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« Il s’agit pour les marchés d’assumer pleinement leur rôle de financeur de l’économie »

02/09/2020 Revue Banque Visiter le site source

La Commission européenne devrait publier à l’automne son plan d’action pour la relance de l’Union des Marchés de Capitaux (UMC). S’agira-t-il enfin du véritable démarrage de ce projet, annoncé depuis 2015 et qui n’a connu jusqu’à présent que des avancées limitées ? Beaucoup de professionnels et de politiques ont déjà exprimé leurs attentes à cet égard, qu’il s’agisse des propositions du High Level Forum de la Commission européenne, de markets4Europe, du rapport Demarigny, ou des recommandations sur lesquelles travaille le Parlement européen… L’AMAFI vient à son tour de publier ses propositions de réforme pour les marchés financiers européens, détaillées par Arnaud Eard, directeur des affaires européennes et internationales.

Quelles sont les propositions poussées par l’AMAFI pour la future UMC ?

Notre première proposition est de relancer le marché européen de la titrisation. Nous nous sommes inspirés de l’expérience des États-Unis, où la création d’un marché profond de la titrisation a été un des leviers majeurs de la transition rapide entre la fin des années 1970 et le début des années 2000 d’un système financier concentré autour du financement bancaire à un système orienté vers les marchés financiers. Certes, nous n’avons pas en Europe des agences gouvernementales comme Fannie Mae et Freddie Mac, mais le récent Quick Fix de la Commission européenne destiné à amender la réglementation STS, devrait en partie redynamiser le marché européen de la titrisation. C’est une première avancée qui reste cependant encore insuffisante. Sans attendre la revue de ce texte prévue fin 2021-début 2022, il faut revoir dès à présent les contraintes prudentielles liées à la titrisation pour les banques et les assureurs, ainsi que les critères d’éligibilité des parts titrisées afin qu’elles puissent être utilisées comme collatéral dans les opérations de refinancement auprès de la BCE. L’objectif est de libérer le bilan des banques pour accroître leur capacité à financer l’économie, notamment via le crédit aux PME et ETI.

Notre deuxième proposition consiste à améliorer la flexibilité du cadre prudentiel des entreprises d’investissement de l’UE-27. Nous sommes actuellement dans la finalisation de la transposition de Bâle III et les États-Unis ont déjà annoncé que ces textes ne seraient pas transposés tels quels Outre-atlantique. Dans ce contexte, l’Europe doit se montrer tout aussi pragmatique pour que nos établissements restent compétitifs, par exemple s’agissant de la transposition du FRTB ou du ratio de levier qui en l’état limiteraient la capacité des acteurs de l’UE-27 à fournir des services d’intermédiation et de market making. De façon plus générale, en cas de crise dont l’origine n’est pas financière, comme celle que nous connaissons actuellement, il faut que les agences de supervision européennes (ESMA, EBA, EIOPA) aient la capacité d’assouplir la réglementation dans des délais très brefs, bien entendu dans un cadre clairement délimité, comme c’est le cas aux États-Unis avec les non-action letters qui permettent aux banques de dépasser les normes usuellement fixées sur telle ou telle exigence réglementaire, à partir du moment où les fonds rendus disponibles sont effectivement alloués au financement de l’économie.

La troisième priorité est de gérer les effets d’un hard Brexit, qui est l’hypothèse aujourd’hui la plus probable compte tenu des faibles progrès des négociations cet été. Cela passe par trois points : concernant le marché interdealers, il faut permettre aux acteurs de marché de l’UE à 27, banques et entreprises d’investissement, d’avoir accès aux pools de liquidité internationaux, britannique et autres, pour continuer à servir leurs clients avec la même qualité de service. C’est ce que prévoit le décret adopté en juin 2019 en France : ce dernier autorise les établissements de pays tiers à réaliser des transactions pour compte propre de gré à gré avec un acteur français, ou sur une plateforme de négociation française, sans qu’aucune implantation en France ne soit exigée si aucun autre service d’investissement n’est fourni. Il faut ensuite maintenir l’accès des acteurs de marché de l’UE à 27 aux chambres de compensation britanniques, en prolongeant l’accord temporaire d’équivalence consenti jusqu’à fin janvier 2021 par la Commission européenne. Sans pouvoir à ce stade avancer une date précise sur le prolongement de cet accord, il faut néanmoins se placer sur le temps long pour permettre de rapatrier le clearing des swaps en zone euro. Il s’agit d’une part de se laisser un délai pour organiser la mise en œuvre de la transposition du règlement EMIR 2.2, et d’autre part de développer des infrastructures suffisamment efficaces, accompagnées d’une approche incitative de la BCE et de la compensation volontaire des entités nationales et supranationales européennes sur des chambres de compensation européennes. Enfin, il faut éviter qu’en cas de hard Brexit, les succursales britanniques des entreprises d’investissements de l’UE ne soient soumises à une application cumulative de deux droits, britannique et européenne, concernant les obligations de négociation sur les actions et les dérivés, avec des implications négatives sur leur capacité à fournir la même qualité de services à leurs clients.

La quatrième proposition porte sur l’instauration d’un safe asset, qui jouerait en Europe le même rôle que les T-bonds aux États-Unis, en tant que stabilisateur de marché et pour la promotion internationale de l’euro. Trois mécanismes nous semblent possibles : l’un d’entre eux vient d’être proposé par la Commission européenne sous forme de titres émis par cette dernière garantis par les États membres, mais ce dispositif est limité dans le temps pour répondre à la crise sanitaire et économique. Il faut voir dans quelle mesure il pourrait être pérennisé. Ce safe asset pourrait aussi s’envisager sur la base d’une mutualisation de dettes publiques existantes, ou encore de la titrisation de prêts immobiliers avec la création d’un pool garanti par la BEI pour servir de base à l’émission de titres européens. Nous n’avons pas vraiment de préférence quant au mécanisme à privilégier, l’essentiel étant de disposer d’un safe asset liquide et pérenne.

Le renforcement de la convergence de la supervision est un autre sujet important car il faut s’assurer que toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse des professionnels ou des régulateurs nationaux, aient la même compréhension des textes européens. L’ESMA pourrait jouer un rôle de coordinateur pour s’assurer de cette vision pan européenne des textes. Il nous semble par exemple important que l’ESMA développe des outils spécifiques de formation auprès des 27 autorités nationales pour assurer une mise en œuvre la plus homogène possible des textes et avoir des pratiques de supervision communes, surtout dans des domaines nouveaux comme la finance durable, le digital et les crypto-assets. Sur le moyen ou long terme, l’ESMA pourrait en outre exercer une supervision directe sur les acteurs les plus systémiques, et notamment sur les chambres de compensation européennes, comme la SEC aux États-Unis a un rôle central de supervision sans lequel les marchés financiers américains n’auraient sans doute pas la même profondeur.

Restent les fonds de pension qui constituent là encore un véritable écosystème aux États-Unis et qu’il faut développer en Europe, en complément des systèmes par répartition pour les pays qui ont fait ce choix, pour mobiliser des capitaux à long terme et répondre aux enjeux de financement autour du vieillissement de la population ainsi que la transition énergétique et digitale. Nous militons en faveur de la création d’instruments qui bénéficient d’un traitement fiscal avantageux, même si nous sommes bien conscients des limites du fait que les décisions qui touchent à la fiscalité doivent être prises à l’unanimité au niveau européen. Nous sommes aussi favorables à ce que la Commission européenne puisse prendre des décisions de cette nature dans le cadre des procédures ordinaires de co-législation.

Enfin, nous souhaitons que certaines mesures, comme celles liées à la titrisation, au cadre réglementaire prudentiel ou au Brexit, puissent être prises très rapidement, notamment dans le cadre du plan de relance européen.

Les propositions de l’AMAFI sont très inspirées par l’exemple américain. Mais contrairement aux États-Unis, l’Union européenne et ses États membres posent encore beaucoup de questions de souveraineté nationale. Comment franchir cet obstacle ?

C’est la principale limite mais compte tenu du contexte et des enjeux de financement, il faut se montrer ambitieux et prendre des mesures vers plus d’unité. Il est primordial d’agir de manière collective. Pour cela, il faut un soutien politique fort de la part des États membres et du Parlement européen. C’est la condition à remplir pour que les marchés puissent contribuer à relever les quatre grands défis de financement auxquels doit faire face l’Union s’agissant de la relance de l’économie européenne, de la lutte contre le réchauffement climatique, du développement de champions européens et du vieillissement de la population. Il s’agit pour les marchés d’assumer pleinement leur rôle de financeur de l’économie, plus particulièrement dans un contexte de relance économique, et de maintenir la souveraineté de l’Union en matière de financement. Il est encourageant de noter une convergence sur un certain nombre de réformes figurant dans les conclusions du Conseil adoptées fin 2019, dans le rapport du HLF et dans le projet de rapport ECON du Parlement européen.

Propos recueillis par E.C.