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Compte-rendu du séminaire : Fintechs et régulation : enjeux pour des champions ? du 12 janvier 2017

18/01/2017 AEFR

EIFR séminaire 12 janvier 2017: Fintechs et réglementation : enjeux pour des champions

 

Philippe Berna

Pour une stratégie de l’innovation

Philippe Berna, qui a débuté sa carrière dans l’industrie avant de créer sa première entreprise en 1991, se présente comme un entrepreneur avant tout. Pour lui, une des difficultés pour les start-up consiste à combiner dans le temps les différents dispositifs de financement.

Il est président d’honneur du Comité Richelieu, l’association des entreprises d’innovation et de croissance, un lieu de partage et une force de propositions, notamment dans les domaines de la fiscalité, des commandes publiques ou du corporate venture. Le mot d’ordre du Comité Richelieu : que les jeunes pousses de l’innovation ne soient pas traitées comme des grands groupes.

En 2014 a été créée une mission innovation auprès du Médiateur des entreprises, dont les services, confidentiels et gratuits, répondent à deux objectifs : la réparation à court terme (pour éviter un contentieux judiciaire) et l’amélioration, dans la durée, des relations entre les clients et les fournisseurs.

La mission innovation travaille dans ces directions : mise en œuvre de conventions de partenariat avec les acteurs de l’innovation publics et privés (financement de l’innovation) ; amélioration des mécanismes de transfert entre la recherche publique et les entreprises de l’innovation ;  amélioration de la protection de la propriété intellectuelle et industrielle dans les relations contractuelles ; amélioration de la compréhension et de l’utilisation du crédit impôt recherche et du crédit impôt innovation; amélioration et sécurisation de l’accès au financement.

 

Pierre Bienvenu

L’approche de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) à l’égard des fintechs

L’ACPR s’est adaptée à la montée en puissance des fintechs. Le phénomène est mondial, d’où des enjeux de concurrence. En France, le nombre de porteurs de projet est croissant. En Europe, le phénomène coïncide avec l’ouverture de « fenêtres réglementaires », notamment la directive sur les services de paiement.

Il existe donc, en France, un besoin d’accompagnement des fintechs (il ne peut en aucun cas s’agir de conseil). Pour satisfaire ce besoin, un pôle « fintechs » a été créé en juin 2016, dont la priorité est la rapidité d’exécution ; il compte quatre personnes aujourd’hui. Ce pôle est doublé d’un réseau interne à l’ACPR et à la Banque de France - qui vient de nommer un chief digital officer - et d’un forum fintechs, un cadre d’échanges informel qui regroupe les représentants de l’écosystème et dont les principaux sujets sont la proportionnalité, l’usage des données et l’identification du client. Par ailleurs, la coordination dans ce domaine a été renforcée avec l’Autorité des marchés financiers.

Quelle est l’approche en matière de réglementation, dont l’ACPR estime qu’elle constitue « un élément essentiel de l’écosystème » (facteur de confiance et de réputation) ? Il s’agit de trouver un juste équilibre entre les avantages (prix et coûts réduits pour les consommateurs et les acteurs financiers…) et les risques (blanchiment de capitaux, risques opérationnels, risque de fragmentation de la réglementation post-crise – Bâle III, Solvabilité II…). L’ACPR veille à appliquer le principe de proportionnalité, en adaptant ses exigences aux risques. Ce principe est beaucoup plus présent dans la supervision en France qu’on ne le croit habituellement. Il convient par ailleurs de trouver, à tout moment, un équilibre raisonnable entre la stabilité réglementaire et la nécessaire adaptation des règles – qui sont très, peut-être trop, granulaires - aux innovations. En un mot, l’ACPR se veut « agile ».

Les suggestions aux porteurs de projet : intégrer la dimension réglementaire le plus tôt possible ; déterminer le régime réglementaire le plus adapté.

 

Alain Clot

Où en est la fintech en France ?

 

Le pays a d’abord été un pionnier de l’innovation financière, avant de prendre du retard, notamment en raison d’un sous-financement et de l’absence d’un écosystème (volonté d’acteurs de natures différentes de faire corps). On assiste en ce moment à un rattrapage accéléré, fruit de la combinaison d’un regain d’intérêt pour l’entreprenariat et d’un coup de pouce réglementaire (notamment en ce qui concerne la propriété des données, rendue aux consommateurs).

Ce rattrapage s’opère sur fond de concurrence exacerbée en Europe, y compris de la part des superviseurs dans la façon d’acclimater localement les règles européennes (et alors que la délocalisation d’une fintech est assez aisée). En France, la supervision a fait des progrès sensibles, notamment avec des délais d’agrément fortement réduits et la collaboration entre l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et l’Autorité des marchés financiers.

Le temps s’accélère pour l’industrie de la fintech, politiquement et techniquement. Le Brexit constitue une occasion en or pour la France : la vie au Royaume-Uni est très chère, le capital-risque s’est sensiblement développé en France, qui dispose par ailleurs d’un vivier de spécialistes de réputation mondiale en matière de traitement des données et d’intelligence artificielle. Après une première vague de la fintech, caractérisée par la découverte d’usages nouveaux mais par un niveau d’innovation technique relativement faible, on assiste à la création d’une seconde vague, marquée par des avancées techniques spectaculaires (dont la blockchain), par des alliances entre acteurs de natures différentes et par la consolidation du secteur.

A signaler : la France serait, selon plusieurs dirigeants de grandes entreprises étrangères, le pays rêvé de l’ubérisation : coût d’acquisition des nouveaux clients très élevés dans la finance (de 200€ à 1000€), fin de la confiance absolue des consommateurs envers les acteurs traditionnels, etc. Cela en fait le marché de « toutes les convoitises ».

 

Dominique Chesneau

Le financement de l’économie évolue en France : il existe des marges de progression pour un financement non bancaire des PME et ETI, si l’on considère que l’écart à la moyenne européenne (taux de désintermédiation) sera comblé. Mais le risque d’un décrochage existe cependant.

Dans le domaine des fintech, on constate une divergence des autorités de contrôle aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France. Le superviseur français adopte une approche ex-ante, avec le risque d’être toujours distancé par l’innovation. Par ailleurs, les start-up françaises n’ont pas les moyens de recruter des spécialistes de la conformité dans les différents domaines supervisés et, par ailleurs, peuvent être amenées à modifier leur business model au cours de leur développement (les questions relevant de la surveillance s’en trouvent alors modifiées).

Il serait opportun de favoriser l’émergence de structures capables d’assister les fintechs dans leurs fonctions supports, y compris en matière réglementaire. Des cabinets de conseil de premier plan s’intéressent à cette option. Par ailleurs, il est souhaitable de s’assurer que l’arbitrage réglementaire sera difficile, particulièrement au moment où le Royaume-Uni s’apprête à se lancer dans une surenchère fiscale.

 

Damien Guermonprez

Les recettes du succès

La clé du succès consiste à trouver « l’océan bleu », un marché non exploré jusque-là. Lemonway (6 millions d’euros de chiffre d’affaires, 2,4 millions de comptes, 200 000 euros de bénéfice) s’est engouffré dans le marché des wallets (portefeuilles électroniques), délaissé par les acteurs traditionnels en raison, notamment, des recherches en KYC (know your customer). Dans ce domaine où interviennent des géants (Apple Pay, Alipay…), l’unité de compte est le million : la collecte pour compte de tiers nécessite, pour être rentable, de traiter d’énormes volumes.

Dans l’univers des fintechs, il faut se concentrer sur un métier unique et être le numéro un (the winner takes all). Par ailleurs, il faudrait ne pas céder à la tentation de la complexité, qui est un trait français.

Les fondateurs de Stripe, une société de paiement électronique de six ans déjà valorisée à près de 10 milliards de dollars, ont ciblé leurs seuls e-commerçants. Une des difficultés pour les jeunes fintechs consiste à se faire connaître sans moyens financiers ; l’utilisation de la réputation des partenaires est une des modalités.

Il faut prendre le dark net au sérieux : c’est un monde parallèle au net légal, mais très proche (Lemonway vient d’embaucher un hacker afin de mieux connaître cet univers et de s’en préserver).

Par son activité, Lemonway agit comme une tour de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d’argent pour de nombreux acteurs du digital : les sites de crowdfunding (Lemonway a une part de marché de 80 % en France), le financement de petits projets (humanitaires…), la banque à distance, les cagnottes, les listes de mariage.

A propos de l’Europe : « Nous avons perdu la bataille des cartes bancaires, tâchons de gagner celle des wallets ».

A propos de la France : il est regrettable que l’attitude à l’égard des projets novateurs se traduise souvent par la formule « Ça ne marchera pas ».

 

Laurent Herbillon

BNP Paribas ou l’expérience d’une coopération entre banque et fintechs

Une banque comme BNP Paribas, qui vise, par la coopération avec les fintechs, à réinventer ses métiers, estime que l’innovation est plus facile à appréhender si elle vient de l’extérieur.

La démarche : sourcer (faire du repérage dans la Silicon Valley, en Israël…), sélectionner, tester, lancer sur le marché. L’objectif, à présent, consiste à donner davantage d’efficacité à ce processus. Pour renforcer cette efficacité, la banque a par exemple créé une plate-forme facilitant la rencontre avec les fintechs (« une sorte de Meetic de la fintech »), noue des partenariats avec des incubateurs et des fonds d’investissement, et communique clairement avec les sociétés cibles, au travers de documents simples où sont notamment mentionnés ce que la banque pourra, ou ne pourra pas faire, en faveur des fintechs avec lesquelles elle est susceptible de s’associer.

 

Vincent Marty

Paycar se présente comme une alternative au chèque de banque pour le marché de la voiture d’occasion, qui concerne un Français sur six chaque année.

Paycar a croisé la route de BNP Paribas au travers de L’Atelier, la cellule de veille technologique de la banque, d’abord sans illusion (pour les locaux mis à disposition). Mais grâce au soutien actif des « parrains » (provenant des trois structures de la banque qui ont investi dans la fintech), L’Atelier s’est comporté comme un « vrai accélérateur ». Le service de Paycar sera proposé aux clients des agences BNP Paribas.

Levée de fonds : « un parcours stressant et difficile », même si les investisseurs intéressés sont nombreux.

Six mois, ce n’est rien pour un grand groupe, mais c’est le « bout du monde » pour une start-up.

 

Cécile Wendling

Les questions que se pose Axa à propos des nouvelles technologies : la technique est-elle au service de l’humain ? les utiliser pour toucher de nouveaux clients, qui ne pouvaient jusque-là pas prétendre à l’assurance ; les conseils ne doivent pas se transformer en leçons de morale paternalistes.

Axa s’adapte au nouvel environnement et à l’émergence des fintechs et assurtechs avec les Axa Labs, la création d’une direction de l’innovation, des partenariats (avec Blablacar par exemple), un concours

interne d’innovation (les produits des lauréats sont développés jusqu’à la mise sur le marché), de la formation.

Axa ne peut pas tout faire tout seul. La compagnie d’assurance doit rester concentrée sur le client, sans que ce mot d’ordre ne se limite à de la pure communication.

 

Hubert de Vauplane

Les fintechs ne doivent pas être importunées par des questions réglementaires avant que leurs produits ne parviennent au stade de la mise sur le marché (il reste à trouver le bon équilibre entre réglementer trop tôt et trop tard). Pour elles, l’agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ou de l’Autorité des marchés financiers n’est qu’un début : c’est à partir de ce moment qu’elles doivent se confronter au casse-tête des règles sur la consommation et sur les données. Il convient par exemple de se prémunir des actions de groupe.

Le KYC (know your customer) constitue une tâche très lourde pour les fintechs, qui ne sont pas outillées pour cela. Dans ce domaine, le rôle (sous forme de conseils) que peuvent avoir les prêteurs ou les partenaires des start-up est important.

Les listes de due diligences généralement utilisées avec les fintechs ne sont pas adaptées.

L’Union européenne a pris conscience de l’émergence du digital et adopte dans ce domaine une approche transversale bienvenue, de préférence à une approche métier par métier.