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Compte-rendu - L’ACPR après 10 ans : bilan et perspective de la mission du superviseur de la banque et de l’assurance avec Edouard Fernandez-Bollo

30/09/2019 AEFR Visiter le site source

Préambule de l’EIFR

Les modèles que nous utilisions sont devenus obsolètes, incapables de prévoir la croissance ou d’anticiper les crises. Nous devons les repenser, dans un contexte institutionnel et règlementaire qui s’est profondément transformé en dix ans - notamment par la création de l’ACPR, par le renforcement des compétences de la BCE, et la conception d’un régulateur paneuropéen.

La qualité de la culture de risque française a permis à la France d’être moins durement exposée pendant les différentes crises de la dernière décennie. Toutefois, la culture de la BCE en matière de supervision est très différente de la culture française (équilibre entre qualitatif et quantitatif, degré de confiance entre assujetti et superviseur…).

L’enjeu est de réussir la convergence culturelle entre ces conceptions, dans un secteur très marqué par la compétition entre les différents acteurs de l’industrie bancaire.

Edouard Fernandez-Bollo

Les dernières années ont été celles de la remise en question structurelle de la supervision et de la règlementation, qui étaient issues de la crise de 1933. Elles avaient été pensées comme une façon de remédier à cette première grande crise mais en ont pourtant permis une nouvelle, mettant en lumière les défaillances de la régulation.

En 2007, les économistes français s’intéressaient avec une curiosité distante aux évolutions du marché des subprimes, qu’ils considéraient comme un sous-segment du marché américain auquel les banques françaises étaient particulièrement peu exposées. Les économistes n’avaient pas évalué que la puissance des interactions dans la sphère financière ne serait pas un facteur de diminution du risque en temps de crise, mais au contraire un multiplicateur du risque.

En 2008, le système financier accordait une place prépondérante aux évaluations de type « mark-to-market ». Mais ces modèles sont devenus caducs en temps de crise : il n’y avait plus de marchés. À noter également que la crise a été déclenchée par deux établissements, Lehman et AIG, qui n’étaient pas des banques et n’étaient donc pas régulées en tant que telles.

La crise a démontré la nécessité des évolutions suivantes :

  • La nécessité pour la régulation de développer une vision plus globale, qui tienne davantage compte des interactions entre les différentes parties prenantes.
  • L’impératif de concevoir des modèles règlementaires fonctionnant également en situation de stress, afin de renforcer la capacité d’action en temps de crise.

C’est dans cet objectif que s’inscrivent les évolutions règlementaires et institutionnelles des dix dernières années.

I.  Évolutions de la règlementation

a) Risque de liquidité

« Les banques meurent toujours d’un infarctus (à savoir une crise de liquidité), quand les assurances décèdent de cancer ». Il était donc nécessaire d’établir des normes internationales de liquidité, notamment en temps de stress, bien qu’il s’agisse de l’un des facteurs de risque les plus fluctuants et les plus hétérogènes entre les banques.

b) Risque de solvabilité

Le risque de solvabilité a été correctement diminué grâce à l’amélioration des règlementations existantes, comme le renforcement de la quantité et de la qualité des fonds propres (augmentation du CET1).

c) Mécanismes de résolution

Au cours des dix dernières années, le régulateur a conçu un deuxième filet, une règlementation applicable en temps de stress :

  • Le stress-test, inventé par les régulateurs américains et dont les résultats étaient pour la première fois absolument transparents vis-à-vis des banques.
  • La règlementation de la résolution.
  • Le coussin contra-cyclique, une couche intermédiaire de fonds propres propre au caractère cyclique du fonctionnement des marchés financiers.

II. Évolutions institutionnelles 

a) Développer une approche holistique de la supervision

Les principales évolutions institutionnelles des dix dernières années s’inscrivent dans une même dynamique d’intégration de la supervision et de prise en compte commune des enjeux des différents acteurs :

  • Création du FSB (conseil de stabilité financière) : création de normes globale et surveillance des interactions entre les secteurs.
  • Création de mécanismes de résolution applicables aux compagnies d’assurance, banques et chambres de compensation.
  • Coussins pour les acteurs systémiques bancaires. À noter que l’effort de conception de normes internationales de fonds propres n’a pas encore été finalisé pour les assurances, pour qui il n’y a pas encore de normes internationales de fonds propres. Les seules mesures internationales sont qualitatives pour l’instant. Cela est dû à la forte hétérogénéité des profils d’assurances, certaines n’ayant quasiment pas de liens avec les marchés financiers, quand d’autres ont des fonctionnements proches d’un hedge funds (AIG), ou d’une banque.

La volonté de développer une vision de la supervision plus globale et plus intégrée a également été suivie au niveau national. La France l’illustre bien avec la création il y a dix ans de l’ACP : LCB-FT, supervision bancaire, assurances, protection de la clientèle, et lien très étroit avec la Banque de France pour la conception macro-prudentielle. La même dynamique s’observe dans d’autres pays européens, où la grande majorité des NCA est intégrée à la BCN, et supervise à la fois les banques et les assurances.

b) Intégration de la supervision européenne

La crise de la zone euro en 2011 et 2012 a conduit à un fort mouvement d’intégration de la supervision européenne, dans l’objectif de briser la chaine de contagion réciproque entre banques et États-membres, grâce à la règlementation et aux évolutions institutionnelles. Si le sauvetage des banques en 2008 avait été rendu possible par l’intervention très couteuses - à la fois économiquement et politiquement - des États, il n’est pas envisageable d’utiliser à nouveau de l’argent public pour résoudre les crises systémiques. Il n’existe par ailleurs pas d’État européen susceptible de renflouer les banques, ce qui a conduit par le passé à des solutions comme un prêt inter-gouvernemental pour sauver les caisses d’épargne espagnoles.

La méfiance entre les États européens entraîne l’édiction de règles toujours plus strictes et plus uniformes, qui s’appliquent de la même façon à chacun des pays. Cette dynamique s’accentue en 2012 avec la fédéralisation de la supervision bancaire quotidienne. Le contrôle bancaire devient le seul contrôle permanent fédéral européen, avec celui de la concurrence qui est seulement ponctuel.

III. Les leçons de la crise : existe-t-il un risque d’une nouvelle crise financière majeure ?

a) Les difficultés d’un retour à la normale

La réponse à la crise de 2008 a correctement fonctionné : la crise financière majeure ne s’est pas transformée en grande dépression. Le système financier connaît actuellement le cycle économique le plus long qu’ait connu l’histoire. La résistance des banques et des assurances aux crises s’est significativement renforcée. Les fonds propres des banques ont doublé, tout comme la qualité de ces fonds. La résilience des assurances s’est elle aussi renforcée, notamment grâce à Solvabilité 2.

Le système financier n’est toutefois pas revenu à une situation stable et pérenne, et la sortie de crise n’est pas achevée. Si la fragilité intrinsèque du système financier a diminué, les primes de risque atteignent pourtant en ce moment le niveau le plus élevé de leur histoire. Ce constat se vérifie pour les systèmes économique et financier, mais s’avère encore plus vrai pour le système bancaire, et plus spécifiquement pour le système bancaire européen. Cela s’explique par plusieurs facteurs :

  • Des politiques structurelles exceptionnelles : les politiques monétaire et budgétaire ne sont pas perçues par les marchés comme normales (aplatissement de la courbe des taux, déterminants politiques exceptionnels)
  • Défis structurels à la rentabilité : les fonctions qui assurent la viabilité des modèles d’affaires des établissements sont encore inconnues (se pose la question des fintech et de l’innovation).
  • Incertitude concernant l’efficacité des mécanismes de sauvetage des banques en cas de crise, et leur capacité à effectivement immuniser l’État des conséquences de la crise financière.

b) Incertitudes persistantes dans le système financier

Ces trois facteurs créent une incertitude toujours forte au sein du système financier, que la supervision doit s’efforcer de diminuer. Pour cela, il est nécessaire d’achever et de stabiliser la réforme règlementaire du Comité de Bâle, dont le caractère international garantit la stabilité.

En revanche, les fonctions de réaction du superviseur ne doivent pas être rigidifiées ; c’est sa flexibilité qui confère à la supervision sa valeur ajoutée. Les règles sont des outils d’amélioration des pratiques de gestion des risques. Le propre des crises est qu’elles surviennent en contournant les règles en vigueur : la supervision doit donc analyser avec souplesse l’ensemble des risques qui pourraient émerger.

L’écosystème de la régulation doit également renforcer son intégration, en renforçant les interactions des superviseurs avec les établissements d’une part, mais également avec le milieu réglementaire, académique, et avec le public.

c) Nécessaires améliorations

Si la France n’a pas été aussi exposée aux dernières crises que d’autres États européens, alors qu’elle n’était pas la plus prudente sur le plan des fonds propres, c’est en raison de trois facteurs majeurs :

  • Le régime très favorable de l’assurance vie et sa nette diversification.
  • La qualité de la culture du risque :
  • Forte culture du contrôle interne, à la fois au sein de la réglementation mais également de la part des dirigeants effectifs.
  • Une supervision suffisamment intrusive grâce au contrôle sur place, qui permet d’approfondir la connaissance des établissements.
  • La qualité de l’interaction entre superviseur et établissements.

Toutefois, la supervision européenne dispose encore de certaines marges d’amélioration :

Le dialogue entre superviseur et assujetti doit se baser sur le jugement, à l’opposé de la « templéisation de la supervision » (de « template »). L’intérêt d’un superviseur européen réside justement dans sa capacité à émettre un jugement sans biais national (assurer la non-capture du superviseur). Le superviseur doit impérativement privilégier une approche par les risques sur une approche par les règles.

La France représente 20% de l’économie de l’UE, et pourrait devenir encore plus prépondérante selon la trajectoire que suivra le Royaume-Uni. À ce titre, la France doit poursuivre et intensifier sa participation aux travaux européens.

L’ACPR dispose également d’un degré d’intégration plus élevé que la moyenne des autorités européennes, ce qui lui confère une plus grande liberté pour développer des contrôles à l’échelle infra-réglementaire, et en particuliers concernant les risques émergents (cyber risque, risque climatique, fintech / big tech). L’ACPR se doit d’explorer ces sujets qui ne sont pas encore des risques règlementaires, mais qui sont assurément destinés à la devenir.

 

Questions / réponses :

Difficultés pour aborder les risques émergents. Après la crise, avez-vous le sentiment que le dialogue entre superviseur et régulateur s’est amélioré pour renforcer leur capacité à anticiper les crises ?

  • Le point d’aveuglement qui a permis 2008, c’est que les modèles qui fonctionnaient en on-going ne fonctionnaient pas en cas de crise. Une des réponses est de mettre une partie des fonds-propres non-sensibles aux risques, qui permet donc de faire face à des risques imprévus.
  • L’infra-règlementaire : le régulateur cherche à regarder au-delà de la règlementation, mais pour l’instant sans consensus ni sans approche coopérative.

Comment atténuer la méfiance entre les superviseurs qui se traduit par des votes non-consensuels au SB de la BCE sur l’émergence de géants bancaires transnationaux et sur la meilleure intégration des marchés financiers de capitaux ?

  • La BCE est en faveur de l’intégration, mais fait face à un blocage politique très fort. Il faut montrer tous les bénéfices de l’unification des marchés (i.e.: économies d’échelle).

Le terme « prudentiel » comporte un grand nombre d’acceptions. En France, l’ACPR a adopté une conception extensive en prenant notamment la responsabilité de la LCB-FT et de la surveillance des relations avec la clientèle. Peut-on imaginer que le MSU voie ses responsabilités s’élargir à terme, ou que cette forme de surveillance soit déléguée à une autre autorité européenne ?

  • La BCE ne souhaite pas s’emparer de la compétence LCB-FT et demande la création d’une autorité européenne dédiée. Quant à la relation avec la clientèle, la compétence est partagée avec les autorités des marchés financiers.

Pensez-vous que l’asymétrie qui existe entre le superviseur et les établissements en termes de moyens, de compétence et de connaissance de l’établissement est une limite à l’efficacité de la supervision ?

  • Le rôle du superviseur est de faire renforcer les fonctions de contrôle interne des banques. Le superviseur dispose également d’une connaissance plus poussée de la règlementation, et travaille avec des benchmarks horizontaux qui soutiennent son jugement.

Une seule banque européenne est présente dans le top 10 des banques mondiales actuellement (HSBC) :  pourquoi ? N’est-ce pas un risque pour la compétitivité européenne ?

  • Les déterminants fondamentaux de la structure des business model sont sous-tendus par la taille du marché économique : l’Europe est fragmentée, les US ne le sont pas. Ce n’est donc pas la régulation qui est à l’origine de cette asymétrie.

Fintech / bigtech : la supervision se digitalise-t-elle ?

La supervision doit adopter un biais favorable à l’innovation. À noter que les innovations sont dans l’ensemble récupérées par les existants : les fintech qui marchent sont rapidement rachetées par des banques.

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