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Le whistleblowing dans le secteur financier en France : le cadre juridique et la mise en œuvre

02/09/2015

Nicole Marie Meyer, Transparency International France

Transparency International se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique. On trouve sur le site de la section française des documents et études sur le droit d’alerte (par exemple le « Guide pratique à l’usage du donneur d’alerte français », publié en juillet 2014).
Transparency International France, en liaison avec une quinzaine d’ONG, prépare une proposition de loi globale sur le droit d’alerte.
Le terme whistleblowing est forgé en 1972 par le célèbre avocat américain Ralph Nader, dans la continuité des combats pour les droits civiques ; suivent les premières lois. En 1998, le Royaume-Uni se dote d’une loi globale sur le droit d’alerte. Il ne faudrait pourtant pas réduire le whistleblowing, qui a atteint l’Europe continentale dans les années 2000, à un phénomène anglo-saxon et protestant.
Neuf pays se sont à ce jour dotés de lois globales.
Les lois régissant l’alerte visent à instaurer deux garanties : la protection du donneur d’alerte (contre le licenciement en particulier) et le fait que la dénonciation sera effectivement prise en compte et traitée.
L’un des grands sujets de discussion porte sur l’éventuelle rémunération du donneur d’alerte, qui fait partie de l’arsenal législatif américain. Il convient de distinguer ce qui ressort de la protection du donneur d’alerte (garantie que son salaire continue de lui être versé…) et ce qui pourrait s’apparenter à une prime à la dénonciation, qui n’a pas les faveurs de Transparency International France.
Il existe, au niveau européen, un projet de directive sur les lanceurs d’alerte.
De son côté, le Conseil européen, qui a publié une recommandation en 2014, a en projet une convention multilatérale.
 

Yann Galut, député

La pratique était encore ignorée en France il y a quelques années, mais quelques affaires très médiatisées (Jérôme Cahuzac, HSBC…) ont accéléré le mouvement.
Pour l’instant, le cadre légal, imprécis, est constitué des textes suivants, qui évoquent directement ou indirectement le droit d’alerte : loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption ; loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ; loi du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte ; loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ; loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Dans cet arsenal législatif, la protection du lanceur d’alerte n’est considérée qu’à posteriori.
A l’avenir, il serait souhaitable que soit créée une agence nationale indépendante, qui pourrait accompagner les lanceurs d’alerte. Cette agence pourrait s’appuyer sur des organisations non gouvernementales dont l’expertise en la matière et reconnue et sur celle du Service central de la prévention de la corruption, fer de lance des services de l’Etat en matière de whistleblowing.
 

Cécile Matin, Proskauer
 

En France, des textes disparates, difficiles à concilier, dont on trouve trace dans le Code du travail, le Code monétaire et financier, le Code de procédure pénale, le règlement du Comité de la réglementation bancaire et financière…et un arrêt important de la Cour de cassation (8 décembre 2009, chambre sociale) où est précisée la notion de bonne foi (l’arrêt marque le renversement de la charge de la preuve, au détriment de l’entreprise : le salarié doit étayer son alerte, mais n’a pas à prouver les faits relatés).
 
Comment instaurer un dispositif ?
 
Il faut obtenir l’autorisation de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), sachant que l’absence de demande est passible de sanctions pénales lourdes.
.En janvier 2014, la CNIL a élargi le périmètre de l’autorisation unique, jusque-là limité aux dispositifs d’alerte répondant à une obligation législative ou réglementaire du droit français visant à l’établissement de procédures de contrôle interne ou répondant à une obligation imposée par les dispositions de la loi Sarbanes-Oxley ainsi que la loi japonaise dite Japanese Sox, dans les domaines financier, comptable, bancaire, de la lutte contre la corruption, et des pratiques anticoncurrentielles.
Ne pas hésiter à se faire « accompagner » par la CNIL.
Le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail doivent être consultés.
Obligation d’information des salariés (affichage, lettre, message électronique…) : quels sont les objectifs poursuivis, les domaines concernés par l’alerte, les sanctions en cas d’utilisation abusive du dispositif ?..
 
Fonctionnement du dispositif
 
Déclenchement de l’alerte
  • en principe, l’intéressé doit s’identifier
  • l’alerte doit être traitée
  • les données doivent demeurer confidentielles

 
Protection des acteurs

  • les personnes visées par l’alerte : droit d’accès, droit de rectification, droit d’opposition
  • le lanceur d’alerte
  • en cas d’utilisation abusive, le lanceur d’alerte s’expose à des sanctions disciplinaires, voire pénales

 

Patrick Suet, Société générale

Environnement réglementaire
 
Des textes européens (CRD IV, directive abus de marché…) créent un droit à dénoncer.
Pour une banque comme Société générale, le whistleblowing est régi par une multitude de juridictions et par des lois (Etats-Unis, Royaume-Uni…) de portée extraterritoriale.
Le périmètre du droit d’alerte dépasse largement les crimes et délits ; il s’étend à la conformité bancaire, au champ très large, et - la question est posée - aux règles à usage interne édictées par les banques elles-mêmes.
 
Le droit d’alerte à la Société générale
 
Les alertes ne sont jamais traitées par la hiérarchie.
Dans la pratique, on constate que la dénonciation constitue une arme aux mains de salariés désabusés ou se jugeant harcelés.
Le dispositif est intégré dans le code de conduite, qui s’applique partout dans le monde. Il est complété par des dispositifs locaux quand les droits locaux l’exigent.
Seulement deux destinataires des messages adressés par les lanceurs d’alerte sur un site ad hoc.
Les freins au whistleblowing :

  • la culture de la dénonciation varie sensiblement selon les pays : il faut donc adapter la communication en la matière
  • la généralisation du whistleblowing pourrait comporter le risque d’une banalisation du court-circuitage de la voie hiérarchique
  • la capacité de s’opposer, de « dire non », n’est pas évidente, même par exemple de la part des compliance officers (1500 à la Société générale), dont c’est pourtant la mission et qui sont protégés
  • Environ cinq alertes par an, dont quatre relèveraient du règlement de compte

--> deux interprétations : i) le dispositif n’est pas optimal ii) les autres canaux (hiérarchie, conformité, ressources humaines…) fonctionnent bien
 

Henry de Ganay, ACPR

De nombreux textes français (règlement 97-02 relatif au contrôle interne…) et européens (CRD IV…) conduisent à mettre en place des dispositifs de signalement, internes ou externes, ainsi que des procédures de suivi de la mise en œuvre d’actions de remédiation aux dysfonctionnements.
La nouveauté réside dans la mise en place du dispositif vers l’ACPR

  • les signalements sont écrits
  • champ des signalements : règlement européen sur les exigences en fonds propres, dispositions relatives aux prestataires de services bancaires et aux prestataires de services d’investissement…
  • l’ACPR recueille les signalements en protégeant l’identité de l’auteur du signalement et celles des personnes concernées
  • l’ACPR vérifie la bonne mise en place par les établissements des procédures prévues par les textes
  • dispositif vers la Banque centrale européenne (BCE) pour les 120 établissements « importants »
  • la BCE a prévu de fournir des informations agrégées sur les signalements reçus ; il est probable qu’à l’avenir, l’ACPR fasse de même

Sophie Baranger, AMF

La place de l’AMF dans les dispositifs d’alerte au travers l’exemple de l’abus de marché

  • Le dispositif vers l’AMF est en place depuis 2005
  • les déclarations proviennent des prestataires de services d’investissement, mais aussi de commissaires aux comptes, de particuliers épargnants, de Tracfin, d’autorités de contrôle des marchés financiers étrangères
  • 500 à 600 déclarations par an
  • pas d’ouverture systématique d’une enquête
  • l’AMF peut transmettre à la justice (parquet financier)
  • la prochaine mouture de la directive européenne sur les abus de marché comportera des éléments relatifs à la protection des lanceurs d’alerte
  • la directive OPCVM V, qui sera transposé en droit français en mars 2016, comportera aussi des éléments liés à la protection
  • l’AMF a récemment publié un guide sur la déclaration d’opération suspectes