de leur propre dynamique autonome. Toutefois, elles ne sont pas à l’abri de ce qui se passe aux États-Unis et dans la zone euro en raison des effets commerciaux, de la confiance des entreprises et des turbulences créées sur les marchés financiers mondiaux par les efforts de ces grandes économies pour faire face à leurs propres problèmes.

13. Il est donc raisonnable d’étudier les perspectives économiques mondiales selon différentes échéances : à court terme (jusqu’à deux ans), à moyen terme (deux à cinq ans) et enfin à long terme (cinq à quinze ans).

À court terme (jusqu’à deux ans)

14. La Mise à jour des perspectives de l’économie mondiale de juillet 2012 par le FMI insiste une fois de plus sur les inconvénients qui pourraient survenir, principalement de la zone euro. Les Perspectives de l’économie mondiale d’avril 2012 s’intitulent « Une reprise en cours, mais qui reste en danger ». C’est une grande amélioration par rapport à la Mise à jour de janvier 2012, intitulée « La reprise mondiale marque le pas et les risques baissiers s’intensifient ». Depuis un certain temps, nous pensons que même si de graves problèmes persistent dans les pays développés, les risques baissiers ont sensiblement diminué par rapport à 2011. D’ailleurs, la plupart des marchés financiers dans le monde partagent cet avis. Toutefois, cela ne semble pas influencer, en tout cas jusqu’à maintenant, la sensibilité des marchés mondiaux aux mauvaises nouvelles qui, somme toute, s’est intensifiée au cours de 2012.

15. Dans la zone euro, les dangers sont bien réels même si l’on a eu tendance à les surestimer. Nous pensons qu’en 2011, les dirigeants européens ont sous-estimé la difficulté à gérer la situation et se sont exposés, ainsi que leurs actions, à un excès de surveillance publique et de spéculation. En outre, le degré d’engagement de l’Allemagne pour soutenir la zone euro n’était pas clair. Depuis, la situation s’est, selon nous, nettement clarifiée. Tout d’abord, l’Allemagne semble disposée à apporter un soutien de longue durée. En conséquence de quoi, au moins en partie, la Banque centrale européenne (BCE) a apporté une grande quantité de fonds à son système bancaire par le biais des opérations de refinancement à plus long terme (LTRO – long term refinancing operations). Au départ, la somme en question était de 489 Md€, mais avec les fonds du FMI, ce que l’on appelle le « pare-feu » est estimé à plus de 1 000 Md$. Le chiffre en lui-même n’est pas important. C’est la détermination explicite à intervenir sur une si grande échelle qui l’est. Elle compense les risques potentiels émanant du désendettement, des banques européennes principalement, estimé à 2 600 Md$. Toutefois, l’impact net du désendettement pourrait ne pas être aussi important, même si le risque d’impact ciblé sur le secteur du crédit privé est majeur. Nous doutons cependant que le cadre tracé pour l’avenir repose sur des bases solides. On peut raisonnablement s’attendre à de nombreux changements adaptatifs visant à limiter les dégâts.

16. Les pays membres de la zone euro semblent s'être engagés dans une action coordonnée vers une union budgétaire, condition requise à la survie d’une union monétaire dont les membres n’ont pas la même puissance économique. La concrétisation définitive de cette union budgétaire reste incertaine. Nous estimons toutefois que les pays vont rester sur cette voie au cours des prochaines années, l’objectif principal étant de stabiliser l’Italie et l’Espagne, les deux grands pays qui ne peuvent pas être financés par les autres membres de la zone euro. Le but est également de donner le temps aux banques européennes (principalement allemandes et françaises) de remettre de l’ordre dans leurs affaires. Jusqu’ici, l’évolution de la situation en Italie est positive et les réformes initiées par Mario Monti, le Premier ministre italien, semblent bénéficier du soutien de l’opinion publique. Mariano Rajoy, récemment élu Premier ministre en Espagne, a jusqu’ici également maintenu le cap des réformes. Les problèmes de la Grèce et du Portugal sont bien connus, mais ces économies sont trop petites pour faire tomber la zone euro. Il faut néanmoins souligner le retour de l’Irlande à la croissance, alors même que le pays a subi de fortes contraintes budgétaires à cause des garanties accordées aux banques commerciales à hauteur d’environ 35 % du PIB.

17. Aux États-Unis, la reprise économique est plus faible que ce qu’avaient prévu l’administration américaine, les institutions financières internationales ou les marchés financiers. Toutefois, des signes indiquent clairement que l’économie va mieux, notamment la baisse du taux de chômage et, dans une plus large mesure, l’amélioration des bilans des banques et des entreprises. À la fin de 2011, il était évident que l’économie américaine connaîtrait une croissance supérieure à 1,8 %, chiffre prévu par le FMI en septembre 2011 et réitéré en janvier 2012. En avril 2012, ce dernier a revu son estimation à la hausse avec 2,1 %. En fin de compte, il serait donc étonnant que les conditions ne continuent pas de s’améliorer en 2013. Le FMI prévoit actuellement 2,4 % de croissance pour 2013. Toutefois, les États-Unis vont toujours être confrontés à un problème : trouver une façon cohérente et non perturbatrice d’entamer l’assainissement budgétaire, afin d’éviter la « falaise budgétaire » (fiscal cliff) et resserrer leur politique monétaire.

18. Il est possible que la politique monétaire accommodante des États-Unis et de l’Union européenne, qui pourrait se poursuivre plusieurs années, soit une source de problèmes pour les autres, comme cela a été le cas pour les prix des matières premières en particulier.

19. Toutefois, notre principale inquiétude devrait concerner les chocs et non la faiblesse persistante de ces économies. Selon moi, aucun choc ne se produira parce que : (1) dans la zone euro, la direction prise par les États membres, sous la houlette de l’Allemagne, est expressément destinée à maintenir la situation en l’état pendant les prochaines années ; (2) la grande quantité de liquidité créée par la Federal Reserve américaine, et plus récemment par la BCE, empêchera le système financier de subir un choc qui serait inévitable en cas de soudain assèchement de la liquidité.

20. Quel impact la situation des États-Unis et de la zone euro va-t-elle avoir sur l’Inde ? Tout d’abord, le ralentissement de la croissance aux États-Unis et au sein de l’Union européenne va avoir un impact négatif sur l’expansion de ces marchés pour nos exportations à la fois de biens et de services. Ce propos doit être légèrement nuancé. Alors que les consommateurs et les gouvernements occidentaux ne se portent peut-être pas très bien, la plupart des entreprises, en particulier américaines, disposent de liquidités. Elles vont continuer à essayer d’optimiser l’utilisation de l’informatique pour stimuler la productivité et maintenir de faibles coûts. Cela va soutenir dans une certaine mesure le secteur de l’informatique. Par ailleurs, et plus significativement, la situation de l’Union européenne a eu un impact négatif, qui va perdurer, sur le financement bancaire de la zone euro, financement important pour les projets d’infrastructures du secteur privé indien.

21. Pour compenser ce phénomène, l’Inde doit prendre plusieurs mesures plus ou moins complexes :

  • favoriser la diversification de ses exportations de biens vers les pays en développement ; cette diversification est déjà en cours et doit s’intensifier ;
  • entamer une coopération rapprochée avec les pays développés dont la situation est relativement meilleure (Japon, Corée du Sud, Canada, Suède et Australie) ;
  • concernant le financement extérieur, l’Inde doit : (1) solliciter plus de crédits bancaires du Japon, de la Chine, de la Corée du Sud, du Canada et éventuellement de la Suède, (2) vendre plus activement les titres indiens dans ces pays, (3) vendre activement les investissements indiens dans les pays du Golfe, en particulier à Abou Dhabi, (4) attirer plus de capitaux en provenance de Singapour, (5) prendre des mesures pour utiliser les banques indiennes à Singapour et Hong Kong afin de tirer parti de la base d’investisseurs dans la région, (6) améliorer la solvabilité de ses projets d’infrastructures et des activités associées en menant à bien des réformes dans ces domaines et en supprimant l’imprévisibilité.

À moyen terme (deux à cinq ans)

22. Avec le temps, la situation économique des États-Unis et de la zone euro va se rétablir. La zone euro pourrait se retrouver enfermée dans une union budgétaire, revenir au statu quo ou encore redevenir une union plus petite. Pourtant, une issue désastreuse, à savoir des chocs, est peu probable car les acteurs principaux ont trop à perdre et appliquent des pratiques de fonctionnement prudentes.

23. Toutefois, des bouleversements périodiques surviendront sur les marchés financiers car certaines choses se passeront mal et des événements inattendus se produiront, comme cela a effectivement été le cas pour l’Espagne. Même si ces événements sont gérés et maîtrisés, on peut raisonnablement s’attendre à une volatilité sporadique sur les marchés financiers et dans l’esprit des investisseurs, à cause des mauvaises nouvelles qui arriveront de temps à autre de la zone euro et aussi occasionnellement des États-Unis.

24. L’Inde, la Chine et d’autres pays émergents vont continuer d’afficher une croissance relativement solide. La croissance de la Chine pourrait ou non ralentir dans la mesure souhaitée par ses dirigeants, soit 7 %. Le pays va probablement être confronté à des problèmes liés à la hausse des salaires, à l’évolution inflationniste et à une perte de compétitivité dans les échanges mondiaux, facteur important étant donné que les exportations représentaient 40 % du PIB du pays en 2011. La Chine va également devoir honorer les créances douteuses accordées par ses banques aux gouvernements locaux. Le pays dispose des ressources nécessaires, mais cela n’en reste pas moins un fardeau. Son excédent extérieur devrait se réduire, alors que ses réseaux financiers internationaux devraient se développer.

25. L’évolution des autres pays émergents découlera de l’adéquation de leurs orientations politiques respectives et de leur capacité à s’adapter aux circonstances, les changements brusques risquant de devenir monnaie courante. Les écarts importants en matière de performances économiques vont probablement s’accentuer.

26. La forte baisse du prix du pétrole en juin 2012 était une conséquence aberrante de la grande nervosité des marchés. Le retour à un baril supérieur à 100 dollars a été plus rapide que la chute anormale. Le prix du pétrole va rester élevé et probablement continuer à augmenter à cause à la fois de la hausse constante de la demande en provenance des marchés émergents et de la pression des pays arabes, y compris l’Arabie Saoudite, pour chercher à obtenir un prix élevé du pétrole brut afin de répondre à leurs propres impératifs budgétaires.

À long terme (cinq à quinze ans)

27. La tendance sous-jacente du basculement de la polarité économique va se poursuivre. La part des économies développées dans le PIB mondial (mesurée selon les taux de change du marché, pas les PPA) continuera à décliner et approchera 50 % d’ici à 2025. Dans l’évolution des parts du PIB mondial, la Chine est la grande gagnante. Il se peut qu’elle voie sa part grimper à environ 15 %-16 % d’ici à 2020 et environ 18 %-19 % (25 000 Md$-26 000 Md$) d’ici à 2025. Cela la rapprocherait du PIB des États-Unis prévu pour 2025, soit 30 000 Md$.

28. La part de l’Inde dans le PIB mondial était de 1,5 % en 2000. Elle est passée à 2,4 % (1 700 Md$) en 2011. D’ici à 2017, elle pourrait atteindre 3,5 % (3 300 Md$), 4,2 %-4,5 % (4 500 Md$-5 000 Md$) d’ici à 2020 et 5,5 %-6,0 % (8 000 Md$-9 000 Md$) d’ici à 2025. Ces chiffres se basent sur des hypothèses modestes, mais pas les plus pessimistes. Il est évident que les projections effectuées pour de telles échéances peuvent ne pas se confirmer. Toutefois, sauf en cas d’événement cataclysmique, la géographie économique future devrait globalement ressembler à cela. Certains points de pression clés pour chaque pays ainsi que pour l’économie mondiale dans son ensemble doivent être soulignés.

La Chine

29. Depuis longtemps, persiste l’idée que la Chine est vouée à un atterrissage brutal. Si le fait que celui-ci ne s’est pas produit n’en écarte pas la possibilité. Il n’existe aucune ligne de fracture indiquant la possibilité d’une telle issue, en dehors d’un effondrement politique de l’État. Selon nous, le plus grand problème de la Chine concerne la distribution d’une part plus importante du revenu additionnel à la population. Les décideurs politiques chinois ont plusieurs fois désigné la part décroissante de la consommation privée et la part croissante de l’investissement comme un phénomène à rectifier. Cela a été mentionné au début du 10e plan quinquennal (2000-2005), ainsi que du 11e plan quinquennal (2005-2010). Toutefois, l’investissement a continué d’augmenter et la consommation de baisser, facteur à l’origine de l’important excédent commercial. Cependant, l’année dernière, la direction sortante du Parti a débloqué des négociations salariales, apparemment en vue de faire avancer les choses. Il sera difficile d’inverser la vapeur.

30. Transférer une part plus importante du revenu disponible à la population active pourrait entraîner des pressions inflationnistes et une baisse possible des bénéfices des entreprises conduisant à une diminution des investissements. Les deux phénomènes pourraient se produire. La forte augmentation des coefficients de réserves obligatoires par la banque centrale ces deux dernières années indique à quel point la question des prix est sensible. Il est donc probable que la croissance va ralentir, même si ceux qui la considèrent comme la priorité essentielle manifestent leur opposition. Avec une croissance plus lente et des coûts salariaux plus élevés, l’excédent commercial pourrait diminuer, tout comme la pression exercée sur la Chine pour l’appréciation de sa monnaie. La Chine va se développer dans l’espace financier asiatique et peut-être même ailleurs. Elle dispose de nombreux actifs en devises (3 400 Md$) qui peuvent être redéployés pour acquérir d’autres actifs. Elle a encouragé l’utilisation du renminbi dans les transactions en Asie. Cette initiative réussira dans une certaine mesure, limitée peut-être par l’aversion au risque des directeurs des banques publiques, d’une part, et l’hésitation des pays contreparties dans la région, d’autre part.

L’énergie

31. La croissance économique des pays émergents va compenser le déclin des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et donc exercer une pression constante à la hausse sur le prix du pétrole. Le marché mondial du pétrole brut est fortement « cartélisé » pour les raisons suivantes : (1) 81 % des réserves sont situées dans les pays de l’Opep ; (2) ces pays représentent une bien plus petite part de la production, à savoir 40 % ; (3) toutes les capacités de production non utilisées se situent dans les pays de l’Opep, en particulier en Arabie Saoudite ; (4) la plupart des sources de pétrole hors Opep sont également les plus coûteuses en termes de production.

32. Ces six dernières années (2005-2011), les pays de l’OCDE ont connu une baisse de la consommation de pétrole de 4,2 millions de barils par jour (mbj), alors que les pays hors OCDE ont augmenté leur consommation de 9,2 mbj, entraînant une augmentation nette de la consommation mondiale de pétrole de 5,1 mbj. La Chine représente 53 % de cette hausse. Avec l’accroissement de sa consommation intérieure, il est inconcevable qu’elle ne continue pas à compter pour l’essentiel de la croissance de la demande de pétrole. L’Inde représente 18 % de l’augmentation nette de la demande mondiale de pétrole au cours de cette période. Toutefois, elle a été éclipsée par la croissance rapide du marché du Moyen-Orient, qui représente 37 % de l’augmentation de la demande mondiale de pétrole, alimentée par les prix élevés du pétrole qui ont entraîné une hausse des revenus intérieurs.

33. Si les marchés des autres combustibles (gaz naturel et charbon) ne sont pas aussi fortement « cartélisés », l’augmentation des prix du pétrole aura tout de même un effet soutenu sur les prix des autres combustibles fossiles. Par conséquent, les prix de ces combustibles devraient continuer à augmenter à un rythme plus élevé que les autres prix et donc sensiblement influencer les politiques de tarification de l’énergie. Le gaz de schiste représente un grand potentiel qui permettra de limiter la hausse des prix du gaz naturel/GNL (gaz naturel liquéfié), ce qui pourrait avoir des répercussions sur les prix du pétrole brut, en raison de sa substitution dans les transports, et des autres combustibles. Cependant, à cause des conditions assez tendues sur le marché du pétrole brut, il ne serait pas prudent d’attendre de la hausse prévue de la production de gaz de schiste plus qu’un léger effet modérateur sur le degré d’augmentation du prix du pétrole.

Les produits alimentaires

34. Les prix des produits alimentaires ont subi une forte augmentation ces dernières années. L’indice FAO des prix des produits alimentaires montre que le prix des céréales a augmenté de 27 % et le prix des huiles alimentaires de 33 % entre 2009 et 2011. Cette hausse a été favorisée à la fois par les conditions météorologiques dans certains des principaux pays exportateurs et le programme de production de bioéthanol à partir de maïs aux États-Unis.

35. Cela limite pour les pays en développement la possibilité de compter sur les échanges internationaux pour répondre à leurs besoins alimentaires. Certains sont d’avis que l’Inde n’est pas capable de produire suffisamment de nourriture pour répondre à ses besoins et qu’elle va devenir un grand importateur dans les années à venir. D’après nous, cette idée est erronée et ne repose sur aucune base solide. Les rendements moyens de blé et de riz en Inde (environ 2,5 tonnes par hectare pour chacun) laissent entrevoir un énorme potentiel d’amélioration. Les produits de l’horticulture et de l’élevage ont vu leur production croître rapidement ces dernières années et disposent d’un vaste potentiel à exploiter.

36. Les éléments essentiels pour améliorer la productivité agricole sont : (1) la gestion des ressources en eau (approvisionnement) et l’efficacité de l’utilisation de l’eau dans les exploitations, (2) la gestion de la fertilité du sol, (3) l’adoption de technologies adéquates pour progresser dans ces domaines (récupération de l’eau de pluie pour améliorer la recharge des nappes phréatiques, systèmes d’aspersion et goutte-à-goutte, ombrières en forme de tunnel et goutte-à-goutte pour l’horticulture, apport d’engrais spécifiques à la culture et à la zone) et (4) l’amélioration de la logistique d’approvisionnement du consommateur en produits agricoles. Le record de la production de riz, de blé et de céréales vivrières dans leur ensemble a été battu en Inde en 2011-2012. Avec des efforts, ce pays pourrait non seulement devenir autosuffisant en termes de produits alimentaires, mais aussi il pourrait à terme envisager de devenir un pays exportateur, c’est-à-dire qu’en termes nets, s’il doit envisager d’exporter certains produits alimentaires tout en en important d’autres, il devrait devenir, au moins dans une faible mesure, un pays exportateur de produits alimentaires.

Le contexte local

37. La dynamique sous-jacente de croissance de l’économie indienne est solide. En dépit de tous les problèmes, le taux d’investissement en Inde en 2010-2011 était de 35,8 % et le taux d’investissement en capital fixe de 30,6 %. Les estimations anticipées du gouvernement indien pour 2011-2012 prévoient une formation intérieure brute de capital de 35,4 % et un taux d’investissement en capital fixe de 29,3 % du PIB. Le ratio d’investissement en capital fixe est en baisse, avec environ 3,5 points de pourcentage de moins qu’en 2007-2008 et 2008-2009. Ces chiffres doivent remonter de 4 à 5 points de pourcentage du PIB. Cela signifie que le taux d’investissement en capital fixe doit parvenir à 34 %-35 % du PIB d’ici à la fin du 12e plan. En moyenne, au cours de ce plan, cela donnerait un taux d’investissement de 38,7 % et un taux d’investissement en capital fixe d’environ 33,5 % du PIB. Cet objectif peut être atteint, mais il représente tout de même un défi, étant donné la stagnation des taux d’investissement en capital fixe depuis le début de la crise.

38. Il est légitime de se demander pourquoi l’Inde doit être confiante quant au maintien de ces taux d’investissement. Si l’on examine la tendance des taux d’investissement et d’épargne sur ces dernières décennies, leur évolution progressive et régulière est manifeste. Le taux d’investissement en capital fixe, par exemple, a régulièrement augmenté, passant de 15 %-16 % dans les années 1960 et au milieu des années 1970 à 20 % les dix années suivantes. Par la suite, il s’est stabilisé aux alentours de 22 %. Il est passé à 24 % pendant quelques années après les réformes de 1991. Après avoir montré des signes de faiblesse à la fin des années 1990 à cause de plusieurs facteurs, dont la crise monétaire asiatique, il est remonté à 25 % en 2003-2004. Au cours des années suivantes, il a rapidement augmenté et s’est rapproché de 33 % en 2007-2008. Depuis, il tourne autour de 30 %. La rupture reflète des changements importants et progressifs survenus dans l’économie et la société à cette période. Cela est clairement mis en évidence par le graphique 1. L’évolution du taux d’épargne apparaît sur le graphique 2. Bien qu’il soit imprudent de tenir ces niveaux d’investissement et d’épargne intérieure pour acquis, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent à ce jour le point de départ. Il appartient entièrement à l’Inde d’en tirer parti de manière constructive.

Graphique 1 Taux d’investissement en capital fixe, 1980-2012 (en % du PIB)
Graphique 2 Taux d’épargne intérieure, 1980-2012 (en % du PIB)

39. Si l’Inde peut parvenir au niveau d’investissement mentionné précédemment, soit un taux d’investissement en capital fixe moyen de 33 %-34 % du PIB au cours de la période couverte par le 12e plan, elle peut, dans des conditions financières et d’exportations favorables, espérer un taux de croissance de 9 %. Dans le cas contraire, si les conditions financières et de commerce extérieur sont plutôt négatives, elle devrait tout de même obtenir environ 0,5 point de pourcentage de moins en moyenne. Néanmoins, au cours de la deuxième moitié du 12e plan, une fois que les conditions extérieures seront meilleures, elle devrait pouvoir parvenir à 9 % de croissance, même si cela ne concerne pas l’ensemble de la période couverte par le plan.

40. Si les taux d’investissement n’augmentent pas, alors le rythme de croissance stagnera au niveau actuel. Cela pourrait avoir des effets négatifs et même contribuer à l’affaiblissement des niveaux actuels d’investissement. La consolidation budgétaire va devenir bien plus compliquée si la croissance reste faible. Cela pourrait saper l’épargne intérieure et potentiellement ébranler l’investissement au cours de la prochaine période.

41. Ce problème pourrait être aggravé, au moins pendant quelque temps, par le fait que la demande intérieure augmente plus rapidement que l’offre nationale de biens et de services. Ce phénomène aura des conséquences sur le déficit commercial de l’Inde. Aujourd’hui, le déficit de la balance courante dépasse largement 2,5 % du PIB, ce que l’on pourrait considérer comme un niveau viable, étant donné qu’il avait dépassé 4 % en 2011-2012. La croissance des revenus du secteur des logiciels et des envois de fonds des travailleurs a diminué.

42. Des conditions financières intérieures hostiles résultant de difficultés économiques pourraient renforcer la préférence des ménages pour l’or en tant qu’actif, comme cela a déjà été le cas ces dernières années. Il suffit de comparer le montant net des importations de pétrole (95 Md$) avec les importations brutes (61 Md$) et les importations nettes d’or (50 Md$) (hors exportations de bijoux en or). L’importance de placer les instruments financiers au premier plan de l’épargne intérieure ne saurait être trop soulignée, mais pour y parvenir, l’économie doit se porter relativement bien.

43. Si l’investissement et l’approvisionnement ne se redressent pas, la situation de demande excédentaire pourrait persister et continuer à alimenter les pressions inflationnistes. Au cours d’une brève période, entre 2001 et 2004, l’Inde a enregistré une très faible croissance de la demande intérieure, entraînant d’importants excédents de la balance courante. Par ailleurs, la croissance de la demande a toujours dépassé l’approvisionnement. Cela s’explique en partie par des retards de création d’actifs, en particulier dans le secteur des infrastructures. Par conséquent, si l’Inde peut maintenir des taux d’investissement élevés, puis si elle doit supporter une croissance de 8 %, elle devrait être capable de réduire l’ampleur des pressions inflationnistes au cours du 12e plan. Cela signifie que des efforts doivent être faits pour intégrer des capacités économiques supplémentaires dans le secteur des infrastructures, même si le rythme de croissance économique est inférieur à l’objectif.

44. Les taux d’épargne intérieure de l’Inde sont également en baisse, de 36,8 % en 2007-2008 à 33,8 % en 2009-2010 et 32,3 % en 2010-2011 ; ils pourraient descendre encore plus bas en 2011-2012 pour atteindre moins de 32 %. Les principaux facteurs sont la forte augmentation de l’épargne négative de l’État et la baisse de l’épargne financière des ménages. Il faut y remédier. Par ailleurs, le taux d’investissement intérieur ne peut pas être stimulé sans s’exposer à l’accroissement non souhaité du déficit de la balance courante.

Le plan d’action

Les infrastructures

45. L’Inde doit prendre une série de mesures pour faciliter et permettre la reprise de l’investissement dans les infrastructures. L’élément le plus important en matière d’infrastructures est le secteur de l’électricité. Alors qu’environ 100 GW de capacité en sont à divers stades d’avancement, aucun projet privé du 13e plan n’a achevé son montage financier. La réponse du secteur privé dans le secteur de la production d’énergie a été excellente. Sa part est passée de 2 GW dans le 10e plan à 24 GW dans le 11e plan et devrait être encore plus importante dans le 12e plan.

46. Les investissements du secteur privé dans la production d’énergie ont récemment été confrontés à de nombreux problèmes : (1) l’approvisionnement insuffisant en charbon indien et la hausse imprévue des prix du charbon importé, (2) les difficultés posées par les autorisations relatives aux mines intégrées ainsi qu’aux centrales électriques, (3) la disponibilité des terres, (4) la mauvaise santé financière de certaines entreprises publiques de distribution d’électricité qui sont les principaux clients, principalement à cause de la mollesse du mécanisme de régulation des tarifs, (5) la disponibilité insuffisante de gaz naturel indien, (6) les accords d’approvisionnement en combustible inadaptés ou inexistants et (7) plus récemment, les difficultés à obtenir un financement de sources à la fois extérieures et intérieures.

47. Plusieurs mesures ont été prises pour résoudre les problèmes qui minent les nouveaux investissements privés dans le secteur de l’électricité. Il est nécessaire de respecter un calendrier strict pour la mise en œuvre de toutes ces mesures.

48. Le secteur routier a connu certaines réussites et un retour au dynamisme en 2011-2012, avec des contrats accordés pour près de 8 000 km, soit plus que l’objectif de 7 300 km. Il est nécessaire de soutenir ce processus dans les années à venir. Les chemins de fer nécessitent d’énormes investissements. Le corridor industriel Delhi-Mumbai bénéficie d’un financement extérieur, mais d’autres investissements sont entravés par l’insuffisance des ressources internes des chemins de fer due en grande partie au gel des tarifs du transport de passagers. Concernant le fret, les chemins de fer font des bénéfices, mais doivent davantage s’adapter aux exigences du client. Il existe un grand potentiel et un grand besoin de changement constructif.

49. Dans le secteur des ports maritimes, de nombreux projets sont suspendus faute d’autorisations et de décisions qui sont du ressort du gouvernement. Il est essentiel de régler ces problèmes pour l’avenir du secteur portuaire. Le nouvel aéroport international de Mumbai doit encore faire l’objet d’un appel d’offres. S’il semble y avoir plusieurs petits problèmes, il est néanmoins nécessaire que le projet décolle. De nombreux autres aéroports de diverses tailles doivent être développés dans le cadre du 12e plan. L’administration aéroportuaire a terminé la construction de plusieurs terminaux et a modernisé des aéroports. Le processus doit se poursuivre, si possible à l’aide de partenaires privés. Par ailleurs, de nombreux petits aéroports et pistes d’atterrissage sont indispensables pour élargir la desserte et permettre la diffusion des opportunités commerciales. Toutefois, l’Inde doit établir un cadre pour la réalisation de ces projets et également développer un sous-modèle pour les liaisons par transport aérien vers ces petits aéroports disséminés.

50. Le transport fluvial et le transport côtier présentent un grand potentiel d’exploitation. Il y aurait beaucoup à gagner en termes d’efficacité si certaines voies navigables devenaient réellement fonctionnelles.

51. Une bonne desserte de la région nord-est est essentielle, à la fois à l’intérieur de la région ainsi que vers le Myanmar (Birmanie) et le Bangladesh. L’Inde travaille sur une connexion multimodale via Ashuganj au Bangladesh vers le Tripura et sur le projet fluvial Sittwe-Kaladan vers Lunglei (Mizoram). Il est nécessaire de stimuler la remise en état et la reconnexion des autres réseaux routiers via Moreh (Manipur) et Ledo (Assam) vers le Myanmar. Cela permettrait ensuite de raccorder la Thaïlande et le réseau routier de l’Asie du Sud-Est. Les partenaires du développement de l’Inde, dont l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) et l’ADB (Asian Development Bank), devraient soutenir ce projet.

Les produits alimentaires : production, stockage et logistique

52. En matière de production alimentaire et de logistique, de nombreuses mesures peuvent raisonnablement être mises en place. Il est essentiel pour l’Inde de concevoir et de mettre en œuvre un programme global pour généraliser la récupération de l’eau de pluie, l’utilisation de l’eau des rivières, des canaux et des réservoirs de stockage existants, ainsi que des réserves d’eau souterraines, et pour aider les agriculteurs à construire des bassins sur leurs exploitations. Il faut dissuader activement le forage de puits profonds tout en encourageant les puits peu profonds qui peuvent puiser dans les nappes souterraines reconstituées. Il faut remplacer l’irrigation par submersion par l’utilisation de systèmes d’aspersion et, dans la mesure du possible, d’irrigation au goutte-à-goutte.

53. Il faut gérer la fertilité du sol en mettant en place un système de gestion des engrais. Il faut favoriser l’utilisation d’engrais adaptés spécifiquement à la zone et à la culture. Il faut également inclure l’utilisation de cultures de micro-organismes pour améliorer la disponibilité et l’assimilation des engrais disponibles. Il faut améliorer le matériel végétal destiné à la plantation, y compris par le biais de technologies de plantation comme le système d’intensification du riz (System of Rice Intensification – SRI).

54. Il faut créer un système d’approvisionnement et des infrastructures de soutien dans l’est, région susceptible de fortement augmenter sa production de céréales comestibles. Davantage de gouvernements locaux doivent être incités à organiser l’approvisionnement local car cela semble être le principal facteur favorisant une hausse durable de la production de céréales comestibles. Cela réduit également le coût du système de distribution publique dans la mesure où des coûts de transport sont évités.

55. Il faut continuer à encourager l’utilisation de l’irrigation au goutte-à-goutte et d’ombrières en plastique pour l’horticulture. L’élevage animal se porte bien et les efforts visant à augmenter la production de produits laitiers et autres produits d’élevage doivent être poursuivis. Dans de nombreuses régions, les agriculteurs ont tiré les enseignements appropriés et investissent dans des ombrières et autres équipements qui ne font pas toujours partie du programme de subventions de l’État. Cela concerne également le secteur laitier. Toutefois, l’État a un rôle majeur à jouer en ce qui concerne la réglementation et le flux de crédits institutionnels.

56. La création de moyens de subsistance dans les zones rurales (par le biais d’activités à la fois agricoles et non agricoles) devra être renforcée. La disponibilité de sources d’électricité fiables est une nécessité pour créer des emplois dans le secteur rural hors exploitations, par exemple dans le stockage et l’agro-industrie. Cela constitue le cœur du plan d’action pour une croissance économique bénéfique à tous.

Autres mesures

57. L’industrie manufacturière a besoin d’un sérieux coup de pouce. Une partie du problème concerne l’accès à la terre, en partie en raison du coût élevé des services d’infrastructures (y compris le besoin actuel accru de production d’énergie intégrée à base de diesel). Les autres problèmes sont liés à la multiplicité des contraintes légales et aux agences de réglementation/inspection concernées. Au vu de la hausse de la demande intérieure, l’Inde va devoir s’occuper de ces contraintes pour répondre aux besoins nationaux, même si l’on ne prend pas en compte le potentiel d’exportation.

58. Le fait est que l’Inde est confrontée à un important déficit de la balance courante qu’il va falloir financer. Il faut également noter que l’investissement privé en matière d’infrastructures a largement été financé par des sources extérieures. Par conséquent, le pays doit adopter une position positive, constructive et favorable envers l’afflux de capitaux. L’investissement étranger est sensible à la stabilité macroéconomique et à la prévisibilité des politiques. Par ailleurs, c’est également le cas pour l’investissement national.

59. Les efforts visant à mobiliser l’épargne financière nationale semblent avoir essuyé un revers ces dernières années. Les afflux dans les fonds communs de placement ont fortement chuté ces dernières années. L’encaissement des primes par les sociétés d’assurances-vie a fortement ralenti ces deux dernières années. Les institutions financières indiennes (fonds communs de placement et compagnies d’assurances) sont devenues une contrepartie effective pour les investisseurs institutionnels étrangers. Ce secteur doit retrouver une progression rapide. Sur le plan budgétaire, il est crucial de réformer la tarification du pétrole et de réduire le poids des subventions, ainsi que de dépenser les ressources de façon plus productive.

60. De nombreux autres aspects importants n’ont pas été évoqués dans cet article. Les questions de la redistribution, du capital social et du développement régional équilibré n’ont pas été abordées. Si l’espace qui nous est imparti ici ne permet pas de les traiter en profondeur, nous allons tout de même essayer d’aborder quelques-unes de ces questions.

61. Nos analyses et conclusions sur le panier de la ménagère et la pauvreté de la consommation sont basées sur les enquêtes concernant les dépenses de consommation des ménages de l’organisation indienne d’enquête par sondage (National Sample Survey Organization – NSSO). L’enquête de la NSSO pour 2009-2010 a clairement mis en évidence le fait que le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a baissé. Le chiffre qui représente un seuil de pauvreté « juste » est contesté depuis toujours. Ce sont les recommandations du comité d’experts présidé par le regretté professeur Suresh Tendulkar qui ont été adoptées par la Commission de planification indienne. L’application de cette méthodologie aux données de la NSSO montre que le taux de pauvreté a baissé de 7 points de pourcentage dans le pays entre 2004-2005 et 2009-2010. Le taux annuel de diminution au cours de cette période était deux fois plus élevé que le taux des périodes précédentes. Cette conclusion a été critiquée par certains en raison de l’utilisation d’un seuil de pauvreté décrit à plusieurs reprises comme trop « bas ».

62. Toutefois, en premier lieu, nos données sont celles de la NSSO, qui sont collectées par le biais d’enquêtes auprès des ménages visant à évaluer les budgets de dépenses des familles. Les ménages étant de taille différente, la NSSO normalise ces données en exprimant ses résultats en chiffres par habitant. Cela ne s’applique ni aux ménages ne comptant qu’une seule personne, ni au revenu familial. En second lieu, le résultat indiquant que la pauvreté a diminué plus rapidement au cours de la période allant de 2004-2005 à 2009-2010 est confirmé, quel que soit le seuil de pauvreté pris en compte.

63. Si nous utilisons le seuil de pauvreté défini par Tendulkar, la diminution au cours de cette période s’élève à 7,3 %. Si nous utilisions un seuil de pauvreté de 30 % plus élevé, la diminution serait de 7,8 %. De même, un seuil de 50 % plus élevé donnerait une diminution de 6,5 %.

64. En troisième lieu, l’écart entre l’estimation de la consommation totale par la NSSO et celle de la consommation finale privée par la NAS (National Accounts Statistics) est important et s’élargit : de 10 % dans les années 1970, il est passé à plus de 50 % aujourd’hui. Cet écart n’est que partiellement explicable. Quoi qu’il en soit, nous travaillons avec les données de la NSSO telles qu’elles sont communiquées. Enfin, le fait est qu’il s’agit de données réelles et que des familles vivent bel et bien sous ces niveaux de dépenses de consommation.

65. Le besoin de généraliser la croissance économique au sein des différents États et régions du pays n’autorise aucune divergence d’opinion. Si l’on regarde les chiffres entre 1980 et aujourd’hui en prenant comme référence le revenu par habitant par État (GSDP – Gross State Domestic Product) et que nous considérons qu’un taux stable ou en hausse vis-à-vis du PNB par habitant de l’ensemble de l’Inde représente une amélioration, et vice versa, voici ce que nous remarquons : sur les vingt grands États, onze ont clairement amélioré leur position relative et trois ont globalement suivi le rythme du pays dans son ensemble ; toutefois, six États (tous au nord, au centre et à l’est) ont vu leur position relative baisser4.

66. Plusieurs États dont les revenus sont plus faibles ont vu leur croissance reprendre ces dix dernières années : le Bihar, l’Odisha et le Rajasthan ainsi que, dans une certaine mesure, le Madhya Pradesh et l’Uttar Pradesh. Voici ce qui semble se produire actuellement : l’écart entre les États à revenus plus faibles est moins creusé, alors qu’entre les États à revenus plus élevés, il s’intensifie ; par exemple, l’écart entre le premier quartile et la moyenne a légèrement augmenté, passant de 23 % en 1990-1991 à 30 % en 2010-2011 ; toutefois, l’écart entre le troisième quartile et la moyenne a connu une augmentation plus forte, de 5 % en 1990-1991 à 34 % en 2004-2005 et 35 % en 2010-2011.

67. Là encore, alors que l’écart entre le Maharashtra et le Bihar est passé de 2,8 % en 1990-1991 à 4,7 % en 2010-2011, celui entre le Punjab et le Bihar n’a que très peu augmenté, passant de 3,0 % à 3,4 %. Une fois encore, l’écart entre le Maharashtra et l’Orissa s’est réduit, passant de 2,5 % à 2,3 % au cours des vingt dernières années. L’écart entre le Maharashtra et le Madhya Pradesh est passé de 2,0 % à 2,7 %, mais entre le Punjab et le Madhya Pradesh, il est passé de 2,1 % à 2,0 %.

68. De meilleurs résultats en matière de santé et d’éducation, de formation, d’accès au capital et à la technologie sont des éléments indispensables pour parvenir à une croissance économique généralisée et bénéfique à tous. Dans les zones rurales, il est probable que l’accent sera davantage mis sur les moyens de subsistance, alors que dans les zones urbaines, il sera mis sur les emplois de qualité. Enfin, pour assurer une amélioration durable dans les zones rurales de l’Inde, il est nécessaire que la population locale dispose de compétences techniques par le biais de la formation des jeunes qui sont susceptibles de rester en zone rurale.

69. Dans cet article, je me suis efforcé de décrire dans les grandes lignes la situation économique de l’Inde et de fournir un aperçu à la fois des défis politiques et des mesures plus prosaïques, mais tout aussi essentielles à appliquer jour après jour.


Notes

Commission de planification indienne et Comité de conseillers économiques auprès du Premier ministre indien.Les opinions exprimées dans cet article sont les opinions personnelles de l’auteur.
1 Maddison A. (2007), Contours of the World Economy 1-2030 AD, Oxford University Press. Par convention, la zone « Asie » n’inclut ni le Moyen-Orient, ni l’Asie de l’Ouest.
2 À des fins de comparaison, l’Inde de 1950 correspond aujourd’hui à l’Inde, au Pakistan et au Bangladesh (à l’époque, le Pakistan oriental). La Chine correspond aujourd’hui à la Chine continentale, à Hong Kong et à Taiwan.
3 La part du Bangladesh est passée de 2,6 % à 4,5 %, celle du Vietnam de 0,9 % à 3,1 %. Même si l’on ajuste la part de la Chine en soustrayant les exportations de Hong Kong (5 % en 2000), la part de marché ajustée est toujours de 32 %. Données de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), Statistiques du commerce international, 2011.
4 Les États qui ont connu une amélioration sont : Andhra, Chhattisgarh, Orissa, Gujarat, Haryana, Himachal, Karnataka, Kerala, Maharashtra, Tamil Nadu et Uttarakhand. Les six États qui ont connu une baisse sont : Punjab, Uttar Pradesh (UP), Bihar, Madhya Pradesh (MP), Assam et Bengale oriental. Les trois États dont la position relative n’a pas changé sont : Jammu-et-Kashmir, Rajasthan et Jharkhand.