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Compte-rendu : Shadow banking - constats et défis partagés Irlande-France Atelier EIFR du 16/09/16

17/11/2016 AEFR

Cyril ROUX 

La première question est bien sûr celle de la définition. Il est utile de rappeler que le G20 a demandé en 2010 à Séoul au Financial Stability Board (FSB) d’analyser et de contrôler les risques systémiques du secteur financier dans son ensemble, et de ne pas se cantonner au seul périmètre des banques. Le FSB a ainsi dû définir ce que recouvrait le terme « institutions systémiques », en s’intéressant également aux compagnies d’assurance et aux gérants d’actifs.

 

Les assureurs ont tenté à l’époque de faire valoir qu’il n’y avait pas de risque systémique dans l’assurance, mais n’ont pas été entendus. Ils ont par la suite tenté de convaincre le FSB de distinguer les activités purement assurantielles des activités d’assurance « non-traditionnelle » (dérivés, prêts de titres, …) et mis en avant la difficulté d’adopter les mesures de fonds propres envisagées, mais sans résultat : les activités d’assurance ont été jugées systémiques dans leur ensemble.

 

En revanche, les gérants d’actifs ont su convaincre le FSB que l’adoption d’un ratio de fonds propres n’était pas adaptée à leur métier. L’argument repose sur le fait que la gestion d’actifs n’est pas le seul fait des  gérants mais surtout des investisseurs, et que cette activité est reportée davantage dans le bilan de ces derniers. De ce fait, l’exigence de fonds propres ne serait pas pertinente pour cette profession d’intermédiation. Le FSB, en accord avec l’IAIS (International Association of Insurance Supervisors) à Bâle, a ainsi mis l’accent sur les activités plutôt que sur les institutions, comme le montrent ses travaux publiés en nov. 2015.

 

Par ailleurs, il a été décidé que la mesure des éléments du bilan à prendre en compte ne serait plus faite de façon additive mais de façon soustractive. La méthode additive consistait à prendre la part du bilan de chaque entité pertinente au regard du Shadow Banking (banque, compagnie d’assurances, fonds, …), et de les additionner pour avoir l’ensemble des activités financières non bancaires (monetary universe of non bank financial institutions). Depuis 2015, la méthode soustractive est basée sur une autre approche : en s’appuyant sur les statistiques nationales, on part d’un univers le plus large possible pour retrancher les activités qui ne sont pas du Shadow Banking et ainsi obtenir l’univers des Other Financial Institutions. Après avoir retiré les secteurs régulés et contrôlés (banque, assurance), la question à se poser quand on évalue une activité pour savoir si elle appartient ou non au Shadow Banking c’est de savoir si elle conduit à de la transformation de liquidité ou de maturité, ou si l’activité repose sur un levier.

 

Les activités dans l’univers du Shadow Banking peuvent être classées en 5 fonctions économiques : 

  • les OPCVM (collective investment vehicles), la composante la plus importante en volume
  • la distribution de crédit reposant sur des financements court-terme (compagnies de leasing, factors, compagnies financières)
  • l’intermédiation des activités de marché (brokers, ...)
  • la facilitation de la création des activités de crédit (assureurs-crédit, assureurs monoline), la plus faible part dans le Shadow Banking
  • la titrisation, au travers des différents types de véhicules.

 

Cette classification par exclusion a permis au FSB de dresser une cartographie mondiale du Shadow Banking. Dans cette liste, l’Irlande arrive en tête en Europe avec 2.300 Md€ d’actifs. Mais les curseurs se déplacent lorsque l’on utilise d’autres méthodologies.

 

Chaque régulateur a en fait ses exclusions nationales. Par exemple, l’exclusion des sociétés de financement spécialisé fait sortir 5.400 Md€ d’actifs (14.000 entités aux Pays-Bas). Par ailleurs, les résultats de cette cartographie dépendent beaucoup du périmètre des pays impliqués : c’est ainsi que le Luxembourg non membre du FSB ne participe pas à ses travaux, à la différence de l’Irlande non-membre également mais qui a souhaité être associée aux travaux et intégrée dans les statistiques. Une troisième exception est la prise en compte ou non des filiales consolidées, point sans impact pour l’Irlande.

 

Une fois la quantification en volume effectuée apparaît la question de la mesure des risques. Les points d’attention principaux listés par le FSB sont l’effet de levier, la liquidité, et les risques opérationnels. De son côté, l’Irlande s’est associée à une étude méthodologique du FMI sur le stress testing des fonds au niveau tant macro aue micro prudentiel.

 

 

Gérard RAMEIX

Le Shadow Banking est un concept flou et à tiroirs. On peut retenir la définition développée par la FSB, celle des activités d’intermédiation de crédit effectuée hors du système bancaire traditionnel - donc non soumise à une régulation prudentielle - et constituant ainsi une source potentielle de risque systémique en raison notamment de ses interconnexions avec le système bancaire traditionnel. Le risque serait issu de la transformation de maturité et de liquidité, de l’accumulation de levier, et du transfert du risque de crédit. Sur cette base, les fonds actions par exemple, ne présentant aucun aspect d’opération de crédit, ne devraient pas être inclus.

 

La mesure fournie par le FSB (dans son rapport de nov. 2015) est 36.000 Md$ au niveau mondial. Les Etats-Unis représentent près de 40% et l’Europe un tiers (8 % pour l’Irlande et 4 % pour la France, le Luxembourg n’apparaissant pas dans les statistiques du FSB). Pour la France, c’est un volume de 1.600 Md$, soit un volume important mais tout de même 6 fois moins élevé que celui du secteur bancaire. Par ailleurs, ce volume est dominé par l’industrie de la gestion d’actifs, secteur en réalité très régulé, avec une réglementation adaptée (ex. directives UCITS et AIFM pour les fonds d’investissement) et un suivi régulier (dispositif de collecte de données). Ce n’est donc clairement pas l’absence de régulation qui définit le Shadow Banking.  

 

Les travaux du FSB visent tant à organiser le suivi des risques systémiques du secteur que d’établir un cadre réglementaire adapté permettant de contenir les principaux risques émanant du Shadow Banking.  

 

Au niveau européen, l’ESRB (European Systemic Risk Board) a adopté une approche en cohérence avec celle du FSB avec une attention aux mêmes types de risque : liquidité, maturité, levier et transfert de risque de crédit. La définition du Shadow Banking par l’ESRB est large : elle inclut tous les fonds d’investissement (obligataire, actions, private equity, immobiliers, ...) et les « others financial institutions » que sont les véhicules de titrisation, brokers dealers... Mais les montants évalués sont sensiblement les mêmes (37 Tn$).

 

Comment réguler les différentes composantes du Shadow Banking ?

 

Une approche analytique par nature de risque et d’activité est ici nécessaire. Un premier risque à considérer est celui du step-in : une entité de gestion d’actifs qui fait de l’intermédiation de crédit avec peu de fonds propres et avec des fonds prêtés peut en cas de problème, elle peut se retourner vers sa maison-mère, souvent une banque ou une compagnie d’assurance, créant ainsi un lien systémique avec le secteur financier régulé. Ce sujet concerne beaucoup la place française, les acteurs de la gestion d’actifs étant dans une très large mesure filiales de groupes bancaires ou d’assurance. Pour limiter ce risque de step-in, il peut être envisagé d’interdire à la banque mère de venir au secours de la filiale en difficulté.

 

Une attention particulière doit être portée à une catégorie importante d’activité du Shadow Banking, celle des fonds monétaires, catégorie très hétérogène mais présentant le risque commun de « liquidity gap » si la liquidité immédiate attendue du client pourrait en cas de stress de marché ne pas être assurée. La réglementation des fonds monétaires est en marche, avec un débat entre les fonds à valeur liquidative variable (préférés en France) et les fonds à valeur liquidative constante (très dominants au Luxembourg et en Irlande notamment). Sur les fonds monétaires, il y a en effet deux écoles : la française vise à supprimer les C-NAV (fonds monétaires dont la valeur liquidative est celle de la valeur d’achat et donc qui ne reflète pas la valeur de marché des éléments qui le composent) et de préférer les V-NAV (fonds avec une valeur liquidative variant avec le marché) ; les C-NAV peuvent être plus dangereux car, en s’engageant sur une valeur liquidative identique à celle de l’achat, on ne prend pas en compte les possibilités d’accidents (taux négatifs, mauvaise gestion). L’autre école consiste à dire que les V-NAV n’ont pas été épargnés lors de la dernière crise, et qu’à ce titre ils ne sont pas plus sécurisants. Une recommandation pour la régulation des fonds monétaires a été émise par l’OICV en octobre 2012, suivie en septembre 2013 par une proposition de règlement européen sur les fonds monétaires.

 

Les autres catégories de fonds comme les fonds obligataires sont moins sensibles : il ne s’agit pas d’intermédiation de crédit, et les exigences de liquidité sont moindres.

 

Autre catégorie importante du Shadow Banking, la titrisation. Régulés de façon distincte selon les pays, les véhicules de titrisation ont concentré beaucoup d’attention, car on leur attribuait une responsabilité dans la crise, ce qui est vrai pour les structures américaines. La démarche de la Commission Européenne de définir un profil de titrisation STS (simple, transparente et standardisée) pour relancer cette activité n’a pas encore abouti.

 

Moins bien appréhendés en revanche sont les prêts-emprunts de titres et les repos, avec pourtant des montants très conséquents et qui ne passent pas forcement par les institutions traditionnelles. Le Securities Financing est un domaine qui demande encore des efforts de réflexion et d’encadrement. Le FSB a émis entre 2013 et 2015 diverses recommandations portant sur l’encadrement des Securities Financing Transactions (SFT), au travers d’un mécanisme de collecte et d’agrégation des données et d’un dispositif de décotes minimales applicables à certaines SFT. Le règlement européen relatif à la transparence des opérations sur de financement sur titres et de la réutilisation des instruments financiers  (SFTR) publié en décembre 2015 a introduit une obligation de transparence, mais une marge de progression demeure pour l’encadrement de ce secteur.

 

Enfin, le FSB a publié en juin 2016 un ensemble de 14 recommandations pour traiter les vulnérabilités structurelles des activités de gestion d’actifs.

 

 

Conclusion

 

On note ainsi depuis la crise un réel progrès dans la compréhension de ce qu’est le Shadow Banking, et diverses initiatives pour développer un cadre réglementaire adapté, visant à transformer le Shadow Banking en un domaine plus solide de resilient market-based financing. Il reste du chemin pour cela, mais les priorités sont maintenant bien établies : approfondissement de l’évaluation des risques, mise en œuvre convergente d’un cadre réglementaire pertinent, et encouragement à la diversification des sources de financement. Il importe ainsi de s’assurer qu’aucun domaine n’échappe à l’analyse et si besoin à la régulation, et que le processus de surveillance ne crée pas de biais dans l’objectif de level playing field.

 

 

Réponses aux questions

 

L’apport de liquidité par les hedge funds est assurément utile, en complément de celle, en diminution, assurée par les banques, notamment sur l’obligataire. Néanmoins, on peut craindre qu’ils ne seront pas nécessairement présents en cas de choc sur les taux. Il est donc essentiel de s’assurer qu’ils ne font pas de fausses promesses de liquidité.

 

Les fonds de prêts, pour lesquels l’Irlande a été précurseur en étant le premier pays à accepter les loan funds, doivent être suivis avec attention. Il s’agit ici d’acheter ou également maintenant d’originer directement des prêts, et d’avoir ainsi une démarche proche de l’activité bancaire, avec laquelle la principale différence est l’absence d’exigence en capital. Une compétence interne en matière d’évaluation de risques de crédit chez les gérants doit être mise en place et démontrée.

 

L’innovation technologique induisant de nouvelles pratiques financières doivent être prise en compte. C’est ainsi que le crowdlending et le crowdinvesting entrent certainement dans le sujet (en revanche, pas le don qui ne conduit pas à une création monétaire). Le secteur est très encadré en France (la nouvelle utilisation des bons de caisse sera d’ailleurs surveillée par l’AMF).

 

La démarche de s’intéresser aux activités plus qu’aux acteurs trouve tout de même une limite. Il est ainsi apparu à ce stade plus adapté pour la gestion d’actifs,de s’intéresser davantage aux fonds qu’aux gérants pour lesquels une approche fonds propres ne serait pas adaptée, mais les exigences en capital sur les gérants sont peut-être trop basses (typiquement quelques mois de dépenses opérationnelles). Le FSB indique d’ailleurs qu’il devrait rouvrir la question de la surveillance des entités en complément de celles des activités.

 

On peut s’interroger sur la cohérence des interventions des différents acteurs de la régulation sur le Shadow Banking (FSB, OICV, …). On note par exemple l’absence de représentation de l’ESRB au sein du FSB, même si en revanche l’ESMA vient de se rapprocher du FSB.  Cette cohérence est malgré tout en voie d’amélioration. Elle est fondamentale, notamment pour le partage de données : essentiellement d’origine nationale, elles sont traitées de manière additive mais non consolidées, car il manque encore une cartographie mondiale des interconnexions d’activités.

 

Le lien entre Shadow Banking et secteur bancaire est d’ailleurs en fait très fort, en raison du risque de contagion au secteur bancaire (c’est ainsi d’ailleurs que la déroute du fonds LTCM avait été réglée par le secteur bancaire).

 

En toute hypothèse, il est important de trouver le bon dosage de régulation sur le secteur, au risque sinon d’observer la création d’un « shadow Shadow Banking » si la réglementation devenait  excessive.