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Surabondance d’épargne ou de financement ?

20/02/2020 AGEFI Visiter le site source

Michala Marcussen, chef économiste groupe, Société Générale

Il y a deux grandes écoles pour diagnostiquer la cause de la faiblesse des taux et de la croissance : une surabondance d’épargne, ou bien de financement. Le problème est que non seulement les symptômes sont facilement confondus, mais aussi que le remède de l’une peut aggraver l’autre.

L’idée d’une surabondance d’épargne, causée par la demande insuffisante en Asie et par le vieillissement rapide de certaines populations, est d’abord apparue comme une explication à l’énigme de la faiblesse des taux obligataires américains lors du resserrement de la politique monétaire en 2004-2006. Après la crise financière de 2008, l’hypothèse d’une stagnation séculaire, avec une faiblesse de la demande globale alimentant l’excès d’épargne, a gagné du terrain en expliquant à la fois pourquoi la croissance restait atone malgré un assouplissement monétaire agressif, et pourquoi les prix des actifs grimpaient en flèche, l’épargne excédentaire chassant trop peu d’actifs.

Il est assez facile, du moins sur le papier, de remédier à la stagnation séculaire. Il suffit de baisser les taux pour stimuler l’investissement et réduire l’épargne excédentaire. Si la demande privée résiste encore, des mesures de relance budgétaire peuvent prendre le relais. En effet, les bilans publics gagnent en capacité avec la baisse des taux d’intérêt. Certains économistes suggèrent même que l’expansion budgétaire pourrait être financée directement par les presses monétaires des banques
centrales.

Un excès entraîne l’autre

Cependant, si le diagnostic est plutôt un manque d’offre, alors les taux ultra-bas sont une partie du problème car ils alimentent un excès de financement. Rappelons que l’expansion du crédit ne nécessite pas une expansion ex ante de l’épargne. La capacité de prêt des banques est déterminée par les réserves obligatoires, la réglementation et la capacité des emprunteurs à assumer un taux d’effort. Les prêts créent de nouveaux dépôts, en rythme avec le multiplicateur monétaire. Sur les marchés financiers, il existe un multiplicateur de collatéraux correspondant. Si ces financements peuvent dans un premier temps soutenir l’activité, une allocation non productive du capital et de la main-d’œuvre peut ensuite déprimer la croissance tendancielle. Un tel contexte encourage les ménages à épargner davantage. Un excès peut ainsi en entraîner un autre, dans une spirale de taux plus bas. En fin de compte, les taux bas peuvent devenir un frein à l’économie.

Le diagnostic de surabondance de financement est le moins confortable. Le remède exige des réformes structurelles pour stimuler l’offre (éducation, marché du travail, marchés des services et des biens, systèmes de retraite, systèmes judiciaires, etc.) et ces réformes sont souvent politiquement impopulaires.

L’histoire est parsemée d’épisodes d’excès jumeaux d’épargne et de financement, entremêlés et parfois coexistant géographiquement. Cela explique pourquoi les économistes ont souvent du mal à s’entendre sur le diagnostic et les politiciens préfèrent, lorsqu’ils ont le choix, repousser les réformes structurelles et laisser les banques centrales agir.

La Réserve fédérale et la Banque centrale européenne sont engagées dans des examens stratégiques, et le défi d’un diagnostic correct est au centre des préoccupations. Des indices suggèrent que la politique monétaire pourrait prendre davantage en compte des questions structurelles, comme le changement climatique et les inégalités, et envisager une coordination plus étroite avec la politique budgétaire. Si cela se concrétisait, ce serait un geste courageux et bienvenu, exigeant aussi des gouvernements qu’ils s’engagent dans une bonne combinaison de dépenses et de réformes. L’alternative consistant simplement à créer de nouveaux outils pour maintenir les taux plus bas pendant plus longtemps ouvrirait la perspective d’une nouvelle surabondance, risquant d’entraîner une croissance future encore plus faible.