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Chambre de compensation : évaluation du risque pour les utilisateurs

20/07/2015
Intervenants :

Marie-Agnès Nicolet, présidente, Regulation Partners
Frédéric Hervo, directeur des systèmes de paiement et des infrastructures de marché, Banque de France
Philippe Bertho, secrétaire général de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
Philippe Guillot, direction des marchés, Autorité des marchés financiers
Emmanuel Gaffet, responsable du risk management, Amundi
Hubert de Kersaint-Gilly, responsable des risques, BNP Paribas Securities Services
Clément Phelipeau, Société Générale Securities Services
Pierre-Dominique Renard, executive director, LCH.Clearnet SA



Marie-Agnès Nicolet, présidente, Regulation Partners
 
La question de la compensation a pris de l’ampleur avec le règlement européen European Market and Infrastructure Regulation (Emir), entré en application le 16 août 2012 avec l’objectif de réduire le risque systémique résultant de la défaillance d’un acteur du marché des dérivés de gré à gré. Emir fait obligation de compenser les dérivés de gré à gré (les entreprises non financières échappent à cette obligation sous réserve de ne pas dépasser des seuils fixés par classes d’actifs) : le risque de contrepartie n’est pas annulé, mais transféré à une chambre de compensation centralisée, qui devient porteur de risque systémique et nécessite de ce fait d’être encadrée.

Regulation Partners a effectué une étude où sont comparées sept chambres de compensation européennes (LCH. Clearnet, CME Clearing Europe, Eurex Clearing…) au regard de sept critères.

Les règles et recommandations sont diversement respectées en matière d’organisation des pouvoirs (composition du conseil d’administration et du comité des risques, rapport entre ces deux organes, prévention des conflits d’intérêt…), bien suivies pour ce qui est des plans de continuité de l’activité ou des modalités d’adhésion des membres compensateurs. L’étude montre par ailleurs que les montants des fonds de défaillance préfinancés varient assez sensiblement d’une chambre à l’autre, que l’on trouve très peu d’indications concernant les hypothèses des tests de résistance effectués par les chambres, que les approchent diffèrent s’agissant des exigences de marge (dépôt de garantie et appel de marge) ou encore qu’en matière de garanties (collateral), la notion d’actif liquide est loin d’être homogène.

En synthèse, Marie-Agnès Nicolet constate que les chambres de compensation interprètent différemment les normes découlant du règlement Emir, qu’elles n’ont en outre pas toutes le statut de banque et que, par conséquent, l’agrément de ces chambres par leur autorité de marché nationale ne sauraient dispenser d’une analyse approfondie de leur risque.

 
Frédéric Hervo, directeur des systèmes de paiement et des infrastructures de marché, Banque de France
 
Il y a encore sept à huit ans, les chambres de compensation n’étaient pas une priorité des autorités de contrôle. Ce n’est plus le cas depuis les G 20 de crise et l’édiction, en 2012, des Principes CPSS/Iosco (Committe on Payment and Settlement Systems de la Banque des règlements internationaux/Organisation internationale des commissions de valeurs). Au nombre de vingt-quatre, ces Principles for Financial Market Infrastructures (PFMI)  ont pour ambition de regrouper les corps de normes existants tout en renforçant les niveaux d’exigence, notamment en matière de ressources financières (fonds de défaillance et dépôts de garantie doivent couvrir l’exposition aux deux participants les plus importants…), de liquidité (sachant que les chambres de compensation ne doivent pas compter sur le financement auprès des banques centrales en cas d’urgence), de continuité de l’exploitation (obligation d’établir un plan de rétablissement) ou encore de ségrégation entre les positions et avoirs des clients et des compensateurs. Il a été fixé un cadre international de suivi de la transposition des PFMI au niveau national, avec notamment un dispositif de contrôle par les pairs.

En Europe, le règlement Emir applique les PFMI et va même plus loin dans certains domaines, notamment la ségrégation (la chambre de compensation doit permettre au client de choisir le type de ségrégation, y compris individuelle) ou le calcul des marges (intervalle de confiance porté à 99,5 % pour les dérivés OTC). Emir instaure en outre une coopération forte entre toutes les autorités concernées, avec l’établissement obligatoire d’un collège réunissant les autorités nationales, les autorités de supervision des infrastructures de marché et celles des principaux membres compensateurs, les banques centrales d’émission des principales devises traitées et l’Autorité européenne des marchés financiers , sans droit de vote, mais qui arbitre en cas de désaccord au sein du collège.

Dans le cadre de la revue d’Emir, une évaluation du fonctionnement de la supervision sera effectuée cette année, et un rapport sur la nécessité de mesures facilitant l’accès des chambres aux facilités de banque centrale sera rédigé. Par ailleurs, des indications supplémentaires ont été publiées par la Banque des règlements internationaux en février et mars 2015 dans le but, d’une part d’assurer une plus grande comparabilité des profils de risque des chambres de compensation, d’autre part de parvenir à une plus grande harmonisation des méthodes de tests de résistance. Il reste, à ce stade, à renforcer le cadre normatif en matière de rétablissement et de résolution.

 
Philippe Bertho, secrétaire général de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
 
Depuis l’adoption du Mécanisme de surveillance unique adopté en octobre 2013, la Banque centrale européenne (BCE) a une compétence générale, directe ou indirecte, sur les établissements de crédit de la zone euro, donc sur les chambres de compensation possédant une licence bancaire. En France, les chambres de compensation sont soumises au contrôle (agréments, adéquation des ressources financières) de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, au double titre d’Emir et de la directive et du règlement CRR/CRD IV.

La pondération en capital attachée à une exposition à une chambre se conformant à Emir (chambre qualifiée) est pour l’instant (avant une revue prévue en 2017) de 2 %. Fixer un niveau optimal de pondération constitue un dilemme pour les régulateurs : trop élevé, il dissuade de passer par une chambre de compensation - la réglementation aurait alors un effet opposé à celui recherché -, trop faible, il encourage la prolifération des transactions.

Des réflexions sont en cours pour enrichir ce dispositif de règles encadrant le redressement et la résolution. Le régime institué par la directive de 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit, en principe applicable aux chambres de compensation, n’est en effet pas adapté : il n’y a par exemple pas de dettes pouvant être affectées au renflouement interne. Il faut donc établir un cadre spécifique, prenant en compte le caractère systémique des chambres de compensation, et, en outre, travailler à la reconnaissance mutuelle, dans le monde, des actions de résolution.

 
Philippe Guillot, direction des marchés, Autorité des marchés financiers
 
La nécessité de compenser un maximum de dérivés de gré à gré ne se comprend que dans une approche globale. Il y a d’ailleurs, de la part de tous les acteurs concernés dans le monde, un travail en cours de standardisation des contrats qui est un préalable au passage par des chambres de compensation.

La généralisation au niveau mondial de la compensation passe par la reconnaissance de chambres hors juridiction, chaque juridiction ayant son modèle spécifique. Il faudrait pouvoir tenir compte de ces spécificités sans pourtant provoquer une course vers le moins-disant, ce qui constitue un challenge pour une autorité de contrôle comme l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF).

Administrativement, la reconnaissance de chambres de pays tiers se déroule en deux étapes : la reconnaissance de l’équivalence du droit du pays tiers à Emir (la Commission européenne adopte un acte d’exécution, à la condition qu’il y ait reconnaissance réciproque de la part du pays tiers) ; la reconnaissance par l’AEMF des chambres de ce pays tiers (ces chambres sont « qualifiées » au sens de la directive CRD IV).

Pour l’instant, on considère que l’Australie, Hong-Kong, le Japon et Singapour appliquent des règles équivalentes à celles d’Emir, et les dossiers des chambres de compensation qui y sont installées sont en cours d’étude à l’AEMF. Des discussions ont par ailleurs été entamées entre la Commission européennes et les autorités américaines compétentes.

Que se passe-t-il dans un environnement où les transactions sont moins encadrées ? La décision prise le 15 janvier 2015 par la Banque nationale suisse de rompre le lien avec l’euro, qui s’est immédiatement soldé par une vive appréciation de la devise helvétique, est exemplaire à cet égard, car dans le domaine du change, il n’y a pas de compensation. Les courtiers les moins-disants – ceux dont le niveau d’appel de marge était trop faible – ont souffert (FXCM a enregistré une perte de 225 millions de dollars) ou ont fait défaut sur leurs paiements (Alpari UK, Global Brokers NZ). Leçon à tirer ? Les ordres stop, par exemple, n’offrent pas une protection suffisante.

Le système financier, pour Philippe Guillot, vit mieux sous stress, et l’illusion de sécurité que donne une volatilité des cours très faible est factice.
 

Emmanuel Gaffet, responsable du risk management, Amundi
 
La question du choix d’une chambre de compensation est nouvelle (avec les dérivés cotés, c’était la chambre liée à la place de marché) et délicate : ces structures sont difficiles à analyser, d’autant que la plupart sont en phase de positionnement de leur offre. La méthode consiste à opérer des arbitrages entre sécurité d’une part, coût et facilité opérationnelle d’autre part.

Parmi les principaux critères analysés figurent la qualité de crédit (accès implicite ou explicite à la liquidité banque centrale, actionnariat, fonds de défaillance, appels de marge..), la structure opérationnelle et juridique (comment est organisée la ségrégation ? …), les coûts (de compensation, de la ségrégation individuelle, de la rémunération du collateral…) et les dépôts de garantie. Mais il est difficile d’analyser la robustesse opérationnelle (faute d’expérience), les possibilités de netting entre dérivés cotés et de gré à gré, ou encore l’impact des parts de marché des chambres par produits (ces parts de marchés sont parfois très importantes).

La révolution introduite par Emir amène désormais à appliquer cette même analyse aux chambres de compensation des dérivés cotés, options et contrats à terme. C’est, pour Emmanuel Gaffet, la fin de l’illusion du risque zéro.

L’obligation de compensation des dérivés de gré à gré pose aussi la question de la répartition du risque entre clients finaux, membres compensateurs et chambres de compensation. Il est souhaitable que le risque de contrepartie soit minimisé pour le client final, qui, lui, supporte un risque de marché, et donc que le risque de contrepartie soit partagé le mieux possible par les membres compensateurs et la chambre.

En cas de difficulté majeure, Amundi préfère la solution de la résolution ordonnée, réductrice du niveau d’incertitude.
Enfin, pour les sociétés de gestion comme Amundi, du strict point de vue de la gestion d’actifs, le versement de dépôts de garantie et la recherche de titres éligibles aux garanties (collateral) représentent de vraies difficultés opérationnelles. Amundi a d’ailleurs mis à l’étude de lancement d’un fonds de collateral.
 
 
Hubert de Kersaint-Gilly, responsable des risques, BNP Paribas Securities Services
 
Pour un gestionnaire de titres comme BNP Paribas Securities Services (membre compensateur de 21 chambres, tandis que BNP Paribas est membre de 42 chambres), la gestion et le choix des chambres de compensation constitue un problème de premier plan, qui a nécessité des évolutions : intégration d’une business line dédiée à la compensation à l’intérieur de la banque d’investissement, adhésion à de nouvelles chambres, réorganisation de la gestion de ce risque spécifique qui passe par l’étude systématique de l’exposition du membre compensateur à chaque chambre de compensation (études des risques : opérationnel, d’investissement, de liquidité, de contrepartie ; détermination de limites d’exposition) et une revue annuelle de chaque chambre.

L’exposition « pure » du compensateur à la chambre, qui n’est généralement pas répliquée aux clients, est celle du fonds de défaillance. Pour BNP Paribas Securities Services, en moyenne, le fonds de défaillance représente 10 % des dépôts de garantie.

BNP Paribas Securities Services participe, autant que possible, aux organes de gestion des chambres (conseil, comité des risques…).
Pour Hubert de Kersaint-Gilly, on se dirige probablement vers une domination d’une dizaine de membres compensateurs dans le monde, dont deux seulement d’origine européenne.

BNP Paribas Securities Services se pose des questions à propos de sa participation à de nombreuses chambres de compensation, car la contrainte réglementaire est devenue écrasante. Les chambres qualifiées, qui limitent le capital réglementaire à mobiliser, devraient être privilégiées à l’avenir.
 
 
Clément Phelipeau, Société Générale Securities Services
 
Dans la chaîne des services apportés aux sociétés de gestion par un spécialiste des métiers du titre comme SG Securities Services, le post-trade prend une place de plus en plus importante.

Pour le gestionnaire d’actifs, le choix des chambres de compensation revêt un enjeu opérationnel (gestion des appels de marge, ségrégation…) et un enjeu stratégique (coûts directs et coûts indirects comme ceux liés à la mobilisation du collateral ; faut-il prendre le risque de concentrer ses flux sur une seule chambre, de façon à pouvoir optimiser le netting ?).
Le fait pour SG Securities Services de pouvoir proposer une prestation globale à ses clients  (externalisation complète du middle-office) permet d’avoir une vue consolidée des expositions de ces derniers et d’optimiser l’utilisation des dérivés en passant par la compression (ce services sera proposé aux acteurs du buy-side prochainement) et par la réconciliation (entre les pointages du client et ceux du membre compensateur).

SG Securities Services, qui formule son offre « Orchestra » en s’appuyant sur l’expertise de Newedge, le courtier filiale de Société générale, accompagne ses clients tout au long de la chaîne de traitement : trade management, valorisation et confirmation, compensation, gestion du collateral, déclarations réglementaires au référentiel central.

 
Pierre-Dominique Renard, executive director, LCH.Clearnet SA
 
LCH.Clearnet identifie quinze catégories de risques (de marché, souverain, concentration, liquidité, opérationnels, d’investissement, de conformité, wrong way, change…) et édicte dix règles, revues annuellement, notamment par le comité de risques (présidé par une personnalité indépendante, ce comité comprends des représentants des membres compensateurs et de leurs clients ; LCH.Clearnet n’y a pas de droit de vote).