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Compte-rendu: Vers une approche neuronale des risques financiers - Matinale EIFR - 9 novembre 2016

17/11/2016 AEFR

Les relations entre neurosciences et activités financières sont étroites. On pourrait penser qu’il y a dans le domaine financier une élimination progressive du rôle du cerveau humain dans un nombre croissant de décisions financières, en raison notamment du traitement automatisé, et de rapidité exponentielle, de données de plus en plus nombreuses. En réalité, le cerveau reste toujours bien sûr le dernier chaînon de la décision.

Mais les contraintes pour le cerveau sont assurément fortes. Les neurosciences révèlent la complexité du fonctionnement cérébral quand il se retrouve confronté à des situations d’incertitude, de risque ou d’ambiguïté : les composantes cognitives du cerveau sont alors étroitement liées à des composantes affectives, d’où les réactions d’attraction et d’aversion, ou d’exaltation et de répulsion. Par ailleurs, de  nouvelles contraintes pour le travail cérébral sont introduites par le Big data et la vitesse accrue de transmission des informations : le cerveau peut traiter un nombre limité de données et en un temps incompressible, et une intermédiation à travers des heuristiques mentales se révèle nécessaire.

Les recherches en neurosciences permettent aujourd’hui d’observer comment les mesures du risque financier sont interprétées par le cerveau sous ces contraintes, et de réinterpréter les catégories traditionnelles de l’incertitude, du risque, de l’ambigüité et de la volatilité.

 

Pourquoi recourir aux neurosciences pour analyser les risques financiers ?

  • Le risque financier présente deux dimensions : l’incertitude concernant une (des) valeur(s) elle(s)-même(s) et l’incertitude concernant l’appréhension mentale de cette incertitude, avec une porosité entre les deux au travers notamment de la perception affective qui accompagne nécessairement l’usage des données et des mesures du risque, et conduit ultimement à une évaluation subjective du risque. Dans la finance de marché vient se rajouter l’incertitude concernant les comportements des autres opérateurs devant le risque.

 

  • Le travail cognitif qui précède la prise de décision face au risque fait intervenir une dimension cérébrale émotive : la posture d’attente met en œuvre le « circuit de la récompense », et la dimension affective de l’anticipation conduit à un registre d’excitation pour les gains et d’aversion aux risques, par ailleurs alimenté par l’action chimique des neurotransmetteurs.

 

  • Le développement du numérique (nombre de données, automatisation, pression du temps) entraîne des réactions non conscientes et non contrôlées. C’est ainsi qu’apparaissent la notion de « coût cérébral » avec ses conséquences sur la prise de décision (aversion à l’effort mental, procrastination, …), et la différence temporelle entre le fonctionnement des fonctions cérébrales cognitives et émotives (le cerveau affectif travaille plus vite que le cerveau cognitif).

 

Comment repérer le traitement cérébral des décisions financières risquées

  • Les observations expérimentales portent à la fois sur les comportements et les ressentis de sujets soumis à des expériences portant sur des choix financiers risqués, et par ailleurs sur l’analyse directe par imagerie médicale (IRM, PET, …) des régions cérébrales activées et désactivées (voire inhibées) durant les expériences, ainsi que sur l’analyse des sécrétions chimiques activant les neurotransmetteurs (notamment par l’examen de la pression sanguine dans certaines zones, ou par des évaluations différentielles).

 

  • Le traitement des données s’effectue par recueil et interprétation des informations indirectes fournies par l’imagerie, la confrontation avec les données comportementales, et le traitement statistique.

 

  • L’agrégation des données recueillies permet d’aboutir à une distribution des écarts. Elle permet la mise en évidence de connexions et de système(s), le cerveau ne travaillant pas de manière isolée.

 

 

Vers une nouvelle catégorisation des risques à la lumière d’indicateurs neuronaux

  • Incertitude attendue vs incertitude inattendue 

- en situation d’incertitude, une décision requiert une oscillation entre 2 opérations mentales : recherche d’informations (modèle bottom up) et exploitation (modèle top down)

- les incertitudes attendues et les incertitudes complètement inattendues sont gérées de manière très différente : l’incertitude attendue est traitée selon un modèle top down, avec une dominance de l’activité « exploration/évaluation » interprétée par rapport à des modèles de référence (ex : VaR), tandis que l’incertitude inattendue est gérée selon le modèle bottom up avec dominance de l’activité « exploration » : au lieu d’exploiter les données, le cerveau part en quête d’informations en-dehors du champ de référence, avec convocation de la mémoire individuelle et collective souvent non consciente et parfois même fictive

- les incertitudes inattendues engendrent des comportements non prévisibles et augmentent les mécanismes de contagion ; or, il existe aujourd’hui un risque accru d’irruptions d’informations totalement inattendues (accidents, cyberattaques, …)

- parfois le cerveau doit gérer le passage brutal de l’incertitude attendue à l’incertitude inattendue : c’est le dilemme cérébral dû à la survenance de changements inattendus à l’intérieur de plages d’incertitude mesurée, entraînant un conflit mental et une dérégulation cérébrale, avec ses conséquences comportementales, notamment de procrastination ou de mimétisme.

 

  • Situations risquées vs situations ambigües

- les situations risquées sont des situations d’incertitude évaluées au moyen de mesures -objectives ou subjectives - complètes (c’est-à-dire que l’on dispose d’une distribution complète de probabilités) et certaines (on est assuré de cette distribution) ; à l’inverse, les situations ambigües sont celles dont l’évaluation est partielle, floue ou incomplète (incomplétude de l’information, faible fiabilité, ou encore contradiction des informations)

- les situations d’ambigüités dans l’univers financier sont beaucoup plus fréquentes que les situations de risque, et l’augmentation des données disponibles les rend toujours plus nombreuses ; en réalité, plus on dispose d’informations, plus on se trouve dans des situations d’ambigüités

- l’ambigüité entraîne une augmentation du nombre des régions activées, et en conséquence un ralentissement du travail cérébral, donc un coût cérébral et une activation des zones d’angoisse

- l’aversion du cerveau nettement plus forte à l’ambigüité qu’au risque a des conséquences sur la prise de décision : l’ambigüité conduit à une réaction de fuite, éventuellement au travers d’une hausse de la prise de risque, et une élaboration non consciente de stratégies d’évitement correspondant aux différents niveaux d’ambigüité.

 

  • Volatilité et incertitude inattendue

- deux spécificités de l’incertitude inattendue engendrée par la volatilité apparaissent : le second degré, c’est-à-dire l’incertitude sur la distribution de l’incertitude, et une dimension dynamique, l’incertitude étant inséparable de la temporalité

- les modalités de contrôle de la flexibilité cognitive face à l’incertitude sont de deux types : contrôle proactif (perception/attention pré-référencées) ou contrôle réactif (perception /réaction modulée par détection d’interférences)

- il existe un dilemme cérébral de la volatilité : une incertitude inattendue (variation de fréquences) génèrera un contrôle réactif, alors qu’une incertitude aux bornes connues suscitera un contrôle proactif

- on peut constater la manifestation d’un biais cognitif d’adaptation du contrôle des périodes « after-effects » dérivé de la perception de la volatilité, avec une hypersensibilité à la durée et à l’intensité des périodes de volatilité, avec une réaction qui est fonction du souvenir.

 

Perception subjective des mesures de risque

  • Il existe un impact de l’anticipation dans la perception des mesures objectives du risque ; les mesures de risque ne sont pas seulement de nature cognitive, mais aussi porteuses de contenus affectifs transmis par réseaux neuronaux, avec des zones du cerveau activées différemment en fonction de la mesure : une valeur élevée de l’espérance mathématique (mean) active une région correspondant à excitation/plaisir, d’où une attraction du risque, alors qu’une variance élevée active la région angoisse/désagrément, et conduit à une aversion au risque ; différentes combinaisons de ces situations sont possibles.  

 

  • On note un effet d’amplification de plus forte puissance des mesures du risque de degré supérieur, avec l’exemple du « skewness » (asymétrie, ou déviation par rapport à l’espérance mathématique) et des différentes mesures de dispersion par rapport aux mesures de degré inférieur : la combinaison mean elevée / asymétrie positive est porteuse d’une forte augmentation de l’attractivité, à l’inverse de la combinaison variance élevée / asymétrie négative, qui se trouve porteuse d’une forte augmentation à l’aversion ; en toute hypothèse, une variance élevée est presque toujours préférée à une asymétrie négative.

 

  • Les modèles de mesure du risque peuvent être réexaminés par la prise en compte de la perception mentale de ces risques par les opérateurs financiers, au travers d’une modélisation multi variables à plusieurs niveaux, avec révision des valeurs « upside » pour les gains et « downside » pour les pertes.

 

Répétition des prises de risque et biais comportementaux

  • Le cerveau fonctionne en boucle pour la dynamique de décision : anticipation -> décision -> résultats -> anticipation … L’anticipation sur l’enjeu, qui n’est jamais émotionnellement neutre, est basée sur la mémorisation : pas d’anticipation sans mémoire.

 

  • « Over-confidence » et « biais de disposition » apparaissent comme conséquence de la répétition du circuit en boucle, et de l’accélération de son fonctionnement (exemple du trading en ligne), avec un effet multiplicatif et pas seulement additif quand l’un et l’autre se cumulent.

 

  • L’émergence et le développement des comportements addictifs sont basés sur le circuit de la récompense (attente du gain), avec une dimension dynamique (l’attente de toujours plus) et un affaiblissement du ressenti par l’effet de répétition (anti-circuit de la récompense). Ainsi apparaît la rationalité paradoxale du trader « addict », rationnel puisqu’il veut augmenter son plaisir mais soumis au cycle du « toujours plus ».

 

Commentaires additionnels issus des échanges

  • La neuroéconomie est basée sur la complémentarité entre la logique des choix rationnels (la prise de décision raisonnée telle que la conçoivent les économistes est un phénomène entièrement placé sous le contrôle conscient exclusif du décideur) et les informations fournies par la neurologie du cerveau (plusieurs des mécanismes neuronaux qui interviennent au cours de la décision étant réglés de manière automatique ou tout au moins hors de la décision consciente du décideur)

 

  • La multiplication des mesures de risque peut entrainer une régression paradoxale de la prévisibilité de la réaction des agents aux informations financières : le traitement des informations prend en compte l’origine et l’intentionnalité de ceux qui les transmettent, les calculs de risque intègrent des degrés de confiance ou de défiance évalués subjectivement comme le montrent les écarts de plus en plus souvent observés entre les comportements attendus et réels des agents, et l’imprévisibilité entraîne une incertitude de 2nd degré qui pèse sur l’incertitude initiale (les incertitudes engendrées par ces jeux d’information peuvent être illustrées par les déclarations des banquiers centraux)

 

  • L’excès d’information et la sophistication peuvent ainsi conduire à un accroissement de l’ambigüité ; en revanche, la catégorisation est plutôt facteur de réduction de l’ambigüité

 

  • Il est difficile de parler d’anticipations pour un robo-advisor : un robot sait apprendre, mais non inventer ; en toute hypothèse, la machine peut copier le fonctionnement cérébral, mais pas le reproduire en totalité

 

  • L’aversion au risque a tendance à augmenter avec le temps ; par ailleurs, la surprise n’est paradoxalement pas plus forte chez les jeunes, qui ont certes moins de repères mais aussi moins de références de situation connues sur lesquelles faussement s’appuyer

 

  • L’attitude face risque est également impactée par le type de personnalité, avec notamment une différence homme-femme

 

  • Il est particulièrement intéressant dans le monde financier d’analyser l’étape entre la mobilisation des outils d’analyse et la prise de décision, pour connaître les limites des systèmes objectifs, tout en les souhaitant les renforcer.