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Macron : « J’ai la vision d’un État stratège »

05/02/2016 Le Figaro Visiter le site source

BERTILLE BAYART

INDUSTRIE Lundi, sa visite à Saint-Nazaire chez STX, lui a fait du bien : avec une commande de deux paquebots pour MSC, les ex-Chantiers de l’Atlantique respirent. Une éclaircie dans un ciel industriel plutôt sombre, marqué par les sauvetages de Vallourec et d’Areva. Emmanuel Macron se retrouve en première ligne sur ces dossiers brûlants, qui coûtent cher au contribuable et obligent l’État actionnaire à examiner ses propres défaillances.

LE FIGARO. - L’État participe massivement à la recapitalisation de Vallourec annoncée lundi. Est-ce un sauvetage ?

Emmanuel MACRON. - L’opération qui a été annoncée répond certes à une situation dégradée, mais elle comporte surtout des éléments offensifs. Vallourec vit une double crise : celle du secteur pétrolier, qui provoque un effondrement de ses commandes, celle de la sidérurgie européenne, confrontée à des pratiques chinoises de dumping intolérables. Il nous faut sortir de ce bas de cycle en maintenant les compétences de Vallourec qui est un acteur clef d’une industrie stratégique et de souveraineté pour la France et pour l’Europe. L’entreprise doit donc mettre son appareil industriel en capacité d’affronter ce cycle très brutal. C’est pourquoi l’État appuie sa réorganisation, au travers de Bpifrance qui réinvestira environ 300 millions d’euros aux côtés du partenaire japonais NSSMC, pour consolider l’ancrage français du groupe et assurer son avenir durablement.

C’est un risque politique : vous participez à une opération qui implique d’importantes suppressions d’emplois. L’État ne devrait-il pas rester à l’écart ?

L’État est déjà actionnaire via Bpifrance ; personne ne comprendrait que nous ne participions pas à cette opération. Notre rôle n’est pas de geler, d’empêcher toute forme d’adaptation. L’État actionnaire, quand il a cette attitude, met en risque la pérennité des entreprises. Si nous empêchions aujourd’hui Vallourec de mener cette restructuration, nous le condamnerions. Ce ne sont pas deux laminoirs qui fermeraient en France, mais potentiellement tout le groupe ! Nous serons cependant très exigeants pour minimiser les départs contraints sur les sites industriels notamment de Saint-Saulve et Déville-lès-Rouen. Nous avons dans ce dossier la même approche que chez PSA en 2014, qui allie réalisme économique, vigilance sociale et volontarisme industriel.

N’aurait-il pas fallu confier le redressement de Vallourec à une nouvelle direction ?

C’est une question qui relève du conseil de surveillance de l’entreprise mais qu’il ne faut jamais s’interdire de poser. La réaction de l’entreprise à ses difficultés a été tardive. La restructuration s’accompagne d’efforts demandés aux actionnaires auxquels ne seront pas versés de dividendes, et aux dirigeants, sur leur rémunération.

Un autre sauvetage a été annoncé, celui d’Areva. N’intervenez-vous pas trop tard ?

La situation du groupe résulte d’un contexte de marché très difficile - aggravé par la catastrophe de Fukushima -, d’erreurs stratégiques et managériales par le passé, et de comportements non coopératifs dans la filière, notamment entre EDF et Areva. Ces erreurs au sein de la filière sont aussi celles de l’État actionnaire qui n’avait pas pris la mesure de la situation. J’ai pour ma part ouvert ce dossier en 2014, quand il est apparu que la réalité n’était pas celle que l’entreprise, constante dans son optimisme, nous indiquait. Nous avons donc décidé de clarifier la gouvernance de la filière nucléaire. Cela a été brutal : la vérité des prix a été faite, et cela a fait très mal. Mais si nous ne l’avions pas fait à ce moment-là, le groupe serait à plat aujourd’hui. Mais nous sommes déterminés à aller au bout de la remise en ordre de la filière nucléaire, en recentrant Areva sur ses métiers du cycle de l’uranium. Le métier réacteurs en revanche ne peut être porté par ce groupe. Les projets sont trop lourds pour ses capacités financières et commerciales. Nous lui donnons un avenir, comme filiale d’EDF, ce qui permet aussi de réaligner les intérêts de toute la filière, notamment vis-à-vis des marchés à l’export. En termes financiers, la cession de 85 % d’Areva NP et la recapitalisation de 5 milliards d’euros, que nous espérons ouvrir à d’autres investisseurs, permettront de consolider durablement la situation du groupe.

Areva est renfloué, mais EDF est fragilisé. Faut-il s’inquiéter de la situation financière de l’électricien ? Est-il raisonnable d’investir dans deux EPR au Royaume-Uni, ce dont les syndicats du groupe s’inquiètent ?

EDF a un travail important à réaliser, notamment dans la perspective du « grand carénage » de son parc de centrales en France, très attendu par toute la filière. Et il doit le faire sous une forte contrainte avec des prix de l’électricité aujourd’hui très bas. Pour réaliser ses investissements à venir, l’entreprise doit dégager des marges de manœuvre financières nouvelles. Au-delà, Je pense qu’un projet industriel ambitieux qui offre de la visibilité à EDF et ses salariés peut être dessiné pour RTE, le réseau de transport d’electricité. Des investisseurs d’infrastructures et de réseau, comme la Caisse des Dépôts, pourraient y participer dans le cadre d’une ouverture du capital de RTE.

S’agissant du projet britannique, en tant qu’actionnaire, nous considérons à ce stade qu’il ne fait pas courir à l’entreprise de risque inconsidéré au plan industriel et financier. Comme dans tout projet, il y a des risques ; EDF doit prendre les dispositions nécessaires pour les maîtriser. C’est un beau projet qui fera travailler toute la filière nucléaire française et signera son renouveau, et je ne comprends pas l’attitude de certains qui par leurs critiques le décrédibilisent. Ne marquons pas de but contre notre propre camp !

Êtes-vous condamné à jouer les pompiers de l’industrie française ?

La France a construit dans l’énergie, mais aussi dans le transport, de grands acteurs structurés par la commande publique. Mais depuis quinze ans, leurs marchés arrivent à maturité puisque l’équipement du pays a été réalisé, les finances publiques sont sous pression, et la concurrence se renforce, notamment venue des pays émergents. Le modèle doit changer. Le refuge de la commande domestique n’existe plus. Dans la sidérurgie, dans le pétrole, dans l’énergie, dans les transports, les entreprises vivent une transition majeure. C’est d’autant plus difficile que les cycles économiques sont plus marqués qu’avant, leur caractère schumpetérien s’accentue. Avec la volatilité des marchés et le risque de « disruption » créé par la vague numérique, tout devient plus brutal. Les événements financiers, climatiques, géostratégiques produisent des effets violents. Nos entreprises doivent apprendre à s’accommoder du fracas du monde tel qu’il existe aujourd’hui, tout en gardant la vision du long terme. L’État les accompagne.

L’État accompagne donc investit… mais il ne vend pas. Allez-vous vous désengager de certaines entreprises, comme PSA par exemple ?

Le problème de l’État actionnaire aujourd’hui, c’est d’être surinvesti dans certains secteurs d’activité, et dans l’énergie en particulier. Nous devons nous interroger sur la pertinence de nos niveaux de détention, entreprise par entreprise. Les cours de Bourse actuels ne permettent cependant pas de mener à bien des opérations de cessions qui respecteraient nos intérêts patrimoniaux. Mais nous savons le faire, comme le prouvent les opérations de désengagement progressif dans les secteurs de l’aéronautique et de la défense. Dans l’automobile, nous vendrons les 4,7 % supplémentaires de Renault acquis l’an dernier quand les conditions de marché seront compatibles avec les intérêts patrimoniaux de l’État. Quant à PSA, ce n’est ni l’heure ni le lieu pour discuter publiquement des options stratégiques du groupe.

Vous revendiquez une forme d’originalité et affirmez votre réformisme. Mais en quoi votre action est-elle différente de celle de vos prédécesseurs en matière de politique industrielle ?

Certains de mes prédécesseurs ont pensé que l’État n’avait aucun rôle à jouer, ce qui peut expliquer la langueur de la gouvernance telle que je l’ai trouvée chez Renault ou encore la situation de la filière nucléaire par exemple… Moi, je crois à la politique industrielle, mais de façon réaliste et lucide, inscrite dans le long terme. L’État ne doit pas être un actionnaire imprévisible et arbitraire, ni un actionnaire interventionniste et brutal, ni, enfin, un actionnaire complaisant dont le rôle se bornerait à nommer des copains à la tête des entreprises… J’ai la vision d’un État stratège, d’un État actionnaire fort et attaché au respect scrupuleux de la grammaire des affaires, d’une gouvernance assainie qui nomme des dirigeants compétents… et les écarte quand ils se révèlent incompétents. Enfin, je veux impulser une politique sectorielle volontariste, et une politique de compétitivité coûts - c’est la vocation du pacte de responsabilité - et hors coûts. Je crois aussi nécessaire de permettre aux entreprises de s’adapter plus facilement aux évolutions de leurs marchés et de la conjoncture. Le but ultime, c’est la montée en gamme du tissu industriel français, qui suppose de l’investissement privé au bénéfice de l’innovation, et que l’État peut aider en permettant plus de flexibilité. Cela, c’est le but de la réforme du droit du travail, à laquelle je suis très attaché.

La réforme doit-elle aussi passer par les entreprises publiques, où l’on sent beaucoup de résistance ?

Oui. Une politique industrielle crédible suppose une agilité plus grande des entreprises, de toutes les entreprises. La réforme du Code du travail ne se suffit pas à elle-même. Les entreprises publiques doivent engager - certaines le font très bien déjà, comme La Poste par exemple - une transformation profonde de leur modèle fondé sur un consensus d’après-guerre qui ne tient plus. Il faut moderniser le cadre de leur activité et s’adapter à un monde nouveau et à une concurrence nouvelle.